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Décisions

Cass. com., 7 septembre 2022, n° 18-15.964

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

CMG SRL

Défendeur :

Extrusion et Recyclage matières plastiques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Comte

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Marlange et de La Burgade, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Cass. com. n° 18-15.964

6 septembre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 mars 2018), la société CMG, spécialisée dans la fabrication de film plastique, a confié à la société Extrusion et Recyclage matières plastiques (la société E et R), qui exerce une activité de négoce dans le domaine de l'industrie de la transformation des matières plastiques, la mission de visiter ses clients français et de développer sa clientèle.

2. Reprochant à la société CMG de ne pas lui avoir payé toutes les commissions concernant des affaires de 2012 et 2013 et de ne pas avoir respecté l'exclusivité qui lui avait été concédée pour la France, la société E et R a, par lettre du 12 mars 2014, rompu la relation avec effet immédiat au 15 mars 2014, puis a assigné la société CMG en paiement d'un solde de commissions et de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial. En défense, la société CMG a contesté la qualification d'agent commercial du contrat les liant.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième, quatrième, cinquième moyens et sur le sixième moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société CMG fait grief à l'arrêt de retenir au profit de la société E et R le statut d'agent commercial, de rejeter sa demande de renvoi préjudiciel en interprétation devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et de la condamner à payer à la société E et R diverses sommes à titre de commissions, d'indemnité compensatrice et d'indemnité de préavis, alors :

« 1°/ que le statut d'agent commercial ne peut être reconnu qu'à une personne qui est investie d'un pouvoir de négociation des contrats, ce qui suppose qu'elle puisse apporter des modifications à certains éléments des conventions ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé qu'il résultait des conclusions de la société CMG que les conditions contractuelles étaient fixées par la société CMG et adaptées au client (délais de livraison, informations de volumes et de prix) et que "la société E et R était contrainte par ses instructions et directives, justifiées notamment par les échanges d'e-mails avec E et R sur la transmission de ses devis ou autres informations techniques, éléments établis par CMG à l'attention des clients ou prospects visités par E et R", la cour d'appel a, pour reconnaître à la société E et R le statut d'agent commercial, retenu que cette société avait "exercé son pouvoir de négociation, qui s'analyse comme étant l'acte de négocier, à savoir selon le sens commun, la série d'entretiens, d'échanges de vues, de démarches [...] entrepris pour parvenir à un accord, même au plan financier et celui des modalités contractuelles, et ce, sans modification des instructions fournies par la mandante" ; qu'en retenant ainsi que de simples discussions et démarches investissaient la société E et R d'un pouvoir de négociation bien que cette société soit privée de la faculté de modifier les instructions reçues de la société CMG, la cour d'appel a violé l'article L. 134-1 du code de commerce ;

2°/ que, subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour d'appel aurait considéré que "la série d'entretiens, d'échanges de vues, de démarches [...] entrepris pour parvenir à un accord, même au plan financier et celui des modalités contractuelles" effectuée par la société E et R incluait une faculté de modification des éléments du contrat, elle se serait alors contredite en retenant ensuite que cette société ne disposait d'aucun pouvoir de "modification des instructions fournies par la mandante", violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que l'application du statut d'agent commercial dépend des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée ; que la société CMG faisait valoir, en s'appuyant sur de nombreux éléments probatoires, que la société E et R ne disposait d'aucune faculté de négociation, la société CMG fixant toutes les modalités du contrat, y compris le prix, sans laisser la moindre possibilité à la société E et R de modifier les conditions contractuelles ; qu'en s'abstenant de rechercher si la société E et R disposait de la faculté effective de modifier les conditions contractuelles fixées par la société CMG, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-1 du code de commerce ;

4°/ que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée ; qu'à supposer que la cour d'appel ait adopté les motifs du jugement, en se fondant sur les échanges par lesquels les parties avaient fixé les conditions de leur relation avant que celle-ci ne débute, sans rechercher dans quelles conditions l'activité s'était effectivement exercée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-1 du code de commerce ;

5°/ que, subsidiairement, il est demandé à la Cour de cassation de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question suivante : « le terme "négocier" figurant à l'article 1er, paragraphe 2, de la directive n° 86/653 du Conseil du 18 décembre 1986 doit-il être interprété comme la faculté de modifier les conditions de la vente ou peut-il se réduire au fait de visiter les clients, d'échanger avec eux, de faire la promotion des produits du mandant et de leur remettre les offres élaborées par ledit mandant ?". »

Réponse de la Cour

5. Après avoir rappelé qu'il n'est pas requis de l'agent commercial qu'il exerçât une activité globale le conduisant à formuler des offres commerciales, proposer des catalogues, des délais de livraison, des volumes, ni des prix, dès lors qu'il démontre que son activité effective exercée pour le compte de son mandant correspond à un pouvoir de négociation qui lui a été confié, l'arrêt retient que la société E et R a visité la clientèle et les prospects de la mandante, mais aussi a exercé son pouvoir de négociation par les entretiens, les échanges et les démarches menés par elle pour parvenir à un accord, même sans modification des instructions fournies par la mandante.

6. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, et dès lors qu'il n'est pas nécessaire de disposer de la faculté de modifier les conditions des contrats conclus par le commettant pour bénéficier du statut d'agent commercial, la cour d'appel, qui ne s'est pas contredite et s'est prononcée au regard des conditions effectives de l'activité, sans être tenue d'effectuer la recherche invoquée par la troisième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a exactement qualifié le contrat entre les sociétés E et R et CMG d'agence commerciale.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

8. La CJUE s'étant déjà prononcée sur l'interprétation de l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986, dans son arrêt du 4 juin 2020, Trendsetteuse (C-828/18, points 33 et 34), en énonçant que les tâches principales d'un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients au commettant et à développer les opérations avec les clients existants et que l'accomplissement de ces tâches peut être assuré par l'agent commercial au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l'opération de vente des marchandises pour le compte du commettant, même si l'agent commercial ne dispose pas de la faculté de modifier les prix des marchandises, il n'y a pas lieu de la saisir d'une question préjudicielle.

Sur le sixième moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

9. La société CMG fait grief à l'arrêt de juger que la résiliation du contrat d'agent commercial initiée par la société E et R avec effet au 15 mars 2014 était imputée à ses torts et de la condamner à verser à la société E et R une somme de 217 562,08 euros au titre de l'indemnité compensatrice et une somme de 20 677,92 euros au titre de l'indemnité de préavis, alors :

« 1°/ que la juridiction nationale est tenue, lorsqu'elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à une directive, de les interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive ; que, selon l'article 17, paragraphe 3, de la directive 86/653 du Conseil du 18 décembre 1986, transposé à l'article L. 134-12 du code de commerce, l'agent commercial a droit à la réparation du préjudice découlant de la cessation de ses relations avec le commettant lorsque cette cessation intervient dans des conditions qui le privent des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier tout en procurant au commettant des avantages substantiels liés à l'activité de l'agent commercial ; que la société CMG faisait valoir que les conditions d'octroi d'une indemnité n'étaient pas réunies dès lors qu'il n'était pas établi que la cessation de l'activité de l'agent commercial avait procuré au mandant des avantages substantiels liés à l'activité de ce dernier ; qu'en accordant cependant à l'agent commercial une indemnité compensatrice correspondant à deux années de commissions, sans rechercher si la cessation de l'activité de la société E et R avait procuré au mandant des avantages substantiels liés à cette activité, au motif inopérant que "la notion d'avantages substantiels tirée de la directive (article 17 alinéa 3 § 3) [n'était pas] reprise dans la transposition dans le code du commerce", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-12 du code de commerce interprété à la lumière du texte et de la finalité de la directive 86/653 du Conseil du 18 décembre 1986 ;

2°/ que le cas échéant, il est demandé à la Cour de cassation de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes : "à la lumière du texte et de la finalité de la directive 86/653 du Conseil du 18 décembre 1986, notamment au regard de l'objectif d'uniformisation des conditions de concurrence et d'accroissement de la sécurité des opérations commerciales, l'article 17, paragraphe 3, de cette directive doit-il être interprété en ce sens que l'octroi d'une indemnité réparant le préjudice découlant, pour l'agent commercial, de la privation des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier est subordonné à la circonstance que le mandant continue à bénéficier des avantages substantiels liés à l'activité de l'agent commercial ? En conséquence, une législation nationale, telle que celle prévue à l'article L. 134-12, alinéa 1, du code de commerce, selon laquelle "en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi", doit-elle être interprétée, au regard de la directive, en ce sens que l'octroi d'une indemnité réparant le préjudice résultant pour l'agent de la privation de ses commissions suppose que l'activité de l'agent ait continué à procurer au mandant des avantages substantiels ?". »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article 17, paragraphe 3, de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, l'agent commercial a droit à la réparation du préjudice que lui cause la cessation de ses relations avec le commettant, ce préjudice découlant notamment de l'intervention de la cessation dans des conditions qui privent l'agent commercial des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier tout en procurant au commettant des avantages substantiels liés à l'activité de l'agent commercial, et/ ou qui n'ont pas permis à l'agent commercial d'amortir les frais et dépenses qu'il a engagés pour l'exécution du contrat sur la recommandation du commettant.

11. Interprétant l'article 17 de la directive, dans son arrêt du 23 mars 2006 (Honyvem Informazioni Commerciali, C-465/04, points 19 et 32), la CJUE a énoncé que les États membres, en optant pour l'une des deux solutions instituée par l'article 17, paragraphe 1, de la directive, doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer à l'agent commercial, après cessation du contrat, soit une indemnité soit une indemnisation selon les critères énoncés au paragraphe 2 du même article, soit la réparation du préjudice en fonction des critères définis au paragraphe 3 de celui-ci. Elle a ensuite précisé que l'indemnité de cessation de contrat qui résulte de l'application de l'article 17, paragraphe 2, de la directive ne peut pas être remplacée, en application d'une convention collective, par une indemnité déterminée en fonction de critères autres que ceux fixés par cette dernière disposition sauf s'il est établi que l'application d'une telle convention garantit, dans tous les cas, à l'agent commercial une indemnité égale ou supérieure à celle qui résulterait de l'application de ladite disposition.

12. Par ailleurs, dans son arrêt du 17 octobre 2013 (Unamar, C-184/12, point 40), la CJUE a rappelé que le régime instauré par la directive 86/653 présente un caractère impératif, que l'article 17 de cette directive fait en effet obligation aux Etats membres de mettre en place un mécanisme de dédommagement de l'agent commercial après la cessation du contrat et jugé que même si cet article offre aux Etats membres une option entre le système d'indemnité et celui de réparation du préjudice, les articles 17 et 18 de ladite directive fixent un cadre précis à l'intérieur duquel les Etats membres peuvent exercer leur marge d'appréciation quant au choix des méthodes de calcul de l'indemnité ou de la réparation à octroyer.

13. Il s'en déduit que l'article 17, paragraphe 3, de la directive pose un cadre minimum de protection et propose des critères pouvant être alternatifs aux Etats membres qui ont choisi l'option de la réparation du préjudice, leur laissant une marge d'appréciation.

14. Aux termes de l'article L. 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

15. En cet état, la cour d'appel, qui a alloué à la société E et R une indemnité réparant un préjudice qu'elle a estimé constitué par la perte de deux ans de commissions, a légalement justifié sa décision.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

17. La CJUE s'étant déjà prononcée sur la portée de l'article 17, et notamment les paragraphes 2 et 3, de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, il n'y a pas lieu de la saisir d'une question préjudicielle.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi