CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 22 janvier 2014, n° 13/06069
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Madame Marie-Claude GUILAUD-LABAT
Défendeur :
SA JEAN EUGÈNE BORIE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Benjamin RAJBAUT
Conseillers :
Madame Brigitte CHOKRON, Madame Anne-Marie GABER
Avocats :
Me Matthieu BOCCON GIBOD, Me Nathalie HADJADJ-CAZIER, SCP LAGOURGUE - OLIVIER, Me Eric AGOSTINI
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Benjamin RAJBAUT, Président, et par Madame Marie-Claude HOUDIN, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement contradictoire du 25 janvier 2013 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'appel interjeté le 26 mars 2013 par Marie-Claude GUILAUD-LABAT (ci-après dite Marie LABAT),
Vu les dernières conclusions du 14 octobre 2013 de l'appelante,
Vu les dernières conclusions du 23 octobre 2013 de la société JEAN EUGÈNE BORIE (ci-après dite JE BORIE), intimée et incidemment appelante,
Vu l'ordonnance de clôture du 12 novembre 2013,
SUR CE, LA COUR,
Considérant que Marie LABAT, designer-graphiste, se prévaut de droits d'auteur sur un dessin, figurant la silhouette stylisée du château DUCRU BEAUCAILLOU, créée en octobre 2005 pour réaliser la nouvelle étiquette des bouteilles du millésime 2003 d'un second vin appelé CROIX DE BEAUCAILLOU ;
Qu'ayant découvert l'offre en vente par la société JE BORIE de ce vin sous une étiquette comportant selon elle, en son centre, la reproduction non autorisée de sa création, elle a, ensuite d'un avis de cette société du 10 juin 2011 déniant formellement l'originalité de son dessin, vainement demandé le 21 juin 2011 réparation du préjudice subi, puis fait procéder à un constat sur internet de la présentation incriminée suivant procès-verbal d'huissier de justice du 8 juillet 2011 ;
Que, dans ces circonstances, elle a fait assigner la société JE BORIE le 4 août 2011 devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur ;
Considérant que, suivant jugement dont appel, les premiers juges ont retenu que l'étiquette revendiquée et le dessin qu'elle supporte ne peuvent bénéficier de la protection instituée au titre du droit d'auteur, et rejeté toutes les demandes de Marie LABAT ainsi que celles reconventionnelles de la société JE LABORIE, condamnant Marie LABAT aux frais et dépens de l'instance ;
Sur les demandes principales
Considérant que l'appelante soutient que, contrairement à ce qui aurait été retenu par le tribunal, elle revendiquerait l'originalité d'un dessin et non d'une étiquette, et maintient que ce dessin serait original, que la divulgation et l'exploitation de l'étiquette incriminée, y compris sous une forme modifiée en 2012, constituerait une contrefaçon de son oeuvre graphique, faisant valoir que la clause générale de cession de droits insérée dans sa note d'honoraires à la demande de la société JE BORIE serait nulle et que la dernière modification du dessin par cette dernière en 2013 constituerait l'aveu d'une contrefaçon antérieure ;
Que la société JE BORIE soutient à l'inverse que le dessin au fil de l'édifice architectural existant dont s'agit serait dénué de l'originalité requise pour justifier une action en contrefaçon de droit d'auteur, laquelle ne serait par ailleurs pas fondée, ajoutant que ce ne serait que, par précaution, qu'elle a entendu acquérir les droits de Marie LABAT et modifier la reproduction incriminée dès juillet 2011 puis à nouveau en 2013 ;
Considérant que le principe de la protection d'une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale n'est pas discuté ; qu'il incombe toutefois, à celui qui entend se prévaloir de droits d'auteur, de rapporter la preuve d'une création déterminée à une date certaine et de caractériser l'originalité de cette création, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une oeuvre de l'esprit protégeable au sens de la loi, c'est à dire originale ;
Considérant qu'en l'espèce, Marie LABAT a facturé le 22 octobre 2005 à la société JE BORIE l'étude notamment de l'étiquette 'CROIX DE BEAUCAILLOU' ensuite d'un devis prévoyant en particulier la 'Création graphique de l'image (après choix de la vue d'Archi)' et l'exécution de cette nouvelle image à placer sur l'étiquette de ce vin, l'objectif du projet étant, selon son descriptif, d'améliorer le graphisme de l'étiquette ;
Que si elle reconnaît que la société JE BORIE lui a fourni des photographies du château pour la réalisation de son étude, elle prétend ne pas les avoir utilisées et que seuls ses propres clichés l'auraient inspirée ; que pour conclure à l'originalité de son dessin elle soutient qu'en tout état de cause il ne serait pas comparable à un simple dessin au fil consistant à reproduire sans lever de crayon les contours du château, mais de choix personnels par l'adoption d'une vision purement frontale de l'édifice (axe frontal du château), dénuée de toute perspective, dans un style moderne et épuré avec une représentation bicolore afin de créer un jeu de contraste singulier entre le fond de l'étiquette et les éléments du château ; qu'elle revendique plus particulièrement la combinaison de proportions retravaillées, de la représentation des pierres des façades et des frontons en aplat et de la partie centrale de la façade sans délimitation sur les côtés, de l'utilisation des tons orangé et marron attribués respectivement aux espaces vides et remplis, de la suppression de certains éléments tels les cheminées, la statue centrale et les pots de part et d'autre en haut de l'escalier, d'un nombre déterminé de fenêtres dont les carreaux sont repris ; qu'elle conclut que ces choix artistiques caractériseraient son travail créatif, dans un style volontairement simple et minimal, qui s'affranchirait du superflu ;
Considérant que pour contester l'originalité prétendue de la réalisation ainsi revendiquée, la société JE BORIE fait valoir qu'elle s'inscrit dans la ligne constante de présentation ocre jaune des étiquettes de ses crus (ou tradition chromatique), que les photographies par elle fournies auraient en fait été travaillées à l'aide d'un logiciel 'Illustrator', technique informatique facile qui serait fréquemment utilisée pour de nombreuses étiquettes dans le vignoble, et qu'un tel travail de 'curseur' serait dénué d'inspiration artistique ou de recherche créative ;
Qu'au soutien de ces prétentions elle produit, indépendamment d'une consultation qui ne saurait lier la cour, pas plus que la facturation opérée par Marie LABAT :
- un mail de cette dernière précisant le 22 février 2005 qu'elle avait commencé à travailler d'après certaines photos et qu'elle viendrait prendre des vues supplémentaires,
-divers clichés du château et reproductions d'étiquettes antérieures,
-le relevé technique de la façade du château dont elle a demandé en 2011 la réalisation, ouvrable sous 'Illustrator', ainsi que la procédure utilisée pour ce faire,
-le dessin au fil de divers châteaux du bordelais ;
Considérant qu'il ressort de l'examen auquel la Cour s'est livrée, que les modèles d'étiquettes de la société JE BORIE comportaient, de longue date, une utilisation contrastée de couleurs ocres et marrons, que l'étiquette du cru 2002 LA CROIX DE BEAUCAILLOU représentait déjà seulement une partie centrale de la façade du château avec son escalier, et que d'autres étiquettes antérieures de grands vins montraient souvent des dessins d'un château vu de face (de façon frontale) et parfois de manière très épurée, seuls les contours étant reproduits avec les fenêtres et portes ; que, certes, aucun de ces dessins préexistants ne présente tous les éléments revendiqués dans une combinaison identique ; qu'en particulier l'étiquette 2002 figurant le même édifice représentait, à la différence du dessin revendiqué, une partie de façade délimitée par un contour reprenant la forme de l'encadré de l'étiquette, moins importante en hauteur avec une fenêtre de moins de chaque côté en largeur, un aspect ornementé et une vue un peu de côté de l'escalier ; que, par ailleurs, tous les éléments visibles sur les photographies de la façade du château produites par l'appelante ne sont pas reproduits sur son dessin, des persiennes ouvertes apparaissant ajoutées de chaque côté des fenêtres de l'étage tandis que ne sont pas figurées une statue placée devant l'escalier ni les vasques en haut de cet escalier ; qu'enfin la partie du toit comportant les cheminées ainsi que la terrasse au pied de l'escalier ne sont pas représentées ;
Mais considérant qu'il résulte de cet examen que le dessin revendiqué relève, nonobstant quelques modifications de détails, globalement d'une image stylisée fidèle de la partie centrale d'une vue du château pouvant banalement être prise de face et sélectionnée sans effort créatif, étant rappelé que l'appréciation de la Cour doit s'effectuer en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments du dessin et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement ; que les choix opérés ne s'avèrent pas suffisant pas à rendre compte, au-delà de la mise en oeuvre d'un savoir faire technique certain, d'une professionnelle du dessin disposant d'outils appropriés, de la recherche personnelle d'une forme de représentation originale du château au sens du droit d'auteur et la combinaison de ces choix, même pour partie arbitraires, n'apparaissent pas de nature à pouvoir réellement traduire un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur et permettre ainsi au dessin tel que revendiqué de bénéficier des dispositions du livre I du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que les premiers juges ne peuvent donc qu'être approuvés en ce qu'ils ont estimé que Marie LABAT ne démontrait pas l'originalité contestée de la réalisation par elle invoquée, et que celle-ci ne pouvait accéder à la protection instituée au titre du droit d'auteur ; qu'en conséquence, le jugement entrepris, qui a rejeté toutes les demandes formées au titre de la contrefaçon, sans qu'il y ait lieu d'examiner une éventuelle cession de droits, mérite confirmation ;
Sur les demandes reconventionnelles
Considérant que l'intimée reprend en cause d'appel ses demandes fondées sur les dispositions de l'article 1626 du Code civil, étant rappelé que la garantie d'éviction nécessite l'existence d'un préjudice ; qu'à cet égard le tribunal a justement relevé que la somme réclamée n'était en rien justifiée et que la société JE BORIE avait été en mesure de commercialiser sans trouble les bouteilles de vin supportant l'étiquette revendiquée ;
Considérant qu'il sera ajouté que le simple fait qu'elle a préféré, compte tenu de l'instance, puis du recours, intentés par Marie LABAT, prendre l'initiative de modifier le dessin par elle inséré au centre d'une nouvelle étiquette qu'elle a fait réaliser par un tiers, en simplifiant dans un premier temps les lignes de ce dessin et annulant tout effet de contraste, puis en étendant le dessin à la représentation de l'intégralité de la façade du château, ne suffit pas à fonder sa demande indemnitaire ; qu'outre le fait qu'elle ne justifie nullement des frais qu'elle a cru devoir exposer pour procéder à ces modifications, elle ne démontre pas que ces dernières puissent être imputées, non à ses propres décisions, mais à l'appelante du fait de mentions par elle apposées sur sa facturation ou de son action en justice, étant observé qu'il n'est pas établi que celle-ci a revêtu un caractère malin et en conséquence abusif, même si Marie LABAT succombe en toutes ses prétentions, tant en appel qu'en première instance ;
Considérant, en conséquence, que la demande en dommages et intérêts de la société JE BORIE, tout comme ses demandes de publication à raison des prétentions adverses, ne sauraient prospérer, et la décision entreprise sera également confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de ces chefs ;
PAR CES MOTIFS,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;
Condamne Marie-Claude GUILAUD-LABAT aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et dit n'y avoir lieu à nouvelle application de l'article 700 du dit code au titre des frais irrépétibles d'appel.