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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 8 septembre 2015, n° 14/07255

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Catherine C.

Défendeur :

SAS B., SA AUCTIONSPRESS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur Benjamin RAJBAUT

Conseillers :

Madame Anne-Marie GABER, Mme Nathalie AUROY

Avocats :

Me Jean-Jacques F., Me Catherine L., SCP AFG, SEP L.-L.-C.-G., Me Judith L., Me Xavier C.

Paris, du 27 mars 2014

27 mars 2014

ARRET :

  • Contradictoire
  • par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
  • signé par Monsieur Benjamin RAJBAUT, président et par Madame Karine ABELKALON, greffier présent lors du prononcé.

Vu le jugement rendu le 27 mars 2014 par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 1er avril 2014 par Mme Catherine C.,

Vu les dernières conclusions transmises par Mme C. le 20 octobre 2014,

Vu les dernières conclusions numérotées 3 transmises par la société B. le 6 mars 2015,

Vu les dernières conclusions numérotées 2 transmises par la société Auctionspress le 16 janvier 2015,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 27 mai 2015 ;

MOTIFS DE L'ARRÊT

Considérant que Mme Catherine C. est, en vertu de l'article L121-2 du code de la propriété intellectuelle et à défaut d'exécuteur testamentaire désigné, titulaire du droit de divulgation des oeuvres posthumes de son père A. C. ;

Que la société B. est une société de vente aux enchères publiques ;

Que la société Auctionspress est une filiale du groupe Drouot, chargée de l'édition de la revue 'La Gazette Drouot', ainsi que des sites internet www.gazette-drouot.com et www.drouot.com ;

Qu'ayant appris que la société B. avait publié dans un catalogue de son étude de commissaire-priseur '89 lettres inédites d'A. C.' à Blanche Balain entre 1937 et 1959, en vue de leur vente aux enchères fixée au 2 mars 2012, et constaté que ce catalogue était accessible en ligne et téléchargeable en format PDF sur le site internet www.b..net, ainsi que sur les sites internet www.gazette-drouot.com et www.drouot.com, et estimant qu'il avait été ainsi porté atteinte à son droit de divulgation, elle a, par courriels du 10 février 2012, mis en demeure les éditeurs de ces sites d'avoir à supprimer sans délai tout contenu et lien permettant un quelconque accès aux fichiers litigieux et, par lettres recommandées du même jour, mis en demeure la société B. et la société Drouot d'avoir à supprimer les pages litigieuses du catalogue de vente ;

Que par lettre du même jour, la société B. a informé le conseil de Mme C. de la suppression des lots 28 à 116 (soit les 89 lettres) de la vente puis, par lettre du 14 février 2012, de la suppression de toute la correspondance de ses catalogues ;

Que le catalogue litigieux restant néanmoins accessible et téléchargeable en format PDF sur les sites internet précités, Mme C. a fait dresser un procès-verbal de constat d'huissier de justice le 14 février 2012 et adressé une nouvelle mise en demeure à la société B. pour obtenir leur suppression le 15 février 2012 ;

Qu'ayant découvert qu'un site www.ebibliophilie.com permettait également la visualisation et le téléchargement du même catalogue en format PDF, Mme C. a obtenu, sur mise en demeure adressée par courriel à l'éditeur, la suppression de l'accès au catalogue ;

Que par acte du 28 mars 2012 , Mme C. a fait assigner la société B. et la société Auctionspress, filiale du groupe Drouot, chargée de l'édition de ses sites, en réparation du préjudice subi du fait de la divulgation sans son autorisation des oeuvres inédites d'A. C. ;

Considérant que, dans son jugement du 27 mars 2014, le tribunal, après avoir relevé que Mme C. n'explicitait pas en quoi les lettres litigieuses seraient originales, a rejeté sa demande au titre de la protection du droit d'auteur, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire et condamné Mme C. au paiement à chacune des sociétés de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

- sur la demande de rejet des pièces communiquées par Mme C. formulée par la société Auctionspress :

Considérant que la société Auctionspress sollicite, sur le fondement de l'article 906 du code de procédure civile , le rejet des pièces communiquées le 21 août 2014 par Mme C. au soutien de ses premières écritures transmises le 25 juin 2014 ;

Que, cependant, Mme C., qui assure que les pièces ont été déposées, conformément aux usages, dans les toques palais des conseils des sociétés intimées, observe justement que, nonobstant la transmission par RPVA d'un bordereau de ses pièces concomitamment à ses conclusions, le conseil de la société Auctionspress a attendu le 20 août 2014 pour adresser par télécopie à son conseil une demande de communication ; qu'en outre, à l'exception de la pièce n°19, ces pièces ont déjà été communiquées à la société Auctionspress - qui n'a pas changé de conseil - en première instance ; qu'enfin, la société Auctionspress, qui a transmis ses premières écritures le 22 août 2014, alors qu'elle avait jusqu'au 25 août pour conclure, n'explicite pas en quoi elle a été placée dans l'impossibilité de critiquer ces pièces ; que leur communication apparaissant dès lors être intervenue en temps utile, il y a lieu de rejeter cette demande ;

- sur l'originalité de la correspondance litigieuse :

Considérant que Mme C. expose qu'il est acquis que les lettres missives d'artistes sont des écrits littéraires protégeables dans les mêmes conditions que les autres oeuvres de l'esprit ; qu'elle observe que la société B. ne peut sans contradiction indiquer dans ses écritures que la correspondance litigieuse est banale, alors que celle-ci était annoncée dans son catalogue de ventes comme une 'précieuse et exceptionnelle correspondance de 89 lettres inédites d'A. C.' dont la mise à prix globale était fixée à 266 800 €, étant précisé en entête de la reproduction critiquée : 'Tout au long de cette correspondance C. se confie à elle librement, sans contrainte, sans retenue, révélant ainsi, sous un jour inconnu, sa vie, son oeuvre. Nous le découvrons au fil des ans, intime et détendu, révolté, parlant de lui, de ses idées, de la guerre, et surtout de son 'travail' d'écrivain. Nous y découvrons l'homme qui se veut sans attaches, sans liens définitifs, brisant toutes chaînes excessives pour ne se consacrer qu'à ses convictions les plus profondes ; que, s'appuyant sur deux attestations émanant de deux éminents spécialistes de l'oeuvre de C., M. Raymond G.-C., professeur en littérature moderne, et M. Raphaël E., professeur de philosophie, elle soutient que l'originalité de cette correspondance, prise dans son ensemble, tient en ce qu'elle contient une portée critique de son oeuvre par l'auteur ;

Que la société B. répond que les billets et lettres adressés tout au long de sa vie par A. C. à Blanche Balain sont souvent purement factuels et en eux-même banals, qu'ils ne sont certainement pas le résultat d'une volonté de créer une oeuvre d'art, mais ont pour seul but de communiquer des informations, et qu'ils présentent un intérêt d'ordre historique et anecdotique permettant de mettre en perspective la vie personnelle de l'écrivain avec son oeuvre, ne préjugeant en rien de leur caractère original au sens du droit d'auteur ; qu'elle ajoute que les attestations produites sont sujettes à caution, dès lors qu'elles ne font aucune référence aux liens de leur auteur avec l'appelante et à leurs activités communes, consistent tout au plus en des opinions personnelles et des impressions subjectives, et font état de considérations générales, et qu'elles distinguent d'ailleurs les lettres et billets en litige de l'oeuvre d'A. C. ;

Que la société Auctionspress soutient également que Mme C. échoue à rapporter la preuve de l'originalité de chacune des lettres litigieuses ; qu'elle fait valoir que l'attestation de M. G.-C. ne respecte pas le formalisme exigé par l'article 202 du code de procédure civile , que son analyse ne porte que sur 23 des 89 lettres, de même que l'attestation de M. E. ne porte que sur 11 d'entre elles, sur la base desquelles il se contente d'affirmer que 'la correspondance entre A. C. et Blanche Balain est essentielle à l'intelligence de l'oeuvre de C.' ;

Considérant, ceci exposé, qu'il y a lieu de rappeler qu'en vertu de l'article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, et que ce droit est conféré, selon l'article L112-1 du même code, à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ;

Que sont notamment considérées comme oeuvres de l'esprit, en vertu de l'article L112-2 de ce code, les écrits littéraires, lesquels incluent les lettres missives ;

Qu'il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale, portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;

Considérant qu'en l'espèce, Mme C. revendique l'originalité de la correspondance constituée des 89 lettres d'A. C. [1913-1960] à Blanche Balain [1914-2003] du 7 décembre 1937 au 27 juin 1959, dans son ensemble ; qu'elle entend la démontrer à partir des analyses livrées par MM. G.-R. et E. dans leurs attestations ;

Considérant que les non-conformités de ces attestations avec les exigences de l'article 202 du code de procédure civile, telles que relevées par les intimées, sont sans portée, dès lors que leur caractère très particulier - tenant à ce qu'elles comportent, non pas une relation de faits mais un avis personnel, nécessairement subjectif, de leurs auteurs - n'est pas contesté, et qu'elles présentent des garanties suffisantes tenant aux qualités éminentes de ces derniers, spécialistes reconnus d'A. C., étant observé que leur impartialité eu égard à leurs activités communes avec l'appelante n'est pas sérieusement remise en cause ;

Considérant que l'originalité de la correspondance étant revendiquée pour les 89 lettres dans leur globalité, il ne saurait être valablement reproché à Mme C. de ne pas s'être livrée à sa démonstration exhaustive lettre par lettre ; que, pour cette même raison, la méthode utilisée par MM. G.-R. et M. E. pour leur analyse, consistant, après avoir pris connaissance de l'intégralité des 89 lettres, à en extraire une sélection parmi les plus significatives, n'est pas utilement critiquée ;

Considérant que Mme C. justifie sa position en relevant que la lecture d'une correspondance d'une telle ampleur, qui s'est déroulée sur la durée de production littéraire d'un auteur, présente un apport dans sa cohésion ;

Considérant que, si elle est insuffisante à établir l'originalité de cette correspondance, l'identité de ses protagonistes ne peut être ignorée : d'un côté, son auteur, l'écrivain confirmé A. C., et de l'autre, sa destinataire, Blanche Balain, présentée dans le catalogue de vente de la société B. comme poétesse, actrice à Alger dans le 'Théâtre de l'Equipe' que l'écrivain anima de 1937 à 1939, et fut quelque temps sa maîtresse, puis une amie fidèle jusqu'à sa mort ; que, même s'il résulte des différents articles de presse et contrats versés aux débats que, ni ce type de relation, ni la correspondance, ne furent les seules entretenues par A. C. sa vie durant, la continuité de celle-ci témoigne du sérieux de celle-là ; qu'il doit en outre être relevé que sa période couvre non seulement celle de la production littéraire d'A. C., mais aussi celle, troublée, de la seconde guerre mondiale ;

Considérant qu'il ressort de la lecture de ces 89 lettres, telles que présentées dans le catalogue de vente de la société B., à laquelle s'est livrée minutieusement la cour, que, loin de se limiter à y communiquer des informations, A. C. s'y confie dans toutes les dimensions de son être ;

Qu'il y livre tour à tour, avec des mots choisis, sincères, profonds et souvent émouvants, non seulement ses sentiments à l'égard de son interlocutrice, ses impressions sur la production littéraire de celle-ci - en profitant pour distiller, comme l'observe M. E., sa propre conception de l'art -, mais aussi certains aspects de sa vie quotidienne et personnelle et d'autres de ses sentiments - dont M. G.-C. indique qu'ils seront notamment transposés en thèmes centraux dans divers essais lyriques ou trouveront leur cristallisation au sein des thèmes souches de l'indifférence dans L'Etranger et de séparation dans La Peste -, des considérations sur ce que représente pour lui l'art d'écrire, des commentaires de ses ouvrages, terminés ou en cours, et ses pensées philosophiques, notamment politiques, marquées par le contexte de la guerre, de nature à en éclairer la portée ;

Qu'il apparaît que l'auteur, tirant partie de l'intimité d'une relation, y dévoile librement tout ce qui l'habite à l'instant de leur rédaction, incluant une portée critique de son oeuvre en général ;

Que les choix opérés par lui, tant dans la forme soignée de son expression que dans la singularité des sujets abordés, confèrent à cette correspondance une physionomie propre traduisant une activité créatrice, dont l'auteur ne pouvait qu'avoir conscience, et qui porte l'empreinte de sa personnalité ;

Qu'il convient donc d'infirmer le jugement et de dire que la correspondance constituée des 89 lettres d'A. C. à Blanche Balain entre 1937 et 1959 est originale et, partant, éligible à la protection au titre du droit d'auteur ;

- sur l'atteinte au droit de divulgation :

Considérant que Mme C. reproche aux sociétés éditrices de ne pas avoir sollicité son autorisation avant la communication de la correspondance litigieuse au public au moyen de différents supports (catalogue et sites internet), sur lesquels les lettres étaient reproduites intégralement ou partiellement ; qu'elle rappelle, d'une part, que le droit de divulguer une oeuvre, attribut du droit moral d'auteur, emporte le droit de déterminer le procédé de divulgation et celui de fixer les conditions de celle-ci et, d'autre part, que la divulgation d'une oeuvre ne s'entend pas de la transmission du support matériel de l'oeuvre, observant qu'elle ne s'est jamais opposée à la vente de la correspondance litigieuse, qui ne lui appartient pas ; qu'elle fait valoir qu'il ne peut valablement lui être opposé un abus dans l'exercice de son droit de divulgation, alors qu'elle n'a pas été invitée à l'exercer ; qu'elle conteste que la publication préalable de courts extraits de quelques unes des lettres de cette correspondance par Blanche Balain, autorisée par elle, ait pu épuiser son droit de divulgation ;

Que les sociétés intimées, tout en reconnaissant, s'agissant de la société B., que Mme C. a sensiblement modifié sa position en cause d'appel, soutiennent que son action constitue un détournement frauduleux du droit moral de divulgation, celle-ci ne visant en réalité qu'à empêcher la diffusion d'éléments de la vie privée de son père concernant sa relation avec Blanche Balain, alors même que nombre de correspondances d'A. C. ont déjà été publiées ; que la société B. ajoute que les lettres et billets litigieux ont été portés à la connaissance du public depuis de nombreuses années sous l'impulsion de Blanche Balain elle-même et avance que la référence faite à des 'correspondantes inédites' au catalogue de vente, dans lequel figure uniquement des extraits, signifiait simplement qu'il s'agissait de la première fois qu'ils étaient proposés à la vente ;

Considérant, ceci exposé, qu'il y a lieu de rappeler que le droit de divulgation, tel que prévu par l'article L121-2 du code de la propriété intellectuelle, qui appartient, de son vivant, à l'auteur seul, et après sa mort, à défaut d'exécuteur testamentaire désigné par lui, en premier lieu à ses descendants, emporte le droit de déterminer le procédé de divulgation et de fixer les conditions de celle-ci ;

Qu'en l'espèce, alors qu'il n'est pas contesté que Mme C. est titulaire du droit de divulgation des oeuvres posthumes de son père A. C., force est de constater que, ni la société B., ni la société Auctionspress n'ont sollicité son autorisation pour communiquer au public la correspondance litigieuse au public au moyen de différents supports (catalogue et site internet www.b..net dont la première est éditrice, sites internet www.gazette-drouot.com et www.drouot.com dont la seconde est éditrice) sur lesquels les 89 lettres ont été reproduites intégralement ou partiellement ; que les sociétés intimées ne sont donc pas fondées à opposer à l'appelante un abus dans l'exercice de son droit divulgation qu'elles ne l'ont pas mis en mesure d'exercer ; qu'à cet égard, s'il est indéniable que l'oeuvre protégée, compte tenu de sa nature même, présente un caractère intime mettant également en jeu les droits de la personnalité, évoqués par Mme C. en première instance, il demeure que son action reste clairement fondée sur la violation de son droit de divulgation, de sorte que l'argumentation qui lui est opposée concernant ses intentions supposées relatives à la diffusion des lettres litigieuses est, à ce stade, parfaitement inopérante ;

Que la société B. produit un numéro hors série de la revue L'encrier, publiant un écrit de Blanche Balain 'REPERES - Impressions marocaines' comprenant de larges extraits de trois lettres d'A. C. à Alger en 1938, les numéros18 et 19 de la revue Loess publiant en 1985 sous le titre 'La terre de la fertilité' une 'lettre inédite d'A. C.' à Blanche Balain, et les tomes I et II de 'La Récitante', récit autobiographique de Blanche Balain reproduisant de courts extraits de lettres de l'écrivain ; que ces publications antérieures, représentant, selon Mme C., qui déclare les avoir autorisées, 'à peine quelques lignes de moins de 10 correspondances' de la correspondance litigieuse et, selon la société B., 'plus de 230 lignes' de celle-ci, restent minimes au regard de son ampleur globale ; qu'elles en donnent un avant-goût, mais sans la dévoiler dans son ensemble, de sorte qu'il ne peut être admis qu'elles aient pu épuiser le droit de divulgation de Mme C. ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les sociétés B. et Auctionspress ont porté atteinte au droit de divulgation de Mme C. ;

Considérant que leur responsabilité est engagée en leurs qualités respectives d'éditrices du site www.b..net, d'une part, et des sites www.gazette-drouot.com et www.drouot.com, d'autre part ; qu'elle ne saurait en revanche être recherchée concernant la diffusion du catalogue sur le site www.ebibliophilie.com, s'agissant d'un site indépendant dont Mme C. n'a pas mis en cause l'éditeur ;

- sur le préjudice subi par MmeC. :

Considérant que Mme C., invoquant la perte de valeur de la publication de cette correspondance qui n'est désormais plus inédite et la rémunération à laquelle elle aurait pu prétendre en sa qualité d'ayant droit si un contrat d'édition en bonne et due forme avait été passé, estime avoir subi un préjudice matériel qu'elle évalue à 60 000 € ; qu'elle déclare que son préjudice réside surtout dans son préjudice moral, tenant à la dépossession de ses attributs fondamentaux, qu'elle évalue à 40 000 € ; qu'elle ajoute que 'seule une sanction exemplaire serait à même de prévenir à l'avenir ce type de violation' et qu'il doit être tenu compte de l'ampleur de la divulgation s'agissant d'une mise en ligne sur le réseau internet et la qualité de professionnels des intimées ;

Que les sociétés B. et Auctionspress répondent que le préjudice matériel est étranger par nature au droit de divulgation, attribut du droit moral de l'auteur ne pouvant être exercé que pour protéger ses intérêts extra-patrimoniaux, qu'il ne peut être attribué de dommages et intérêts punitifs ou exemplaires, seul le préjudice réellement subi devant faire l'objet d'une réparation, que celui-ci n'est pas justifié et que les sommes sollicitées sont exorbitantes ;

Considérant, ceci exposé, que Mme C., qui agit ici en sa qualité de détentrice du droit de divulgation des oeuvres posthumes d'A. C., et non en celle de représentante des ayants droit de celui-ci, titulaires du droit d'exploitation, n'est pas fondée à solliciter des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice matériel consistant en la perte de chance de la rémunération à laquelle elle aurait pu prétendre en vertu d'un contrat d'édition ; qu'elle ne justifie d'aucun préjudice matériel subi du fait de la violation de son droit de divulgation ; qu'en revanche, son préjudice moral tenant à la privation de son droit d'exercer son droit de divulgation est indéniable, proportionnel à l'ampleur de la communication non autorisée intervenue et aggravé par la circonstance que la violation est le fait de professionnels avertis ; que, si le nombre de catalogues distribués ainsi que les chiffres d'accès aux sites et le nombre de téléchargements ne sont pas connus avec exactitude, faute d'avoir été communiqués par les sociétés intimées, leur importance est au moins égale pour chacun des sites à celle déclarée par l'éditeur du site www.ebibliophilie.com pour une période de 4 jours (soit 37 téléchargements et 800 visiteurs) ; que ces éléments permettent d'évaluer le préjudice subi par Mme C. à 10 000 €, que les sociétés B. et Auctionspress doivent être condamnées à réparer in solidum ;

- sur la demande en garantie par la société B. de la société Auctionspress:

Considérant que, pour invoquer la garantie de la société B., la société Auctions press invoque l'article VII du contrat du 8 février 2010, aux termes duquel :

'Auctionspress ne saurait être tenue responsable du contenu des catalogues de ventes consultables sur le site de la Société de Ventes et sur les sites www.gazette-drouot.com et www.drouot.com.

La Société de Ventes déclare à Auctionspress et la garantit qu'elle possède tous les droits de reproduction et de publication des photographies, catalogues, textes, documents, informations, données et contenus de toute nature, diffusés sur son site personnel et pour son compte sur les sites www.gazette-drouot.com et www.drouot.com.

La Société de Ventes déclare que ces éléments sont conformes à la législation applicable et ne portent pas atteinte aux droits de tiers. Sans préjudice de l'obligation précitée de la Société de Ventes de relever et garantir Auctionspress de l'intégralité des conséquences financières préjudiciables susceptibles de résulter de la réclamation d'un tiers.' ;

Que la société B. répond que le premier alinéa est directement contraire à la loi comme exonérant un éditeur de service en ligne de toute responsabilité, que les deux autres sont incorrectement rédigés, de rédaction trop générale et ne sauraient exonérer la société Auctionspress de toutes conséquences pour elle de son activité, de sorte qu'ils doivent être annulés, ou réputés non écrits, et leur application doit être écartée ; qu'elle ajoute que celle-ci a été négligente en ne retirant pas le catalogue PDF dès le 10 février 2012, alors qu'elle reconnaît qu'il lui a été demandé à cette date de retirer les lots n°28 à 117 des présentations de la vente, ce qui impliquait le retrait du catalogue de vente sous ses trois formats (livre numérique, lot par lot et PDF) prévus au contrat ;

Considérant qu'au préalable, les parties étant opposées sur ce point, la cour observe qu'il ne saurait être reconnu à la société Auctionspress la qualité d'éditeur du site www.b..net ; qu'en effet, aux termes du contrat du 18 février 2010, il ne lui a été confié que la création graphique, la maintenance et l'hébergement et il ne résulte d'aucune de ses stipulations qu'elle participerait ou exercerait un contrôle a priori de son contenu, l'actualisation des ventes à venir et des résultats des ventes ne pouvant intervenir que sur instruction ou demande de la société de ventes, de même que la modification de la charte graphique ;

Que, face aux objections opposées par la société B. à son appel en garantie, la société Auctionspress observe justement que le premier alinéa de l'article VII du contrat précité n'a pas pour effet de l'exonérer de sa responsabilité d'éditeur à l'égard des tiers, en l'occurrence Mme C., que ces stipulations contractuelles ne sont, ni mal rédigées, ni trop générales - l'identité de son bénéficiaire, de son débiteur, les hypothèses dans lesquelles elle s'applique et son étendue étant précisées -, et enfin que la clause ne porte aucunement sur les obligations essentielles de la société Auctionspress, lesquelles consistent en la maintenance et l'hébergement du site personnel de la société B. et en la mise en ligne des catalogues de vente de cette dernière sur les sites www.b..net, www.gazette-drouot.com et www.drouot.com ; que leur validité doit dont être retenue ; que, par ailleurs, la société B. ne démontre pas avoir été, comme il lui appartenait, suffisamment explicite dans sa première demande de retrait effectuée le 10 février 2012 par téléphone auprès de la société Auctionspress, alors que celle-ci, qui a immédiatement retiré les lots litigieux des formats 'lots par lots' et 'livre numérique' du catalogue de la vente ce jour là, a également immédiatement supprimé le catalogue téléchargeable en format PDF des sites internet lorsque la société B. lui en a fait expressément la demande, toujours par téléphone, le 15 février 2012 ; qu'il convient donc de condamner la société B. à garantir la société Auctionspress des condamnations prononcées à son encontre ;

- sur les frais irrépétibles et les dépens :

Considérant que le sens de la présente décision commande d'infirmer le jugement de ces chefs ; qu'il y a lieu de statuer à nouveau de ces chefs, pour la première instance et l'appel, dans les termes prévus au dispositif du présent arrêt ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à rejeter les pièces communiquées par Mme C.,

Dit que la correspondance constituée des 89 lettres d'A. C. à Blanche Balain entre 1937 et 1959 est originale et, partant, éligible à la protection au titre du droit d'auteur,

Dit que les sociétés B. et Auctionspress ont porté atteinte au droit de divulgation de Mme C.,

Condamne in solidum les sociétés B. et Auctionspress à payer à Mme C. la somme de 10 000 € en réparation de son préjudice moral,

Rejette la demande d'indemnisation de Mme C. au titre de son préjudice matériel,

Condamne la société B. à garantir la société Auctionspress des condamnations prononcées à son encontre,

Vu l'article 700 du code de procédure civile , rejette les demandes des sociétés B. et Auctionspress, les condamne in solidum à payer à Mme C. la somme de 5 000 €,

Condamne in solidum les sociétés B. et Auctionspress aux dépens,

Accorde à Maître Jean-Jacques F. le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.