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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 29 mars 2007, n° 05/05293

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SARL IN VITRO

Défendeur :

SARL VANETIA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

J.P. SELMES

Conseillers :

D. VERDE DE LISLE, C. BELIERES

Avoués :

SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI, SCP SOREL-DESSART-SOREL

Avocats :

Me Frédéric DAVID, Me Nathalie PHILIPPE-TREMOLET

Toulouse, du 27 juin 2005

27 juin 2005

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par J.P. SELMES, président et par A. THOMAS, greffier de chambre

EXPOSE DES FAITS ET PROCEDURE

En octobre 2003 la SARL VANETIA a confié à la SARL IN VITRO un projet d'aménagement de son salon de coiffure exploité à l'enseigne 'MISS BETTY' au [...] qui lui a été remis suivant devis du 5 novembre 2003 prévoyant des miroirs décorés à l'effigie des quatre as d'un jeu de cartes sur fond étoilé, réalisés par sablage, pour un montant de 3.048,98 € HT.

Estimant ce coût trop élevé, la SARL VANETIA a fait appel à une tierce entreprise, l'atelier PAUL LARRIEU, qui a procédé à l'apposition sur les miroirs existants d'un film adhésif simulant le sablage et découpé selon la même inspiration thématique d'as sur fond étoilé pour un montant de 800 € HT selon facture du 2 janvier 2004.

Par acte du 15 novembre 2004, la SARL IN VITRO a fait assigner la SARL VANETIA devant le tribunal de commerce de Toulouse en contrefaçon et indemnisation des préjudices subis.

Par jugement du 27 juin 2005 cette juridiction a

- constaté l'absence à l'audience de la demanderesse qui n'a déposé aucune conclusion

- condamné la SARL IN VITRO à payer à la SARL VANETIA la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

- condamné la SARL IN VITRO aux entiers dépens.

Par acte du 7 octobre 2005 la SARL IN VITRO a formé appel général de cette décision.

MOYENS DES PARTIES

La SARL VANETIA demande d'écarter des débats les dernières conclusions de la SARL IN VITRO déposées le 31 janvier 2007 soit postérieurement à l'ordonnance de clôture en date du 23 janvier 2007 alors qu'elle n'invoque aucune cause grave pouvant justifier la révocation de celle-ci.

*

La SARL IN VITRO dans ses conclusions du 6 février 2006 établies au visa des articles L 511-1 et suivants et des articles L 112-1 et suivant du code de la propriété intellectuelle sollicite la réformation du jugement déféré et demande de

- dire que la SARL VANETIA a commis des actes de contrefaçon à son encontre

- condamner la SARL VANETIA à lui payer les sommes de

* 3.048,98 € HT au titre du préjudice matériel

* 2.000 € pour atteinte à l'image de marque et préjudice moral

- faire interdiction à la SARL VANETIA de porter atteinte de quelque manière que ce soit à ses droits sous astreinte de 5.000 € par infraction commise à compter de la décision à intervenir

- la condamner à la confiscation et à la destruction à son profit de tous les modèles contrefaisants détenus au jour du jugement

- ordonner la publication du jugement dans deux revues spécialisées ou journaux de son choix aux frais de la SARL VANETIA sans que le coût global de la publication par magazine ne dépasse la somme de 3.000 €

- lui allouer à cet effet la somme de 6.000 € à charge pour elle de justifier par factures à la SARL VANETIA du montant réel des publications et lui retourner le cas échéant le solde du

- obtenir l'octroi de la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle fait valoir que l'utilisation d'une oeuvre sans l'autorisation préalable de son auteur constitue une contrefaçon, que par son activité elle créé des oeuvres originales susceptibles de bénéficier de la protection de la loi et qu'il est manifeste que la SARL VANETIA a imité et reproduit le modèle qu'elle avait réalisé pour elle.

Elle soutient que le modèle litigieux remplit les deux critères de l'article L 511-2 du code de la propriété intellectuelle nécessaires à sa protection à savoir un caractère nouveau et propre.

Elle indique que ce ne sont pas les motifs pris individuellement, à savoir l'étoile et les quatre as, qui lui confèrent son caractère propre mais l'oeuvre prise dans son ensemble, réalisée sur un support de verre fourni par elle-même et plus exactement de miroirs décorés à l'aide de matériels particuliers selon la technique du sablage, après s'être rendue sur place pour la dessiner et la créer, avoir présenté à sa cliente différents styles de motifs et l'avoir conçue en fonction de toutes ces données.

Elle ajoute qu'une telle oeuvre a un caractère propre et original révélant l'empreinte de la personnalité de son auteur, son cachet personnel.

Elle affirme que la SARL VANETIA a utilisé l'effet décoratif proposé pour faire réaliser par un tiers à un moindre coût par apposition sur des miroirs existants d'un film adhésif simulant le sablage, découpé selon la même inspiration esthétique des 4 as d'un jeu de cartes sur fond étoilé, décor qui revêt la même apparence et donne la même impression, même s'il est de dimension différente.

La SARL VANETIA demande de

- dire que la SARL IN VITRO ne peut revendiquer aucune protection légale à l'égard du modèle objet de la présente procédure

- débouter la SARL IN VITRO de l'intégralité de ses demandes

- condamner la SARL IN VITRO à lui payer les sommes de

* 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi

* 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle expose que dans le cadre d'un projet de réaménagement de son salon de coiffure, elle a sollicité auprès de la SARL IN VITRO l'établissement d'un devis relatif à la fourniture et la réalisation de trois éléments de miroir selon un modèle imaginé par ses soins, que le devis présenté étant trop élevé, elle a fait exécuter son modèle par un tiers selon ses directives par la pose d'adhésifs.

Elle affirme que cette réalisation ne correspond pas aux dessins de la SARL IN VITRO qui sont, au demeurant, constitués d'éléments faisant partie du domaine public et ne présentent aucune originalité ou nouveauté au sens des articles L 511-3 et L 511-4 et L 511-6 du code de la propriété intellectuelle.

Elle rappelle que la contrefaçon peut se définir comme toute atteinte portée sciemment aux droits de l'auteur garantis par les dispositions des Livres I titre 3 et Livre V du code de la propriété intellectuelle qui n'est constituée qu'en présence de trois éléments : un agissement quelconque de reproduction ou d'imitation, portant sur une oeuvre nouvelle, accompli sans l'autorisation du titulaire du droit.

Elle explique avoir demandé à la SARL IN VITRO la fabrication de miroirs devant être positionnés face aux clients et représentant les logos des 4 AS (coeur, carreau, trèfle, pique) et la reproduction en toile de fond des étoiles dont le modèle figurait sur une pochette de disque du groupe Hi-Winds.

Elle précise que la SARL IN VITRO a établi deux croquis de miroirs représentant les 4 as reproduits sur une surface dépolie laissant apparaître en fond les étoiles sur une surface de 2311 mm X 1352 mm et 900 mm X 900 mm reposant sur une console à deux pieds.

Elle estime que cette oeuvre ne peut bénéficier d'une protection en l'absence de nouveauté et de caractère propre dès lors, d'une part que les 4 as reproduits sur les miroirs sont incontestablement des éléments connus et désignés sous l'appellation de domaine public, tout comme les étoiles et donc des antériorités au sens de l'article L 511-6 du code de la propriété intellectuelle et, d'autre part que la SARL IN VITRO n'a effectué aucun acte concret de création dont la paternité puisse lui être attribuée puisqu'elle lui a elle-même présenté les croquis des motifs 'as et étoiles' qu'elle souhaitait voir réaliser sur les miroirs, de sorte que ce modèle ne porte nullement l'empreinte de la personnalité de l'appelante et ne peut constituer une création originale.

Elle ajoute qu'en toute hypothèse les adhésifs fabriqués et mis en place par l'atelier Paul LARRIEU ne correspondent pas aux dessins objets du devis de la SARL IN VITRO et sont de dimensions différentes (460 x 201 cm), allant du sol au plafond.

Elle estime que la physionomie d'ensemble a été changée.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la procédure

Les conclusions et pièces déposées par la SARL IN VITRO le 31 janvier 2007 doivent être déclarées irrecevables au regard des dispositions de l'article 783 du nouveau code de procédure civile car elles sont postérieures au prononcé de l'ordonnance de clôture en date du 23 janvier 2007 et qu'aucune cause grave au sens de l'article 784 du même code justifiant sa révocation n'est invoquée par cette partie.

Seules ses précédentes conclusions du 27 novembre 2006 peuvent, ainsi, être prises en considération.

Sur l'action en contrefaçon

Sur le cadre juridique

La SARL IN VITRO ne peut invoquer le bénéficie de la protection du Livre V du code de la propriété intellectuelle relatif aux dessins et modèles, en l'absence d'accomplissement de la formalité préalable de l'enregistrement à laquelle elle est subordonnée par l'article L 511-8 dudit code.

Toutefois, le principe de l'unité et l'art et du cumul de protection lui permet de se prévaloir des dispositions du Livre I de ce même code relatif à la propriété littéraire et artistique et plus précisément de ses articles L 112-1 et 112-2 que la SARL IN VITRO a, d'ailleurs, également visée tant dans son assignation introductive d'instance que dans ses conclusions.

Et, sur le fondement juridique du droit d'auteur, la protection est acquise du seul fait de la création d'une oeuvre de l'esprit, en dehors de toute formalité de dépôt.

Sur le caractère protégeable

L'action en contrefaçon se définit comme toute atteinte portée sciemment aux droits de l'auteur garantis par la loi.

Aux termes des articles L 111- 1, L 112-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit, qu'elle qu'en soit le genre, la forme, l'expression, le mérite ou la destination jouit sur cette oeuvre du seul fait de sa création d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Pour bénéficier de cette protection l'oeuvre doit présenter un caractère d'originalité exprimant la personnalité de son auteur et révélant un effort de création.

Un modèle de miroir décoratif relève de ces textes puisque l'article L 112-2 7° et 10° vise, notamment, les oeuvres de dessin, de gravure, ..des arts appliqués, et doit être déclaré protégeable à ce titre.

L'oeuvre comprend, à la lecture du devis, trois éléments en miroir : deux de 5mm en bord polis de dimensions 2311 mm x 1352 mm l'ensemble dépoli sur la face avec pour motifs les 4 as d'un jeu de cartes et étoiles, en réserve claire sur la face et un de 5 mm en bords grugés de dimension 900 mm X 900 mm dont le motif n'est pas précisé,.

Les reproductions annexées ne concerne que les deux premiers éléments.

Elles révèlent deux miroirs rectangulaires présentés sur une console à deux pieds associant les as par paire, as de pique et de carreau pour l'un, as de coeur et de trèfle pour l'autre, sur un fond portant de nombreuses étoiles de dimensions différentes en un positionnement irrégulier, variable selon l'endroit du miroir et différent d'un miroir à l'autre.

Peu importe que certains des éléments le constituant (as, étoiles), pris isolément, aient pu être antérieurement connus et employés.

Leur combinaison particulière confère à ce modèle une singularité d'ensemble qui le distingue d'autres objets de même type, un aspect nouveau et personnel qui doit être tenu pour original comme résultant d'un processus intellectuel qui porte l'empreinte de la personnalité de son créateur, dès lors qu'il n'est pas démontré qu'un tel assemblage ait été déjà réalisé et antériorisé par une oeuvre similaire.

Aucun plan, dessin ou croquis n'est versé aux débats à ce sujet.

Le fait que la SARL VANETIA ait suggéré voire imposé le thème des as et des étoiles, comme en atteste quatre témoins, est indifférent en droit ; s'agissant d'une simple idée, non protégeable en elle-même, elle ne constitue qu'un matériau brut à partir duquel l'auteur conserve la maîtrise intégrale de son art pour donner libre cours à son interprétation subjective déterminer les expressions, les volumes, les positionnements dans l'espace ; la protection légale est, en effet, réservée aux formes extérieures précises et déterminées sous lesquelles le concept est exprimé et réalisé, comme rappelé aux articles L 112-1, L 111-2 du code de la propriété intellectuelle.

Les miroirs, objets du devis établi par la SARL IN VITRO, sont donc susceptibles de protection comme toute oeuvre originale en application des titres I et III du code de la propriété intellectuelle.

sur l'existence d'acte de contrefaçon

La contrefaçon au sens de l'article 335-2 du code de la propriété intellectuelle s'apprécie par les ressemblances et non par les différences, étant souligné qu'elles doivent porter sur les caractères constituant la nouveauté du modèle et non sur les éléments procédant d'une inspiration commune relevant du domaine public, puisque la protection légale se trouve limitée à la combinaison originale retenue.

La comparaison entre le modèle objet du devis de la SARL IN VITRO et celui réalisé par la SARL VANETIA par l'intermédiaire d'un tiers, ne permet pas de caractériser la contrefaçon.

Certes, des ressemblances peuvent être relevées puisque peuvent être notées dans les deux cas la présence des quatre as et d'un fond étoilé.

Mais ces éléments sont isolément connus et donc non protégés en tant que tels.

Or, leur traitement est interprété différemment.

Dans le modèle revendiqué, les miroirs sont individualisés, destinés à être placés au-dessus d'une console à deux pieds, avec des motifs d'as associés par paires (as de pique/carreau pour l'un, as de coeur/trèfle pour l'autre), sur un semis de très nombreuses étoiles, de dimensions fort variables, positionnées selon un schéma irrégulier et différent d'un miroir à l'autre, réalisés par sablage.

Sur le modèle incriminé, ce motif d'as sur fond d'étoiles résulte de la découpe d'un film adhésif apposé sur les anciennes glaces qui occupent toute la hauteur et largeur d'un pan de mur du salon, de dimension 460 X 201 cm.

Le panneau est partagé horizontalement par une ligne situé au 1/3 inférieur de la hauteur ; le bas est exclusivement parsemé d'étoiles tout comme le quart gauche du panneau supérieur ; le reste du panneau supérieur est occupé par les trois as de trèfle, de carreau et de pique pour un tiers chacun.

L'as de coeur figure, seul, isolé sur un autre mur entouré d'un cadre noir de format carré (127 x 127 cm)

Les étoiles sont plus grandes, moins nombreuses, positionnées selon un schéma régulier et répétitif.

Ainsi, le décor réalisé par la SARL VANETIA ne reproduit pas les associations du modèle de la SARL IN VITRO qui font son originalité, dont les éléments caractéristiques ne se retrouvent pas tels quels ; il ne présente pas le même aspect extérieur, ne dégage pas la même impression d'ensemble.

Les ressemblances portent sur des caractères communs inspirés du thème choisi et imposé par la cliente elle-même, à savoir les motifs d'as et d'étoiles et non sur l'expression particulière et originale, à savoir leur configuration, leur volume, leur positionnement les uns par rapport aux autres et dans l'espace...

Sur les demandes annexes

L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages et intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi ou avec légèreté blâmable, tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce ; il semble plutôt que la SARL IN VITRO se soit méprise sur l'étendue de ses droits ; la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la SARL VANETIA doit, dès lors, être rejetée.

*

La SARL IN VITRO qui succombe supportera donc la charge des dépens de première instance et d'appel ; elle ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la SARL VANETIA la totalité des frais exposés pour agir en justice et non compris dans les dépens, ce qui commande le rejet de sa demande fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Déclare irrecevables les conclusions déposées par la SARL IN VITRO le 31 janvier 2007.

- Infirme le jugement déféré

hormis sur les dépens

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Déboute la SARL IN VITRO de son action en contrefaçon

- Déboute la SARL VANETIA de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de l'un ou l'autre des parties.

- Condamne la SARL IN VITRO aux entiers dépens.

- Dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile au profit de la SCP SOREL DESSART SOREL, avoués.