TUE, 6e ch. élargie, 14 septembre 2022, n° T-604/18
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Annulation
PARTIES
Demandeur :
Google LLC, Alphabet, Inc., Application Developers Alliance, Computer & Communications Industry Association, Gigaset Communications GmbH, HMD global Oy, Opera Norway AS
Défendeur :
Commission européenne, BDZV – Bundesverband Digitalpublisher und Zeitungsverleger eV, Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), FairSearch AISBL, Qwant, Seznam.cz, a.s, Verband Deutscher Zeitschriftenverleger eV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marcoulli
Juges :
M. Frimodt Nielsen (rapporteur), Mme Schwarcz, Mme Iliopoulos, M. Norkus
Avocats :
Me Levy, Me Schindler, Me Lamadrid de Pablo, Me Killick, Me Komninos, Me Forwood, Me Stuart, Me Gregory, Me Mostyn, Me Pickford, Me Parr, Me Vaz, Me Baena Zapatero, Me Batchelor, Me Selwyn Sharpe, Me de Vasconcelos Lopes, Me Bellis, Me Glader, Me Johansson, Me Höppner, Me Westerhoff, Me Vinje, Me Paemen, Me Missenden, Me Felgr, Me Paemen, Me Dobrý, Me Chytil
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),
1 Par leur recours, fondé sur l’article 263 TFUE, Google LLC (anciennement Google Inc.) et Alphabet, Inc., dont Google LLC est la filiale (ci-après, prises ensemble, « Google » ou les « requérantes »), demandent, à titre principal, l’annulation de la décision C(2018) 4761 final de la Commission, du 18 juillet 2018, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire AT.40099 – Google Android) (ci-après la « décision attaquée ») ou, à défaut, la suppression ou la réduction de l’amende qui leur a été infligée dans ladite décision.
I. Antécédents du litige
2 Google est une entreprise du secteur des technologies de l’information et de la communication spécialisée dans les produits et les services liés à Internet et active au sein de l’Espace économique européen (EEE).
A. Contexte de l’affaire
3 En 2005, afin de tenir compte de l’apparition et du développement de l’internet mobile et du changement probable de comportement que cela allait induire sur les utilisateurs en ce qui concerne les recherches générales effectuées en ligne, Google a acquis l’entreprise ayant initialement développé le système d’exploitation pour appareils mobiles intelligents (ci-après le « SE ») Android. En juillet 2018, selon la Commission européenne, environ 80 % des appareils mobiles intelligents utilisés en Europe et dans le monde fonctionnaient avec Android.
4 Lorsque Google développe une nouvelle version d’Android, elle publie le code source en ligne. Cela permet aux tiers de télécharger et de modifier ce code, pour créer ainsi des « fourches » Android (une fourche est un nouveau logiciel créé à partir du code source d’un logiciel existant). Le code source Android divulgué sous licence d’exploitation libre (« Android Open Source Project licence », ci-après la « licence AOSP ») contient les éléments de base d’un SE, mais pas les applications et services Android dont Google est propriétaire. Les fabricants d’équipements d’origine (ci-après les « FEO ») qui souhaitent obtenir des applications et des services de Google doivent donc conclure des contrats avec Google. De tels contrats sont également conclus par Google avec les opérateurs de réseaux mobiles (ci-après les « ORM ») qui souhaitent pouvoir installer les applications et les services propriétaires de Google sur les appareils vendus aux utilisateurs finals.
5 Certains de ces contrats font l’objet de la présente affaire.
B. Procédure devant la Commission
6 Le 25 mars 2013, FairSearch AISBL, une association d’entreprises actives dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, a adressé une plainte à la Commission concernant certaines pratiques commerciales de Google dans l’internet mobile. À la suite de cette plainte, la Commission a adressé des demandes de renseignements à Google, à ses clients, à ses concurrents et à d’autres entités actives dans cet environnement. D’autres entités se sont également plaintes à la Commission du comportement de Google dans l’internet mobile.
7 Le 15 avril 2015, la Commission a ouvert une procédure à l’encontre de Google concernant Android.
8 Le 20 avril 2016, la Commission a adressé une communication des griefs à Google. Une version non confidentielle de la communication des griefs a également été adressée aux 17 plaignants et tierces parties intéressées.
9 Entre octobre 2016 et octobre 2017, la Commission a reçu des observations sur la communication des griefs de la part de onze plaignants et tierces parties intéressées. En décembre 2016, Google a présenté la version finale de sa réponse à la communication des griefs (ci-après la « réponse à la communication des griefs »). À ce moment-là, Google n’avait pas demandé la tenue d’une audition.
10 Entre août 2017 et mai 2018, la Commission a présenté à Google différents éléments factuels susceptibles d’étayer les conclusions présentées dans la communication des griefs. La communication de ces éléments a été notamment effectuée au moyen, le 31 août 2017, d’une première lettre d’exposé des faits et, le 11 avril 2018, d’une seconde lettre d’exposé des faits. Google a présenté ses observations sur ces lettres respectivement le 23 octobre 2017 et le 7 mai 2018.
11 Par ailleurs, en septembre 2017, Google a demandé à obtenir tous les documents pertinents relatifs aux réunions que la Commission avait pu avoir avec les tierces parties. La Commission a répondu à cette demande en février 2018.
12 Google a eu accès au dossier en 2016 à la suite de la communication des griefs, en 2017 à la suite de la première lettre d’exposé des faits et en 2018 à la suite de la seconde lettre d’exposé des faits.
13 Le 7 mai 2018, Google a demandé la tenue d’une audition. Cette demande a été refusée par la Commission le 18 mai 2018.
14 Le 21 juin 2018, à la demande de Google, la Commission lui a communiqué deux lettres de tierces parties intéressées. Google a présenté ses observations sur ces documents le 27 juin 2018.
C. Décision attaquée
15 Le 18 juillet 2018, la Commission a adopté la décision attaquée. Dans celle-ci, la Commission a infligé une amende à Google LLC et, pour partie, à Alphabet, Inc. pour avoir commis une infraction aux règles de concurrence en imposant des restrictions contractuelles anticoncurrentielles aux FEO et aux ORM afin de protéger et de consolider la position dominante de Google sur les marchés nationaux, au sein de l’EEE, des services de recherche générale.
16 Trois séries de restrictions contractuelles sont identifiées dans la décision attaquée :
– les restrictions insérées dans les accords de distribution des applications mobiles (ci-après les « ADAM ») en vertu desquels Google imposait aux FEO de préinstaller ses applications de recherche générale (Google Search) et de navigation (Chrome), avant de pouvoir obtenir une licence d’exploitation pour sa boutique d’applications (Play Store) ;
– les restrictions insérées dans les accords anti-fragmentation (ci-après les « AAF ») en vertu desquels les FEO qui souhaitaient préinstaller des applications Google ne pouvaient pas vendre d’appareils fonctionnant sur des versions d’Android qui n’étaient pas approuvées par Google ;
– les restrictions insérées dans les accords de partage des revenus (ci-après les « APR ») en vertu desquels Google accordait aux FEO et aux ORM un pourcentage de ses recettes publicitaires pour autant que ces fabricants ou opérateurs aient accepté de ne pas préinstaller de service de recherche générale concurrent sur l’un quelconque des appareils faisant partie d’un portefeuille défini d’un commun accord (ci-après les « APR par portefeuille »).
17 S’agissant de la durée des restrictions contractuelles (ci-après, prises ensemble, les « restrictions litigieuses »), celles liées aux ADAM ont duré, pour le groupement Google Search et Play Store, du 1er janvier 2011 à la date de la décision attaquée et, pour le groupement Chrome, Google Search et Play Store, du 1er août 2012 à la date de la décision attaquée ; celles liées aux AAF ont duré du 1er janvier 2011 à la date de la décision attaquée, et celles liées aux APR ont duré du 1er janvier 2011 au 31 mars 2014, date à laquelle le dernier APR par portefeuille a pris fin.
18 Selon la Commission, les restrictions litigieuses avaient pour objectif de protéger et de renforcer la position dominante de Google en matière de services de recherche générale et, partant, les revenus obtenus par cette entreprise au moyen des annonces publicitaires liées à ces recherches. L’objectif commun et l’interdépendance des restrictions litigieuses ont amené la Commission à les qualifier d’infraction unique et continue à l’article 102 TFUE et à l’article 54 de l’accord EEE.
19 Pour sanctionner ces pratiques considérées comme abusives, la Commission a infligé à Google une amende de 4 342 865 000 euros. Pour déterminer ce montant, la Commission a pris en considération la valeur des ventes pertinentes au sein de l’EEE, en relation avec l’infraction unique et continue, réalisées par Google durant la dernière année de participation à l’infraction (2017) et y a appliqué un coefficient de gravité (11 %). La Commission a multiplié ensuite le montant obtenu par le nombre d’années de participation à l’infraction (approximativement 7,52) et y a ajouté un montant additionnel (équivalent à 11 % de la valeur des ventes de 2017) aux fins de dissuader des entreprises semblables de s’engager dans des pratiques identiques. La Commission a également considéré qu’il n’y avait pas lieu de retenir des circonstances atténuantes ou aggravantes ou de tenir particulièrement compte de la capacité financière importante de Google pour modifier le montant de l’amende à la baisse ou à la hausse.
20 La Commission a également exigé de Google qu’elle mette fin à ces pratiques dans le délai de 90 jours qui suivaient la notification de la décision attaquée.
II. Procédure et conclusions des parties
21 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 octobre 2018, Google a introduit le présent recours.
22 À la demande de la Commission, le délai pour le dépôt du mémoire en défense a été prorogé à plusieurs reprises. En dernier lieu, il a été fixé au 15 mars 2019, date à laquelle ce mémoire a été déposé.
23 À la demande de Google, le délai pour le dépôt de la réplique a été prorogé à plusieurs reprises. En dernier lieu, il a été fixé au 1er juillet 2019, date à laquelle la réplique a été déposée.
24 À la demande de la Commission, le délai pour le dépôt de la duplique a été prorogé à plusieurs reprises. En dernier lieu, il a été fixé au 29 novembre 2019, date à laquelle la duplique a été déposée.
A. Demandes en intervention
25 Onze demandes en intervention ont été présentées dans le délai prévu par l’article 143, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.
26 Par ordonnance du président de la troisième chambre, du 23 septembre 2019 :
– l’Application Developers Alliance (ci-après l’« ADA ») ; la Computer & Communications Industry Association (ci-après la « CCIA ») ; Gigaset Communications GmbH (ci-après « Gigaset ») ; HMD global Oy (ci-après « HMD ») et Opera Norway AS, anciennement Opera Software AS (ci-après « Opera ») ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de Google ;
– le Bureau européen des unions de consommateurs ( BEUC), la Verband Deutscher Zeitschriftenverleger eV (ci-après la « VDZ »), la BDZV – Bundesverband Digitalpublisher und Zeitungsverleger eV (ci-après la « BDZV »), Seznam.cz, a.s. (ci-après « Seznam »), FairSearch et Qwant ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
27 Afin de permettre aux parties intervenantes de se prononcer sur l’ensemble des mémoires des parties principales, le délai pour le dépôt des mémoires en intervention a été fixé à compter du dépôt de la version commune non confidentielle de la duplique.
28 À la demande de certaines intervenantes, le délai pour le dépôt des mémoires en intervention a été prorogé à plusieurs reprises. En dernier lieu, il a été fixé au 30 juin 2020, date à laquelle tous ces mémoires ont été déposés.
29 Le 12 octobre 2020, les parties principales ont déposé leurs observations sur les mémoires en intervention.
B. Déroulement de la procédure, principales demandes de traitement confidentiel et mise en état de l’affaire
30 À la demande des parties principales, le délai pour le dépôt des demandes de traitement confidentiel de la requête, du mémoire en défense, de la réplique et de la duplique a été prorogé à plusieurs reprises. Pour la requête et le mémoire en défense, il a été fixé en dernier lieu au 13 septembre 2019, date à laquelle les parties principales ont déposé une version commune non confidentielle de chacun de ces documents. Pour la réplique et la duplique, il a été fixé en dernier lieu respectivement au 11 décembre 2019 et au 1er mai 2020, dates auxquelles les parties principales ont déposé une version commune de chacun de ces documents.
31 S’agissant de ces documents, les seules objections faites sur les demandes de traitement confidentiel ont été présentées par FairSearch le 20 mars 2020 à propos de la confidentialité invoquée par Google en ce qui concernait trois annexes de la duplique.
32 Le 7 avril 2020, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure prévue à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a demandé à Google des précisions sur l’étendue de la confidentialité invoquée en ce qui concernait les trois annexes identifiées par FairSearch. Google a répondu le 23 avril 2020 et a produit de nouvelles versions de ces annexes.
33 Le 6 mai 2020, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, le Tribunal a demandé à FairSearch si, au regard des nouvelles versions des trois annexes de la duplique communiquées par Google, elle maintenait ses objections quant à la confidentialité de ces documents. FairSearch a répondu le 1er juin 2020 en indiquant qu’elle ne maintenait pas ses objections.
34 À la demande des parties principales, le délai pour le dépôt des demandes de traitement confidentiel de leurs observations sur les mémoires en intervention a été prorogé à plusieurs reprises. En dernier lieu, il a été fixé au 11 décembre 2020, date à laquelle des versions communes non confidentielles de ces observations ont été déposées.
35 S’agissant des observations des parties principales sur les mémoires en intervention, les seules objections faites sur les demandes de traitement confidentiel ont été présentées par le BEUC le 8 janvier 2021 à propos de la confidentialité invoquée par Google en ce qui concernait une annexe de la requête et certains passages des observations de Google sur le mémoire en intervention du BEUC.
36 Le 21 janvier 2021, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, le Tribunal a demandé à Google des précisions sur l’étendue de la confidentialité invoquée en ce qui concernait cette annexe de la requête et ces passages de ses observations. Google a répondu le 27 janvier 2021 et a produit de nouvelles versions de l’annexe de la requête identifiée par le BEUC ainsi que de ses observations sur le mémoire en intervention du BEUC.
37 Le 18 février 2021, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, le Tribunal a demandé au BEUC si, au regard de la nouvelle version non confidentielle de l’annexe qu’il avait identifiée, ainsi que de la nouvelle version non confidentielle des observations de Google sur son mémoire en intervention il maintenait ses objections. Le BEUC a répondu le 5 mars 2021 en indiquant qu’il ne maintenait pas ses objections.
38 Les efforts conjoints de l’ensemble des parties tout au long de la procédure ont permis, en dépit des intérêts divergents qui étaient souvent en cause, de résoudre les difficultés liées au caractère confidentiel des informations, des données et des documents invoqués au titre de la présente affaire, et d’autoriser l’examen de l’affaire au vu d’une version commune non confidentielle. Certaines données confidentielles connues des parties principales ont été remplacées ci-après par les fourchettes utilisées dans la version publique de la décision attaquée disponible sur le site Internet de la Commission.
39 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre du Tribunal, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
40 La phase écrite de la procédure a été close le 19 mars 2021 avec la communication des dernières observations sur les demandes de traitement confidentiel.
41 Le 6 avril 2021, Google a demandé à être entendue lors d’une audience de plaidoirie.
42 Sur proposition de la sixième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant la sixième chambre élargie.
43 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.
44 Le 25 juin 2021, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a invité les parties à répondre à une première série de questions. Les parties ont répondu à ces questions concernant le fond de l’affaire et les parties principales ont présenté leurs observations écrites sur ces réponses.
45 Le 5 juillet 2021, le Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations sur la programmation envisagée pour les différentes journées de l’audience. Cette programmation a été adaptée en considération des observations présentées à cet égard.
46 Un rapport d’audience a été communiqué aux parties et, le 7 septembre et le 24 septembre 2021, Google et la Commission ont, respectivement, présenté des observations sur ce document. Le Tribunal a pris acte de ces observations.
47 Les parties principales et les intervenantes ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée sur cinq jours, du 27 septembre au 1er octobre 2021.
C. Conclusions des parties
48 Google, soutenue par l’ADA, la CCIA, Gigaset, HMD et Opera, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– à défaut, supprimer ou réduire l’amende ;
– condamner la Commission aux dépens ;
– condamner le BEUC, la VDZ, la BDZV, Seznam, FairSearch et Qwant aux dépens liés à leur intervention.
49 L’ADA, la CCIA, Gigaset, HMD et Opera concluent également à ce qu’il plaise au Tribunal de condamner la Commission aux dépens liés à leur intervention.
50 La Commission, soutenue par le BEUC, la VDZ, la BDZV, Seznam, FairSearch et Qwant, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner Google aux dépens ;
– condamner l’ADA, la CCIA, Gigaset, HMD et Opera aux dépens liés à leur intervention.
51 Le BEUC, la VDZ, la BDZV, Seznam, FairSearch et Qwant concluent également à ce qu’il plaise au Tribunal de condamner Google aux dépens liés à leur intervention.
III. En droit
52 À l’appui du recours, les requérantes soulèvent six moyens :
– le premier moyen est tiré de l’appréciation erronée de la définition du marché et de l’existence d’une position dominante ;
– le deuxième moyen est tiré de l’appréciation erronée du caractère abusif des conditions de préinstallation des ADAM ;
– le troisième moyen est tiré de l’appréciation erronée du caractère abusif de la condition de préinstallation unique incluse dans les APR par portefeuille ;
– le quatrième moyen est tiré de l’appréciation erronée du caractère abusif du conditionnement de l’octroi des licences du Play Store et de Google Search au respect des obligations anti-fragmentation (ci-après les « OAF ») contenues dans les AAF ;
– le cinquième moyen est tiré de la violation des droits de la défense ;
– le sixième moyen est tiré de l’appréciation erronée des différents éléments pris en compte pour le calcul de l’amende.
A. Observations liminaires
53 Avant d’examiner l’argumentation des parties, il y a lieu de formuler quelques observations sur le contexte commercial des comportements sanctionnés, les modalités du contrôle juridictionnel de la décision attaquée et l’administration de la preuve ainsi que la recevabilité des éléments de preuve présentés devant le Tribunal.
1. Sur le contexte commercial des comportements sanctionnés
54 Le dictionnaire en ligne Merriam-Webster définit le verbe « to google » comme l’action qui consiste « à utiliser le moteur de recherche de Google pour obtenir des informations sur quelqu’un ou quelque chose sur le réseau Internet mondial ». Rares sont les entreprises qui peuvent se prévaloir d’une notoriété telle que leur nom a donné naissance à un verbe et ce seul fait témoigne de l’importance acquise par Google dans la vie quotidienne.
a) Modèle commercial axé sur la recherche par l’intermédiaire de Google Search
55 Google tire l’essentiel de ses revenus de son produit phare : son moteur de recherche Google Search. Sur les appareils mobiles intelligents, les utilisateurs peuvent accéder au moteur de recherche Google Search avec l’application Google Search ou par d’autres points d’entrée, comme le gadget de recherche (search widget), ou une barre d’adresse qui se trouve dans le navigateur. Ce moteur de recherche fournit des services de recherche générale (« general search services ») et permet aux utilisateurs de chercher une réponse à leurs demandes sur l’ensemble d’Internet (considérants 94 à 101 et 106 de la décision attaquée).
56 Le modèle commercial de Google est fondé sur l’interaction entre, d’une part, des produits et des services liés à Internet proposés le plus souvent sans frais aux utilisateurs et, d’autre part, des services de publicité en ligne, dont elle tire la grande majorité de ses revenus. Ainsi, le SE Android, la boutique d’applications Play Store, l’application Google Search, le navigateur Chrome, le service de messagerie Gmail, le service de stockage et d’édition de contenu Google Drive, le service de géolocalisation Google Maps, le service de diffusion de contenu YouTube sont proposés sans frais. D’autres services sont payants, comme Google Play Music and Movie, et certains proposent une formule premium payante, comme YouTube et Google Drive (considérant 107 et note en bas de page n° 65 de la décision attaquée). En 2016, par exemple, la publicité en ligne a représenté 88,7 % du total des revenus de Google, dont 80 % ont été engendrés par l’intermédiaire des sites de Google, en particulier la page d’accueil de Google Search (considérants 105 à 107 et note en bas de page n°°62 de la décision attaquée).
57 À la différence du modèle commercial adopté, par exemple, par la société Apple, qui est fondé sur l’intégration verticale et la vente d’appareils mobiles intelligents haut de gamme, le modèle commercial de Google repose surtout sur l’augmentation des utilisateurs de ses services de recherche en ligne afin de pouvoir vendre ses services de publicités en ligne (considérant 153 de la décision attaquée).
58 À l’occasion des interactions des utilisateurs avec ses produits et services, Google collecte des données sur leurs activités commerciales et l’utilisation de leurs appareils. Les données obtenues incluent notamment les informations de contact (nom, adresse, adresse du courriel, numéro de téléphone) ; les données d’identification du compte (nom d’utilisateur et mot de passe) ; des informations démographiques (genre et date de naissance) ; les détails de la carte ou du compte bancaire utilisé ; des informations sur le contenu servi à l’utilisateur (publicité, pages visitées, etc.) ; les données d’interaction, telles que les « clics » ; la localisation ; des données relatives à l’appareil et à l’opérateur utilisés. Ces données permettent à Google de renforcer sa capacité à présenter des réponses de recherche et des annonces publicitaires pertinentes (considérants 109 à 111 de la décision attaquée).
b) Pratiques adoptées lors du passage vers l’internet mobile
59 Le modèle commercial de Google a initialement été développé dans l’environnement des ordinateurs personnels (PC), pour lesquels le navigateur était le principal point d’entrée sur l’internet. Au milieu des années 2000, Google a considéré que le développement de l’internet mobile allait représenter un changement fondamental dans les habitudes des utilisateurs, compte tenu notamment des opportunités offertes par la géolocalisation.
60 Cette expansion prévisible a incité Google à mettre en place une stratégie pour anticiper les effets de ce changement et pour faire en sorte que les utilisateurs effectuent leurs recherches sur les appareils mobiles par l’intermédiaire de Google Search (considérants 112 à 117 de la décision attaquée). Cette stratégie a revêtu plusieurs aspects.
61 D’une part, en 2005, Google a acheté le développeur initial du SE Android pour reprendre à son compte son développement et sa maintenance (considérants 120 à 123 de la décision attaquée). Le SE Android est proposé sans contrepartie financière aux FEO, aux ORM et aux développeurs d’applications au moyen d’une licence d’exploitation libre, la licence AOSP (considérant 124 de la décision attaquée). Le SE Android est également inséré dans un « écosystème », incorporant d’autres éléments comme l’ensemble des services Google Mobile (GMS bundle ou Google Mobile Services, ci-après l’« ensemble SMG ») (voir considérant 133 de la décision attaquée) qui comprend notamment la boutique d’applications Play Store, l’application Google Search et le navigateur Chrome. Les premières versions commerciales d’appareils Android ont été commercialisées en 2008-2009.
62 D’autre part, à compter de 2007, Google a conclu un accord avec Apple afin de permettre à Google Search d’être défini comme le service de recherche générale par défaut sur tous les appareils mobiles intelligents lancés par Apple depuis l’iPhone. Cet accord a permis à Google Search de représenter, en 2010, plus de la moitié du trafic Internet sur l’iPhone et presque un tiers de tout le trafic Internet mobile (considérants 118 et 119 de la décision attaquée).
63 Par ailleurs, Google est également active dans la production d’appareils Google Android avec ses propres gammes Nexus et Pixel (considérants 152 et 153 de la décision attaquée).
c) Infraction unique revêtant plusieurs aspects
64 Dans la présente affaire, la Commission a considéré que certains aspects de la stratégie mise en œuvre par Google pour adapter son modèle commercial à la transition vers l’internet mobile étaient constitutifs d’un abus de position dominante.
65 Il en serait ainsi des restrictions litigieuses imposées par Google aux FEO et aux ORM pour faire en sorte que le trafic sur les appareils Google Android soit dirigé vers le moteur de recherche Google Search. Pour la Commission, ces pratiques ont eu pour effet de priver les concurrents de Google – tels Qwant ou Seznam – de la possibilité de lui livrer concurrence par leurs mérites et de priver les consommateurs de l’Union européenne des avantages d’une concurrence effective, comme la possibilité d’utiliser un moteur de recherche privilégiant la protection de la vie privée, adapté à des particularités linguistiques ou privilégiant les contenus à valeur ajoutée, notamment dans le domaine de l’information.
66 Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, selon les points 11 à 13 de la décision attaquée, les restrictions litigieuses étaient triples :
– les restrictions insérées dans les ADAM en vertu desquels Google imposait aux FEO de préinstaller ses applications de recherche générale (Google Search) et de navigation (Chrome), avant de pouvoir obtenir une licence d’exploitation pour sa boutique d’applications en ligne (Play Store) ;
– les restrictions insérées dans les AAF en vertu desquels les FEO qui souhaitaient préinstaller des applications de Google ne pouvaient pas vendre d’appareils fonctionnant sur des versions d’Android qui n’étaient pas approuvées par Google ;
– les restrictions insérées dans les APR par portefeuille en vertu desquels Google accordait aux FEO et aux ORM un pourcentage de ses recettes publicitaires pour autant que ces fabricants et ces opérateurs aient accepté de ne pas préinstaller de service de recherche générale concurrent sur l’un quelconque des appareils faisant partie d’un portefeuille défini d’un commun accord.
67 Pour la Commission, les restrictions litigieuses faisaient partie d’une stratégie globale de Google visant à consolider sa position dominante sur le marché de la recherche générale sur Internet au moment où l’importance de l’internet mobile augmentait de façon significative (voir point 14 de la décision attaquée).
68 L’objectif de cette stratégie aurait été de préserver les chances de Google de voir les consommateurs utiliser son moteur de recherche quand ils effectuaient leurs recherches générales sur Internet, ce qui lui aurait garanti non seulement l’obtention des revenus publicitaires correspondants, mais aussi l’acquisition des informations nécessaires pour l’amélioration de ses services. Si les moyens utilisés étaient multiples et interagissaient, l’objectif serait resté globalement le même :
– les ADAM avaient pour objectif de permettre à Google de garantir que les appareils Google Android commercialisés disposaient de l’application Google Search et du navigateur Chrome, les deux principaux points d’entrée pour effectuer une recherche générale ; la préinstallation de ces applications aurait ainsi eu pour effet de permettre à Google de profiter du « biais de statu quo » qui y serait lié, un avantage qui aurait eu des effets significatifs sur la concurrence en diminuant notamment les possibilités de choix offertes aux consommateurs ;
– les AAF avaient pour objectif de permettre à Google d’éviter l’apparition de solutions susceptibles d’exploiter le SE Android à son détriment ; ainsi, la société Amazon n’aurait pas réussi à se servir d’Android pour développer ses propres solutions en termes d’applications et de services correspondants ;
– les APR par portefeuille, qui certes n’auraient pas couvert tous les appareils Google Android et qui n’auraient été mis en œuvre que pour une courte période, avaient pour objectif de permettre à Google d’obtenir ce qui n’était pas formellement prévu par les autres accords, à savoir l’exclusivité ; en effet, en application de ces accords de partage de revenus, des FEO et des ORM importants s’engageaient à ne préinstaller que le moteur de recherche Google Search.
69 Il y a également lieu de mettre en exergue un point important du raisonnement développé par la Commission dans la décision attaquée, notamment aux considérants 738 et 739 et au point 14.2.
70 En effet, la Commission a identifié trois types de restrictions litigieuses dans les ADAM, les AAF et les APR par portefeuille et a estimé que celles-ci donnaient lieu à « quatre infractions distinctes » à l’article 102 TFUE.
71 Pour autant, la Commission a également considéré que ces restrictions, et les infractions en découlant, poursuivaient un objectif identique et étaient complémentaires et interdépendantes. Cet ensemble constituerait ainsi une « infraction unique et continue » pour laquelle une seule amende était infligée.
72 Une telle infraction revêtirait ainsi plusieurs aspects, chacun d’entre eux ayant évolué dans le temps selon ses propres paramètres tout en étant tous liés par l’objectif commun de garantir à Google le meilleur accès possible aux recherches générales effectuées par les consommateurs sur des appareils mobiles intelligents. Il existerait également un « effet cumulatif » non négligeable lié à la combinaison des différents aspects de cette infraction. En particulier, les effets des restrictions litigieuses ne seraient pas les mêmes à partir du moment où la garantie de présence permise par les ADAM, bien que non exclusive, était renforcée par l’exclusivité conférée par les APR.
2. Sur les modalités du contrôle juridictionnel
73 Il y a lieu de rappeler que le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions prévu à l’article 263 TFUE, lequel peut être complété, en application de l’article 261 TFUE et sur demande de la partie requérante, par l’exercice par le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions infligées en ce domaine par la Commission (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, point 47 et jurisprudence citée).
a) Contrôle approfondi de l’ensemble des éléments pertinents
74 S’agissant du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, il convient de relever que sa portée s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE dont le Tribunal assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par la partie requérante et compte tenu de l’ensemble des éléments pertinents soumis par cette dernière (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, point 48 et jurisprudence citée).
75 À cet égard, dans la mesure où la décision attaquée sanctionne d’une amende et d’une astreinte une infraction au droit de la concurrence, le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués par la Commission, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier l’existence des faits constitutifs de l’infraction et s’ils permettent d’étayer l’interprétation qui en est donnée par la Commission dans la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C 386/10 P, EU:C:2011:815, point 54 et jurisprudence citée).
76 En effet, à la différence par exemple d’une analyse prospective requise pour l’examen d’un projet de concentration, qui nécessite de prévoir les événements qui se produiront dans l’avenir, selon une probabilité plus ou moins forte, si aucune décision interdisant ou précisant les conditions de la concentration envisagée n’est adoptée, il s’agit le plus souvent pour la Commission, quand elle sanctionne un abus de position dominante, d’examiner des événements du passé, au sujet desquels il existe généralement de nombreux éléments permettant d’en comprendre les causes et d’en apprécier les effets sur la concurrence effective (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C 12/03 P, EU:C:2005:87, point 42).
77 Dans une telle situation, il appartient à la Commission de prouver non seulement l’existence de l’abus, mais aussi sa durée. Plus particulièrement, la Commission doit rapporter la preuve de l’infraction qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs de l’infraction (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T 11/06, EU:T:2011:560, point 129 et jurisprudence citée, et du 15 juillet 2015, Trafilerie Meridionali/Commission, T 422/10, EU:T:2015:512, point 88 et jurisprudence citée).
78 À cet égard, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant l’infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision infligeant une amende (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T-11/06, EU:T:2011:560, point 129 et jurisprudence citée, et du 15 juillet 2015, Trafilerie Meridionali/Commission, T 422/10, EU:T:2015:512, point 88 et jurisprudence citée).
79 En particulier, lorsque la Commission constate une infraction aux règles de concurrence en se fondant sur la supposition que les faits établis ne peuvent pas être expliqués autrement qu’en fonction de l’existence d’un comportement anticoncurrentiel, le juge sera amené à annuler la décision en question lorsque l’entreprise concernée avance une argumentation qui donne un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permet ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission pour conclure à l’existence d’une infraction. En effet, dans un tel cas, il ne saurait être considéré que la Commission a apporté la preuve de l’existence d’une infraction au droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 16, et du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C-89/85, C 104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, EU:C:1993:120, points 126 et 127).
80 En effet, en présence d’un doute sur l’existence d’un fait constitutif de l’infraction, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, lequel fait partie des droits fondamentaux protégés dans l’ordre juridique de l’Union et qui a été consacré par l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes. Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction alléguée a été commise (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T 11/06, EU:T:2011:560, point 129 et jurisprudence citée, et du 15 juillet 2015, Trafilerie Meridionali/Commission, T 422/10, EU:T:2015:512, point 88 et jurisprudence citée).
81 Néanmoins, s’il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Commission/Keramag Keramische Werke e.a., C 613/13 P, EU:C:2017:49, point 52 et jurisprudence citée).
b) Compétence de pleine juridiction en ce qui concerne l’amende
82 En ce qui concerne la compétence de pleine juridiction, reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) conformément à l’article 261 TFUE, celle-ci habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, point 193 et jurisprudence citée).
83 En particulier, afin de satisfaire aux exigences d’un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux en ce qui concerne l’amende, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, point 195 et jurisprudence citée).
84 Dans ce contexte, il a notamment été jugé que la gravité de l’infraction devait faire l’objet d’une appréciation individuelle et que, pour la détermination du montant des amendes, il y avait lieu de tenir compte de la durée de l’infraction et de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de celle-ci, tels que, notamment, le comportement de l’entreprise en cause, son rôle dans l’établissement des pratiques abusives, le profit qu’elle a pu tirer de ces pratiques ou encore l’intensité des comportements anticoncurrentiels (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, points 196 et 197 et jurisprudence citée).
85 Cet exercice ne requiert pas du Tribunal qu’il applique les lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2016, Trafilerie Meridionali/Commission, C 519/15 P, EU:C:2016:682, points 52 à 55).
86 En conclusion, le juge de l’Union peut réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, afin de supprimer, de réduire ou de majorer l’amende infligée. Cette compétence est exercée en tenant compte de toutes les circonstances de fait. Il en résulte que le juge de l’Union est habilité à exercer sa compétence de pleine juridiction lorsque la question du montant de l’amende est soumise à son appréciation, l’exercice de cette compétence emportant le transfert définitif à ce dernier du pouvoir d’infliger des sanctions (voir ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission, C 523/15 P, EU:C:2016:541, points 32 à 34 et jurisprudence citée).
3. Sur l’administration de la preuve et les différentes contestations présentées à cet égard
87 Au titre du présent recours, tant la Commission que Google contestent la pertinence, voire la recevabilité, de certains arguments et éléments de preuve afférents présentés par elles ou par les intervenantes.
88 Il en est ainsi pour ce qui concerne, par exemple, certaines déclarations faites par un dirigeant ou un employé de Google ou par une partie intéressée, certaines déclarations ou certains rapports présentés à la demande d’une partie par un tiers se prévalant de la qualité d’expert et des documents produits afin de démontrer l’existence d’un fait pouvant être qualifié de notoire dont il est fait état dans la décision attaquée et qui est contesté devant le Tribunal, à savoir le concept de « biais de statu quo » identifié en psychologie pour illustrer un comportement non rationnel expliquant l’aversion au changement. Il en va de même en ce qui concerne des documents réalisés à partir de données internes propres à une entreprise produits au soutien ou pour réfuter une allégation faite dans la décision attaquée ou au titre du présent recours.
89 À cet égard, premièrement, il y a lieu de rappeler que le contrôle de légalité d’une décision de la Commission relative à une procédure d’application de l’article 101 ou 102 TFUE s’effectue compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par la partie requérante, que ceux-ci soient antérieurs ou postérieurs à la décision qui est attaquée, qu’ils aient été préalablement présentés dans le cadre de la procédure administrative ou, pour la première fois, dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi, dans la mesure où ces derniers éléments sont pertinents (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C 603/13 P, EU:C:2016:38, point 72 et jurisprudence citée).
90 De même, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, il appartient au Tribunal d’apprécier, à la date à laquelle il adopte sa décision, si la partie requérante s’est vue infliger une amende appropriée (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T 540/08, EU:T:2014:630, point 133 et jurisprudence citée). Dans ce cadre, le Tribunal est habilité à tenir compte de toutes les circonstances de fait qu’il estime pertinentes, que celles-ci soient antérieures ou postérieures à la décision entreprise (ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission, C 523/15 P, EU:C:2016:541, point 43 et jurisprudence citée).
91 En l’espèce, il ressort de ces principes que, s’ils sont pertinents pour l’appréciation du Tribunal, les arguments et les éléments de preuve afférents présentés par les requérantes pour la première fois devant lui ne peuvent pas être écartés au prétexte qu’ils n’auraient pas été préalablement exposés à la Commission au titre de la procédure administrative.
92 Deuxièmement, il y a également lieu de relever que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre appréciation des preuves dont il découle, d’une part, que, dès lors qu’un élément de preuve a été obtenu régulièrement, sa recevabilité ne peut être contestée devant le Tribunal et, d’autre part, que le seul critère pertinent pour apprécier la force probante des preuves régulièrement produites réside dans leur crédibilité (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, point 65 et jurisprudence citée).
93 En application de ce principe, il s’avère dans la présente affaire qu’il n’existe pas de raison pour le Tribunal de penser que les différents éléments de preuve produits par les parties n’ont pas été obtenus régulièrement ou qu’ils ne présentent pas une crédibilité suffisante pour être pris en considération au titre de son appréciation.
94 À cet égard, quant à la valeur probante des différents éléments de preuve à l’encontre desquels des contestations ont été présentées, il peut être relevé ce qui suit.
95 Tout d’abord, s’agissant des déclarations faites par un dirigeant ou un employé de Google ou par une partie intéressée, il y a lieu d’indiquer que, s’il ne peut être considéré que celles-ci n’ont aucune valeur probante, il n’en demeure pas moins que de telles déclarations visent soit à atténuer soit à étayer la responsabilité de l’entreprise concernée par la procédure afin de la défendre ou de l’accuser selon les intérêts propres de la partie qui présente la déclaration. De ce fait, si ces déclarations ont une valeur probante, celle-ci doit être relativisée par rapport à celle des différents documents, tels que des courriels ou d’autres documents internes, qui concernent directement la période et les faits en cause (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T 54/03, non publié, EU:T:2008:255, point 379).
96 De même, quant aux déclarations ou aux rapports présentés à la demande d’une partie pour soutenir ses allégations par un tiers se prévalant de la qualité d’expert, il convient de relever que la valeur probante de tels documents s’apprécie à plusieurs égards. D’une part, leur auteur doit veiller à exposer ses qualifications et expériences et à expliquer à quel titre celles-ci sont pertinentes pour émettre un avis sur la question examinée. D’autre part, le contenu de cet avis doit exposer les raisons pour lesquelles il mérite d’être pris en considération, qu’il s’agisse de la fiabilité de la méthodologie utilisée ou de la pertinence de la réponse donnée à cette question pour les besoins de la présente affaire. C’est en considération de ces principes et des observations présentées par les parties à cet égard que le Tribunal a examiné ces documents dans la présente affaire.
97 Enfin, s’agissant de documents produits afin de démontrer l’existence d’un fait pouvant être qualifié de notoire dont il est fait état dans la décision attaquée, il ressort de la jurisprudence que ceux-ci doivent être considérés comme recevables [voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2020, Hickies/EUIPO (Forme d’un lacet de chaussure), T 573/18, EU:T:2020:32, point 18]. De tels documents se limitent en effet en substance à démontrer l’existence d’un consensus quant au sens communément donné au concept de « biais de statu quo » invoqué par certaines entreprises et repris par la Commission dans la décision attaquée.
98 Troisièmement, il importe de constater que si, en application de l’article 85 du règlement de procédure, les preuves et les offres de preuve sont en principe présentées dans le cadre du premier échange de mémoires, les parties principales peuvent encore en produire dans la réplique et la duplique à l’appui de leur argumentation ou même, à titre exceptionnel, avant la clôture de la phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié. Cependant, il ressort de la jurisprudence que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve fournie à la suite d’un argument ou d’une preuve contraire dans le mémoire en défense ne sont pas visées par la règle de forclusion prévue par ladite disposition. En effet, cette disposition concerne les offres de preuve nouvelles et doit être lue à la lumière de l’article 92, paragraphe 7, dudit règlement, qui prévoit expressément que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C 185/95 P, EU:C:1998:608, points 71 et 72, et du 5 décembre 2006, Westfalen Gassen Nederland/Commission, T 303/02, EU:T:2006:374, point 189).
99 En l’espèce, il ressort de l’examen des différentes contestations formulées par les parties à l’encontre de la pertinence, voire de la recevabilité, de certains arguments et éléments de preuve afférents présentés par les parties principales ou par les intervenantes que celles-ci peuvent toutes être écartées au motif que ces arguments et éléments se rattachent à l’exercice du principe du contradictoire, dès lors que les parties intéressées les ont présentés afin de répondre à un argument ou à une preuve contraire qui venait d’être communiqué au Tribunal.
100 Dans cette perspective, le Tribunal considère que aussi bien des éléments de preuve qui étaient présentés, pour la première fois, dans le cadre du recours que l’invocation d’éléments de fait ou la production d’éléments de preuve visant à réfuter les arguments présentés par une autre partie en cours d’instance, au besoin en considération de données internes, ou à attester d’un fait notoire ne peuvent pas être déclarés irrecevables et que leur pertinence pourra être appréciée par la suite au titre de l’examen des différents moyens présentés à l’encontre de la décision attaquée.
101 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les différents moyens présentés par Google au soutien du recours ainsi que l’ensemble des éléments de preuve produits par les parties.
B. Sur le premier moyen, tiré de l’appréciation erronée de la définition du marché pertinent et de l’existence d’une position dominante
102 Par le premier moyen du recours, divisé en trois branches, Google reproche à la Commission d’avoir commis plusieurs erreurs d’appréciation dans la définition des marchés pertinents et dans l’appréciation subséquente de sa position dominante sur certains de ces marchés.
1. Éléments de contexte
103 À titre liminaire, afin d’envisager la notion de concurrence entre « écosystèmes » mise en avant par Google au titre du présent moyen, il y a lieu, d’une part, de rappeler quel est le principal enjeu de la détermination du marché pertinent en matière d’abus de position dominante, et, d’autre part, d’examiner les particularités de la présente affaire.
a) Notions de marché pertinent, de position dominante et de contraintes concurrentielles, notamment en présence d’un « écosystème »
104 Il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de l’application de l’article 102 TFUE, la détermination du marché pertinent a pour objet de définir le périmètre à l’intérieur duquel doit être appréciée la question de savoir si l’entreprise concernée est à même de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 127 et jurisprudence citée].
105 La détermination du marché pertinent constitue donc, en principe, un préalable à l’appréciation de l’existence éventuelle d’une position dominante de l’entreprise concernée. Cet exercice suppose de définir, en premier lieu, les produits ou les services qui font partie du marché pertinent (ci-après le « marché de produits ») puis, en second lieu, la dimension géographique de ce marché [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 127 et 128 et jurisprudence citée].
106 En ce qui concerne le marché de produits, la notion de marché pertinent implique qu’une concurrence effective puisse exister entre les produits ou les services qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d’interchangeabilité ou de substituabilité entre ces produits et ces services. L’interchangeabilité ou la substituabilité ne s’apprécie pas au seul regard des caractéristiques objectives des produits ou des services en cause. Il convient également de prendre en considération les conditions de la concurrence et la structure de la demande et de l’offre sur ce marché [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 129 et jurisprudence citée].
107 Dans sa dimension géographique, le marché pertinent correspond au territoire au sein duquel les conditions de concurrence sont similaires et constituent un tout suffisamment homogène pour être considéré globalement et permettre d’apprécier le jeu de la puissance économique de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, EU:C:1978:22, points 11, 44, 52 et 53).
108 En application de ces principes, la position dominante visée par l’article 102 TFUE concerne ainsi une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable à l’égard de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (arrêt du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, EU:C:1978:22, point 65).
109 À cet égard, il y a lieu de souligner que la détermination du marché pertinent et de la position dominante détenue sur ce marché par l’entreprise concernée vise non seulement à définir la réalité et l’étendue des contraintes concurrentielles internes, propres à ce marché, mais aussi à vérifier qu’il n’existe pas de contraintes concurrentielles externes en provenance d’autres produits, services ou territoires que ceux qui font partie du marché pertinent examiné.
110 De manière générale, il importe, en effet, pour la Commission d’identifier et de définir le périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre les entreprises afin de déterminer si l’entreprise concernée peut, dans une mesure appréciable, agir indépendamment des contraintes qu’exerce une concurrence effective.
111 Or, ainsi qu’il a déjà été relevé par la Cour, l’interchangeabilité et la substituabilité de produits ou de services présentent naturellement un caractère dynamique, dans la mesure où une nouvelle offre est susceptible de modifier la conception des produits ou des services considérés comme interchangeables avec un produit ou un service déjà présent sur le marché ou comme substituables à ce produit ou à un service et, de cette manière, de justifier une nouvelle définition des paramètres du marché pertinent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 130].
112 Une telle appréciation suppose toutefois qu’il existe un degré suffisant d’interchangeabilité entre les produits ou les services qui font partie du marché pertinent et ceux envisagés pour répondre à la demande sur ce marché. Tel serait le cas, si l’auteur de l’offre alternative est en mesure de répondre à brève échéance à la demande avec une force suffisante pour constituer un contrepoids sérieux au pouvoir détenu par l’entreprise concernée sur le marché pertinent [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 132 et 133].
113 Si, dans certaines circonstances, il peut donc être opportun d’examiner la contrainte externe que pourrait représenter une offre alternative, il importe également de tenir compte des particularités propres à certaines situations, notamment dans l’hypothèse où plusieurs marchés sont imbriqués les uns aux autres.
114 En effet, si les principes exposés ci-dessus restent valables pour définir un cadre d’analyse clair et transparent des notions de marché pertinent et de position dominante, leur mise en œuvre nécessite parfois un examen plus circonstancié, allant au-delà de cette seule segmentation en marchés, afin de mieux apprécier les contraintes concurrentielles prévalant sur ces marchés et la position de puissance économique détenue par l’entreprise concernée.
115 Cela est particulièrement le cas pour les marchés relevant, comme en l’espèce, de l’économie numérique, où les paramètres traditionnels comme le prix des produits ou des services ou la part de marché de l’entreprise concernée peuvent avoir moins d’importance que pour les marchés classiques, comparés à d’autres variables comme l’innovation, l’accès aux données, les aspects multifaces, le comportement des utilisateurs ou les effets de réseau.
116 Ainsi, en présence d’un « écosystème » numérique, qui réunit et fait interagir au sein d’une plateforme plusieurs catégories de fournisseurs, de clients et de consommateurs, les produits ou services qui font partie des marchés pertinents qui composent cet écosystème peuvent s’imbriquer ou être connectés les uns aux autres en considération de leur complémentarité horizontale ou verticale. Pris ensemble, ces marchés pertinents peuvent aussi avoir une dimension globale en considération du système qui en rassemble les composantes et des éventuelles contraintes concurrentielles qui s’exercent au sein de ce système ou en provenance d’autres systèmes.
117 L’identification des conditions de concurrence pertinentes pour l’appréciation de la position de puissance économique détenue par l’entreprise concernée peut ainsi nécessiter un examen à plusieurs niveaux ou dans plusieurs directions afin de déterminer la réalité et l’étendue des différentes contraintes concurrentielles susceptibles de s’exercer sur cette entreprise.
118 En conclusion, ce qui importe au titre du présent moyen est de vérifier, en considération des arguments des parties et du raisonnement exposé dans la décision attaquée, si l’exercice par Google du pouvoir qui lui était attribué par la Commission sur les marchés pertinents lui permettait effectivement d’agir dans une mesure appréciable indépendamment des différents facteurs susceptibles de contraindre son comportement.
119 En effet, selon Google, ainsi qu’elle le faisait valoir en substance lors de la procédure administrative et qu’elle le fait valoir à nouveau au titre du présent moyen, la Commission aurait dû tenir compte de ses allégations selon lesquelles, du fait des contraintes concurrentielles exercées par l’écosystème d’Apple, elle ne disposait pas du pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur les marchés pertinents liés à l’écosystème Android.
b) Marchés distincts, mais interconnectés
120 En l’espèce, il convient de relever tout d’abord que la Commission a identifié quatre types de marchés pertinents (considérants 217 et 402 de la décision attaquée) : premièrement, le marché mondial (hors Chine) des SE sous licence, au sens de licences de systèmes d’exploitation pour appareils mobiles intelligents (voir point 3 ci-dessus, ci-après le « marché des SE sous licence ») ; deuxièmement, le marché mondial (hors Chine) des boutiques d’applications Android ; troisièmement, les différents marchés nationaux, au sein de l’EEE, de fourniture de services de recherche générale et, quatrièmement, le marché mondial des navigateurs Internet conçus pour un usage mobile (ci-après les « navigateurs Internet mobile ») non spécifiques à un SE.
121 Ensuite, la Commission a considéré que Google occupait une position dominante sur les trois premiers marchés (considérant 439 de la décision attaquée), c’est-à-dire qu’elle était, dans une mesure appréciable, à même de se comporter sur ces marchés indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs.
122 Au titre de cette analyse, la Commission a pris notamment en considération la pression concurrentielle exercée par Apple sur Google, celle-ci étant qualifiée de « contrainte indirecte », en ce qu’elle s’exerçait au niveau des utilisateurs et des développeurs d’applications (considérant 242 de la décision attaquée), et jugée « insuffisante » pour remettre en question les positions dominantes de Google sur les marchés pertinents (considérants 243, 322, 479 à 559 et 652 à 672 de la décision attaquée). Aux termes de la décision attaquée, Apple et l’écosystème iOS n’étaient pas en mesure d’exercer une contrainte concurrentielle suffisante sur Google et l’écosystème Android.
123 À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que, pour des raisons d’opportunité et sans préjudice de sa position à cet égard, Google indique dans la requête faire le choix de ne pas contester le constat effectué dans la décision attaquée de sa domination des différents marchés nationaux des services de recherche générale.
124 En l’absence de tout argument invoqué à cet égard en dehors de l’observation incidente faite par la suite par Google sur les conditions de concurrence examinées par la Commission en ce qui concerne le marché des services de recherche générale en République tchèque, où il n’est pas contesté que la part de marché de Google est moins importante qu’elle ne l’est dans les autres pays de l’EEE, il n’y a pas lieu pour le Tribunal de remettre en cause les constatations faites par la Commission quant à ces marchés nationaux aux considérants 674 à 727 de la décision attaquée.
125 Pour les besoins de la présente affaire, il convient donc de considérer que la Commission a dûment établi dans la décision attaquée que Google, étant à même de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs, disposait d’une position dominante sur les différents marchés nationaux au sein de l’EEE des services de recherche générale (voir considérants 674 et 675 de la décision attaquée et le raisonnement étayant cette conclusion).
126 En second lieu, il importe de souligner que, si les marchés pertinents sont présentés de manière distincte dans la décision attaquée, ils ne sauraient toutefois être artificiellement dissociés dans la mesure où ils présentaient tous des aspects complémentaires dûment évoqués par la Commission.
127 Il en allait ainsi du marché des SE sous licence et du marché des boutiques d’applications Android. En effet, les applications accessibles à partir d’une boutique d’applications Android n’avaient d’intérêt que parce qu’elles fonctionnaient sur le SE sous licence Android. Inversement, un SE sous licence était dépendant, aux fins d’accroître son attractivité, du nombre, de la diversité et de la qualité des applications qui pouvaient fonctionner sur ce SE (considérants 84 à 88 et 271 de la décision attaquée).
128 De même, les marchés nationaux des services de recherche générale ne pouvaient être dissociés des marchés des SE sous licence, des boutiques d’applications Android ainsi que des navigateurs Internet mobile non-spécifiques à un SE. Pris ensemble, les produits ou les services visés par ces trois types de marchés pertinents constituaient en effet une porte d’entrée vers les services de recherche générale (voir, par exemple, considérant 1341 de la décision attaquée).
129 C’est dans ce contexte factuel des marchés pertinents distincts, mais interconnectés et de la mise en œuvre d’une stratégie globale visant essentiellement, d’après la Commission, à garantir la position dominante détenue par Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale qu’il y a lieu d’examiner les arguments relatifs au premier moyen.
2. Sur la première branche visant la domination des SE sous licence pour appareils mobiles intelligents
130 Pour définir le marché des SE sous licence, la Commission a considéré qu’il y avait lieu d’exclure de ce marché, les systèmes d’exploitation pour ordinateurs, les systèmes d’exploitation pour appareils mobiles aux fonctionnalités limitées et les SE sans licence, au sens de systèmes d’exploitation pour appareils mobiles intelligents qui n’étaient pas proposés sous licence, dont l’iOS d’Apple. En revanche, la Commission a indiqué que ce marché comprenait l’ensemble des SE sous licence et ne comportait pas de différence selon que ces SE fonctionnaient pour des téléphones intelligents ou des tablettes (considérants 218 à 267 de la décision attaquée).
131 Ensuite, la Commission a considéré que Google détenait, avec ses appareils Google Android, une position dominante sur le marché des SE sous licence. Pour arriver à cette conclusion, la Commission s’est fondée sur la part de marché de Google et son évolution dans le temps, sur l’examen des barrières à l’entrée et à l’expansion, sur l’absence de puissance d’achat compensatrice ainsi que sur l’existence d’une contrainte concurrentielle insuffisante des SE sans licence, en particulier l’iOS d’Apple (considérants 440 à 589 de la décision attaquée).
132 Dans la première branche du premier moyen, Google soutient que la Commission a erronément apprécié sa position sur ce marché en omettant de correctement prendre en compte, d’une part, la concurrence des SE sans licence, en particulier l’iOS d’Apple, et, d’autre part, celle due à la licence AOSP.
a) Sur la recevabilité de la première branche
133 La Commission soutient que la première branche, en tant qu’elle vise à contester la définition du marché des SE sous licence, doit être jugée irrecevable. En effet, Google ne contesterait que le constat de sa position dominante sur ce marché.
134 À cet égard, si Google concentre ses arguments sur le terrain de sa prétendue position dominante sur le marché des SE sous licence et libelle en ce sens le titre de la première branche, il n’en reste pas moins que, par ses arguments, elle reproche à la Commission d’avoir défini ce marché en considération des FEO et non des utilisateurs ou des développeurs d’applications, qui tiendraient compte de la contrainte concurrentielle exercée par Apple.
135 Cette argumentation se comprend à la lumière du raisonnement qui a conduit la Commission à ne pas inclure les SE sans licence dans le marché pertinent, lequel prend notamment en considération le fait que la concurrence provenant d’Apple était indirecte et insuffisante et le fait que les solutions dégagées dans l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 310/01, EU:T:2002:254), invoqué par Google, n’étaient pas applicables (voir point 7.3.5 relatif à la définition du marché et considérants 241 à 245 de la décision attaquée). En outre, au stade de la définition du marché des SE sous licence, la Commission s’est elle-même référée au raisonnement développé pour apprécier la position dominante de Google sur ce marché, lequel prend également en considération la contrainte concurrentielle susceptible d’être exercée par Apple, notamment au regard des utilisateurs ou des développeurs d’applications (voir considérants 243 et 267 de la décision attaquée qui renvoient au point 9.3.4 relatif à l’appréciation de la position dominante).
136 Dès lors, dans la mesure où Google conteste aussi bien le raisonnement développé pour définir le marché des SE sous licence que celui développé pour apprécier sa position dominante sur ce marché, il n’y a pas lieu de cantonner la recevabilité de la première branche à la seconde partie du raisonnement contesté.
137 Partant, il convient de juger recevable l’argumentation de Google tendant à contester la définition du marché des SE avec licence au titre de la première branche du premier moyen.
b) Sur le bien-fondé de la première branche
138 À l’appui de la première branche du premier moyen, Google fait valoir deux griefs, tirés, pour le premier, de l’appréciation erronée de la contrainte concurrentielle exercée par les SE sans licence, en particulier l’iOS d’Apple, et, pour le second, de l’appréciation erronée de la contrainte concurrentielle exercée par la nature ouverte de la licence AOSP.
1) Sur la contrainte concurrentielle des SE sans licence
139 Dans la décision attaquée, la Commission a considéré, d’une part, que les SE sans licence ne faisaient pas partie du même marché que les SE sous licence (voir considérants 238 à 267 de la décision attaquée) et, d’autre part, que la position dominante de Google sur le marché des SE sous licence n’était pas affectée par la contrainte concurrentielle exercée sur ce marché par les SE sans licence d’Apple et de BlackBerry (voir considérants 479 à 589 de la décision attaquée). Ainsi, bien qu’appréhendant de manière distincte la définition du marché pertinent et la position qu’occupe Google sur ledit marché, les questions soulevées à ces deux stades de la décision attaquée présentent une importante connexité.
140 Il importe à cet égard de relever que, pour délimiter le marché des SE sous licence, la Commission a pris en considération le fait, non contesté par Google, que les FEO n’avaient pas accès aux SE sans licence, notamment à l’iOS d’Apple (considérant 239 de la décision attaquée). Dès lors, le rôle susceptible d’être joué par les SE sans licence ne pouvait être examiné, comme le faisait d’ailleurs valoir Google, qu’au niveau des utilisateurs et des développeurs d’applications (considérant 241, point 2, et considérant 243 de la décision attaquée). La Commission a estimé toutefois que cette concurrence indirecte était insuffisante pour contrebalancer le pouvoir de marché de Google (considérant 243 avec un renvoi au point 9.3.4 de la décision attaquée).
141 Pour parvenir à une telle conclusion, la Commission a envisagé notamment l’hypothèse d’une dégradation légère, mais significative et non provisoire de la qualité (Small but Significant and Non Transitory Decrease in Quality, ci-après la « dégradation de la qualité » ou le « test SSNDQ ») d’Android. Par ce test, elle a examiné la réaction des utilisateurs et des développeurs d’applications à une dégradation de la qualité d’Android. En d’autres termes, la Commission a vérifié si Google pouvait s’abstenir de développer et de financer Android sans que ses utilisateurs et les développeurs d’applications privilégient en réponse une offre alternative.
142 Au titre de la première branche, Google reproche à la Commission d’avoir ignoré la concurrence exercée par Apple en ce qui concernait les utilisateurs et les développeurs d’applications tant au regard de la définition du marché des SE sous licence qu’au stade de l’appréciation de son pouvoir sur ce marché. Premièrement, la Commission aurait écarté à tort des éléments de preuves de la contrainte concurrentielle d’Apple. Deuxièmement, elle n’aurait pas tenu compte des principes dégagés par l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 310/01, EU:T:2002:254), lesquels envisageaient la concurrence d’entreprises verticalement intégrées. Troisièmement, avec le test SSNDQ, qui resterait un instrument imprécis, la Commission aurait sous-estimé l’impact d’une dégradation de la qualité d’Android en appréciant erronément la sensibilité des utilisateurs à la qualité du SE, l’importance de la politique tarifaire d’Apple, les coûts d’un report vers un autre SE, la fidélité des utilisateurs pour leurs SE ainsi que le comportement des développeurs d’applications.
i) Sur les preuves d’une contrainte concurrentielle d’Apple
– Arguments des parties
143 Google, à l’instar des parties intervenant à son soutien, prétend que la Commission a écarté à tort plusieurs éléments de preuve de la contrainte concurrentielle d’Apple. Il en irait ainsi, premièrement, des importants investissements réalisés par Google pour développer le SE Android ; deuxièmement, de la régularité des innovations intervenant entre ce qui concerne ce SE et l’iOS d’Apple et, troisièmement, des documents visés aux considérants 250 à 252 de la décision attaquée, qui illustreraient la concurrence d’Apple.
144 La Commission souligne d’emblée avoir dûment considéré que les contraintes concurrentielles provenant des SE sans licence d’Apple et de BlackBerry étaient insuffisantes. À cet égard, premièrement, les investissements réalisés par Google pour développer Android seraient motivés par son intérêt financier ; deuxièmement, la course à l’innovation alléguée par Google ne serait pas démontrée, étant donné notamment que les utilisateurs choisissent non pas un SE, mais plutôt un appareil, et, troisièmement, les documents cités par Google seraient peu nombreux et insuffisants pour établir l’existence d’une contrainte concurrentielle suffisante de la part d’Apple.
– Appréciation du Tribunal
145 Pour alléguer que l’appréciation de la contrainte concurrentielle exercée par Apple sur le marché de SE sous licence et sur la position dominante qu’elle détient sur ce marché est erronée, Google s’appuie sur différents éléments qui peuvent être synthétisés comme suit :
– les déclarations d’un de ses cadres, qui fait valoir qu’elle a investi dans Android en réponse à la contrainte concurrentielle d’Apple ;
– certaines réponses aux demandes d’information de la Commission, figurant en annexe à la requête, qui font état d’une relation de concurrence entre Apple et Google ;
– deux documents internes de Google, à savoir un courriel daté du 16 mai 2012 ainsi qu’une présentation interne d’octobre 2011, évoqués au considérant 252 de la décision attaquée, dont il ressort que Google subit des attaques de ses concurrents, parmi lesquels Apple, et que l’objectif de Google est de concurrencer cette entreprise qui est verticalement intégrée.
146 À cet égard, tout d’abord, il convient de rappeler que Google ne conteste pas que la contrainte concurrentielle provenant d’Apple n’existait pas en ce qui concernait les FEO, comme cela a été relevé par la Commission (voir considérants 239, 249 et 252 de la décision attaquée). Google se limite à invoquer la concurrence exercée par Apple en ce qui concerne les utilisateurs et les développeurs d’applications, laquelle a été examinée par la Commission qui a considéré que cette contrainte concurrentielle était non seulement indirecte, mais aussi insuffisante (voir considérants 242, 243 et le renvoi effectué au point 9.3.4, considérants 249 et 267 de la décision attaquée).
147 Ensuite, force est de constater qu’il ne ressort pas des éléments de preuve invoqués par Google qu’Apple exerce une contrainte concurrentielle à même de l’empêcher de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs. En effet, les déclarations d’un cadre de Google tout comme les réponses de différentes entreprises aux demandes d’information de la Commission ne permettent pas d’établir que la concurrence indirecte d’Apple, en ce qui concernait les utilisateurs et les développeurs d’applications, était suffisamment forte pour contrer le pouvoir détenu par Google sur le marché des SE sous licence. Ces documents indiquent seulement que Google et d’autres entreprises perçoivent Apple comme une concurrente. Ils ne sont guère concluants sur la question de savoir si Google se trouve contrainte d’une manière appréciable par la concurrence exercée par Apple sur le marché ici en cause. Le même constat s’impose au regard des deux documents internes de Google évoqués par la Commission au considérant 252 de la décision attaquée, qui ne font qu’attester de l’existence d’une relation de concurrence entre Google et Apple sans permettre toutefois d’en évaluer l’importance ou être de nature à en établir le caractère significatif au regard du pouvoir détenu par Google sur le marché des SE sous licence.
148 S’agissant plus particulièrement des allégations de Google selon lesquelles le montant de ses investissements dans Android ainsi que le parallélisme des innovations d’Android et d’iOS témoigneraient de la vivacité de la concurrence avec Apple, celles-ci ne suffisent pas à remettre en cause le raisonnement exposé par la Commission dans la décision attaquée.
149 D’une part, en effet, les investissements de Google aux fins du développement d’Android ne sauraient, à eux seuls, s’expliquer par l’importance de la concurrence exercée par Apple sur Google en ce qui concernait les utilisateurs d’appareils mobiles intelligents et les développeurs d’applications pour ces appareils. Ainsi que l’expose la Commission à juste titre, ces investissements s’expliquent essentiellement par le fait qu’Android constituait un élément essentiel de la stratégie de Google pour faire face au défi de la transition vers l’internet mobile, ce SE permettant d’accueillir sur les appareils mobiles intelligents les services de recherche générale de Google.
150 D’autre part, la Commission a déjà répondu à l’argument tiré du parallélisme des innovations dans la décision attaquée en faisant notamment observer, sans être contredite à cet égard au titre du présent recours, que ce parallélisme n’était pas aussi régulier que ne l’alléguait Google dans la mesure où certaines des mises à jour de l’iOS d’Apple évoquées avant 2011 n’étaient que des mises à jour intermédiaires visant à entretenir le SE, et non de véritables mises à jour et où le ralentissement des mises à jour d’Android à partir de 2011, et donc son alignement sur celles d’iOS, s’expliquait vraisemblablement par l’acquisition à compter de cette date d’un important pouvoir de marché lui permettant de bénéficier plus longtemps des versions Android sans avoir à autant investir que par le passé pour leurs mises à jour (voir considérants 258 à 262 de la décision attaquée).
151 Ainsi, il ne saurait être fait grief à la Commission d’avoir relativisé la prétendue course à l’innovation entre Android et iOS sur la période 2008-2011, en ce que, sur cette période, seules trois versions successives d’iOS avaient été développées contre sept pour Android. De la même manière, la Commission a, à juste titre, considéré que la diminution des fréquences de mise à jour d’Android à partir de 2011 constituait plutôt un élément de nature à étayer l’existence d’un pouvoir de marché de Google qu’un élément de nature à traduire la contrainte concurrentielle exercée par Apple, laquelle en tout état de cause n’en serait pas pour autant suffisante.
152 Dès lors, si tant est qu’une relation de cause à effet entre une mise à jour de iOS et une mise à jour d’Android puisse être invoquée dans une certaine mesure, les éléments invoqués à cet égard ne permettent pas d’établir que celle-ci aurait été à ce point significative qu’elle permettait à Apple de contraindre Google d’une manière telle que cette dernière entreprise ne pouvait pas se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs.
153 Enfin, s’agissant des critiques formulées à l’encontre du rejet par la Commission, au considérant 251 de la décision attaquée, de documents antérieurs à 2011 au motif que Google ne détenait pas encore une position dominante sur le marché des SE sous licence, il convient de constater que la situation concurrentielle avant et après 2011 a changé du fait de l’évolution de la position de Google sur ce marché. L’importance de la pression concurrentielle provenant d’Apple ne saurait ainsi être analysée à partir de données relatives à une période où Google ne détenait pas de position dominante et c’est donc à juste titre que la Commission a considéré que les documents en cause n’étaient pas pertinents pour son appréciation. Cette dernière n’aurait au demeurant pas été modifiée s’ils avaient été pris en considération, en ce que, s’ils illustrent une contrainte concurrentielle d’Apple, ils ne permettent toutefois pas d’en évaluer l’importance et ne sont pas de nature à en établir le caractère significatif au regard du pouvoir de détenu par Google sur le marché des SE sous licence.
154 En conséquence, il y a lieu de rejeter l’ensemble des arguments de Google relatifs à l’appréciation de certains éléments de preuve concernant la contrainte concurrentielle exercée par l’iOS d’Apple sur le marché des SE sous licence.
ii) Sur la prise en compte de l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T-310/01, EU:T:2002:254), et la cohérence avec la pratique décisionnelle antérieure
– Arguments des parties
155 Google soutient que, en omettant de tenir compte de la contrainte concurrentielle d’Apple, la Commission a commis une erreur identique à celle sanctionnée par le Tribunal dans l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 310/01, EU:T:2002:254). Dans cette dernière affaire, le Tribunal aurait jugé que, aux fins d’apprécier la position d’une entreprise non intégrée sur un marché en aval, la concurrence exercée, sur ce même marché, par des entreprises intégrées devait être prise en compte. Google prétend également que la Commission a porté atteinte à la cohérence de sa pratique décisionnelle.
156 La Commission fait observer que le contexte factuel de la présente affaire diffère de celui de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 310/01, EU:T:2002:254), en l’absence notamment de concurrence entre Apple et Google en ce qui concernait les FEO. En outre, les décisions sur lesquelles Google se fonde ne feraient état d’aucune incohérence avec la pratique de la Commission.
– Appréciation du Tribunal
157 En premier lieu, s’agissant de la prise en compte de l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 310/01, EU:T:2002:254), il y a lieu de rappeler que cet arrêt clôt un recours en annulation formé à l’encontre d’une décision déclarant incompatible avec le marché intérieur une concentration entre deux entreprises, Schneider Electric SA et Legrand SA. Dans cet arrêt, le Tribunal a annulé la décision de la Commission au motif notamment que celle-ci n’avait pas correctement tenu compte du pouvoir de marché d’entreprises intégrées et, ce faisant, avait surestimé le pouvoir de marché des entreprises non intégrées, en particulier celui de l’entité issue de la concentration entre Schneider et Legrand.
158 Plus précisément, il ressort du point 282 de l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 310/01, EU:T:2002:254), que les producteurs non intégrés de composants pour tableaux électriques, comme Schneider et Legrand, subissaient à deux niveaux la concurrence des producteurs intégrés. Cette concurrence se matérialisait directement par la participation des producteurs intégrés et des assembleurs de leurs réseaux aux appels d’offres auxquels participaient également les producteurs non intégrés associés ponctuellement à d’autres assembleurs. Elle se matérialisait également indirectement en ce que les producteurs intégrés vendaient leurs composants aux assembleurs qui avaient remporté un appel d’offres, mais qui ne relevaient pas de leurs réseaux. Dans ces deux hypothèses, les producteurs non intégrés subissaient la concurrence des producteurs intégrés.
159 Or, le contexte factuel de la présente affaire diffère de celui de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 310/01, EU:T:2002:254). Premièrement, le marché en aval n’était pas caractérisé par des procédures d’appel d’offres auxquelles soumissionneraient directement Apple et Google. La concurrence sur le marché en aval des utilisateurs opposait Apple et les autres FEO, lesquels n’assemblaient pas leurs appareils mobiles à partir des seuls composants vendus par Google. Le SE n’était qu’un élément parmi d’autres. À supposer que, en intégrant Android, les FEO se soient associés à Google et se soient opposés à Apple, en tant qu’entreprise intégrée, la concurrence en ce qui concernait les utilisateurs ne saurait toutefois se résumer au seul SE.
160 Deuxièmement, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre au considérant 245 de la décision attaquée, Apple, en tant qu’entreprise intégrée, ne proposait pas iOS aux FEO. Il ne saurait donc y avoir de concurrence entre Apple et Google à ce niveau. Il en aurait été autrement si, en plus de vendre des appareils fonctionnant sous iOS, Apple proposait son SE sous licence. Alors que, dans l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 310/01, EU:T:2002:254), les entreprises intégrées et non intégrées se faisaient concurrence pour proposer leurs composants aux assembleurs, cela n’était pas le cas dans la présente affaire.
161 En ce qui concerne les FEO, iOS et Android n’étaient donc pas substituables, ce qui justifiait de ne pas définir un marché englobant l’ensemble des SE. Si Google subissait certes une concurrence provenant d’Apple en ce qui concernait les utilisateurs ou les développeurs d’applications, en ce que le SE pouvait être l’un des paramètres dont ces derniers tenaient compte avant d’acheter un appareil mobile ou de développer une application pour ce SE, ce n’était là qu’un paramètre parmi d’autres. La substituabilité apparaissait donc limitée à ce niveau, ce qui pouvait justifier, ainsi que la Commission l’a souligné au considérant 243 de la décision attaquée, de ne pas inclure iOS et Android au sein d’un même marché.
162 En tout état de cause, il ne saurait être fait grief à la Commission d’avoir occulté dans la décision attaquée la concurrence d’Apple en ce qui concernait les utilisateurs et les développeurs d’applications, la Commission en ayant tenu compte pour conclure qu’elle était toute à la fois indirecte et insuffisante.
163 Partant, c’est à juste titre que la Commission n’a pas appliqué, en l’espèce, les solutions dégagées dans l’arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 310/01, EU:T:2002:254).
164 En second lieu, s’agissant de la cohérence de la décision attaquée avec la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, il convient de rappeler que des décisions concernant d’autres affaires n’ont qu’un caractère indicatif, dès lors que les circonstances de ces affaires ne sont pas identiques (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2013, Roca Sanitario/Commission, T 408/10, EU:T:2013:440, point 64 et jurisprudence citée).
165 En toute hypothèse, la Commission est tenue de procéder à une analyse individualisée des circonstances propres à chaque affaire, sans être liée par des décisions antérieures qui concernent d’autres opérateurs économiques, d’autres marchés de produits et de services ou d’autres marchés géographiques à des moments différents (voir arrêt du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission, T 301/04, EU:T:2009:317, point 55 et jurisprudence citée). Dès lors, il ne saurait être fait grief à la Commission d’avoir porté atteinte à la cohérence de sa pratique décisionnelle compte tenu des circonstances propres à la présente affaire.
166 En tout état de cause, premièrement, il ressort de la décision C(2012) 2405 final de la Commission, du 4 avril 2012, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.6439 – AGRANA/RWA/JV), que les entreprises intégrées avaient, dans cette affaire, été considérées comme exerçant une contrainte concurrentielle en ce qu’elles étaient en mesure de réorienter et vendre une partie de leur production de jus concentré à des tiers. Or, en l’espèce, Apple ne proposait nullement son SE à des tiers. En outre, s’il ressort du considérant 115 de la décision précitée que la Commission a tenu compte de l’existence d’une contrainte concurrentielle indirecte de la part des entreprises intégrées sur les transformateurs de jus concentré, aucune différence avec la présente affaire ne saurait être constatée. La Commission a bel et bien examiné la contrainte concurrentielle indirecte provenant d’Apple pour, en fin de compte, ne pas la considérer comme pertinente pour son appréciation du fait de son insuffisance.
167 Deuxièmement, quant à l’approche suivie dans la décision C(2014) 8546 final de la Commission, du 12 novembre 2014, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.7342 – Alcoa/Firth Rixson) ; et dans la décision C(2005) 2676 final de la Commission, du 13 juillet 2005, déclarant une concentration compatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.3653 – Siemens/VA Tech), celle-ci s’avère proche de celle suivie dans la présente affaire, de sorte qu’aucune incohérence ne saurait être constatée. En effet, dans ces décisions, la Commission a examiné l’importance de la contrainte concurrentielle susceptible d’être exercée sur le marché pertinent par des entreprises verticalement intégrées.
168 Troisièmement, dans la décision C(2012) 1068 final de la Commission, du 13 février 2012, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.6381 – Google/Motorola Mobility), la Commission n’a nullement considéré que les SE mobiles avec et sans licence appartenaient au même marché. Il ressort du considérant 30 de cette décision que la Commission a préféré laisser cette question ouverte en ce que la concentration entre Google et Motorola Mobility ne soulevait pas de difficultés à cet égard.
169 Quatrièmement, il en va de même de la décision C(2009) 10033 de la Commission, du 16 décembre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire COMP/39.530 – Microsoft (vente liée)]. Si, à la lumière du considérant 17 de cette décision, il est permis de s’interroger sur la définition d’un marché englobant à la fois les systèmes d’exploitation pour ordinateur avec et sans licence, force est de relever que cette question n’a donné lieu à aucun débat. En effet, il ressort du considérant 30 de cette décision que Microsoft n’a nullement contesté détenir une position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation pour ordinateur.
170 Cinquièmement, l’examen de la décision C(2013) 8873 de la Commission, du 4 décembre 2013, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.7047 – Microsoft/Nokia), fournit un éclairage identique. Il ressort en effet du considérant 102 de cette décision que la Commission ne s’est pas prononcée sur l’existence ou non d’un marché des SE avec et sans licence.
171 Partant, il ne saurait être fait grief à la Commission d’avoir porté atteinte à la cohérence de sa pratique décisionnelle, de sorte qu’il convient de rejeter les arguments avancés à cet égard par Google.
iii) Sur le test SSNDQ
– Arguments des parties
172 Pour Google, la Commission s’est contredite quand elle a envisagé l’hypothèse d’une dégradation de la qualité d’Android dans la mesure où elle a affirmé, en parallèle, que Google avait tout intérêt à assurer la plus large diffusion des appareils Android. Google souligne également, à l’instar des parties intervenant à son soutien, que le test de dégradation de la qualité utilisé à cet égard est imprécis et qu’elle ignore ses modalités concrètes de mise en œuvre.
173 Selon la Commission, premièrement, aucune incohérence ne saurait être relevée entre le constat selon lequel la stratégie commerciale de Google était d’accroître la distribution des appareils Android et celui selon lequel Google était en mesure de tirer profit d’une dégradation de la qualité d’Android. Cette hypothèse n’impliquerait toutefois pas qu’il soit dans l’intérêt de Google de dégrader la qualité d’Android. Deuxièmement, la Commission souligne qu’elle ne saurait être tenue de définir un standard fixe de dégradation de la qualité pour mettre en œuvre le test SSNDQ, sauf à le rendre vain en pratique.
– Appréciation du Tribunal
174 Il convient d’observer que, dans la décision attaquée, la Commission a envisagé l’éventualité d’une dégradation de la qualité d’Android pour apprécier la position de Google sur le marché des SE sous licence. La Commission a indiqué à cet égard que les utilisateurs et les développeurs d’applications de SE sous licence n’étaient pas suffisamment sensibles à une dégradation de la qualité d’Android (considérant 483 de la décision attaquée). Elle a également renvoyé à cette appréciation pour définir l’étendue du marché des SE sous licence (voir considérants 243 et 267 de la décision attaquée).
175 Aussi, en substance, du fait d’une contrainte indirecte et insuffisante en ce qui concerne les utilisateurs et les développeurs d’applications, la Commission a considéré que les SE sans licence n’appartenaient pas au même marché que les SE sous licence et les entreprises exploitant les premiers, en particulier Apple, ne contrebalanceraient pas le pouvoir de marché de Google.
176 Or, tout d’abord, aux fins de définir un marché pertinent et d’évaluer, sur ce dernier, la situation concurrentielle d’une entreprise concernée, la Commission peut s’appuyer sur un faisceau d’indices, sans être tenue de suivre un ordre hiérarchique rigide des différentes sources d’information ou des différents types d’éléments de preuve à sa disposition (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2017, Topps Europe/Commission, T 699/14, non publié, EU:T:2017:2, points 80 à 82).
177 En présence d’un produit qui pouvait difficilement donner lieu au test classique du monopoleur hypothétique visant à vérifier la réponse du marché à une augmentation légère, mais significative et non provisoire du prix d’un bien (Small but Significant and Non Transitory Increase in Price), le test SSNDQ qui envisage la dégradation de la qualité du produit en cause constituait bien un indice pertinent pour définir le marché pertinent. La concurrence entre entreprises peut certes se manifester en termes de prix, mais également sur le terrain de la qualité et sur celui de l’innovation.
178 Cette hypothèse pouvait également être utilisée, aux points 9.3.4.1 à 9.3.4.3 de la décision attaquée, pour vérifier si Google, en situation de position dominante sur le marché des SE sous licence, était contrainte par la concurrence d’Apple, située à l’extérieur de ce marché. Le constat, au stade de la définition d’un marché, d’une substituabilité faible de la demande indirecte en présence d’une dégradation de la qualité d’un produit, demeurait également pertinent, au stade de l’appréciation de la position dominante, pour apprécier la contrainte provenant d’une entreprise commercialisant un produit différent, extérieur au marché ainsi défini.
179 Ensuite, la formulation de cette hypothèse n’implique nullement, comme le prétend à tort Google, que la Commission ait affirmé qu’il était dans l’intérêt de Google de dégrader la qualité d’Android. Au contraire, l’examen d’une dégradation de la qualité d’Android visait simplement à vérifier si Google subissait, en ce qui concernait les utilisateurs et les développeurs d’applications, la contrainte concurrentielle d’Apple comme cela était allégué par Google lors de la procédure administrative.
180 Enfin, la définition d’un standard quantitatif précis de dégradation de la qualité du produit ciblé ne saurait être un prérequis à la mise en œuvre du test SSNDQ. L’hypothèse d’une dégradation légère de la qualité d’Android ne nécessitait pas, comme pour le test classique du monopoleur hypothétique pour lequel une augmentation légère, mais significative et non provisoire du prix peut plus facilement être quantifiée, la fixation préalable d’un standard de dégradation précis. Seule importe l’idée selon laquelle la dégradation de la qualité demeure légère, tout en étant significative et non provisoire.
181 Partant, c’est à juste titre que la Commission a envisagé la dégradation de la qualité d’Android au moyen du test SSNDQ.
iv) Sur la fidélité des utilisateurs envers leurs SE
– Arguments des parties
182 Pour Google, la fidélité des utilisateurs n’était pas un paramètre pertinent. Si, en 2015, plus de quatre utilisateurs sur cinq ayant acquis un appareil fonctionnant sous Android s’étaient portés acquéreurs d’un nouvel appareil Android, ce n’était qu’en raison des efforts mis en œuvre par Google pour maintenir la qualité du SE. La fidélité serait ainsi fonction de la qualité d’Android, ce qu’illustreraient plusieurs preuves indûment rejetées par la Commission. Qui plus est, la Commission rejetterait de manière erronée l’utilisation du modèle économique Klemperer, laquelle démontrerait que Google subit la concurrence d’Apple pour attirer les primo-acheteurs et que cette concurrence a un impact sur le comportement pour l’ensemble des utilisateurs d’Android.
183 Selon la Commission, la fidélité des utilisateurs était un paramètre pertinent pour exclure l’hypothèse d’un report substantiel des utilisateurs vers un autre SE en cas de dégradation légère de la qualité d’Android. La Commission a rejeté de même la pertinence, en l’espèce, des résultats obtenus avec l’utilisation du modèle économique Klemperer.
– Appréciation du Tribunal
184 À cet égard, premièrement, il convient de remarquer que la fidélité des utilisateurs envers Android ne s’expliquait pas, selon la Commission, par la seule qualité du SE. Ainsi que cette dernière l’a indiqué sur la base des déclarations des FEO, citées aux considérants 524 et 534 de la décision attaquée, la fidélité élevée des utilisateurs envers Android pouvait également s’expliquer par les difficultés que rencontraient les utilisateurs pour assurer la portabilité des données personnelles ou encore par l’obligation de procéder au rachat d’applications. En particulier, comme cela a été relevé notamment par l’un de ces FEO, les utilisateurs s’habituent au fonctionnement de leur appareil intelligent et ne veulent pas réapprendre un nouveau système (voir considérant 534, point 3, de la décision attaquée). La fidélité des utilisateurs ne saurait tout autant s’expliquer par la seule qualité du SE ainsi que l’a exposé la Commission au considérant 488 de la décision attaquée, dès lors que de nombreux utilisateurs utilisaient une version d’Android non mise à jour.
185 Deuxièmement, la déclaration d’un cadre de Google, figurant en annexe à la requête, ne remet pas en cause l’importance du paramètre tiré de la fidélité des utilisateurs envers leur SE. Cette déclaration évoque notamment les efforts de Google pour répondre aux demandes des utilisateurs et des développeurs de produits Android et les différentes techniques utilisées par cette entreprise pour apprécier le risque de report des utilisateurs vers Apple. Les propos exposés à cet égard restent génériques et ne sont pas étayés, le plus souvent et pour l’essentiel, par des éléments concrets ou des données chiffrées permettant d’en mesurer la portée. S’agissant plus particulièrement des efforts évoqués par Google pour répondre aux demandes des utilisateurs, il y a lieu de relever que la satisfaction des utilisateurs ne saurait s’expliquer par le seul risque de report de ces derniers vers un autre SE, mais répond plutôt de manière générale à la stratégie de toute entreprise qui souhaite innover et répondre aux besoins de ses utilisateurs. S’assurer de la satisfaction des utilisateurs permettait également de renforcer leur fidélité pour Android.
186 Troisièmement, les éléments sur lesquels la Commission s’est fondée dans la décision attaquée révélaient certes un report vers un autre SE, mais d’une intensité relative. Certes, Google soutient que le fait que 82 % des utilisateurs d’appareils Android sont, en 2015, restés fidèles à Android lors d’un nouvel achat ne permettrait pas de conclure avec certitude que, dans l’hypothèse d’une dégradation de la qualité d’Android, ce pourcentage resterait aussi élevé. En revanche, ce fait permettait d’indiquer que, à tout le moins, le fort degré de fidélité des utilisateurs envers Android rendait, peu probable, à première vue, le report des utilisateurs vers un autre SE. De même, sans être contestée sur ce point par Google, la Commission a indiqué, au considérant 537 de la décision attaquée, que, sur la période 2013-2015, seuls 16 % des utilisateurs d’appareils mobiles Apple utilisaient, auparavant, un appareil Android. En d’autres termes, seule une petite partie des utilisateurs, non une partie substantielle d’entre eux, était susceptible de se reporter vers Apple. Les déclarations des FEO, figurant au considérant 543 de la décision attaquée, allaient dans le même sens. Si ces derniers reconnaissaient la possibilité pour les utilisateurs de se reporter vers Apple, c’était uniquement dans des hypothèses exceptionnelles, caractérisées par des changements importants.
187 En outre, si, comme l’a indiqué la Commission au considérant 538 de la décision attaquée, de nombreux utilisateurs s’étaient reportés vers Apple à la fin de 2015, c’était en raison de la sortie d’un nouvel appareil mobile intelligent disposant de nouvelles caractéristiques. En d’autres termes, le report ne s’expliquait pas par une concurrence entre SE. Une telle lecture est confirmée par un document interne de Google sur lequel celle-ci se fonde. Il ressort en effet du document intitulé « Switcher Insights » (Informations sur les commutateurs) que le report des utilisateurs résultait principalement du lancement de nouveaux appareils et non d’évolutions des SE.
188 Quatrièmement, l’utilisation du modèle économique Klemperer, visée au considérant 551 de la décision attaquée, ne permettait pas de contredire la fidélité des utilisateurs envers leur SE. Cette étude visait en effet les primo-acheteurs et ne saurait être interprétée en ce sens que les utilisateurs ne témoigneraient aucune fidélité envers leur SE une fois leur choix effectué.
189 Dès lors, la Commission pouvait, à juste titre, s’appuyer sur la fidélité des utilisateurs envers leur SE pour apprécier la portée de la contrainte concurrentielle d’Apple.
v) Sur la sensibilité des utilisateurs à la qualité du SE
– Arguments des parties
190 Google prétend, à l’instar des parties intervenant à son soutien, que les utilisateurs étaient sensibles à toute dégradation, même légère, de la qualité d’Android. La qualité serait le paramètre déterminant, non équivalent ou accessoire à d’autres paramètres, tels le prix ou l’esthétique du produit concerné, du choix des consommateurs. L’importante couverture médiatique des lancements des nouvelles versions des SE et plusieurs sondages illustreraient cet état de fait.
191 La Commission, soutenue par les parties intervenant à son soutien, précise n’avoir pas considéré que les utilisateurs étaient insensibles à toutes les variations de qualité des SE mobiles, mais a estimé qu’il était peu probable qu’ils changent leurs habitudes d’achat et se reportent vers un produit différent en réponse à une dégradation légère de la qualité d’Android. Les utilisateurs tiendraient compte d’un ensemble de paramètres et non seulement du SE. Les différents éléments invoqués par Google ne permettraient pas de soutenir la thèse opposée.
– Appréciation du Tribunal
192 Il convient d’emblée de relever que, contrairement à ce que prétend Google, la Commission n’a nullement considéré que les utilisateurs n’attachaient aucune importance au SE des appareils mobiles intelligents.
193 Ainsi, dans le prolongement de sa pratique décisionnelle, la Commission a indiqué que le SE était un paramètre important pour le choix d’un appareil mobile intelligent. La Commission a toutefois également insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas du seul paramètre pris en compte par les utilisateurs (voir considérant 483 de la décision attaquée). C’est notamment en considération de cela que la Commission a estimé, audit considérant, que, en présence d’une dégradation légère de la qualité d’Android, il était « peu probable » qu’un utilisateur change ses habitudes d’achat et se reporte d’un appareil fonctionnant avec un SE sous licence vers un appareil fonctionnant avec un SE sans licence.
194 Au-delà de ce seul constat, Google conteste deux des motifs qui sous-tendent l’appréciation de la Commission. Premièrement, sans remettre en cause le fait qu’un utilisateur décide en fonction de plusieurs paramètres, Google fait observer qu’admettre l’existence de plusieurs paramètres ne suffit pas à exclure qu’une dégradation de la qualité du SE, conduise les utilisateurs à se reporter vers des appareils fonctionnant sous un autre SE. Les résultats de plusieurs sondages attesteraient ainsi du fait que la qualité du SE était un paramètre prépondérant du choix des utilisateurs. Deuxièmement, Google fait observer que, contrairement aux considérants 488 à 490 de la décision attaquée, l’absence de report immédiat des utilisateurs en présence de retards dans l’accès aux mises à jour d’Android ne permet nullement de soutenir que les utilisateurs ne réagiraient pas à une dégradation de la qualité d’Android. L’accès aux mises à jour d’Android nécessiterait un certain temps.
195 Or, d’une part, force est de relever que les sondages évoqués par Google ne permettent pas de soutenir utilement ses prétentions. Le premier, le document intitulé « Switchers Insight », élaboré par Google et évoqué au considérant 540 de la décision attaquée, indiquait que les reports intervenaient de manière concomitante au lancement d’un nouvel appareil, et non aux évolutions des SE. Il en découle que les utilisateurs attachaient de l’importance à un ensemble de paramètres de l’appareil, et non au seul SE. Cette lecture est d’autant plus permise que le sondage révélait des taux de report différents selon les FEO.
196 Le deuxième, le sondage Kantar, évoqué au considérant 494 de la décision attaquée, indiquait que 24 % des utilisateurs d’appareils bas de gamme Android se reportaient chaque année vers un autre SE contre 14 % des utilisateurs d’appareils haut de gamme. Ce sondage révélait certes que certains utilisateurs d’appareils Google Android au Royaume-Uni s’étaient reportés vers des appareils fonctionnant sous un autre SE mobile. Toutefois, ce report ne s’expliquait pas principalement par la qualité du SE, mais par d’autres caractéristiques, comme la marque ou le modèle, le coût, la facilité d’utilisation, le réseau ou l’opérateur. Il en allait d’autant plus ainsi qu’il ressortait dudit sondage, sans que ce fait soit contesté par Google, qu’une très faible partie des utilisateurs indiquait s’être reportée vers un appareil Apple en raison de la qualité et de la marque du SE. En d’autres termes, si la qualité du SE pouvait être un paramètre important, ce n’était pas le paramètre déterminant lors de l’achat d’un nouvel appareil.
197 Le troisième, le sondage Yandex, évoqué au considérant 492 de la décision attaquée, indiquait que la plupart des utilisateurs d’appareils Android étaient fidèles audit SE en raison, en substance, de sa qualité. Ce sondage ne saurait pour autant soutenir les prétentions de Google. En effet, si 44 % des utilisateurs avaient exprimé leur fidélité à Android en raison de l’intérêt porté au SE et non à l’appareil ou à son prix, le document en question relativisait la signification de cette donnée. Ce document indiquait lui même qu’il ne saurait être exclu que, parmi ces utilisateurs, d’autres paramètres rentraient en ligne de compte, notamment la fidélité pour la marque ou les coûts induits par un report vers une autre plateforme. De même, dans ses conclusions, le sondage indiquait également qu’une dégradation faible de la qualité d’Android n’était pas déterminante dans le choix d’un appareil au stade de sa distribution.
198 D’autre part, aux considérants 488 à 490 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que de nombreux utilisateurs de SE sous licence utilisaient un appareil fonctionnant sous une version ancienne d’Android. Cette constatation n’est pas contestée par Google. Ainsi, en mai 2017, seulement 7,1 % des utilisateurs détenaient un appareil fonctionnant sous une version actualisée d’Android, laquelle version était pourtant disponible dès octobre 2016. De même, il ressort des considérants 489 et 490 de la décision attaquée que les ventes d’appareils Google Android n’étaient pas corrélées aux mises à jour de ce SE. Il en découle ainsi que les utilisateurs présentaient une sensibilité relative à une variation de la qualité d’Android, en ce que ces derniers semblaient se satisfaire de versions anciennes dudit SE.
199 Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir considéré que, en présence de paramètres multiples déterminant le choix d’un utilisateur, il était peu probable qu’une dégradation de la qualité d’Android entraîne un report des utilisateurs d’un appareil fonctionnant avec un SE sous licence vers un appareil fonctionnant avec un SE sans licence.
vi) Sur les coûts d’un report vers un autre SE
– Arguments des parties
200 Pour Google, l’obligation de procéder au rachat d’applications pour qu’elles fonctionnent sous iOS n’était pas un frein au report des utilisateurs vers ce SE. Les applications payantes ne seraient qu’une partie infime des applications téléchargées et certaines permettraient d’assurer la portabilité des abonnements souscrits. De même, Apple s’évertuerait à ce que les utilisateurs puissent changer facilement de SE en proposant des outils pour migrer les applications d’Android vers iOS.
201 Selon la Commission, de nombreux autres facteurs rendraient les utilisateurs prompts à ne pas se reporter vers un autre SE, comme la fidélité des utilisateurs pour leur SE, les caractéristiques de l’appareil et l’obligation de procéder au rachat de nouvelles applications.
– Appréciation du Tribunal
202 Il convient d’emblée de souligner que Google ne conteste pas l’ensemble des obstacles au report identifiés par la Commission au considérant 523 de la décision attaquée. Google ne se concentre que sur le besoin, mis en avant par la Commission, de télécharger et d’acheter de nouvelles applications, alors que la Commission étaye également le constat selon lequel le report vers iOS serait coûteux du fait de l’obligation pour les utilisateurs de se familiariser avec une nouvelle interface et de l’obligation de transférer une quantité importante de données.
203 Or, les arguments avancés par Google ne sauraient remettre en cause l’ensemble des appréciations figurant aux considérants 522 à 532 de la décision attaquée. D’une part, quand bien même les utilisateurs auraient dépensé peu en applications par rapport au coût d’un appareil mobile, force est de relever qu’il existerait tout de même un coût supplémentaire pour les utilisateurs qui souhaitaient se reporter vers un autre SE. Google ne le contesterait pas. Aussi faible ce coût supplémentaire fut-il, il ne saurait être éludé et constituait bel et bien un frein au report des utilisateurs.
204 D’autre part, le fait, figurant au considérant 525 de la décision attaquée, selon lequel Apple cherchait à faciliter un tel report ne saurait être interprété en ce sens que le report était effectif. Au contraire, ainsi que l’expose la Commission, le lancement d’une application par Apple aux fins de faciliter la transition d’Android à iOS révélait bel et bien que le report était source de préoccupation. La Commission note à juste titre, sans être contestée sur ce point par Google, que le report contraint les utilisateurs à se familiariser avec une nouvelle interface, rendant ce dernier nécessairement plus complexe et incertain.
205 Partant, la Commission n’a pas erronément considéré que le report vers un autre SE mobile pouvait induire un coût supplémentaire, constituant un obstacle de plus au report des utilisateurs vers Apple.
vii) Sur l’incidence de la politique tarifaire d’Apple
– Arguments des parties
206 Selon Google et les parties intervenant à son soutien, la politique tarifaire suivie par Apple n’était pas un frein au report des utilisateurs, que ces derniers utilisent des appareils haut ou bas de gamme.
207 Pour sa part, la Commission objecte, ainsi que les parties intervenant à son soutien, que la politique tarifaire d’Apple ne pouvait pas être occultée et constituait un obstacle important au report des utilisateurs, tant pour les appareils haut de gamme que pour les appareils bas de gamme.
– Appréciation du Tribunal
208 En l’espèce, les arguments avancés par Google sont les mêmes que ceux rejetés par la Commission aux considérants 512 à 521 de la décision attaquée. Pour les utilisateurs d’appareils bas de gamme, la politique tarifaire d’Apple apparaissait comme un obstacle évident. La Commission a observé, à juste titre, au considérant 513 de la décision attaquée, qu’au moins 50 % des appareils fonctionnant sous Android étaient vendus à un prix inférieur à celui des appareils Apple. Qui plus est, aux considérants 503 et 504 de la décision attaquée, la Commission a souligné que, sur la période 2009-2014, les appareils Apple coûtaient, en moyenne, près de deux fois plus que les appareils Android. Dès lors, tout report vers des appareils Apple s’accompagnait d’une dépense plus importante pour les utilisateurs d’appareils bas de gamme.
209 L’argument fondé sur le prix du modèle d’iPhone SE ne saurait à cet égard prospérer. Premièrement, si le modèle d’iPhone SE était l’appareil le moins cher vendu par Apple, à un prix autour de 400 dollars des États-Unis (USD) (environ 290 euros en 2014), il n’en restait pas moins, conformément au tableau reproduit au considérant 503 de la décision attaquée, que ce prix était toujours supérieur à la moyenne du prix de vente des appareils Android. Deuxièmement, le prix inférieur dudit iPhone sur une plateforme de vente en ligne, avancé par Google, ne correspondait nullement au prix pratiqué par Apple. Ce prix était celui pratiqué par un revendeur tiers, à un instant donné, et ne saurait donc être généralisé. Troisièmement, à la lumière du considérant 518 de la décision attaquée, le modèle d’iPhone SE avait été mis en vente à partir de mars 2016, soit à la fin de la période infractionnelle, ce que Google ne conteste pas.
210 Dès lors, la Commission n’a pas erronément considéré que la politique tarifaire d’Apple était un frein au report des utilisateurs d’appareils Android bas de gamme.
211 Une conclusion identique ne s’impose toutefois pas pour ce qui est des utilisateurs d’appareils haut de gamme, à savoir les appareils vendus dans une gamme de prix équivalente aux appareils Apple.
212 Dans la décision attaquée, la Commission a souligné, au considérant 513, que le report des utilisateurs d’appareils haut de gamme était peu probable, eu égard à leurs habitudes d’achat, aux coûts supplémentaires qu’impliquait un tel report ainsi qu’à la fidélité des utilisateurs pour leur SE. Elle a également précisé, au considérant 515 de la décision attaquée, que, même en prenant en compte un tel report, l’impact financier sur Google serait limité. En effet, Google continuait à percevoir une part importante de revenus, du fait de l’utilisation par iOS de son moteur de recherche Google Search, en raison de l’accord conclu avec Apple. À cet égard, Google prétend, au contraire, qu’elle tire une large part de ses revenus de l’utilisation d’appareils Google Android se trouvant dans une gamme de prix équivalente aux appareils Apple. Dès lors, même le report d’une faible partie d’entre eux lui serait dommageable.
213 Or, si la politique tarifaire d’Apple apparaissait comme un frein au report des utilisateurs d’appareils bas de gamme, il n’en va pas de même des utilisateurs d’appareils haut de gamme. La Commission semble reconnaître cela implicitement, dans la mesure où, au considérant 513 de la décision attaquée, pour affirmer que les utilisateurs de tels appareils ne se reporteraient pas vers les appareils Apple, elle évoque des motifs différents. La Commission n’argumente ainsi nullement au regard de la politique tarifaire d’Apple, laquelle n’est pas en soi un frein au report des utilisateurs d’appareils haut de gamme en cas d’une dégradation légère de la qualité d’Android.
214 Le constat figurant au considérant 515 de la décision attaquée, selon lequel l’impact d’un tel report en ce qui concerne les appareils haut de gamme serait financièrement limité, car les utilisateurs continueraient à faire des recherches avec Google Search sur les appareils iOS et Google retiendrait les revenus engendrés par ces recherches, n’a pas de réelle incidence sur la question de savoir si la politique tarifaire d’Apple était en mesure de contrebalancer la position de Google sur le marché des SE sous licence. En effet, ainsi que le reconnaît la Commission au considérant 540, point 1, de la décision attaquée en évoquant un exemple, la politique tarifaire d’Apple ne saurait être un frein au report des utilisateurs d’appareils haut de gamme de l’écosystème Android vers l’écosystème iOS.
215 Partant, la Commission a considéré, à juste titre, que la politique tarifaire d’Apple constituait un frein au report de la très grande majorité des utilisateurs d’appareils Android. En revanche, il ne saurait en aller de même pour les utilisateurs d’appareils haut de gamme. Cette erreur est toutefois sans conséquence, en ce que, pour ces derniers utilisateurs, leur report dépend d’autres facteurs, ainsi qu’il ressort du considérant 513 de la décision attaquée ou encore du considérant 540, point 2, et considérant 540, point 3, de la décision attaquée. Il en va notamment ainsi de la fidélité des utilisateurs à leur SE, y compris, tel qu’il ressort de la déclaration d’un des FEO reprise par la Commission au considérant 534 de la décision attaquée, l’habitude des utilisateurs au maniement de leur SE (voir points 184 à 189 ci-dessus).
viii) Sur le comportement des développeurs d’applications
– Arguments des parties
216 Google insiste sur l’importance d’être soutenue par les développeurs d’applications. Elle soutient qu’elle se devait de maintenir un niveau élevé de qualité d’Android, pour assurer aux développeurs d’applications le plus large nombre d’utilisateurs. Toute dégradation d’Android conduirait les développeurs d’applications à opérer au profit d’autres plateformes, en particulier celle d’Apple, voire à réduire leurs investissements pour Android. Une baisse de l’investissement des développeurs d’applications engendrerait une spirale négative qui conduirait au report des utilisateurs.
217 Selon la Commission, l’absence de report des utilisateurs en cas de dégradation légère de la qualité d’Android implique corrélativement l’absence de report des développeurs d’applications. Le diagramme figurant au considérant 610 de la décision attaquée permettrait au demeurant d’illustrer le fait que les développeurs d’applications se sont, depuis 2010, largement reportés d’iOS vers Android.
– Appréciation du Tribunal
218 À cet égard, il convient de relever que la Commission a exposé, à juste titre, les raisons selon lesquelles un développeur d’applications continuerait d’opérer pour Android dans le cas d’une dégradation légère de la qualité du SE. En effet, Android était la plateforme la plus répandue parmi les utilisateurs, de sorte que les développeurs d’applications avaient tout intérêt à cibler la plus grande proportion d’utilisateurs (voir considérant 553 de la décision attaquée).
219 Dans la mesure où les utilisateurs étaient peu susceptibles de se reporter vers un autre SE mobile en cas de dégradation légère de la qualité d’Android, il en irait de même pour les développeurs d’applications, lesquels ne pouvaient raisonnablement pas délaisser la majeure partie de leurs clients.
220 De même, contrairement à ce que soutient Google, le fait que les développeurs d’applications opéraient pour plusieurs SE renforçait le constat selon lequel une dégradation de la qualité d’Android n’aurait pas entraîné l’arrêt du développement d’une application pour Android.
221 Partant, la Commission n’a pas commis d’erreurs d’appréciation en considérant que les développeurs d’applications ne se détourneraient pas d’Android dans l’hypothèse d’une dégradation légère de la qualité dudit SE.
222 Par conséquent, c’est à juste titre que la Commission a considéré que l’intensité relative de la concurrence provenant d’Apple justifiait de ne pas étendre le marché pertinent à l’ensemble des SE mobiles et d’exclure toute contrainte concurrentielle par les SE sans licence du fort pouvoir détenu par Google sur le marché des SE sous licence. Qu’il s’agisse de la fidélité des utilisateurs à leur SE, de l’incidence de la politique tarifaire d’Apple, en particulier pour les utilisateurs disposant d’appareils bas de gamme, et des coûts qu’implique le report vers un autre SE, la Commission a, à juste titre, considéré que ces multiples obstacles, pris ensemble, permettaient de relativiser l’impact de la contrainte concurrentielle d’Apple sur le pouvoir de marché de Google.
2) Sur la contrainte concurrentielle de la licence AOSP
i) Arguments des parties
223 Google estime subir une contrainte concurrentielle du fait de la licence AOSP, qui permettrait le développement de parfaits substituts à Android. Ainsi, toute dégradation légère de la qualité d’Android conduirait les FEO à privilégier des versions non dégradées d’Android en accès libre. La Commission méconnaîtrait la solution consacrée dans sa décision C(2010) 142 final, du 21 janvier 2010, déclarant une concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.5529, Oracle/Sun MicroSystems) (ci-après la « décision Sun Microsystems »), où elle a considéré que la nature ouverte d’un logiciel induisait une pression concurrentielle. Par ailleurs, la stabilité des parts de marché de Google depuis 2011, qui s’expliquerait par ses efforts pour maintenir la qualité d’Android, n’aurait pas d’incidence sur la réaction des FEO en cas de dégradation légère de sa qualité. Google conteste également la pertinence des références faites dans la décision attaquée à la marque Android, qu’elle détient, à ses interfaces de programmation d’applications propriétaires (ci-après les « IPA propriétaires »), à son contrôle d’Android au moyen de tests de compatibilité, ou au fait que la grande majorité des FEO a conclu des AAF et des ADAM avec elle.
224 La Commission conteste cette argumentation. Elle rappelle notamment que Google contrôle l’accès au code source d’Android (considérants 128 à 130 de la décision attaquée). La Commission s’appuie par ailleurs sur une présentation interne d’un cadre de Google. Cette présentation clarifierait la politique suivie par Google, notamment le besoin de garder le contrôle d’Android par le développement du Play Store et de ses applications Google permettant, à terme, de rendre impossible l’émergence d’une version alternative crédible d’Android. En outre, la décision Sun Microsystems ne serait d’aucun secours, car, dans la présente affaire, les FEO qui veulent utiliser la marque Android, avoir accès au Play Store et user des applications de Google doivent conclure des accords avec cette dernière.
225 La BDZV abonde dans le sens de la Commission. Android serait le « projet ouvert le plus fermé ». La BDZV invoque le fait que Google assure le développement du code source d’Android lui-même, qu’elle contrôle la licence AOSP ainsi que la marque Android ; qu’elle contrôle sa mise en œuvre à travers les tests de compatibilité ; qu’elle a un intérêt commercial expliquant son besoin de garder le contrôle d’Android et que la nature ouverte d’Android est discutable au regard de la restriction progressive du code source.
ii) Appréciation du Tribunal
226 Force est de constater que Google surévalue la contrainte concurrentielle due à la licence AOSP. Certes, le motif figurant au considérant 568 de la décision attaquée, selon lequel les parts de marché de Google depuis 2011 n’ont cessé d’augmenter jusqu’à atteindre un niveau très élevé ne saurait être, à lui seul, suffisant pour exclure toute contrainte concurrentielle due à la licence AOSP. Le fait qu’aucune fourche Android non compatible n’a pu émerger ne permettrait pas non plus d’exclure la possibilité pour une entreprise de développer, à partir du code source, une alternative crédible à Android. Il n’en reste pas moins que, conjuguée aux autres motifs sur lesquels s’est fondée la Commission aux considérants 567 à 583 de la décision attaquée, la contrainte due à la licence AOSP pouvait être fortement relativisée.
227 Premièrement, il y a lieu de rappeler que les barrières à l’entrée pour une entreprise souhaitant développer un SE à partir du code source d’Android étaient élevées, et ce malgré la gratuité d’Android, voire à cause de cette gratuité. Ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission au considérant 569 de la décision attaquée, sans être contestée sur ce point par Google, toute entreprise souhaitant développer un SE alternatif à partir du code source Android devait engager des frais importants, conduisant vraisemblablement à proposer, dans un premier temps, une version alternative payante. Les exemples tirés du SE d’Amazon ou de la tentative de Seznam de développer son propre SE sont particulièrement probants. En d’autres termes, Google ne saurait prétendre que, dans l’hypothèse d’une dégradation légère de la qualité d’Android, les FEO auraient été en mesure de se tourner rapidement vers le code source pour parer une telle dégradation.
228 Cela est d’autant plus vrai compte tenu des AAF, qui freinaient l’émergence d’alternatives à Android comme cela a été souligné par la Commission, notamment aux considérants 572, 575 et 576 de la décision attaquée. En effet, de nombreux FEO étaient liés par de tels accords, lesquels ne leur permettaient pas de vendre des appareils mobiles fonctionnant sous des versions d’Android non approuvées par Google. Pour les signataires des AAF, à savoir en réalité une centaine de FEO dont les 30 les plus importants (voir point 849 ci-après), se tourner vers une version alternative non approuvée par Google impliquait une rupture totale avec cette dernière.
229 Deuxièmement, quand bien même des FEO auraient réussi à développer une version alternative d’Android à partir du code source d’Android, une telle version risquait de ne pas être, dans un premier temps, un concurrent crédible. Pour élaborer une telle version, une entreprise devait être en mesure de proposer plusieurs applications et également de donner accès à des interfaces de programmation d’applications suffisamment fonctionnelles, ainsi que l’a indiqué la Commission au considérant 576 de la décision attaquée. Google ne remet au demeurant pas en cause les déclarations reprises par la Commission aux considérants 576 et 577 de la décision attaquée, selon lesquelles les applications et les IPA propriétaires de Google, du fait notamment de son pouvoir de marché dans les services de recherche générale, étaient commercialement importantes pour les fabricants. Répliquer ces applications et les interfaces de programmation d’applications correspondantes demandait ainsi du temps et un investissement important. En d’autres termes, l’émergence d’une version alternative crédible s’avérait fortement incertaine.
230 Google prétend à cet égard qu’une version alternative d’Android pouvait bénéficier de ses IPA propriétaires. Toutefois, à supposer une telle possibilité avérée, Google ne contredit pas l’appréciation, figurant au considérant 576 de la décision attaquée, selon laquelle l’accès aux applications et à ses IPA propriétaires était subordonné à la conclusion d’un AAF, permettant ainsi à Google de superviser les versions alternatives d’Android.
231 Troisièmement, la décision Sun Microsystems ne remet pas en cause l’analyse qui précède. En effet, ainsi que le fait valoir la Commission, les circonstances diffèrent entre cette affaire et la présente affaire. Certes, au considérant 749 de ladite décision, la Commission a tenu compte de la contrainte concurrentielle provenant de logiciels élaborés à partir du code source d’un logiciel de Sun Microsystems, Inc. pour examiner le pouvoir de marché de l’entité issue de la concentration. De même, au considérant 252 de la décision attaquée, sur lequel Google se fonde, la Commission a reconnu que le détenteur d’un logiciel ouvert était contraint par des développeurs indépendants qui étaient en mesure de proposer des améliorations ou des correctifs audit logiciel. Il n’en reste pas moins que, dans la présente affaire, la nature ouverte d’Android n’est pas comparable à celle du logiciel en cause dans la décision Sun Microsystems. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 128 de la décision attaquée, la version ouverte d’Android disponible n’est pas nécessairement la dernière version d’Android proposée par Google. De même, le fait de proposer des améliorations d’Android à partir du code source s’avère difficile en pratique, sauf à se lier davantage avec Google aux fins d’obtenir notamment l’accès à ses applications ainsi qu’à ses IPA propriétaires. Il ressort de ce qui précède que le caractère ouvert d’Android ne constitue pas une contrainte concurrentielle comparable à celle qui était caractérisée dans la décision Sun Microsystems.
232 Enfin, il n’y a pas lieu de donner suite à l’argument de Google présenté dans la réplique selon lequel la Commission se contredirait parce que, d’une part, elle affirmerait qu’« une variante d’Android a besoin d’avoir accès aux marques Android et aux applications Play Store et Google Search pour représenter une menace crédible », alors que, d’autre part, il est considéré, au titre de l’abus sur le marché mondial, hors Chine, des boutiques d’applications Android, d’une part, et sur les marchés nationaux des services de recherche générale, d’autre part, en conditionnant la licence du Play Store et de Google Search à l’acceptation des OAF (ci-après le « deuxième abus »), que les « fourches incompatibles », qui ne disposent pas de cet accès, « constituent une menace concurrentielle crédible » (voir considérant 1036, point 1, de la décision attaquée). En effet, comme cela est exposé par la Commission, pour apprécier la contrainte concurrentielle susceptible d’être jouée par la licence AOSP, il y a lieu de tenir compte du fait que pour pouvoir vendre leurs appareils fonctionnant avec des fourches compatibles et mettre en œuvre les IPA propriétaires de Google, les FEO doivent conclure un AAF et un ADAM. Dès lors, dans la mesure où ces FEO sont liés par des AAF dont la durée est généralement de cinq ans (considérants 168, 169 et 1078 de la décision attaquée), ceux-ci ne peuvent s’appuyer librement sur le code source Android pour créer des fourches. Il ne leur serait donc pas permis de lancer rapidement et à tout moment un appareil fonctionnant sous une telle fourche.
233 Ainsi, c’est à juste titre que la Commission a conclu que la nature ouverte de la licence AOSP ne constituait pas une contrainte concurrentielle suffisante pour contrebalancer la position dominante occupée par Google sur le marché des SE sous licence.
234 Par conséquent, la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
3. Sur la deuxième branche visant la domination des boutiques d’applications Android
235 Outre le marché des SE sous licence, la Commission a également envisagé le marché des boutiques d’applications Android. Pour définir ce marché, la Commission a inclus, aux considérants 268 à 322 de la décision attaquée, l’ensemble des boutiques d’applications destinées aux appareils Google Android ainsi que les boutiques d’applications destinées aux autres appareils fonctionnant sous Android. En revanche, premièrement, la Commission a exclu l’appartenance d’un ensemble d’applications, notamment téléchargeables directement à partir de l’internet, au même marché qu’une boutique d’applications. Deuxièmement, la Commission a écarté les boutiques des autres SE avec licence ainsi que celles des SE sans licence.
236 Sur le marché des boutiques pour Android, la Commission a considéré, par la suite, que Google détenait une position dominante avec le Play Store. Ainsi qu’il ressort des considérants 590 à 673 de la décision attaquée, la Commission s’est fondée sur les parts de marché de Google, sur le nombre et la popularité des applications téléchargeables ainsi que sur l’accessibilité aux mises à jour, sur l’obligation d’utiliser le Play Store pour bénéficier des services de Google Play, sur l’existence de barrières à l’entrée, sur l’absence d’une puissance d’achat compensatrice des FEO ainsi que sur l’existence d’une contrainte concurrentielle insuffisante des boutiques d’applications pour les SE mobiles sans licence.
237 Par la deuxième branche du premier moyen, Google concentre ses arguments sur l’examen, par la Commission, au point 9.4.7 de la décision attaquée, de l’intensité de la contrainte concurrentielle des boutiques des SE mobiles sans licence.
a) Arguments des parties
238 Tout d’abord, Google souligne qu’Android et le Play Store étaient interdépendants. Ils se devaient d’être simultanément compétitifs : la dominance de l’un ne peut être dissociée de celle de l’autre. La Commission le reconnaîtrait aux considérants 299, 305 et 594 de la décision attaquée. HMD, l’ADA et la CCIA confirment cette lecture et soulignent que, en occultant la concurrence entre les « systèmes » Android et Apple et en n’appréciant pas la concurrence au niveau global, la décision attaquée s’éloigne de la réalité des faits.
239 Ensuite, en dissociant le Play Store d’Android, la Commission aurait, ensuite, omis de tenir compte de la concurrence exercée par Apple. Or, cette dernière est la cause du développement du Play Store aux fins de maintenir ladite boutique à un niveau de qualité élevé. L’arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T 691/14, sous pourvoi, EU:T:2018:922), confirmerait qu’un tel schéma d’innovation implique l’existence d’une concurrence. Si Google détenait, comme le prétend la Commission, une position dominante, elle se serait abstenue d’innover et une dégradation de la qualité du Play Store aurait pu être observée. De même, l’affirmation au considérant 660 de la décision attaquée selon laquelle le développement du Play Store ne s’explique pas par un phénomène d’innovation, mais davantage par la mise en œuvre de tendances technologiques ou par un alignement de l’un sur les caractéristiques de l’autre serait non démontrée et erronée. À supposer qu’il soit fondé, un tel constat corroborerait l’existence d’une concurrence entre Google et Apple.
240 Enfin, contrairement à l’affirmation figurant aux considérants 290 et 668 de la décision attaquée, Google souligne, à l’instar de l’ADA, ne pas pouvoir augmenter de manière profitable le montant des frais à la charge des développeurs d’applications. De la même manière qu’elle ne peut dégrader la qualité d’Android, elle ne peut tirer un quelconque profit d’une augmentation des frais à leur charge sauf à intensifier la concurrence provenant d’Apple. La preuve en serait la réduction de 15 % opérée par Google, durant la période de prétendue dominance, des frais à la charge des développeurs d’applications pour s’aligner sur celle décidée par Apple.
241 La Commission et les parties intervenant à son soutien contestent le bien-fondé des arguments soulevés par Google. D’une part, les arguments de Google seraient erronés en ce qu’ils éludent notamment le fait que les utilisateurs ne peuvent pas utiliser des boutiques d’applications pour d’autres SE, ainsi que cela ressort du considérant 299, point 2, de la décision attaquée, et en ce que le Play Store domine le marché des boutiques d’applications Android.
242 D’autre part, aucun élément de preuve ne permettrait d’établir que le développement du Play Store a été stimulé par les évolutions de l’App Store d’Apple. En tout état de cause, d’autres éléments de preuve cités dans la décision attaquée permettraient d’établir la position dominante du Play Store sur le marché des boutiques d’applications Android. De même, les éléments de preuve cités dans la décision attaquée pour expliquer à quel titre Google pourrait augmenter les prix pour les développeurs d’applications sans que cela entraîne de répercussions demeureraient valables. Compte tenu notamment de l’augmentation de la part des appareils Google Android dans les ventes mondiales d’appareils mobiles intelligents, qui est passée de 48 % en 2011 à 81 % en 2016, les développeurs ne souhaiteraient pas renoncer à l’accès à une base d’utilisateurs aussi vaste et en expansion. Les développeurs d’applications ne cesseraient pas de distribuer des applications par l’intermédiaire du Play Store en cas de hausse des prix.
b) Appréciation du Tribunal
243 En premier lieu, il convient de relever que Google ne conteste qu’un nombre limité de motifs de la décision attaquée. Les griefs ne portent pas sur l’ensemble des éléments ayant conduit la Commission à considérer que Google occupait par l’intermédiaire du Play Store une position dominante sur le marché des boutiques d’applications pour Android. Google se concentre exclusivement sur l’absence de prise en compte par la Commission de la contrainte concurrentielle provenant d’Apple.
244 Dans ce contexte, Google vise les considérants 299 et suivants de la décision attaquée qui sont relatifs à la définition du marché et à l’exclusion de tout système entre Android et le Play Store. Selon Google, la Commission aurait commis une erreur d’appréciation en rejetant l’existence d’un tel système, lequel serait en concurrence avec le système Apple, à savoir celui entre iOS et l’App Store.
245 Toutefois, il importe de relever que, aux considérants 299 et suivants de la décision attaquée, la Commission a envisagé l’existence d’un système entre Android et le Play Store, non pour rejeter l’hypothèse d’une concurrence provenant d’Apple, mais pour relativiser la concurrence provenant de boutiques d’applications dédiées aux autres SE avec licence et provenant d’autres boutiques d’applications dédiées à Android. En d’autres termes, la Commission n’abordait pas formellement, aux considérants 299 et suivants de la décision attaquée, la question de l’existence d’une concurrence entre le système Android et le système Apple.
246 En second lieu, pour ce qui est de l’examen de la contrainte concurrentielle provenant de l’App Store, la question de l’existence d’un système entre Android et le Play Store se pose en des termes différents. En effet, contrairement à Android, iOS ne disposait que d’une seule boutique d’applications et ne saurait, pour ce seul motif, en être dissocié. En ce sens, le Play Store et l’App Store se faisaient tous les deux concurrence à travers le système auquel ces boutiques appartenaient, Android et iOS respectivement.
247 Confronté au système Apple, et aux fins d’apprécier la contrainte concurrentielle de l’App Store, le Play Store ne saurait être également dissocié d’Android. Il en va d’autant plus ainsi que Google conditionne l’accès au Play Store à la conclusion d’un AAF, lequel permet d’associer le Play Store aux seules versions d’Android qui satisfont à son test de compatibilité.
248 Il découle de ce qui précède qu’apprécier, en ce qui concerne les utilisateurs et les développeurs d’applications, la contrainte concurrentielle de l’App Store sur le Play Store revient à tenir compte de la contrainte concurrentielle d’iOS sur Android, ce que Google a, en réponse à une question du Tribunal posée lors de l’audience de plaidoiries, expressément reconnu.
249 La contrainte concurrentielle de l’App Store sur le Play Store était en effet fonction de celle d’iOS sur Android. Outre le fait que le SE est un prérequis au fonctionnement d’un appareil mobile, le bon fonctionnement et la variété des applications disponibles dépendent également de sa qualité.
250 Cette réalité, qui conduit à apprécier la concurrence entre systèmes, se vérifie à la lecture de la décision attaquée. La Commission a considéré, au considérant 656 de la décision attaquée, que l’App Store n’exerçait pas de contrainte concurrentielle suffisante sur le Play Store en renvoyant notamment au point 9.3.4, au terme duquel elle a considéré qu’iOS n’exerçait pas, du point de vue des utilisateurs, une contrainte concurrentielle suffisante sur Android.
251 De même, du point de vue des développeurs d’applications, la Commission s’est fondée sur des motifs en substance identiques aux considérants 552 à 555 et 668 à 670 de la décision attaquée pour considérer respectivement qu’iOS exerçait une contrainte concurrentielle insuffisante sur Android et que l’App Store exerçait une contrainte de même intensité sur le Play Store. Ce recoupement des motifs ressort d’autant plus des considérants 553 et 668 de la décision attaquée, lesquels renvoient tous deux au considérant 290 relatif à la non-appartenance de l’App Store au même marché que le Play Store.
252 Ainsi, le bien-fondé de la deuxième branche du premier moyen dépend du bien-fondé de la première branche, par laquelle Google reproche à la Commission d’avoir méconnu la contrainte concurrentielle exercée par iOS sur Android en ce qui concernait les utilisateurs et les développeurs d’applications. En effet, il s’avère logiquement exclu qu’une contrainte concurrentielle exercée par l’App Store sur le Play Store diverge en intensité de celle exercée par iOS sur Android. Dans les deux cas, les données prises en compte pour apprécier l’intensité de la contrainte concurrentielle sont identiques.
253 Or, dans la mesure où les arguments soulevés par Google au soutien de la première branche du premier moyen ont été rejetés comme étant non fondés, confirmant ce faisant les motifs de la décision attaquée portant sur l’absence de concurrence suffisante exercée par l’iOS d’Apple sur Android, les arguments soulevés par Google au soutien de la deuxième branche du premier moyen ne sauraient par voie de conséquence prospérer.
254 Dès lors, il convient de rejeter la deuxième branche du premier moyen comme étant non fondée.
4. Sur la troisième branche visant la contradiction entre la domination des services de recherche fournis aux utilisateurs et la théorie de l’abus, qui concerne les licences d’application de recherche aux FEO
a) Arguments des parties
255 À l’appui de cette branche, Google fait valoir que l’appréciation relative à la domination exercée sur les marchés de services de recherche générale ne correspond pas à la théorie de l’abus retenue par la décision attaquée. En effet, la Commission soulignerait au considérant 674 de la décision attaquée que Google est dominante pour les services de recherche générale fournis aux utilisateurs, mais les comportements contestés aux considérants 877 et 1016 de la décision attaquée ne concerneraient que les licences d’applications de recherche générale aux FEO, non aux utilisateurs.
256 La décision attaquée n’établirait pas que Google domine le « marché » de l’octroi aux FEO de licences pour des applications de recherche générale, ce qui, en pratique, ne serait pas le cas. Les FEO n’auraient pas nécessairement à placer l’application Google Search sur leurs appareils, car ce service de recherche est librement et facilement accessible sur l’internet. De même, un utilisateur, qui achète un appareil sans l’application Google Search, pourrait aisément y accéder. Un FEO pourrait également créer et installer une icône conduisant à la page d’accueil de Google dans un navigateur. En l’absence d’un constat de dominance pour les licences d’applications de recherche aux FEO, le fait de conditionner la licence de l’application Google Search à l’acceptation par les FEO des OAF et à la préinstallation de Chrome en vertu de l’ADAM ne pourrait pas être considéré comme étant abusif. Il en irait ainsi tout autant pour ce qui est du partage par Google de certains de ses revenus publicitaires en contrepartie de la préinstallation exclusive par les FEO et les ORM concernés de Google Search.
257 La Commission soutient de manière générale que les conclusions concernant la domination exercée par Google sur les marchés de services de recherche générale concordent avec les abus constatés. En tout état de cause, il ne pourrait pas être soutenu que, sous prétexte que les recherches générales sont effectuées par les utilisateurs, aucun abus ne pourrait se produire au regard de la position dominante détenue sur les marchés de services de recherche générale en raison du comportement de Google à l’égard des FEO. La Commission ne se fonderait pas sur la forme que prend l’abus, mais sur la similarité des faits, dès lors que le comportement de Google a eu lieu au niveau des FEO mais concerne un produit utilisé par les consommateurs.
b) Appréciation du Tribunal
258 Le grief tiré d’une contradiction entre les abus identifiés par la Commission aux considérants 877 et 1016 de la décision attaquée et la position dominante de Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale ne saurait utilement prospérer.
259 En premier lieu, il convient, en effet, de relever que les abus identifiés par la Commission aux considérants 877 et 1016 de la décision attaquée l’ont été en considération de la position dominante détenue par Google tant sur les marchés nationaux des services de recherche générale que sur le marché des boutiques d’applications Android. Dès lors, à supposer que ces abus reposaient erronément sur la position dominante qu’occupait Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale, force est de constater qu’ils reposaient également sur la position dominante de Google sur le marché des boutiques d’applications Android, laquelle n’a pas été remise en cause par les arguments présentés par Google au titre de la deuxième branche du premier moyen.
260 En second lieu, en tout état de cause, indépendamment du constat selon lequel les abus identifiés par la Commission aux considérants 877 et 1016 de la décision attaquée procédaient également de la position dominante de Google sur le marché des boutiques d’applications pour Android, force est également de relever que les pratiques en cause étaient intiment liées à la position dominante de Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale. Google Search étant un produit que les utilisateurs d’appareils Google Android s’attendaient à avoir, Google profitait de son pouvoir sur les marchés nationaux des services de recherche générale aux fins de fournir cette application aux signataires des ADAM.
261 Ainsi, contrairement à ce que prétend Google, les abus identifiés par la Commission aux considérants 877 et 1016 de la décision attaquée, qui se matérialisaient certes dans les relations entre Google et les signataires des ADAM, étaient bien dirigées, en réalité, vers les utilisateurs et les marchés nationaux des services de recherche générale, sur lesquels Google détenait une position dominante. Le fait que les pratiques en cause concernaient la fourniture de Google Search aux signataires des ADAM ne remet pas en cause ce constat. Google Search constituait une porte d’entrée importante vers les services de recherche générale de Google, les signataires des ADAM agissant, dans ce cadre, comme intermédiaires entre Google et ses utilisateurs.
262 En d’autres termes, la position dominante de Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale constituait tant le point de départ que l’objectif des pratiques examinées aux considérants 877 et 1016 de la décision attaquée (voir notamment considérant 1341 de la décision attaquée), lesquelles tendaient en réalité, selon la Commission, à préserver et à accroître le pouvoir détenu par Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale ainsi qu’à prévenir l’apparition sur ce marché de tout concurrent.
263 Partant, aucune contradiction ne saurait être constatée entre les abus identifiés par la Commission aux considérants 877 et 1016 de la décision attaquée et la position dominante de Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale.
264 Une telle lecture s’impose, également, en ce qui concerne la prétendue incohérence entre l’abus identifié, au considérant 1192 de la décision attaquée, au titre des APR par portefeuille et la position dominante détenue par Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale.
265 Alors que les abus identifiés aux considérants 877 et 1016 de la décision attaquée sont considérés par la Commission comme des groupements de produits ou d’obligations, l’abus identifié au considérant 1192 de la décision attaquée, visait, par le biais des APR par portefeuille, le partage des revenus publicitaires perçus par Google du fait de son activité sur les marchés nationaux des services de recherche générale. Les APR par portefeuille dépendaient donc nécessairement du pouvoir détenu par Google sur ces marchés. En outre, si les APR par portefeuille avaient trait aux relations entretenues par Google avec les signataires de ces contrats, lesquels ne pouvaient alors plus préinstaller une application concurrente de Google Search, force est à nouveau de relever que ces signataires, en souscrivant une telle obligation, permettaient à Google de renforcer sa position sur les marchés nationaux des services de recherche générale à destination des utilisateurs.
266 Partant, aucune contradiction ne saurait être constatée entre l’abus identifié par la Commission au considérant 1192 de la décision attaquée et la position dominante de Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale.
267 Dès lors, il convient de rejeter la troisième branche du premier moyen comme étant non fondée ainsi que, par conséquent, le premier moyen dans son ensemble.
5. Sur la pertinence relative de la concurrence entre écosystèmes pour les besoins de la présente affaire
268 Il ressort de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble. En particulier, s’agissant des première et deuxième branches dudit moyen, il s’avère que c’est à juste titre que la Commission a considéré que la pression concurrentielle indirecte exercée par Apple sur Google restait insuffisante.
269 En outre, il convient de relever que, si, au soutien des première et deuxième branches du premier moyen, Google conteste, isolément, la définition ainsi que sa position subséquente sur les marchés des SE sous licence et des boutiques d’applications Android, ses arguments évoquent également la nécessité de prendre en compte la réalité de la concurrence entre écosystèmes.
270 En effet, dans la décision attaquée, la Commission a reconnu que l’iOS tout comme l’App Store d’Apple pouvaient exercer un certain degré de contrainte sur Google (considérants 242, 243 et 322 de la décision attaquée). L’« écosystème » de Google, caractérisé par la relation entre le SE Android et le Play Store, aurait ainsi été concurrencé par l’« écosystème » d’Apple, caractérisé par la relation entre l’iOS et l’App Store.
271 Dans ce contexte, selon Google, les contraintes exercées par Apple au moyen de iOS et de l’App Store, qui ne font pas l’objet de licences, ne lui auraient pas permis de se comporter dans une mesure appréciable indépendamment de ce concurrent, notamment pour ce qui concernait la détermination des positions dominantes que la Commission lui aurait attribuées sur les marchés mondiaux hors Chine des SE sous licence et des boutiques d’applications Android.
272 Or, à cet égard, il importe de tenir compte du fait qu’Apple n’est pas a priori susceptible d’influencer la position dominante de Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale. En effet, ainsi qu’il ressort notamment des considérants 118 à 199 et 515 de la décision attaquée, Apple bénéficiait, durant la période infractionnelle, d’un accord de partage de recettes conditionné à la définition par défaut de Google Search sur son navigateur Internet mobile, Safari. Du fait de cet accord, Apple n’était donc pas incitée à intervenir sur ces marchés pour concurrencer Google Search dans la mesure où l’utilisation de ce moteur de recherche par les utilisateurs des appareils fonctionnant sous iOS était source pour elle de revenus conséquents.
273 Si cet accord ne faisait certes pas l’objet de la procédure, il pouvait néanmoins être pris en considération dans la décision attaquée, comme l’a fait la Commission, en tant qu’élément factuel permettant de mieux apprécier la situation de puissance économique de Google et sa capacité à se comporter, d’une manière appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs.
C. Sur le deuxième moyen, relatif aux premiers abus, tiré de l’appréciation erronée du caractère abusif des conditions de préinstallation de l’ADAM
274 Par le deuxième moyen du recours, divisé en deux branches, Google soutient que la Commission a conclu erronément à la nature abusive des conditions de préinstallation de l’ADAM, lesquelles subordonnent l’obtention du Play Store à la préinstallation de l’application Google Search et l’obtention du Play Store et de l’application Google Search à la préinstallation du navigateur Chrome (ci-après les « premiers abus »).
1. Éléments de contexte
275 À titre liminaire, afin de répondre aux arguments des parties, il y a lieu d’exposer, premièrement, les conditions requises pour conclure que les pratiques en cause constituent un abus de position dominante, deuxièmement, les différents éléments exposés par la Commission dans la décision attaquée pour caractériser les effets d’éviction produits par ces pratiques et, troisièmement, les rapports entre ces pratiques.
a) Notions de pratique abusive, d’effets d’éviction et de vente liée, notamment au regard de l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289)
276 Il n’est pas illégal en soi pour une entreprise d’occuper une position dominante et de participer au jeu de la concurrence par ses mérites.Ce n’est que dans certaines circonstances, celles où, par exemple, son comportement produit des effets d’éviction qui ne relève pas d’une telle concurrence que ce comportement constitue un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE.
277 En effet, l’article 102 TFUE n’a aucunement pour but d’empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, une position dominante sur un marché. Cette disposition ne vise pas non plus à assurer que des concurrents moins efficaces que l’entreprise occupant une position dominante restent sur le marché (voir arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, EU:C:2017:632, point 133 et jurisprudence citée).
278 Ainsi, tout effet d’éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence. Par définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l’innovation (voir arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, EU:C:2017:632, point 134 et jurisprudence citée).
279 Il incombe toutefois à l’entreprise qui détient une position dominante de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence par les mérites dans le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, EU:C:2017:632, point 135 et jurisprudence citée).
280 C’est pourquoi l’article 102 TFUE interdit, notamment, à une entreprise occupant une position dominante de mettre en œuvre des pratiques produisant des effets d’éviction pour ses concurrents considérés comme étant aussi efficaces qu’elle-même, renforçant sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites. Dans cette perspective, de même que pour toute concurrence par le prix, toute concurrence jouant sur d’autres paramètres ne peut donc être considérée comme légitime (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, EU:C:2017:632, point 136 et jurisprudence citée).
281 Les effets d’éviction caractérisent des situations où l’accès effectif des concurrents actuels ou potentiels aux marchés ou à ses composantes est entravé ou supprimé sous l’effet du comportement de l’entreprise dominante, permettant ainsi à cette dernière d’influencer négativement, à son profit et au détriment des consommateurs, les différents paramètres de la concurrence, tels que les prix, la production, l’innovation, la variété ou la qualité des biens ou des services.
282 Le fait que le comportement d’une entreprise occupant une position dominante produise des effets d’éviction sur des marchés autres que le marché dominé ne fait pas obstacle à l’application de l’article 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C 333/94 P, EU:C:1996:436, point 25 et jurisprudence citée).
283 En l’espèce, les pratiques en cause au titre des premiers abus sont des ventes liées. Il s’agit d’une pratique courante dans la vie des affaires qui vise généralement à proposer aux clients de meilleurs produits ou d’offres de façon plus économique. Une vente liée consiste pour une entreprise dominante à subordonner la vente d’un produit donné (le produit liant) à l’acquisition d’un autre produit (le produit lié). Celle-ci peut produire des effets d’éviction sur le marché lié, le marché liant ou les deux à la fois. En effet, une entreprise qui occupe une position dominante sur un ou plusieurs marchés de produits (marché du produit liant) peut léser les consommateurs du fait de cette pratique, en ce qu’elle verrouille le marché des autres produits faisant l’objet de la vente liée (marché du produit lié) et, indirectement, le marché liant.
284 À cet égard, afin d’apprécier le caractère abusif de telles pratiques, il a déjà été jugé que la Commission pouvait se fonder sur les éléments suivants (arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T 201/04, EU:T:2007:289, point 869) :
– premièrement, le produit liant et le produit lié sont deux produits distincts ;
– deuxièmement, l’entreprise concernée détient une position dominante sur le marché du produit liant ;
– troisièmement, ladite entreprise ne donne pas aux consommateurs le choix d’obtenir le produit liant sans le produit lié ;
– quatrièmement, la pratique en cause « restreint la concurrence » ;
– cinquièmement, cette pratique n’est pas objectivement justifiée.
285 S’agissant, en particulier, de la quatrième condition mentionnée au point 284 ci-dessus tenant à la restriction de concurrence, le Tribunal a rappelé, d’une part, au point 867 de l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289), le contenu de la jurisprudence antérieure selon lequel, « par principe, un comportement ne sera considéré comme abusif que s’il est susceptible de restreindre la concurrence ».
286 Cependant, au point 868 de l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289), le Tribunal a également relevé, d’autre part, que, dans la décision qui était attaquée dans ladite affaire, « la Commission a[vait] estimé que, compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce, elle ne pouvait se contenter de considérer – comme elle le fai[sait] normalement dans les affaires en matière de ventes liées abusives – que la vente liée d’un produit donné et d’un produit dominant a[vait] un effet d’exclusion sur le marché per se » et que, dans de telles circonstances, « [la Commission] a[vait], dès lors, examiné plus en avant les effets concrets que la vente liée en cause avaient déjà eus sur le marché [en cause] ainsi que la manière dont ce marché était appelé à évoluer » (voir, également en ce sens, arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T 201/04, EU:T:2007:289, point 1035).
287 Afin d’expliquer pourquoi la Commission avait examiné les effets concrets de la vente liée sur le marché en cause, le Tribunal a noté que la Commission avait considéré ce qui suit dans la décision qui était attaquée dans ladite affaire (arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T 201/04, EU:T:2007:289, point 977) :
« Il y a […] des circonstances qui justifient, pour ce qui est de la vente liée du lecteur [Windows Media Player], un examen plus attentif des effets que cette pratique produit sur la concurrence. Alors que, dans les cas classiques de ventes liées, la Commission et le juge [de l’Union] ont estimé que la vente liée d’un produit distinct avec le produit dominant était l’indice de l’effet d’exclusion que cette pratique avait sur les concurrents, [il doit être relevé que,] en l’espèce, les utilisateurs peuvent se procurer – et se procurent dans une certaine mesure – des lecteurs multimédias concurrents [de Windows Media Player] sur internet, et ce parfois gratuitement. Il existe donc de bonnes raisons de ne pas tenir pour acquis, sans un complément d’analyse, le fait que la vente liée de Windows Media Player constitue un comportement susceptible, par nature, de restreindre la concurrence. »
288 En conséquence, au point 869 de l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2077:289), le Tribunal a considéré que la question de la vente liée en cause devait être appréciée au regard des conditions énoncées dans la décision qui était attaquée dans ladite affaire (reprise aux points 842 et 843 dudit arrêt), dont celle tenant au fait que la pratique en cause « restrei[gnait] la concurrence ».
289 En l’espèce, dans la décision attaquée, la Commission se réfère à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289), pour exposer les conditions requises pour caractériser les premiers abus (considérants 741 et 742 de la décision attaquée).
290 En particulier, s’agissant de la quatrième condition mentionnée au point 284 ci-dessus, la Commission, après avoir indiqué dans la décision attaquée que, selon la jurisprudence antérieure à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289), la démonstration des effets anticoncurrentiels n’étaient pas exigée dans les « cas classiques » de ventes liées, a indiqué, en substance, que la quatrième condition requise pour constater une vente liée était, en principe, satisfaite quand la pratique en cause « [était] susceptible [ou capable] de restreindre la concurrence » [voir considérant 749 et note en bas de page n° 813 qui se réfère à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, (T 201/04, EU:T:2007:289, point 867)].
291 À cet égard, ainsi qu’il sera examiné par la suite, il s’avère dans la présente affaire que, sous couvert de l’application d’un critère formulé comme étant celui de la « capacité à restreindre la concurrence » formulé avec un renvoi au point 867 de l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289), la Commission a également pris soin d’exposer concrètement dans la décision attaquée les différents éléments qui, selon elle, permettaient d’établir la réalité des effets d’éviction allégués, conformément au point 868 dudit arrêt.
292 En effet, comme l’a fait valoir Google dans la présente affaire, il est aisé pour les utilisateurs de se procurer des applications concurrentes de recherche générale ou de navigation de celles qui font l’objet des ventes liées. Ce fait est reconnu par toutes les parties en cause, le débat ne portant pas sur la possibilité pour les utilisateurs de télécharger facilement de telles applications, mais sur les incitations qu’ils pourraient avoir à le faire (voir considérant 917 de la décision attaquée).
293 Dans ces circonstances, comme cela a été exposé par le Tribunal et confirmé par les parties lors de l’audience, il ressort effectivement de la décision attaquée que la Commission s’est efforcée de caractériser une restriction de concurrence non pas seulement « potentielle » ou « éventuelle », mais aussi « réelle » ou « concrète » en ce qui concernait certains de ses aspects. Selon la Commission, à compter de l’année 2011 ou d’août 2012 jusqu’à juillet 2018, les pratiques en cause ont produit les effets d’éviction recensés dans la décision attaquée, lesquels s’avéraient préjudiciables à la concurrence par les mérites.
294 À titre d’exemple, la Commission conclut ainsi que ces pratiques ont notamment eu pour effet de « rendre plus difficile », pour les services de recherche concurrents, l’obtention de demandes de recherche ainsi que des revenus et des informations nécessaires pour permettre l’amélioration de leurs services (considérant 859 de la décision attaquée), qu’elles « ont augmenté les barrières à l’entrée » en protégeant Google de la concurrence des autres services de recherche (considérant 861 de la décision attaquée) et qu’elles « ont diminué les incitations » à l’innovation que souhaitaient proposer les concurrents commercialisant un service de recherche spécialisé dans une langue ou visant une groupe particulier d’utilisateurs (voir considérants 862 et 1213 de la décision attaquée, ce dernier citant Seznam, DuckDuckGO, Qwant et Kikin’s « touch to search »).
295 En l’espèce, c’est donc à juste titre que la Commission a considéré, tout comme dans la décision ayant donné lieu à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289) (voir point 286 ci-dessus), qu’un examen attentif des effets concrets ou un complément d’analyse, selon la terminologie utilisée par le passé à cet égard, était requis avant de conclure que les ventes liées en cause étaient nuisibles pour la concurrence. Un tel examen présente l’intérêt, d’une part, de diminuer le risque que soit sanctionné un comportement qui n’est pas réellement préjudiciable à la concurrence par les mérites et, d’autre part, de mieux préciser la gravité du comportement en cause, ce qui facilitera la détermination du niveau approprié d’une sanction éventuelle.
296 Ainsi, étant donné que les pratiques en cause se sont déroulées sur une longue période et ont eu, selon la décision attaquée, des effets concrets observables sur les marchés pertinents, l’intérêt d’une définition plus vague de la notion de « restriction de concurrence » sous l’intitulé de sa « capacité à restreindre la concurrence » s’avère moins important qu’il ne peut l’être dans d’autres circonstances.
297 Il ne s’agit pas pour la Commission d’effectuer une analyse prospective qui reposerait sur des effets qui vont se dérouler en considération d’hypothèses non encore vérifiables en pratique, comme cela peut être le cas dans d’autres circonstances [voir, par exemple, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 145].
298 En outre, en présence de comportements mis en œuvre pendant plusieurs années, la Commission peut établir une restriction de concurrence en considérant que ces pratiques ont éliminé ou entravé des sources de concurrence qui, en son absence, seraient intervenues ou se seraient développées. Il n’est donc pas contesté que les effets réels et concrets des pratiques en cause, effets qui sont intervenus par le passé, s’apprécient aussi bien au regard de la concurrence actuelle à laquelle l’entreprise en position dominante devait faire face qu’au regard de la concurrence potentielle qui n’a pas pu apparaître en raison des pratiques d’exclusion.
299 En conséquence, la différence entre « restriction de concurrence » et « capacité à restreindre la concurrence » n’a pas d’incidence sur la démonstration dans les cas où, comme en l’espèce, la Commission a caractérisé la restriction de concurrence en considération des effets occasionnés par la mise en œuvre des pratiques en cause sur une période significative, ces effets pouvant être observés et permettre à la Commission de déterminer la nature et la portée de l’éviction anticoncurrentielle qu’ils produisent et au Tribunal de contrôler ces appréciations.
b) Décision attaquée
300 Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les premiers abus étaient constitués par deux ventes liées qui s’étaient matérialisées dans les conditions de préinstallation de l’ADAM que les FEO et les ORM qui souhaitaient pouvoir commercialiser des appareils avec l’ensemble SMG devaient accepter, à savoir :
– par la première vente liée, qui liait l’application Google Search au Play Store, Google aurait abusé de sa position dominante sur le marché mondial (hors Chine) des boutiques d’applications Android du 1er janvier 2011 à la date de la décision attaquée (considérants 752 et 1009 de la décision attaquée) ;
– par la seconde vente liée, qui liait le navigateur Chrome à l’application Google Search et au Play Store, Google aurait abusé de ses positions dominantes sur le marché mondial (hors Chine) des boutiques d’applications Android et sur les marchés nationaux au sein de l’EEE des services de recherche générale du 1er août 2012 à la date de la décision attaquée (considérants 753 et 1010 de la décision attaquée).
301 L’appréciation par la Commission des trois premières conditions évoquées dans l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289), effectuée dans la décision attaquée n’est pas contestée en tant que telle par Google. Les arguments présentés au titre du présent moyen portent plutôt sur les éléments exposés dans la décision attaquée en ce qui concerne les quatrième et cinquième critères de cet arrêt, relatifs respectivement à la restriction de concurrence et aux justifications objectives avancées à cet égard par Google.
1) Sur les trois premières conditions évoquées dans l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289)
302 S’agissant du groupement Google Search-Play Store, la Commission considère, premièrement, qu’il s’agit de produits distincts (considérants 756 à 762 de la décision attaquée), deuxièmement, que Google détient une position dominante sur le marché mondial (hors Chine) des boutiques d’applications Android (considérant 763 de la décision attaquée) et, troisièmement, que Google Search et le Play Store ne peuvent pas être obtenus séparément (considérants 764 à 772 de la décision attaquée).
303 En ce qui concerne le groupement Chrome-Play Store et Google Search, la Commission qualifie Chrome de produit distinct du Play Store et de l’application Google Search (considérants 879 à 885 de la décision attaquée). La Commission rappelle également que Google occupe une position dominante sur le marché mondial (hors Chine) des boutiques d’applications Android et sur les marchés nationaux au sein de l’EEE des services de recherche générale (considérant 886 de la décision attaquée). La Commission relève aussi que le Play Store et l’application Google Search ne peuvent pas être obtenus sans Chrome, en reprenant les arguments avancés pour le premier groupement (considérants 887 à 895 de la décision attaquée).
2) Sur la condition relative à la « restriction de concurrence »
i) Groupement Google Search-Play Store
304 S’agissant de la condition relative à la « restriction de concurrence » (intitulé du point 11.3.4 de la décision attaquée), la Commission considère que le groupement Google Search-Play Store est capable de restreindre la concurrence pour les raisons suivantes (considérant 773 de la décision attaquée) :
– d’une part, il offre à Google un avantage compétitif significatif que les fournisseurs de services de recherche générale concurrents ne peuvent compenser ;
– d’autre part, il permet à Google de maintenir et de renforcer sa position dominante sur chaque marché national de services de recherche générale, en augmentant les barrières à l’entrée et en dissuadant l’innovation, ce qui tend à porter préjudice, directement ou indirectement, au consommateur.
305 En premier lieu, pour qualifier l’avantage compétitif significatif octroyé par le groupement Google Search-Play Store à Google au détriment des autres fournisseurs de services de recherche générale, la Commission avance les cinq arguments suivants (considérant 775 de la décision attaquée) :
– le nombre de recherches générales effectuées avec les appareils mobiles intelligents a significativement augmenté au cours de la période infractionnelle, dépassant notamment, à partir de 2015, le nombre de recherches générales effectuées avec les PC (considérant 777 de la décision attaquée) ;
– la préinstallation est un canal important pour la distribution de services de recherche générale sur les appareils mobiles intelligents, puisqu’elle permettrait d’augmenter significativement sur une base durable, l’usage du service fourni par l’application ; en effet, l’utilisateur a plus tendance à se tourner vers une application préinstallée ou réglée par défaut que de télécharger un produit alternatif (le « biais de statu quo »), et le groupement Google Search-Play Store assure à Google que la distribution de l’application Google Search est aussi vaste que le nombre d’appareils Google Android (considérants 778 à 800 de la décision attaquée) ;
– il est impossible de désinstaller l’application Google Search de l’ensemble SMG (considérants 801 à 803 de la décision attaquée) ;
– les services de recherche générale concurrents ne peuvent pas compenser l’avantage compétitif octroyé par le groupement Google Search-Play Store, que ce soit en ayant recours au téléchargement, à des accords avec des développeurs de moteurs de recherche ou à des accords de préinstallation (considérants 804 à 834 de la décision attaquée) ;
– l’évolution des parts de marché de Google en ce qui concerne les demandes de recherche générale confirme les constatations qui précèdent (considérants 835 à 851 de la décision attaquée).
306 En second lieu, afin d’établir la réalité et le caractère préjudiciable des effets d’éviction, la Commission effectue la démonstration suivante. Pour attester que le groupement Google Search-Play Store « aide Google à maintenir et à renforcer sa position dominante sur les marchés nationaux de services de recherche générale, renforce les barrières à l’entrée, dissuade l’innovation et tend à porter préjudice au consommateur », la Commission avance plusieurs arguments :
– le comportement de Google « rend plus difficile » la possibilité pour ses concurrents sur les marchés des services de recherche générale d’obtenir des demandes de recherche ainsi que les revenus et informations qui y sont liés afin d’améliorer leurs services (considérants 859 et 860 de la décision attaquée) ;
– le comportement de Google « augmente » les barrières à l’entrée en la protégeant de la concurrence des services de recherche générale qui pourraient mettre en cause sa position dominante sur les marchés nationaux pertinents ; en effet, les services de recherche générale concurrents doivent dépenser des ressources pour compenser l’avantage conféré par la préinstallation, laquelle protège également Google contre la concurrence la plus effective, liée à la préinstallation exclusive (considérant 861 de la décision attaquée) ;
– le comportement de Google « diminue » les incitations des services de recherche générale concurrents à investir et à innover en rendant plus difficile l’obtention de demandes de recherche ainsi que de revenus et d’informations nécessaires pour améliorer ces services (considérant 862 de la décision attaquée) ;
– à la suite de ces interférences avec le processus concurrentiel normal, le comportement de Google « est [aussi] capable de porter atteinte », directement ou indirectement, aux consommateurs qui peuvent avoir moins de choix en ce qui concerne les services de recherche générale disponibles (considérant 863 de la décision attaquée).
307 En réponse aux arguments de Google tendant à minimiser l’impact du groupement Google Search-Play Store au motif que les appareils Android représentaient seulement de [10 20 %] à [20-30 %] de l’ensemble des recherches sur Google Search entre 2013 et 2015, la Commission fait valoir que ces chiffres représenteraient du double au quintuple de ceux atteints par les recherches effectuées sur tous les services concurrents. Quant à l’argument selon lequel cette pratique coïnciderait avec une période d’amélioration du service de recherche générale, cela ne saurait suffire pour démontrer l’absence d’effets sur la concurrence (considérants 864 à 866 de la décision attaquée). Par ailleurs, la Commission déclare ne pas avoir à démontrer que la concurrence aurait été plus vive en l’absence du groupement Google Search-Play Store, mais seulement que celui-ci a pu restreindre la concurrence, ce qui serait bien le cas (considérants 867 à 876 de la décision attaquée).
ii) Groupement Chrome-Play Store et Google Search
308 De même, en ce qui concerne la « restriction de concurrence » (intitulé du point 11.4.4 de la décision attaquée), la Commission considère que le groupement Chrome-Play Store et Google Search est capable de restreindre la concurrence pour les raisons suivantes (considérant 896 de la décision attaquée) :
– d’une part, il offre à Google un avantage compétitif significatif que les autres navigateurs Internet mobile non spécifiques à un SE ne peuvent compenser ;
– d’autre part, il permet à Google de dissuader l’innovation et tend à porter préjudice, directement ou indirectement, au consommateur.
309 En premier lieu, au titre de l’avantage compétitif significatif que les navigateurs Internet mobile non spécifiques à un SE concurrents ne peuvent compenser, la Commission avance ce qui suit :
– la préinstallation est un canal important pour la distribution de moteurs de recherche pour appareils mobiles intelligents ; cela ressort notamment de la comparaison entre les revenus générés sur Google Android à partir du navigateur préinstallé Chrome et des autres navigateurs non préinstallés ou entre les revenus générés par les recherches effectuées par l’intermédiaire d’un navigateur sur le SE iOS ou sur le SE Android (considérants 900 à 912 de la décision attaquée) ;
– Google Chrome ne peut pas être désinstallé des appareils SMG (considérants 913 à 915 de la décision attaquée) ;
– les navigateurs Internet mobile non spécifiques à un SE concurrents ne peuvent pas compenser l’avantage fourni par le groupement Chrome-Play Store et Google Search, que ce soit par les téléchargements ou par des accords de préinstallation (considérants 916 à 946 de la décision attaquée) ;
– l’évolution des parts de marché confirme ces constatations (considérants 947 à 963 de la décision attaquée).
310 La Commission considère également qu’il n’est pas possible pour des entreprises concurrentes de compenser l’avantage procuré par le groupement Chrome-Play Store et Google Search au moyen d’accords de préinstallation avec les FEO et les ORM (considérants 964 à 982 de la décision attaquée).
311 En second lieu, afin d’établir la réalité et le caractère préjudiciable des effets d’éviction, la Commission effectue la démonstration suivante. Pour attester que le groupement Chrome-Play Store et Google Search « aide Google à maintenir et à renforcer sa position dominante sur chaque marché national pour les services de recherche générale, dissuade l’innovation et tend à porter préjudice, directement ou indirectement, au consommateur », la Commission avance les arguments suivants :
– le comportement de Google « décourage » l’innovation pour les navigateurs Internet en empêchant le développement de navigateurs Internet mobile non spécifiques à un SE innovants (considérant 970 de la décision attaquée) ;
– à la suite de l’interférence de Google avec le processus concurrentiel normal, ce comportement « est [aussi] capable de porter atteinte », directement ou indirectement, aux consommateurs, qui peuvent avoir moins de choix en ce qui concerne les navigateurs Internet mobile (considérant 971 de la décision attaquée) ;
– le comportement de Google l’« aide à préserver et à renforcer » sa position dominante sur les marchés nationaux des services de recherche générale et ses revenus en matière de publicité liée aux recherches ; ce comportement « empêche » dès lors les autres services de recherche générale d’obtenir des demandes de recherche et les gains en termes de revenus et d’informations nécessaires pour améliorer ces services (considérants 972 à 977 de la décision attaquée).
312 Ces appréciations ne seraient pas affectées par l’argument selon lequel le comportement de Google coïncide avec l’amélioration de Chrome, qui permettrait aux utilisateurs de modifier le service de recherche générale déterminé par défaut, et celui selon lequel les FEO resteraient libres d’installer d’autres navigateurs (considérant 978 de la décision attaquée). La Commission fait également valoir que les différents arguments de Google concernant la nécessité d’appréhender la pratique dans son contexte ne sont pas établis (considérants 983 à 992 de la décision attaquée).
3) Sur la condition relative à l’absence de justifications objectives
313 La Commission a réfuté également les justifications objectives invoquées par Google. Tout d’abord, Google n’aurait pas démontré que ses pratiques étaient un revenu nécessaire de ses investissements dans Android et ses applications qui n’engendraient pas de revenus. D’autres solutions existeraient, compte tenu des revenus de Google. Celle-ci n’aurait également pas démontré ne pas avoir un intérêt propre à développer Android afin de contrer les risques que la mobilité faisait peser sur son modèle commercial. Ensuite, Google n’aurait pas démontré que ses pratiques étaient nécessaires pour fournir aux utilisateurs l’expérience alléguée. Enfin, la démonstration relative à la nécessité pour Google d’éviter de faire payer aux FEO des frais pour le Play Store serait insuffisante, compte tenu des revenus engendrés par la valeur du Play Store (considérants 993 à 1008 de la décision attaquée).
c) Complémentarité des premiers abus
314 S’il est effectivement possible, comme le fait la Commission, de distinguer deux groupements de produits en considération des applications concernées, il doit également être tenu compte du fait que ces groupements se rapprochent sur deux aspects, sur lesquels les parties ont été interrogées lors de l’audience, et présentent donc une certaine complémentarité.
315 En effet, pour l’appréciation du caractère abusif des pratiques en cause dans les premiers abus, il importe aussi de relever que le groupement Chrome-Play Store et Google Search est venu se superposer au groupement Google Search-Play Store afin de tenir compte de l’évolution de l’ADAM, lequel ne comportait pas initialement le navigateur Chrome au nombre des applications rassemblées dans l’ensemble SMG (considérant 1010 de la décision attaquée).
316 De même, il convient d’indiquer que, dans un cas comme dans l’autre, l’objectif des deux groupements identifiés par la Commission était de permettre à Google d’atteindre les utilisateurs, afin qu’ils effectuent leurs recherches générales par l’intermédiaire de Google Search soit en tant qu’application de recherche générale, soit en tant que moteur de recherche du navigateur Chrome.
2. Sur la première branche, visant la « restriction de concurrence »
317 À l’appui de la première branche du deuxième moyen, Google fait valoir que la Commission n’a pas démontré dans la décision attaquée que les conditions de préinstallation de l’ADAM évinçaient la concurrence.
318 Compte tenu des opportunités offertes aux concurrents et aux utilisateurs, ces conditions n’auraient qu’un impact limité sur la concurrence. L’ADAM exigerait seulement que, sur les appareils où les FEO souhaitent préinstaller l’ensemble SMG, l’écran d’accueil affiche des icônes pour le Play Store, un dossier d’applications et Google Search. Ce placement promotionnel n’empêcherait pas les FEO de préinstaller des services concurrents, en plaçant d’autres icônes sur l’écran d’accueil avec une visibilité égale ou supérieure. Les FEO resteraient aussi libres de définir ces services concurrents comme réglages par défaut, ce qui leur offrirait des opportunités promotionnelles supérieures à celles demandées par l’ADAM pour les applications de Google. En outre, l’ADAM n’empêcherait pas les utilisateurs de télécharger des services de recherche ou des navigateurs concurrents et ils pourraient également accéder aux services de recherche directement par l’intermédiaire du navigateur. La seule chose que les FEO ne pourraient pas faire dans le cadre de l’ADAM serait de préinstaller exclusivement des services de recherche et des navigateurs concurrents. Ils pourraient toujours vendre des appareils Android sans aucune application Google et préinstaller exclusivement des services de recherche et des navigateurs concurrents sur ces appareils.
319 Google présente cinq griefs au soutien de son argumentation et critique la décision attaquée en ce qu’elle, premièrement, n’établit pas que les conditions de préinstallation créent un « biais de statu quo » ; deuxièmement, ignore que l’ADAM laissait les FEO libres de préinstaller des concurrents et de les définir comme service par défaut ; troisièmement, ignore également que les concurrents disposaient d’autres moyens efficaces pour atteindre les utilisateurs ; quatrièmement, ne parvient pas à démontrer que les parts d’utilisation du service de recherche et du navigateur de Google étaient attribuables aux conditions de préinstallation contestées et, cinquièmement, ne prend pas correctement en compte le contexte économique et juridique complet pour arriver à la conclusion que les conditions de préinstallation ont fourni de nouvelles opportunités aux concurrents au lieu de les en priver.
a) Préinstallation et « biais de statu quo »
320 Au titre de son premier grief, Google critique le raisonnement exposé par la Commission afin d’étayer l’existence d’un important avantage concurrentiel conféré par les conditions de préinstallation de l’ADAM.
1) Décision attaquée
321 En considération de différents éléments qui attesteraient de l’importance de la préinstallation, ou de techniques similaires, pour la distribution des services de recherche générale et des navigateurs sur les appareils mobiles intelligents, la Commission a considéré que la préinstallation suscitait un « biais de statu quo » (status quo bias, selon l’expression utilisée par une entreprise du secteur), étant donné que les utilisateurs avaient tendance à utiliser ce qui leur était proposé, (voir, notamment, considérants 781 et 782 de la décision attaquée), et qu’elle permettait ainsi d’augmenter significativement et durablement l’utilisation du service fourni (considérants 779 et 900 de la décision attaquée).
322 Cet avantage établi, la Commission a considéré qu’il ne pouvait pas être compensé par les concurrents de Google, que ce soit :
– par des accords de préinstallation avec les FEO ou les ORM (considérants 823 à 834 et 932 à 946 de la décision attaquée) ;
– par le téléchargement des applications concurrentes (considérants 805 à 816 et 917 à 931 de la décision attaquée) ; ou
– par des accords avec les développeurs de navigateurs concurrents (considérants 817 à 822 de la décision attaquée).
2) Synthèse des arguments des parties
323 Google fait valoir que les conditions de préinstallation de l’ADAM n’étaient pas exclusives, qu’elles ne créaient pas un « biais de statu quo » et qu’elles n’évinçaient donc pas la concurrence. La conclusion contraire reposerait essentiellement sur des éléments de preuve dont Google conteste la pertinence, parce qu’ils concerneraient plus le réglage par défaut, évoqué auparavant dans la communication des griefs, que la préinstallation, retenue finalement dans la décision attaquée.
324 À cet égard, Google conteste les éléments suivants :
– premièrement, l’utilisation faite de ses déclarations et celles de tiers (HP, Nokia, Amazon, Mozilla), l’analyse Yandex et l’accord Microsoft-Verizon ;
– deuxièmement, l’étude FairSearch, des données fournies par Microsoft, au vu notamment des données de Netmarketshare, et la comparaison de ses revenus sur les appareils Android et iOS ;
– troisièmement, la comparaison des revenus engendrés par Safari sur iOS et de ceux engendrés par Chrome et le sondage Opera.
325 La Commission soutient que le faisceau d’éléments évoqué dans la décision attaquée ne concerne pas seulement le réglage par défaut ou le placement privilégié. En outre, le fait que ces techniques créent un « biais de statu quo » ne changerait rien au fait que la préinstallation crée également une telle tendance. En l’espèce, Google se fonderait sur une définition étroite des termes « par défaut », limitée au paramétrage par défaut d’un service dans une application donnée. Or, comme les autres acteurs du secteur, Google utiliserait également ces termes dans le sens plus large de la préinstallation ou du « préchargement » par les FEO et les ORM d’applications sur leurs appareils, et donc de la configuration d’un appareil au stade de l’usine. Replacés dans leur contexte, les éléments critiqués porteraient bien sur le « biais de statu quo » créé par la préinstallation.
3) Appréciation du Tribunal
i) Observations liminaires
326 Avant d’examiner le bien-fondé des arguments de Google, il y a lieu d’exposer deux observations liminaires relatives, d’une part, à l’absence d’intérêt pratique de la distinction proposée entre « préinstallation » et « réglage par défaut » et, d’autre part, à l’importance quantitative des conditions de préinstallation.
– Absence d’intérêt pratique de la distinction proposée
327 Google reproche en substance à la Commission d’évoquer dans la décision attaquée un « biais de statu quo » applicable aux conditions de préinstallation de l’ADAM en considération d’éléments de preuve portant plutôt sur le réglage par défaut.
328 En particulier, Google critique l’absence de distinction ou de pondération entre ce qui relèverait de la préinstallation et ce qui relèverait du réglage par défaut.
329 Cette approche repose sur la prémisse qu’une telle distinction ou pondération serait aisée à effectuer. Il serait donc possible et opportun de distinguer les effets de la préinstallation des effets du réglage par défaut dans la kyrielle de références faites à ces notions dans les différents documents mentionnés dans la décision attaquée.
330 D’emblée pourtant, il s’avère qu’il n’est pas aisé de procéder à une telle différenciation. Il ressort ainsi de certains documents cités dans la décision attaquée que Google, elle-même, utilise parfois les termes « par défaut », non pour désigner de manière étroite le paramétrage par défaut d’un service dans une application donnée, mais pour se référer plus largement à la préinstallation ou au « préchargement » d’applications au stade de la configuration des appareils avant qu’ils ne soient commercialisés (voir considérant 787, points 2 et 3, de la décision attaquée, qui font état de courriels internes d’un responsable de Google). Un tel amalgame entre les notions de réglage par défaut et de préinstallation, lesquelles sont aussi associées à une troisième technique utilisée pour inciter les utilisateurs à recourir au service en question, à savoir le placement privilégié, est également fait par d’autres opérateurs du secteur (voir, notamment, considérants 781 et 782 de la décision attaquée, qui font état de déclarations de HP ou de Nokia).
331 En outre, ainsi que cela a été exposé lors de l’audience, il n’est pas contesté que la préinstallation d’une application confère en tant que telle un avantage par rapport aux applications concurrentes. Il est assurément préférable d’être disponible sur l’appareil dès la première utilisation plutôt que de ne pas y être présent. De manière générale, Google reconnaît à cet égard que, comme toute forme de promotion, la préinstallation augmente la probabilité que les utilisateurs essayent l’application qui en bénéficie. La préinstallation dispose donc au minimum d’une valeur promotionnelle pour Google comme pour les autres acteurs du secteur. Ce point de vue, exposé dans la décision attaquée en considération de passages de la réponse à la communication des griefs (considérant 780 de la décision attaquée), a été admis par Google lors de l’audience.
332 En l’espèce, il convient également de relever que les opportunités promotionnelles conférées par les conditions de préinstallation de l’ADAM comprenaient non seulement des dispositions relatives à la préinstallation de l’application Google Search et du navigateur Chrome, mais aussi des dispositions concernant le placement privilégié ou le réglage par défaut. Ainsi que Google l’a reconnu lors de l’audience, il y avait effectivement un élément relatif au placement dans les conditions de préinstallation. Il ne s’agit donc pas en toute hypothèse d’une simple préinstallation.
333 C’est dans ce contexte, qu’il y a lieu d’examiner l’approche retenue dans la décision attaquée. Selon cette approche, la Commission considère que, compte tenu des effets de la préinstallation, du réglage par défaut ou du placement privilégié, ou encore d’une combinaison de ces techniques (considérants 779, 781 et 782 de la décision attaquée), les conditions de préinstallation de l’ADAM confèrent un avantage concurrentiel (voir considérant 785 de la décision attaquée).
334 À supposer qu’il en soit ainsi, les éléments de preuve critiqués par Google au titre de la première branche pourraient donc bien être invoqués pour établir l’existence d’une tendance générale à figer la situation, qu’ils concernent à proprement parler le réglage par défaut ou la préinstallation ou encore le placement privilégié. En effet, selon l’approche retenue dans la décision attaquée, ce qui peut être déduit en cas de préinstallation vaut également mutatis mutandis et a fortiori en cas de réglage par défaut. De même, si seul le réglage par défaut est mentionné, cela n’exclut pas qu’un effet analogue puisse se produire en cas de préinstallation, surtout si cette dernière est combinée au placement privilégié ou au réglage par défaut.
335 En conséquence, il n’y a pas lieu d’emblée, pour établir l’existence d’un « biais de statu quo », de distinguer avec précision, comme le souhaite Google, les effets du réglage par défaut des effets de la préinstallation, étant donné que, comme le suggère la décision attaquée, ces effets se rapprochent d’un cas à l’autre.
– Importance quantitative des conditions de préinstallation
336 Par ailleurs, il convient de souligner que la préinstallation de l’application Google Search et du navigateur Chrome, doublée pour la première d’un placement privilégié et pour le second du réglage par défaut de l’application Google Search, a des conséquences importantes sur le plan quantitatif.
337 En effet, en raison des conditions de préinstallation de l’ADAM, l’application Google Search et le navigateur Chrome étaient préinstallés sur un grand nombre d’appareils mobiles intelligents. Il ressort à cet égard de la décision attaquée ce qui suit :
– en 2016, sur les 260 millions de téléphones intelligents vendus en Europe, 197 millions, soit 76 %, étaient des appareils Google Android et Google ne conteste pas l’affirmation faite dans la décision attaquée selon laquelle l’application Google Search et le navigateur Chrome étaient préinstallés sur la presque totalité de ces appareils (considérant 783 de la décision attaquée) ;
– de même, en 2016, sur les 1,65 milliard d’appareils mobiles intelligents vendus dans le monde, 1,33 milliard, soit 81 %, étaient des appareils Google Android, dont 918 millions, soit 56 %, à savoir la presque totalité des appareils Google Android vendus hors Chine, avaient l’application Google Search et le navigateur Chrome préinstallés (considérants 784 et 901 de la décision attaquée).
338 À titre de comparaison, Bing n’était défini comme service de recherche générale par défaut que sur 21 millions d’appareils mobiles intelligents vendus dans le monde en 2016 et Samsung n’avait préinstallé son navigateur Samsung Internet, lequel au demeurant était réglé par défaut sur Google Search, que sur 336 millions de ces appareils (considérants 784 et 901 de la décision attaquée).
339 C’est dans ce contexte qu’il y a lieu d’examiner les arguments de Google qui portent, premièrement, sur certaines déclarations et informations reprises dans la décision attaquée, deuxièmement, sur certaines comparaisons qui y sont effectuées et, troisièmement, plus spécifiquement, sur certains éléments relatifs à Chrome.
ii) Sur certaines déclarations et informations reprises dans la décision attaquée
340 En premier lieu, Google soutient que des éléments de preuve cités dans la décision attaquée concernent plus le réglage par défaut que la préinstallation (éléments relatifs à elle-même, HP, Nokia, Amazon et Mozilla), ne distingueraient pas la préinstallation du réglage par défaut (analyse de Yandex) ou illustreraient la confusion faite par la Commission entre les avantages du réglage par défaut et ceux de la préinstallation (accord de préinstallation entre Microsoft et Verizon). Or, un service défini par défaut serait enclenché sans que l’utilisateur ait à faire de choix, alors qu’une application préinstallée qui n’est pas définie par défaut devrait être choisie par l’utilisateur. La préinstallation non exclusive d’une application non définie par défaut, prévue par l’ADAM, ne pourrait donc pas être considérée comme étant similaire au réglage par défaut.
– Éléments de preuve provenant de Google
341 Quant aux arguments relatifs aux éléments de preuve provenant de Google, il y a lieu de relever ce qui suit en ce qui concerne le premier groupement.
342 Premièrement, dans un courriel interne du 14 novembre 2008, un cadre de Google indique être préoccupé par « [le service de recherche générale de Google], à cause des implications en termes de recettes qui résulte du fait qu’il ne soit pas préchargé (l’hypothèse sous-jacente étant que la prééminence de [ce service] entraîne davantage de recherches, particulièrement au moyen de la voix) » et se demande ce qui suit (considérant 787, point 1, de la décision attaquée) :
« Comment peut-on résoudre ce problème? Pourrait-on au minimum exiger que [ce service] soit préchargé sur Android (ou toutes les plateformes) en tant que condition nécessaire pour tout contrat SMG ? »
343 Deuxièmement, dans un courriel interne du 1er novembre 2010, un autre cadre de Google indique ce qui suit (considérant 787, point 2, de la décision attaquée) :
« Le préchargement reste précieux pour les utilisateurs, et donc pour les FEO, malgré le dégroupage total [c’est-à-dire le fait que les applications Google sont non seulement préinstallées, mais aussi disponibles au téléchargement sur le Play Store], parce que la plupart des utilisateurs n’utilisent que ce qui est fourni avec l’appareil. Les gens changent rarement les défauts [au sens de réglages par défaut]. »
344 Troisièmement, dans un courriel interne du 26 avril 2011, le même cadre de Google indique ce qui suit (considérant 787, point 3, de la décision attaquée) :
« Avons-nous vraiment besoin des conditions d’exclusivité ? La version actuelle [non applicable aux États-Unis] de ces conditions donne à peu près le même résultat. FEO préinstalle [les réglages par] défaut en vertu de l’ADAM + incitation pour les opérateurs sous la forme d’un partage de recettes avec non-duplication + cibles de volumes [accords de recherche] = beaucoup d’obstacles pour un opérateur cherchant à modifier les paramètres par défaut. Il leur faudrait plus d’argent pour l’autre moteur de recherche [et soit] persuader l’OEM de nous demander (et d’obtenir) une dérogation à leur ADAM afin d’autoriser la préinstallation d’un autre service de recherche avec préinstallation d’un autre SMG, [soit] vendre des appareils sans aucune SMG installée [exigences de l’ADAM]. En pratique, expédier sans tout SMG n’arrive pas sauf dans des cas limites, comme (auparavant) America Movil. Tous les marchés développés ont des utilisateurs qui attendent et demandent SMG. »
345 Quatrièmement, dans la réponse à la communication des griefs, Google indique, en référence à un rapport du professeur Carl Shapiro, de l’université de Californie à Berkeley (États-Unis), du 5 novembre 2016, qui y est annexé, que « [p]récharger [Google Search et Google Chrome] et placer Search sur l’écran d’accueil est incontestablement précieux pour [cette entreprise] » (considérant 788 de la décision attaquée).
346 Par ailleurs, en ce qui concerne le groupement Chrome-Play Store et Google Search, la décision attaquée mentionne un courriel interne à Google d’avril 2012, dans lequel un cadre de cette entreprise souligne l’intérêt pour Google de « rendre Chrome obligatoire », en ce sens qu’il devrait être disponible sur les appareils distribués par les FEO (considérant 904 de la décision attaquée).
347 Ces documents sont avancés par la Commission au soutien de son affirmation selon laquelle la préinstallation est importante pour Google. Google fait valoir à cet égard que, sans contester l’importance de la préinstallation d’une application en tant que telle, ces documents, notamment les deuxième et troisième qui sont des documents internes relatifs à la période infractionnelle, concernent plus le réglage par défaut que la préinstallation.
348 Sur ce point, comme le fait valoir la Commission, il y a lieu de relever que la terminologie utilisée par Google reste imprécise. En effet, il est fait mention de « préchargement » ou de « défaut ». Ces mentions peuvent certes a priori être envisagées comme des références à des « réglages par défaut », mais, rapportées au contenu de l’ADAM, qui ne prévoyait que la préinstallation et le placement privilégié, il ne fait guère de doute que ces mentions n’envisagent pas le réglage par défaut au sens strict évoqué par Google.
349 En conséquence, compte tenu du contexte contractuel dans lesquels ces documents s’insèrent, à savoir celui des conditions de préinstallation définies par l’ADAM, il y a lieu de rejeter les arguments de Google sur la nécessité de distinguer entre préinstallation et réglage par défaut et d’admettre que des arguments avancés dans le contexte d’une de ces deux notions peuvent valoir également dans le contexte de l’autre.
– Éléments de preuve provenant d’entreprises tierces
350 Quant aux arguments relatifs aux éléments de preuve provenant d’entreprises tierces, il y a lieu de relever ce qui suit en ce qui concerne le groupement Google Search-Play Store.
351 Premièrement, la décision attaquée cite une déclaration d’HP (considérant 781). En effet, dans sa réponse à une demande de renseignements du 12 juin 2013, adressée aux FEO, HP a indiqué, en réponse à la question 55 sur « l’importance commerciale du placement privilégié et des réglages par défaut pour la distribution des services mobiles et des applications sur les appareils mobiles intelligents », ce qui suit :
« [L]e placement privilégié et les réglages par défaut donnent aux applications et aux services situés à ces positions l’avantage d’être les premières choses que les utilisateurs voient quand ils commencent à interagir avec leurs appareils. Les utilisateurs sont plus susceptibles d’essayer ces applications ou services en raison de leur grande visibilité et une fois qu’ils les ont utilisées, ils continueront généralement de le faire. C’est un moyen facile d’obtenir de nouveaux utilisateurs et d’assurer une adhésion presque automatique à une application ou à un service. »
352 Tout d’abord, certes, comme Google le relève, cette déclaration ne concerne pas à proprement parler la préinstallation. En effet, la préinstallation était envisagée aux questions 50 à 54 de la section sur la « préinstallation de services mobiles et d’applications » (voir, notamment, question 54 : « La préinstallation d’une application mobile particulière influence-t-elle la manière dont les utilisateurs font usage des services et applications mobiles concurrents ? »). La question 55 ouvre, quant à elle, la section sur le « placement privilégié et les réglages par défaut pour les services mobiles et les applications ».
353 Pour autant, comme l’illustrent les différentes captures d’écran d’un appareil Google Android communiquées par HP dans sa réponse à la question 55, le placement privilégié permet bien aux utilisateurs de cet appareil de voir les services de Google de manière proéminente. Il y a également lieu de relever que, à côté de ces captures d’écran, HP indique, pour identifier les applications visées par le placement privilégié, que celles-ci sont « préinstallées ».
354 Par ailleurs, il s’avère aussi, comme cela ressort des précisions apportées sur ce point en réponse aux mesures d’organisation de la procédure, que la réponse d’HP à la question 54 n’est pas de nature à remettre en cause le contenu de la réponse à la question 55 qui a été pris en compte par la Commission dans la décision attaquée.
355 Ensuite, il s’avère également, au vu des réponses aux mesures d’organisation de la procédure, que la réponse à la question 55, relative à l’importance commerciale du placement privilégié et des réglages par défaut, se trouve corroborée par huit des douze autres réponses données par les FEO destinataires de la demande de renseignements.
356 Il ressort de ces réponses qu’un certain consensus existe au sein des FEO pour considérer que le placement privilégié ou le réglage par défaut, ou une combinaison de ces techniques, facilite l’usage des applications qui en bénéficient. C’est dans ce contexte, que la déclaration d’HP citée au considérant 781 de la décision attaquée doit être prise en compte.
357 Enfin, quant au contenu des autres réponses données par les FEO destinataires de la demande de renseignements à la question 54 sur la préinstallation, dont le contenu a été communiqué au Tribunal par la Commission, il ne peut en être déduit le même consensus que celui qui ressort des réponses apportées sur le placement privilégié ou le réglage par défaut.
358 En effet, sur les neuf FEO qui se sont prononcés explicitement à cet égard, cinq font valoir que la préinstallation n’est pas de nature à influencer la manière dont les utilisateurs font usage des services et des applications mobiles. Un FEO se contente à ce propos de répondre négativement à la question posée, tandis que quatre autres se prévalent des opportunités offertes par le téléchargement. Il est à noter, comme le fait valoir Google, que ce dernier point de vue est également celui de Gigaset et d’HMD, deux autres FEO. Les quatre autres FEO ayant soumis des réponses à la question 54 reconnaissent quant à eux l’influence susceptible d’être jouée par la préinstallation, tout en notant pour deux d’entre eux que cette influence peut être compensée par les opportunités offertes par le téléchargement.
359 Toutefois, contrairement à ce que fait valoir Google, cette absence de consensus au sein des FEO sur le rôle de la préinstallation sur le comportement des utilisateurs ne saurait suffire à remettre en cause l’affirmation faite par la Commission au considérant 781 de la décision attaquée. En effet, en affirmant que « la raison pour laquelle la préinstallation, comme le réglage par défaut ou le placement privilégié, peut augmenter significativement et de manière durable l’utilisation d’un service fourni par une application tient au fait que les utilisateurs qui trouvent des applications préinstallées et apparentes sur leurs appareils mobiles intelligents sont susceptibles de s’en tenir à ces applications », la Commission tient compte de la déclaration d’HP, mais aussi des autres éléments de preuve cités dans la décision attaquée.
360 Ces éléments qui corroborent une telle affirmation, tout particulièrement en ce qui concerne l’application Google Search et, par analogie et par voie de conséquence, le navigateur Chrome, proviennent aussi bien de certains FEO, dont Nokia, que d’autres opérateurs, dont Google, qu’il s’agisse notamment de développeurs d’applications ou de systèmes d’exploitation (Amazon, Yandex), d’un ORM (Hutchison 3G) ou de fournisseurs de services de recherche (Yahoo, Qwant, Microsoft).
361 De même, l’affirmation faite par la Commission au considérant 781 de la décision attaquée doit être analysée dans son contexte, c’est-à-dire tant en considération du fait que la préinstallation de l’application Google Search et du navigateur Chrome n’était pas une simple préinstallation, mais une préinstallation assortie d’un placement privilégié ou du réglage par défaut d’un moteur de recherche, et qu’un nombre très important d’appareils Google Android était concerné par la préinstallation (voir point 337 ci-dessus), que du fait que le téléchargement d’applications concurrentes est resté faible en pratique (voir points 549 et 550 ci-après).
362 En outre, il y a lieu de relever que l’intervention du BEUC dans la présente affaire, laquelle peut être considérée comme représentative du point de vue des utilisateurs des services de recherche générale, permet de nuancer les observations faites à cet égard par l’ADA au nom des développeurs et par la CCIA au nom des opérateurs du secteur. Les explications fournies sur ce point par le BEUC permettent en effet d’étayer et de corroborer l’idée que, du point de vue des utilisateurs, la préinstallation de l’application Google Search et du navigateur Chrome sur quasiment tous les appareils Google Android commercialisés au sein de l’EEE tend à figer la situation pour ce qui est de l’usage du service de recherche générale de Google Search qui y est associé.
363 Il ressort de ce qui précède que les objections présentées par Google en ce qui concerne la déclaration d’HP et le « biais de statu quo » qui peut être attaché à la préinstallation, au même titre qu’au réglage par défaut ou au placement privilégié, auxquels elle peut être combinée, ne sont pas de nature à susciter un doute dont Google pourrait profiter. En effet, si de telles objections paraissent a priori pertinentes quand elles sont examinées hors contexte, cela ne saurait néanmoins suffire à remettre en cause la conclusion précitée quand il est tenu compte du contexte et des données évoquées à cet égard dans la décision attaquée dont le contenu est rappelé ci-dessus.
364 Deuxièmement, la décision attaquée cite une déclaration de Nokia (considérant 782 de la décision attaquée). En effet, dans sa réponse à une demande de renseignements du 29 juin 2015 adressée aux développeurs d’applications, Nokia a notamment indiqué, à la question 17 relative à la « préinstallation des applications », qui demandait d’estimer, pour trois applications populaires, le revenu moyen supplémentaire obtenu par appareil quand cette application était soit préinstallée sur l’écran avant, soit préinstallée à un glissement de doigt de l’écran avant, par rapport au revenu moyen obtenu en l’absence d’une telle pré-installation, que « [l]orsqu’un produit [était] préchargé par défaut, les consommateurs [avaient] tendance à s’en tenir à ce produit, au détriment de produits concurrents, et ce même si le produit par défaut [était] inférieur aux produits concurrents ». Nokia a précisé, à cet égard, que sa réponse concernait « l’impact des applications préinstallées en général ».
365 Les requérantes se réfèrent à un autre passage de la réponse de Nokia à cette question, où cette entreprise a indiqué que, « en ce qui concern[ait] l’impact des applications préinstallées en général, il [était] clair que la pertinence du réglage par défaut sur les appareils mobiles [était] significative », pour alléguer que cette réponse confond les effets de la préinstallation des effets du réglage par défaut.
366 À la lecture de l’ensemble de la réponse de Nokia, il s’avère que celle-ci envisage différentes options, à savoir celle du réglage par défaut quand il est fait référence à Apple Maps et celle de la préinstallation quand le terme « préchargé » est utilisé en référence à Google Search ou à YouTube. C’est donc dans le contexte des différentes solutions techniques choisies pour les applications évoquées, qui peuvent être réglées par défaut, préinstallées ou faire l’objet d’un placement privilégié, qu’il y a lieu de prendre en compte cette déclaration.
367 La déclaration de Nokia est corroborée par une déclaration de Yandex (considérant 782 et note en bas de page n° 834 de la décision attaquée). En effet, dans sa réponse à une demande de renseignements du 12 juin 2013 adressée aux développeurs d’applications, Yandex a indiqué, en réponse, à la question 35.1, que les « niveaux de téléchargement des applications mobiles qui concurren[çai]ent les applications mobiles préinstallées [avaient] tendance à être bas si les services préinstallés [étaient] de qualité comparable ou même substantiellement plus mauvais ».
368 Troisièmement, la décision attaquée cite une autre déclaration de Nokia (considérant 789, point 1). En effet, dans sa réponse à une demande de renseignements du 12 juin 2013 adressée aux FEO, Nokia a notamment indiqué, en réponse à la question 17.2 relative à l’importance, en tant que critères d’achat pour les utilisateurs, de la disponibilité et de la préinstallation des services mobiles individuels sur leurs appareils, que « [l]e préchargement d’applications (par opposition à la mise à disposition d’applications à télécharger) jou[ait] un rôle essentiel pour les développeurs, car le fait d’être bien visible sur l’écran d’accueil d’un smartphone ou à proximité de l’écran d’accueil accro[issait] inévitablement la probabilité que les consommateurs testent l’application ».
369 Les requérantes évoquent d’autres passages de cette réponse, dans lesquels Nokia indiquait également que « les utilisateurs [s’étaient] habitués à rechercher dans les boutiques d’applications pour télécharger les applications qu’ils souhait[ai]ent utiliser », que « [c]ela a[vait] diminué l’importance du pré-chargement » et que « la plupart des consommateurs suppos[ai]ent que les appareils intelligents [étaient] dotés de fonctionnalités de navigation complètes et qu’ils [pouvaient] facilement effectuer des recherches sur Internet avec leur appareil intelligent ». Ces passages contrediraient l’affirmation selon laquelle la préinstallation d’une application de recherche générale créerait un « biais de statu quo ».
370 Cependant, s’il y a bien lieu de tenir compte des passages cités par les requérantes, qui s’attachent plus à la situation des utilisateurs que le passage cité dans la décision attaquée qui concerne les développeurs d’applications, il doit aussi être tenu compte d’autres passages de la réponse de Nokia. En effet, cette entreprise, d’une part, a également indiqué que « Google elle-même [était] prête à payer des sommes d’argent considérables à ses partenaires de distribution pour l’intégration de ses propres applications à une place de premier plan sur les appareils » et, d’autre part, a précisé, à d’autres endroits de sa réponse, qu’elle considérait que la préinstallation était susceptible d’influencer le choix des consommateurs et l’utilisation des applications.
371 En conséquence, compte tenu de l’ensemble de la réponse donnée par Nokia à la demande de renseignements de la Commission et des solutions techniques auxquelles cette réponse renvoie, il ne peut pas en être déduit que la préinstallation d’une application de recherche dédiée ne crée pas de « biais de statu quo ».
372 Quatrièmement, la décision attaquée cite deux déclarations d’Amazon (considérant 789, point 2). En effet, dans sa réponse à une demande de renseignements du 29 juin 2015 adressée aux développeurs d’applications, Amazon a indiqué, en réponse à la question 17 relative à l’importance, en tant que critères d’achat pour les utilisateurs, de la disponibilité et de la préinstallation des services mobiles individuels sur leurs appareils, qu’« avoir une application préinstallée sur un appareil amélior[ait] la découverte de cette application par les utilisateurs finaux ». De même, dans sa réponse à une demande de renseignements du 12 juin 2013 adressée aux développeurs de systèmes d’exploitation, Amazon a indiqué, en réponse, à la question 35 relative à l’influence que pouvait avoir la préinstallation d’une application mobile particulière sur l’utilisation d’applications concurrentes, que « le placement privilégié des applications préinstallées a[vait] un impact significatif sur leur utilisation » et que « [l]a présence d’applications mobiles préinstallées limit[ait], dans de nombreux cas, la volonté des utilisateurs d’essayer des applications mobiles concurrentes ».
373 Les requérantes citent une troisième déclaration d’Amazon, faite dans sa réponse à une demande de renseignements du 12 juin 2013 adressée aux développeurs d’applications, où cette entreprise a indiqué, en réponse à la question 35.1, portant sur la question de savoir dans quelle mesure les utilisateurs téléchargeaient des applications mobiles qui concurrençaient des applications préinstallées sur des appareils mobiles intelligents, qu’elle ne disposait de renseignements sur les téléchargements des applications préinstallées qu’en ce qui concernait celles qui avaient un placement privilégié ou qui faisaient l’objet de réglages par défaut. Les illustrations fournies par Amazon à ce propos concernaient les services de cartographie définis par défaut.
374 Là encore, l’examen des différentes déclarations évoquées par les parties principales, une fois replacées dans leur contexte, ne remet pas en cause l’utilisation qui en est faite dans la décision attaquée. Les extraits cités par la Commission peuvent être invoqués pour soutenir que la préinstallation d’une application, combinée ou non avec un placement privilégié, tend à figer la situation. Les extraits cités par Google ne contredisent pas les observations qui précèdent.
375 Cinquièmement, la décision attaquée cite une déclaration de Hutchison 3G (considérant 789, point 3). En effet, dans sa réponse à une demande de renseignements du 12 juin 2013 adressée aux ORM, Hutchison 3G a indiqué, en réponse à la question 51 ce qui suit :
« Il est très puissant d’avoir une application pré-chargée par opposition à un bootstrap ou même une recommandation marketing pour utiliser l’application. Comme pour tout service, si elle est à portée de main, la probabilité de l’utiliser est plus grande ».
376 Les requérantes critiquent cette déclaration au motif que cette société reconnaît, par ailleurs, ne pas développer d’applications (réponse à la demande de renseignements du 13 août 2013).
377 Cependant, le fait que Hutchison 3G indique ne pas développer d’applications ne fait pas obstacle au fait qu’elle puisse avoir un avis sur l’utilité de la préinstallation en considération notamment de son expérience, en tant qu’ORM, du comportement des utilisateurs. La déclaration reproduite dans la décision attaquée reste pertinente pour apprécier les effets de la préinstallation du point de vue de l’opérateur concerné.
378 Sixièmement, la décision attaquée cite une déclaration de Yandex (considérant 789, point 4). En effet, dans sa réponse à une demande de renseignements du 12 juin 2013 adressée aux développeurs d’applications, Yandex a indiqué, en réponse à la question 25.5, ce qui suit :
« [L]e canal de distribution le plus efficace est la préinstallation par les FEO. Les FEO préinstallent principalement les services susceptibles d’engendrer des revenus supplémentaires pour eux ; le service qui engendre le plus de revenus à cet égard est notre service mobile de recherche et les services associés. La plupart de nos discussions avec les FEO concerne donc principalement la préinstallation de Yandex Search. »
379 Cette déclaration n’est pas contestée par Google. Elle peut être invoquée par la Commission pour soutenir que la préinstallation d’une application tend à figer la situation.
380 En ce qui concerne le groupement Chrome-Play Store et Google Search, la décision attaquée cite notamment une déclaration de Mozilla (considérant 905, point 1). En effet, dans sa réponse à une demande de renseignements du 12 juin 2013 adressée aux développeurs d’applications, Mozilla a indiqué, en réponse à la question 39 sur le placement privilégié et les réglages par défaut sur les appareils mobiles intelligents, que « le réglage par défaut rest[ait] l’influence la plus puissante sur l’utilisation des applications » et que le placement privilégié se trouvait, « [dans l]a hiérarchie de l’importance commerciale[,] entre [le] réglage par défaut et [la] préinstallation », le réglage par défaut étant au-dessus (voir réponse à la demande de renseignements du 22 mars 2016).
381 Selon les requérantes, cette déclaration mettrait l’accent sur le réglage par défaut. Il ressort toutefois de cette déclaration qu’elle évoque aussi la préinstallation d’une application, dont il est également constaté qu’elle « augmente l’adoption par un utilisateur », même si c’est sous une forme moins marquée qu’en cas de réglage par défaut. Cette distinction prise en compte, la déclaration de Mozilla reste pertinente.
382 Les autres déclarations évoquées dans la décision attaquée pour établir l’importance de la préinstallation en tant que canal de distribution ne sont pas contestées par Google.
383 En conclusion, il ressort de ce qui précède que les différents éléments exposés dans la décision attaquée permettent bien à la Commission, quand ils sont pris ensemble, de considérer que, du point de vue des acteurs du marché, la préinstallation des applications Google Search et Chrome dans les conditions prévues par l’ADAM permet de « figer la situation » et de dissuader les utilisateurs d’avoir recours à une application concurrente.
384 L’examen des interventions sur ce point étaye une telle conclusion. Ainsi, le BEUC, FairSearch, Seznam et Qwant, qui interviennent au soutien de la Commission, confirment que, de leur point de vue, le « biais de statu quo » lié à la préinstallation peut être assimilé à celui occasionné par le réglage par défaut. Pour leur part, l’ADA, la CCIA, HMD, Gigaset et Opera, qui interviennent au soutien de Google, ne contestent pas, en tant que telle, l’existence d’un « biais de statu quo » lié à la préinstallation, mais mettent l’accent sur les opportunités offertes par le téléchargement pour remédier à la situation.
– Analyse de Yandex
385 La décision attaquée évoque l’analyse de Yandex, qui concerne les parts de marché de ce moteur de recherche en Russie en mai 2015, pour indiquer que, quand le « search widget » était préinstallé sur l’écran d’accueil et que ce moteur de recherche était défini par défaut dans le navigateur Internet mobile préinstallé, la part de marché de Yandex sur les appareils Android était « trois fois plus élevée » que sa part de marché en l’absence de préinstallation (considérant 789, point 5, tableau 18, et considérant 798, point 4 de la décision attaquée).
386 Google critique cette appréciation au motif qu’elle ne distingue pas la préinstallation du réglage par défaut étant donné que le moteur de recherche de Yandex est « défini par défaut dans le navigateur Internet mobile préinstallé » et que les effets de la préinstallation dépendent de cette configuration par défaut (voir Econometric Data Report). Cette analyse comporterait également plusieurs erreurs méthodologiques.
387 Cependant, ainsi que le fait valoir la Commission, une telle distinction n’est pas requise pour apprécier la portée de l’appréciation exposée dans la décision attaquée. Celle-ci se limite en effet à constater, au vu des différents scénarios examinés par l’analyse de Yandex, que, en cas de préinstallation et de réglage par défaut (colonnes 4 et 5 du tableau 18 de la décision attaquée), la part de marché de ce moteur de recherche est « trois fois plus élevée » que la part de marché relevée en l’absence de préinstallation (colonne 1 dudit tableau). Les données reprises dans ce tableau permettent aussi de relever que la part de marché de Yandex est plus élevée quand son moteur de recherche est préinstallé sous la forme d’un « widget » de recherche sur le deuxième écran (colonne 3 dudit tableau) que dans une situation où il n’y a pas de préinstallation.
388 L’analyse de Yandex et ses résultats repris dans le tableau 18 de la décision attaquée peuvent donc être invoqués pour soutenir que la préinstallation d’une application, combinée ou non au réglage par défaut ou au placement privilégié, permet d’obtenir de meilleurs résultats.
389 Le fait que l’analyse de Yandex ne concerne qu’une entreprise et qu’un mois ou qu’elle présente ce que Google considère comme être des erreurs de méthodologie ne la prive pas de pertinence, dans la mesure où cette analyse est seulement invoquée par la Commission pour confirmer d’autres éléments de preuve relatifs à l’importance de la préinstallation en tant que canal de distribution et au « biais de statu quo » qu’elle entraîne.
390 Par ailleurs, il y a lieu de relever sur ce point que les déclarations de Yahoo et de Qwant, qui indiquent en substance que la préinstallation est de nature à améliorer les résultats des services de recherche qui en font l’objet (considérant 789, point 6, et considérant 789, point 7, de la décision attaquée), ne sont pas contestées par Google.
– Accord entre Microsoft et Verizon
391 La décision attaquée évoque également un accord entre Microsoft et Verizon de 2008, aux termes duquel le service de recherche générale de Microsoft, Bing, était préinstallé en 2010 et en 2011 aux côtés de Google Search sur six modèles d’appareils Google Android, le trafic engendré par cet accord représentant de 15 à 25 % du volume total des demandes de recherche générale effectuées sur Bing aux États-Unis au cours de cette période. La part de marché de Bing aux États-Unis pendant cette période aurait augmenté de presque 0 à environ 1,5 % (considérant 789, point 8, et considérant 798, point 3, de la décision attaquée).
392 Google fait valoir que ces constatations illustrent la confusion faite entre les avantages du réglage par défaut et ceux de la préinstallation. En effet, Microsoft aurait expliqué que cet accord lui permettait d’obtenir « le réglage de recherche par défaut pour Bing », les appareils mobiles étant « fournis avec Bing [réglé] par défaut sur tous les points d’entrée ». L’augmentation évoquée ne serait d’ailleurs ni « significative » ni « durable » et ne pourrait pas être imputée à la préinstallation, mais seulement au réglage par défaut.
393 L’examen de la réponse de Microsoft à la question 10.1 de la demande de renseignements du 20 novembre 2015 adressée aux fournisseurs de services de recherche générale permet effectivement de constater que, sur les six appareils qui y sont mentionnés, l’un avait Bing défini par défaut sur tous les points d’entrée et les cinq autres avaient également, en plus de Bing défini par défaut, l’application Google Voice Search avec une icône sur l’écran d’accueil. C’est ainsi à juste titre que Google fait valoir que les résultats obtenus par Microsoft du fait de cet accord avec Verizon s’expliquent par le réglage par défaut et non par la préinstallation sur les appareils Google Android.
394 Cependant, si cet accord ne peut être invoqué pour étayer l’importance de la préinstallation, il n’en réfute pas pour autant l’intérêt de celle-ci pour les raisons évoquées par la Commission dans la décision attaquée en considération des différents éléments de preuve examinés ci-dessus.
iii) Sur certaines comparaisons effectuées dans la décision attaquée
395 En deuxième lieu, Google critique certaines comparaisons effectuées dans la décision attaquée.
– Étude FairSearch
396 Premièrement, la décision attaquée fait état de l’étude réalisée pour FairSearch, en 2017, par le professeur Marco Iansiti de l’université de Harvard (États-Unis) (ci-après l’« étude FairSearch »), pour constater que l’utilisation de chaque application de l’ensemble SMG, dont l’application Google Search, est significativement plus importante sur les appareils Google Android, où elles sont préinstallées, que sur les appareils iOS, où les utilisateurs doivent télécharger ces applications. Cette constatation est faite en considération des données fournies par Microsoft à propos de l’utilisation mensuelle de ces applications au Royaume-Uni en février 2016. Ainsi, 17 % des utilisateurs d’un appareil iOS ont eu recours à l’application téléchargée Google Search, alors que 76 % des utilisateurs d’un appareil Android ont eu recours à l’application préinstallée Google Search (considérants 791 et 792, tableau 10 et graphique 19, et considérant 799, point 1, de la décision attaquée).
397 Google fait valoir que les comparaisons effectuées dans l’étude FairSearch contredisent l’allégation d’un « biais de statu quo », parce qu’elles montrent que ses parts seraient similaires pour l’utilisation des fonctions de recherche, sur Android, où l’ADAM s’applique, et sur iOS, où l’ADAM ne s’applique pas. Pour étayer une telle allégation, Google se réfère en fait à d’autres données que celles reprises dans l’étude FairSearch. En particulier, Google souligne que l’étude de FairSearch ne porte que sur l’utilisation de l’application Google Search, et non sur l’utilisation du service Google Search dans son ensemble, qui constituerait pourtant le marché pertinent selon la décision attaquée (considérant 323), ou sur les recherches effectuées par l’intermédiaire du navigateur. Or, lorsque l’accès par l’intermédiaire du navigateur est pris en compte, la « portée » de Google Search sur Android et iOS ne serait pas sensiblement différente (voir considérant 515, point 3, et note en bas de page n° 857 de la décision attaquée). Dans ce contexte global, une comparaison de l’utilisation sur Android et iOS ne corroborerait donc pas un « biais de statu quo » issu de la préinstallation, mais soulignerait plutôt l’importance de l’accès à Internet par le biais d’un navigateur.
398 Cependant, contrairement à ce que fait valoir Google, la constatation effectuée par la Commission dans la décision attaquée en considération des résultats de l’étude FairSearch conserve sa pertinence au titre de l’examen du premier groupement. En effet, cette étude tient seulement compte des requêtes effectuées au moyen de l’application Google Search et non de celles effectuées par l’intermédiaire d’autres points d’entrée de recherche tels que les navigateurs Internet mobile (considérant 799, point 1, de la décision attaquée), lesquels relèvent de l’appréciation effectuée au titre du second groupement.
399 Par ailleurs, comme le fait valoir la Commission, si l’utilisation de Google Search – et non de l’application Google Search – s’avère similaire sur les appareils Android et iOS, cela s’explique par le fait que, même si Apple ne préinstalle pas d’application de recherche générale sur les appareils iOS, elle définit Google Search comme service de recherche générale par défaut sur Safari (voir notamment considérant 799, point 2, de la décision attaquée).
400 En conséquence, compte tenu des particularités précitées, il n’y a pas lieu de considérer que l’examen des comparaisons effectuées dans l’étude FairSearch contredit l’utilisation qui en est faite dans la décision attaquée quant à l’existence d’un « biais de statu quo ».
– Données fournies par Microsoft et données Netmarketshare
401 Deuxièmement, la décision attaquée se réfère aux données fournies par Microsoft en réponse à la question 13 d’une demande de renseignements du 10 avril 2017, qui comparent les demandes de recherche générale effectuées sur les appareils Google Android, où Google Search est préinstallé, et celles effectuées sur les appareils Windows Mobile, où Bing est défini par défaut, en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni de 2014 à 2017. Selon ces données, Google Search représente [10-20] % à [40-50] % des demandes de recherche générale sur les appareils Windows Mobile et [90-100] % des demandes de recherche générale sur les appareils Google Android (voir considérant 793 et tableau 11 de la décision attaquée).
402 Google soutient que l’absence de distinction entre les effets respectifs du réglage par défaut et de la préinstallation compromet la pertinence de ces données, dès lors que Google Search n’était pas préinstallé sur les appareils Windows Mobile où Bing est « défini comme service de recherche générale par défaut » (voir considérants 793 et 840 de la décision attaquée) et que ce réglage par défaut ne pourrait généralement pas être modifié, contrairement aux paramètres de recherche par défaut sur les appareils Android. Le réglage par défaut pourrait donc représenter une part considérable ou la totalité de la différence évoquée dans la décision attaquée. Ce serait plutôt la préférence des utilisateurs pour Google Search qui expliquerait le faible nombre de téléchargements des applications de recherche générale concurrentes (environ 95 % des utilisateurs au Royaume-Uni, en France, et en Allemagne préfèrent Google selon des données présentées par Google fin 2016). En comparaison, les données de Netmarketshare montreraient que la différence en part de requêtes de recherche de Google, entre les appareils Android et Windows Mobile, serait inférieure, avec une différence réelle seulement équivalente à 1 % (Data On Operating System Market Share : Mobile OS, Europe, 2015). La décision attaquée déplorerait le fait que Google n’ait pas fourni les données quantitatives sous jacentes à ces statistiques (considérant 799, point 3), mais la Commission aurait pu les obtenir sur demande.
403 Cependant, à supposer même qu’une partie de la différence entre les parts de requêtes de recherche sur les appareils Android et Windows Mobile puisse être « attribuée au réglage par défaut sur le navigateur préinstallé » plutôt qu’à la préinstallation, les données fournies par Microsoft conservent leur pertinence. En effet, ces données ne font que traduire les différences qui existent entre les appareils équipés du SE Android avec l’ensemble SMG et ceux équipés du SE Windows Mobile : les premiers disposent de l’application de service de recherche Google Search préinstallée et les seconds du service de recherche Bing réglé par défaut.
404 Quant aux données Netmarketshare, fournies par Google et évoquées pour montrer que la différence entre ses parts de requêtes de recherche sur les appareils Android et Windows Mobile, est faible et équivalente à 1 %, il convient tout d’abord de relever qu’elles restent succinctes. Elles sont présentées sous la forme d’un graphique et d’un tableau dépourvus d’explications. En particulier, comme le relève la Commission au considérant 799, point 3, de la décision attaquée, en l’absence d’informations sur les données prises en compte pour savoir quels sont les appareils qui ont été pris en considération pour apprécier les parts de requêtes de recherche sur les appareils équipés du SE Windows Mobile, il est difficile d’apprécier la portée réelle des données mentionnées dans la colonne « Windows Phone ». De même, comme l’expose également la Commission au considérant 799, point 3, de la décision attaquée, les données Netmarketshare sont contredites par d’autres données fournies par Microsoft et Google au cours de la procédure administrative, lesquelles corroborent l’affirmation faite dans la décision attaquée selon laquelle la part de Google dans les recherches générales effectuées sur les appareils Android, où l’application Google Search est préinstallée, est plus importante que sur les appareils Windows Mobile, où cette application n’est pas préinstallée.
– Comparaison des revenus de Google tirés des appareils Android et iOS
405 Troisièmement, la décision attaquée fait état d’une comparaison des revenus mondiaux de Google tirés des appareils Android et des appareils iOS (considérant 794 et tableau 12) pour les années 2014 à 2016, réalisée avec des données fournies par Google, de laquelle il ressort qu’elle obtient des revenus significativement plus importants avec l’utilisation de son application de recherche générale Google Search sur Android que sur iOS (+71 % en 2014, +134 % en 2015 et +193 % en 2016), alors que les revenus totaux obtenus pour la recherche étaient à un niveau similaire entre Android et iOS (+3 % en 2014, +22 % en 2015 et +28 % en 2016).
406 Google soutient que l’absence de prise en compte des requêtes de recherche effectuées sur un navigateur entrave cette comparaison. Si ces requêtes étaient prises en compte, le tableau 12 de la décision attaquée montrerait alors que les revenus de recherche totaux de Google provenant de requêtes effectuées sur iOS étaient supérieurs à ceux tirés d’Android, bien que l’application Google Search ne soit pas préinstallée sur les iPhones. En outre, Apple ne rendrait pas Safari disponible sur Android. La part de Chrome serait donc inévitablement plus petite sur iOS.
407 Cependant, ainsi que le relève la Commission, les données fournies par Google montrent que les recettes engendrées par l’application Google Search sont plus élevées sur les appareils SMG, où l’application Google Search est préinstallée, que sur les appareils iOS, où aucune application de recherche générale, y compris Google Search, n’est préinstallée. Cette partie de la décision étant consacrée au premier groupement, il n’y a pas lieu d’y intégrer les revenus provenant de la mise en œuvre du second groupement. Plus largement, là encore, ces données comparent des situations dans lesquelles le service de recherche générale en cause, en l’occurrence Google Search, bénéficie soit de la préinstallation de l’application Google Search, sur Google Android, soit du réglage par défaut de Google Search, sur le navigateur Safari.
408 Il y a donc lieu de rejeter la critique de Google sur la comparaison de ses revenus tirés des appareils Android et de ceux tirés des appareils iOS effectuée dans la décision attaquée.
iv) Sur certains éléments relatifs à Chrome
409 En troisième lieu, Google soutient que l’observation selon laquelle Safari engendrerait des revenus plus importants sur iOS que ceux tirés de Chrome (considérant 907 de la décision attaquée) confond également la préinstallation et le réglage par défaut et que le sondage Opera (voir considérant 905, point 3, de la décision attaquée) ne permet pas d’établir des effets restrictifs.
– Comparaison des revenus de Google par l’intermédiaire de Safari et par l’intermédiaire de Chrome
410 Premièrement, la décision attaquée fait état d’une comparaison des revenus mondiaux obtenus par Google pour les recherches effectuées par l’intermédiaire de Safari, qui est préinstallé sur les appareils iOS, et par l’intermédiaire de Chrome, qui n’est pas préinstallé sur ces appareils. Cette comparaison, effectuée avec des données fournies par Google, montre qu’elle obtient plus de revenus par l’intermédiaire de Safari que par l’intermédiaire de Chrome sur les appareils iOS (+2457 % en 2014, +1988 % en 2015 et +1883 % en 2016) (considérant 907 et tableau 16 de la décision attaquée). Pour l’année 2016, au regard des 258 millions de préinstallations de Safari, le téléchargement de Chrome sur les appareils iOS ne représentait que 40 millions d’occurrences (considérant 912, point 2, de la décision attaquée).
411 Google fait valoir que cette observation, selon laquelle Safari générerait des revenus plus importants sur iOS que Chrome sur ces mêmes appareils (considérant 907 de la décision attaquée), confond préinstallation et réglage par défaut. En effet, Apple définirait son propre navigateur Safari en tant que navigateur par défaut sur tous les appareils iOS, ce dont la décision attaquée ne tiendrait pas compte. Il serait impossible d’isoler correctement les effets de la préinstallation en considération de preuves concernant une combinaison de la préinstallation, du placement premium et du réglage par défaut.
412 Cependant, une telle observation n’a pas pour effet de priver de pertinence la comparaison entre les recettes que Google perçoit sur les appareils iOS à partir des requêtes de recherche par l’intermédiaire de Safari et par l’intermédiaire de Google Chrome. En effet, cette comparaison a été effectuée en considération des particularités de ces navigateurs sur les appareils iOS : le premier étant le seul préinstallé, tandis que le second doit y être téléchargé. En outre, les utilisateurs ne téléchargent Google Chrome que sur un faible pourcentage d’appareils iOS (15 % en 2016) (considérant 912, point 2, de la décision attaquée).
413 Il y a donc lieu de rejeter la critique de Google en ce qui concerne la comparaison de ses revenus engendrés par l’intermédiaire de Safari et par l’intermédiaire de Chrome effectuée dans la décision attaquée.
– Sondage Opera
414 Deuxièmement, la décision attaquée fait état d’un sondage effectué par Opera (voir considérant 905, point 3), qui indique, d’une part, que, en 2013, 72 % des 1 500 personnes interrogées en Allemagne, en Pologne et au Royaume-Uni ont utilisé le navigateur préinstallé sur leurs appareils mobiles intelligents et, d’autre part, que 16 % de ces personnes ne tenaient pas compte de facteurs tels que la qualité, la facilité d’utilisation, la vitesse, la sécurité ou d’autres caractéristiques, mais continuaient de se servir du navigateur simplement parce qu’il était préinstallé.
415 Google rappelle que la question posée pour ce sondage était la suivante : « [E]n sélectionnant le navigateur que vous utilisez le plus souvent/régulièrement, quels facteurs avez-vous pris en compte ? ». La décision attaquée se fonde sur les utilisateurs qui ont sélectionné la réponse selon laquelle ils « utilis[aient] simplement le navigateur venu avec [leur] téléphone portable » pour soutenir ses allégations. Cette option ne distinguerait pas entre les utilisateurs qui ont choisi un navigateur, selon qu’il était préinstallé ou qu’il était défini par défaut. Or, plusieurs réponses ajoutaient comme commentaire que c’était le « navigateur par défaut du téléphone », qui était utilisé. De plus, comme le montrent les données du sondage fournies par Opera (réponse à la demande de renseignements du 15 décembre 2015), seuls 70 participants sur 500 (14 %) ont en fait choisi l’option citée dans la décision attaquée. En réalité, le nombre pourrait être encore plus faible : 18 utilisateurs sur ces 70 sembleraient se référer à des appareils iOS, et non à des appareils Android, déclarant qu’ils utilisaient Safari comme navigateur, qui n’est pas disponible sous Android. Les 86 % de personnes interrogées restantes ont cité des facteurs tels que la vitesse, la facilité d’utilisation, la sécurité, la consommation de données et d’autres facteurs liés à la qualité. Il serait également erroné de considérer qu’il n’existait qu’un seul navigateur « venu avec » le téléphone, alors que, en fait, les FEO préinstalleraient généralement deux navigateurs ou plus.
416 Cependant, comme le fait valoir la Commission, même si le sondage Opera n’isole pas l’effet de la préinstallation de celui du paramétrage par défaut, au moins une partie des raisons pour lesquelles les personnes interrogées ont utilisé le navigateur Internet « fourni avec le mobile » serait imputable au fait que les FEO préinstallent ce navigateur. Ce sondage identifie le navigateur Internet mobile que les utilisateurs utilisent « le plus souvent » pour faire des recherches sur Internet sur leurs appareils. En prenant en compte les trois pays de l’EEE (Allemagne, Royaume-Uni et Pologne) inclus dans l’échantillon de 1 500 utilisateurs, d’une part, 853 utilisateurs (57 %) ont mentionné Chrome ou Safari comme navigateur qu’ils utilisaient le plus souvent – il s’agit des navigateurs préinstallés sur respectivement tous les appareils SMG et iOS – et, d’autre part, 232 utilisateurs (15 %) ont répondu qu’ils utilisaient le plus souvent les navigateurs paramétrés par défaut (à savoir Chrome sur les appareils SMG et Safari sur les appareils iOS).
417 Il y a donc lieu de rejeter la critique de Google en ce qui concerne les références faites aux résultats du sondage Opera dans la décision attaquée.
418 En conclusion, les différents arguments avancés par Google pour réfuter l’avantage conféré par la préinstallation des applications Google Search et Chrome sur les appareils Google Android ne permettent pas de remettre en cause les conclusions tirées par la Commission des différents éléments exposés dans la décision attaquée à cet égard.
b) Possibilité pour les FEO de préinstaller ou de régler par défaut des services de recherche générale concurrents
1) Décision attaquée
419 La décision attaquée considère que l’avantage concurrentiel conféré par les conditions de préinstallation de l’ADAM ne peut pas être compensé par les fournisseurs de service de recherche générale concurrents au moyen d’autres accords de préinstallation pour les motifs suivants (considérant 833 de la décision attaquée) :
– les FEO ne souhaiteraient généralement pas installer une autre application de recherche générale ; cela serait dû aux revenus additionnels assez faibles qui résulteraient de l’ajout d’une telle application, au coût des négociations de tels accords, et au risque lié au fait d’avoir des applications en double, ce qui pourrait nuire à l’expérience de l’utilisateur ou occasionner des problèmes de place ; il en irait de même mutatis mutandis pour les navigateurs (considérants 824 à 829, 933 et 934 de la décision attaquée) ;
– l’ADAM empêcherait les FEO et les ORM de préinstaller exclusivement une autre application de recherche générale sur les appareils Google Android (considérants 830 à 832 de la décision attaquée) ; en outre, même si un navigateur concurrent de Chrome pouvait être préinstallé, il ne pourrait pas être réglé par défaut (considérant 935 de la décision attaquée) ;
– les APR conclus avec les FEO et les ORM, qui ont entraîné la préinstallation exclusive de l’application Google Search sur [50-60 %] à [80-90 %] de tous les appareils Google Android de l’EEE, empêcheraient aussi les concurrents de Google de préinstaller une autre application de service de recherche générale à côté de celle de la sienne sur ces appareils (considérant 833 de la décision attaquée) ;
– le nombre de préinstallation de navigateurs concurrents sur les appareils Google Android serait significativement plus bas que le nombre de préinstallations de Google Chrome (considérant 936 et tableau 19 de la décision attaquée).
420 Ainsi, Bing, le principal concurrent de Google Search, n’aurait pas pu être préinstallé sur les appareils Google Android entre 2011 et 2016, à l’exception d’un seul modèle d’appareil commercialisé aux États-Unis à partir de 2011 (considérant 834 et considérant 789, point 8, de la décision attaquée).
2) Synthèse des arguments des parties
421 Google fait valoir que les conditions de préinstallation de l’ADAM n’empêchaient pas les FEO de fournir la même préinstallation que celle octroyée à Google Search et à Chrome pour les services de recherche et les navigateurs concurrents sur tous leurs appareils Android. Il aurait même été possible d’assurer une opportunité promotionnelle supérieure à celle des produits de Google, dès lors que les FEO pouvaient définir un navigateur autre que Chrome comme navigateur par défaut et les services de recherche générale concurrents comme services par défaut dans ces navigateurs préinstallés. En outre, si Google Search était réglé par défaut sur Chrome dans la barre URL, les utilisateurs auraient toujours pu changer ce service de recherche en configurant celui d’un concurrent. Les pratiques en cause n’auraient donc pu restreindre la concurrence.
422 Ainsi, l’affirmation selon laquelle les FEO et les ORM ne voudraient pas d’applications concurrentes sur les appareils Android serait contredite par leurs pratiques, qu’il s’agisse des services de recherche générale, des navigateurs ou d’autres types d’applications. De même, le raisonnement sur les APR contredirait l’affirmation selon laquelle les FEO et les ORM n’auraient aucun intérêt à préinstaller des applications de recherche et de navigation aux côtés des applications de Google (considérants 824 à 829, 933 et 934, à comparer au considérant 1208, point 1, et aux considérants 1213, 1214, 1219 et 1220 de la décision attaquée). En outre, aucune des quatre raisons invoquées pour affirmer que les FEO ne souhaitaient pas préinstaller les applications concurrentes aux côtés des applications Google, à savoir les obstacles liés à « l’expérience utilisateur », les problèmes d’espace de stockage, les coûts de transaction et le manque d’avantages financiers liés à la préinstallation, ne serait corroborée par des preuves suffisantes.
423 La Commission soutient que les concurrents ne peuvent pas compenser, par des accords de préinstallation, l’important avantage concurrentiel que Google s’assure grâce à la préinstallation de l’application Google Search et de Google Chrome sur pratiquement tous les appareils Google Android vendus dans l’EEE.
3) Appréciation du Tribunal
i) Observations liminaires
424 À titre liminaire, il y a lieu de relever que Google allègue essentiellement dans ce grief que les conditions de préinstallation de l’ADAM n’empêchaient pas les FEO de fournir la même préinstallation que celle octroyée à Google Search et à Chrome pour les services de recherche générale et les navigateurs concurrents sur les appareils Google Android vendus dans l’EEE.
425 Or, la Commission ne conteste pas dans la décision attaquée que l’ADAM permette aux FEO de préinstaller des applications concurrentes de Google Search et de Chrome. Les concurrents de Google pouvaient donc en principe proposer aux FEO les mêmes conditions de préinstallation que celles prévues par l’ADAM pour leurs propres applications. Une installation conjointe était possible en application de l’ADAM.
426 La décision attaquée indique plutôt, d’une part, que l’ADAM « empêche » les FEO de préinstaller exclusivement de telles applications en lieu et place de Google Search et de Chrome (considérant 832 de la décision attaquée) et, d’autre part, que les APR requièrent des FEO et des ORM la préinstallation exclusive de l’application Google Search pour la partie couverte par ces accords, soit au fil du temps de [80-90 %] à [50-60 %] des appareils Google Android vendus dans l’EEE (considérant 833 de la décision attaquée), ce qui inclut les APR par portefeuille ainsi que les APR par appareils, comme cela a été confirmé par la Commission en réponse aux mesures d’organisation de la procédure.
427 Dans ce contexte, compte tenu des parts de marché et de leur évolution, de 2011 pour Google Search et de 2012 pour Chrome à l’adoption de la décision attaquée, le débat sur les possibilités offertes aux concurrents de compenser l’avantage concurrentiel octroyé par les conditions de préinstallation de l’ADAM reste surtout théorique. En pratique, en effet, les fournisseurs d’applications concurrentes n’ont pas été en mesure de compenser par des accords de préinstallation l’avantage concurrentiel que Google s’assurait grâce à la préinstallation de Google Search et de Chrome sur pratiquement tous les appareils Google Android vendus dans l’EEE. Comme l’indique la décision attaquée, la préinstallation d’applications de recherche générale et de navigateurs concurrents n’est pas comparable, en termes de présence, à la préinstallation de l’application Google Search et de Google Chrome (voir considérant 940 de la décision attaquée pour les navigateurs).
428 Une distinction doit être faite à cet égard entre les hypothèses théoriques de concurrence et la réalité pratique, où les alternatives concurrentielles évoquées par Google paraissent peu crédibles ou sans incidence réelle en raison du « biais de statu quo » qu’entraînaient les conditions de préinstallation de l’ADAM et des effets combinés de ces conditions avec les autres accords contractuels de Google, dont les APR.
429 C’est dans ce contexte qu’il y a lieu d’examiner l’argumentation de Google selon laquelle, en dépit des conditions de préinstallation de l’ADAM, les FEO restaient libres de fournir les mêmes conditions de préinstallation que celles octroyées à Google Search et à Chrome pour les services de recherche générale et les navigateurs concurrents sur les appareils Google Android vendus dans l’EEE. Cette argumentation envisage, tout d’abord, la préinstallation d’applications concurrentes, ensuite, la prétendue contradiction entre le raisonnement relatif aux APR et l’allégation selon laquelle la préinstallation d’applications concurrentes ne serait pas intéressante et, enfin, l’intérêt des FEO à la préinstallation d’applications concurrentes.
ii) Sur la préinstallation d’applications concurrentes
430 En premier lieu, il convient de relever que l’argumentation de Google à cet égard se concentre plus sur la situation des navigateurs que sur celle des applications de services de recherche générale. Cette argumentation envisage, tout d’abord, l’application Google Search et les applications concurrentes, ensuite, le navigateur Chrome et ses concurrents et, enfin, les autres applications.
– Sur l’application Google Search et ses concurrents
431 S’agissant des applications de services de recherche générale, Google se limite à contester la référence faite à Bing, qui, de 2011 à 2016, n’a pu être préinstallée que sur un seul modèle d’appareil Google Android commercialisé aux États-Unis en 2011 (voir considérant 834 et considérant 789, point 8, de la décision attaquée).
432 Selon Google, le fait que Bing n’a pas pu être préinstallée sur des appareils Google Android vendus dans l’EEE ne s’expliquerait pas par les conditions de préinstallation de l’ADAM, mais plutôt par l’absence de programmation locale de Bing pour la plupart des pays de l’EEE.
433 Force est toutefois de relever, comme le fait la Commission, que ce n’est que très rarement que des concurrents de Google sont parvenus à préinstaller leur application de recherche générale sur des appareils en plus de l’application Google Search. En toute hypothèse, cela n’a concerné qu’une partie limitée des appareils des FEO concernés, notamment dans l’EEE.
434 En effet, seuls deux cas de « préinstallation » d’une application concurrente de recherche générale sont évoqués dans la décision attaquée, et ce dans des cas où le FEO n’avait pas ou plus d’APR avec Google (considérant 1219 de la décision attaquée) :
– un accord de partage de revenus entre Microsoft et ZTE de février 2017 pour la vente de certains appareils Google Android dans le monde, y compris dans l’EEE, avec Bing défini par défaut sur le navigateur de ZTE, ainsi que pour la vente de certaines quantités d’appareils Google Android avec l’application de recherche générale Bing préinstallée sur ces appareils (considérant 1219, point 1, de la décision attaquée) ;
– un accord de partage de revenus entre Yandex et deux FEO pour la vente d’appareils Google Android dans le monde, y compris pour un petit nombre dans l’EEE, où le « widget » du service de recherche générale Yandex et des liens vers la page d’accueil de Yandex sur le navigateur par défaut étaient préinstallés (considérant 1219, point 2, de la décision attaquée).
435 Par ailleurs, la raison évoquée par Google à propos de Bing ne constitue pas une explication plausible de l’incapacité de Microsoft à convaincre les FEO de préinstaller cette application sur les appareils Google Android. En effet, l’absence de programmation locale ne concernait pas tous les pays de l’EEE et, même dans les pays où cette application permettait la localisation, tels le Royaume-Uni ou l’Allemagne, les FEO n’ont pas préinstallé l’application Bing. De même, les FEO n’ont pas préinstallé l’application Seznam sur leurs appareils en République tchèque, en dépit du fait que les algorithmes de recherche générale de cette application étaient construits sur le tchèque (voir considérant 682 et considérant 814, point 4, de la décision attaquée).
436 Il ressort de ce qui précède que, contrairement à ce qu’affirme Google, les fournisseurs de service de recherche générale concurrents de Google Search n’ont pas été en mesure de compenser l’avantage concurrentiel conféré par les conditions de préinstallation de l’ADAM.
– Sur le navigateur Chrome et ses concurrents
437 S’agissant des navigateurs, Google fait état de différents éléments pour soutenir que les conditions de préinstallation de l’ADAM n’empêchaient pas les FEO de fournir aux navigateurs concurrents les mêmes conditions de préinstallation que celles octroyées à Google Search et à Chrome :
– la décision attaquée indique que, entre 2013 et 2016, des navigateurs concurrents étaient préinstallés aux côtés de Chrome sur près de 60 % des appareils Android (considérant 936 et tableau 19) ; le nombre de ces préinstallations de navigateurs concurrents ne serait donc pas « nettement inférieur au nombre de préinstallations de Google Chrome sur des appareils Google Android » ;
– un deuxième navigateur préinstallé pourrait engendrer une proportion plus élevée de revenus de recherche que l’application Google Search ou Chrome qui seraient préinstallés avec l’ADAM ; cela ressortirait des éléments de preuve suivants : Samsung, qui a commencé en 2016 à préinstaller son propre navigateur sur ses appareils en lui donnant un meilleur positionnement que Chrome, ce navigateur représentant 38,4 % des revenus de Google Search dans l’EEE sur les appareils Samsung Galaxy S6, dépassant l’application Google Search (38,1 %) et Chrome (23,3 %) (considérant 949 de la décision attaquée) ; Huawei, qui a indiqué en 2015 que « le navigateur Huawei [était] pré-chargé sur tous les smartphones Huawei du marché de l’EEE en tant que navigateur par défaut du système » (Huawei, 14 décembre 2015) et HTC, qui a indiqué en 2015 que son navigateur, HTC Internet, était préinstallé sur ses appareils et qu’il n’y avait « pas d’effet significatif » à l’ajout de Chrome à l’ensemble SMG par Google en 2012, car HTC préinstallait son propre navigateur Internet sur la plupart de ses appareils (HTC, 13 novembre 2015).
438 Contrairement à ce que suggère la Commission, l’argumentation de Google et les différents éléments qui l’étayent ne peuvent pas être écartés d’emblée.
439 En effet, l’argumentation de Google permet a priori de montrer, comme cela ressort des éléments factuels repris dans la décision attaquée (voir le tableau 19, qui indique des taux de préinstallation parallèle de 40 à 60 % dans le monde de 2013 à 2016), que, pour ce qui concerne les navigateurs, la situation concurrentielle est plus animée qu’en ce qui concerne les applications de services de recherche générale. D’autres navigateurs que Chrome peuvent être préinstallés sur les appareils Google Android et le sont d’ailleurs souvent.
440 Le cas d’Opera fournit une bonne illustration. Selon Opera, qui intervient au soutien de Google, une bonne partie de ses utilisateurs proviennent d’accords de préinstallation conclus avec des FEO (Samsung, Huawei, OPPO et Tecno) en ce qui concerne des appareils Google Android. La Commission relève à cet égard que ces accords concernaient moins de 5 % des appareils Google Android vendus dans l’EEE (considérant 940 de la décision attaquée), dans la mesure où ces appareils étaient essentiellement vendus en Afrique (accords d’Opera avec Samsung et Tecno).
441 Cet exemple montre que des accords de préinstallation conjointe de navigateurs pouvaient exister pendant la durée de l’infraction, en tout cas d’une manière plus importante que ne l’étaient les accords de préinstallation d’une application de service de recherche générale. Toutefois, les effets de tels accords sur la question de savoir s’ils sont en mesure de compenser l’avantage découlant de la préinstallation doivent être examinés.
442 En effet, l’incidence de l’argumentation de Google sur l’analyse perd de sa substance en considération des différentes observations faites par la Commission et les parties intervenant à son soutien. En pratique, il s’avère ainsi que, si la liberté de préinstallation d’autres applications de navigation était bien une possibilité offerte aux FEO, ceux-ci n’ont pu en profiter en pratique que pour préinstaller des applications de navigation qui utilisaient Google Search comme moteur de recherche défini par défaut.
443 À l’opposé de l’exemple d’Opera, en effet, Seznam expose dans son mémoire en intervention les difficultés rencontrées pour obtenir la préinstallation de ses applications de recherche et de navigation. Seznam indique d’ailleurs que ces difficultés existaient aussi bien du temps des APR par portefeuille que par la suite, quand les APR par appareils sont entrés en vigueur. De même, ce n’est qu’en septembre 2018, soit après l’adoption de la décision attaquée, que Qwant a été en mesure d’être défini comme moteur de recherche par défaut sur le navigateur Brave en France et en Allemagne.
444 Premièrement, certes, de 2013 à 2016, des navigateurs concurrents étaient préinstallés aux côtés de Chrome sur près de 60 % des appareils Android (tableau 19 de la décision attaquée).
445 Toutefois, d’une part, s’agissant des cas de Samsung et de Huawei évoqués par Google, il convient de relever que les seuls navigateurs Internet mobile qui ont été préinstallés sur un nombre significatif d’appareils Google Android de ces FEO sont les navigateurs propres à ces FEO et non des navigateurs tiers (considérant 936 de la décision attaquée).
446 À cet égard, la Commission fait observer que certains opérateurs, y compris Samsung et Huawei, ont défini Google Search comme service de recherche générale par défaut sur leurs navigateurs. Le considérant 798, point 2, de la décision attaquée fait ainsi référence à des « accords avec les FEO et les ORM visant à garantir que Google Search était le seul service de recherche général préinstallé et défini par défaut sur tous les navigateurs mobiles préinstallés de tierces parties ». Interrogée sur ce point, la Commission a précisé qu’il s’agissait là d’une référence aux APR. La Commission évoque également HTC, qui définissait également Google Search comme service de recherche générale par défaut sur son navigateur, pour indiquer que, en toute hypothèse, celui-ci avait cessé de développer son propre navigateur à partir du 30 novembre 2016.
447 D’autre part, s’agissant de la situation des opérateurs qui ont conclu un APR, il convient de relever que, pour pouvoir bénéficier du partage des revenus, ces opérateurs s’engagent à définir Google Search par défaut sur les différents points d’entrée de leurs appareils Google Android, y compris leur propre navigateur (considérant 822, note en bas de page n° 908, et point 6.3.3 sur les APR par portefeuille), et à ne préinstaller aucun service de recherche générale concurrent (considérants 192 et 198 de la décision attaquée).
448 Cela est d’autant plus significatif que, au considérant 822 de la décision attaquée, la Commission indique que, de 2011 à 2016, les APR couvraient de [80-90 %] à [50-60 %] des appareils Google Android vendus dans l’EEE. Il ressort des informations exposées dans la note en bas de page n° 908 sous le considérant 822 de la décision attaquée que les informations prises en compte à cet égard comprennent non seulement les informations déduites de la couverture des APR par portefeuille, mais aussi celles déduites de la couverture des APR par appareils, qui ont succédé aux APR par portefeuille. Cela a été confirmé par la Commission en réponse à une question posée au titre des mesures d’organisation de la procédure.
449 Ainsi, de 2011 à 2016, plus de 50 % des appareils Google Android vendus dans l’EEE étaient couverts par des APR conclus avec Google, qu’il s’agisse d’APR par portefeuille ou d’APR par appareils, qui exigeaient tous la définition de Google Search comme moteur de recherche par défaut sur les navigateurs préinstallés et interdisaient l’installation d’un service de recherche concurrent.
450 Dès lors, et cela vaut pour Samsung, HTC, LG et Sony, comme pour les autres opérateurs qui ont conclu un APR, il s’avère que, quand un navigateur était préinstallé à côté de Chrome, lequel est réglé par défaut sur Google Search, ledit navigateur était également réglé par défaut sur Google Search.
451 Cette observation permet d’illustrer la complémentarité des différentes pratiques de Google et implique nécessairement de tenir compte – comme cela est d’ailleurs exposé dans la décision attaquée – des effets combinés des ADAM et des APR. En effet, l’obligation contractuelle liée à l’APR de ne pas installer une autre solution que Google Search pour la réalisation des recherches générales a pour résultat que la possibilité théorique d’une préinstallation d’un service concurrent des applications de Google, permise pourtant en principe par les ADAM, était effectivement exclue, de 2011 à 2016, pour au moins la moitié des appareils Google Android vendus dans l’EEE. En d’autres termes, les APR garantissaient l’exclusivité sur les appareils concernés, ce dont il y a lieu de tenir compte pour apprécier les effets anticoncurrentiels des ADAM.
452 À cet égard, il y a lieu de relever que la prise en compte en tant qu’élément factuel des effets combinés des ADAM et des APR ne dépend nullement du caractère abusif ou non des APR, qu’il s’agisse des APR par portefeuille constitutifs d’un abus selon l’analyse de la Commission, remise en cause par Google dans le cadre du troisième moyen, ou des APR par appareils qui ne sont pas considérés comme abusifs dans la décision attaquée.
453 Dans ces circonstances, l’argument invoqué par Google en ce qui concerne un FEO, selon lequel, en 2016, sur une catégorie de ses appareils, le navigateur Internet mobile dudit FEO a engendré des recettes de recherche plus élevées dans l’EEE que l’application Google Search ou Chrome, ne remet pas en question l’analyse qui précède.
454 Cet argument, invoqué dans la requête, a été contesté par la Commission au motif qu’elle ne pouvait pas vérifier une telle allégation, que ce soit pour la catégorie donnée d’appareils de ce FEO en 2016, ou plus largement pour d’autres années et pour d’autres catégories d’appareils dudit FEO. En réponse, Google a présenté les données internes utilisées pour établir les affirmations faites dans la requête. Ces données montrent effectivement que, en 2016, le navigateur propre à ce FEO a engendré plus de revenus par les demandes de recherche que l’application Google Search ou Chrome sur deux séries de modèles.
455 Ces revenus étaient également supérieurs à ceux engendrés par Chrome, en 2017, sur trois séries de modèles (les deux précités et un troisième), et, en 2018, sur quatre séries de modèles (les trois précités et un quatrième) dudit FEO, mais étaient inférieurs aux revenus engendrés à ce moment-là par l’application Google Search sur ces appareils.
456 Google fait valoir qu’il s’agit d’un cas où, par la préinstallation de son propre navigateur sur ses appareils Google Android, un FEO a été en mesure de compenser dans une certaine mesure l’avantage concurrentiel dont elle bénéficiait du fait de la préinstallation de l’application Google Search et de Chrome.
457 Toutefois, dans la mesure où le FEO en question était lié par un APR et ainsi sous l’obligation de définir Google Search par défaut sur les différents points d’entrée de ses appareils, y compris son propre navigateur, il y a lieu de relativiser l’effet concurrentiel d’une telle compensation. Ce point a été confirmé par Google en réponse aux mesures d’organisation de la procédure.
458 En outre, la situation d’un FEO qui préinstalle son propre navigateur sur ses appareils n’est pas comparable à celle d’un concurrent de Google sur les marchés de service de recherche générale qui ne dispose pas de la possibilité de fabriquer ses propres appareils, dès lors que ce dernier doit négocier avec un FEO pour pouvoir préinstaller ses applications.
459 Deuxièmement, en toute hypothèse, la Commission rappelle que, même si un navigateur concurrent est préinstallé sur un appareil Google Android, celui-ci ne peut pas être défini par défaut (considérant 935 de la décision attaquée).
460 Pour répondre aux affirmations faites par Google en ce qui concerne la déclaration d’un représentant de Huawei dans un courriel adressé à la Commission en décembre 2015, aux termes de laquelle un navigateur autre que Chrome pourrait être le « navigateur système par défaut », la Commission indique à ce propos que cela n’aurait pas été possible.
461 En effet, il ressort, d’une part, des ADAM, que les FEO étaient tenus de préinstaller Chrome sur la quasi-totalité de leurs appareils Google Android vendus dans l’EEE et, d’autre part, des AAF et de la clause 3.2.3.2 du document de définition de compatibilité Android (ci-après le « DDC »), que « les concepteurs d’appareils ne [devaient] pas associer de privilèges particuliers à l’utilisation par les applications système [des] schémas d’intention, ni empêcher des applications tierces de se lier à ces schémas et d’en prendre le contrôle ». Dès lors, un FEO ayant préinstallé Chrome, ce qui présupposait la signature d’un ADAM et d’un AAF, ne pouvait pas définir un navigateur Internet mobile concurrent par défaut.
462 Les déclarations faites par Orange et une autre entreprise (considérant 935 de la décision attaquée) confirment le fait que, même en cas de préinstallation d’un navigateur concurrent de Chrome, celui-ci ne peut être « défini comme navigateur par défaut ». Ces deux opérateurs se réfèrent à ce propos à l’obligation évoquée ci-dessus par la Commission de ne pas privilégier un navigateur concurrent de Chrome quand celui-ci est également préinstallé sur l’appareil Google Android.
463 Dans ce contexte, aucun élément invoqué par Google n’est de nature à étayer son allégation selon laquelle un tel réglage par défaut du navigateur concurrent serait possible en présence de Chrome :
– quant à la déclaration selon laquelle « le navigateur Huawei est préchargé sur tous les smartphones Huawei sur le marché de l’EEE en tant que navigateur système par défaut », il s’avère qu’elle n’a pas été faite au nom de Huawei en réponse à une demande de renseignements, mais simplement fournie par un salarié de Huawei en guise d’« information à caractère général » au titre d’une « réponse préliminaire », et qu’elle ne permet pas de savoir ce que ce salarié entendait par « navigateur système par défaut », surtout à la lumière de l’exigence du DDC évoquée ci-dessus en application duquel les FEO ne pouvaient pas définir un navigateur concurrent par défaut ; en tout état de cause, depuis 2016, Huawei ne préinstalle plus son propre navigateur Internet mobile (voir Huawei ALE Android 6.0 Release Notes, 7 juin 2016 : « Pour une meilleure expérience, l’ensemble de nos téléphones mobiles adaptés aux marchés étrangers fonctionnant sous Android 5.0 et plus supprimeront le navigateur intégré Huawei et adopteront Google Chrome ») ;
– quant à la déclaration faite par Orange dans un courriel daté du 3 août 2012, selon laquelle « Chrome pourra coexister avec les navigateurs des fabricants et Google ne l’impose pas comme navigateur par défaut », il en ressort simplement que les ADAM n’obligent pas les FEO à paramétrer Chrome comme navigateur par défaut – ce qui n’est pas contesté par la Commission – et non que les FEO peuvent définir leur propre navigateur Internet mobile comme navigateur par défaut.
464 En outre, la question de savoir si un navigateur concurrent peut être défini par défaut n’a pas d’incidence. Google ne conteste d’ailleurs pas la nature théorique de cette question au vu des effets combinés des ADAM et des AAF. Ce qui importe en l’espèce est d’examiner les différentes possibilités pratiques offertes aux services de recherche générale concurrents pour atteindre les utilisateurs, Google veillant à ce que les FEO respectent à l’égard des navigateurs concurrents de Chrome leur obligation – telle qu’elle découle des AAF – de donner à Google Search au moins le même traitement que celui qu’ils pourraient accorder à un autre service de recherche générale.
465 Troisièmement, le fait que les FEO préinstallent leurs propres navigateurs sur certains de leurs appareils ne change rien au fait que le nombre de préinstallations de chacun de ces navigateurs est inférieur à celui des préinstallations de Google Chrome sur ces appareils. Il doit notamment être tenu compte du fait que certaines des données invoquées par Google concernent la préinstallation à l’échelle mondiale, y compris la Chine (voir, par exemple, le tableau 19 de la décision attaquée). Or, l’absence de préinstallation de Google Chrome en Chine a une incidence considérable sur les données relatives à l’EEE. La préinstallation de Google Chrome couvrait pratiquement tous les appareils Google Android dans l’EEE alors qu’en comparaison la préinstallation conjointe d’un autre navigateur restait moins importante en termes de portée et d’effectivité. Les observations de la Commission sur ce point ne sont donc pas remises en cause par Google.
– Sur les autres applications
466 S’agissant des autres applications que Google Search et Chrome, comprises dans l’ensemble SMG, et des applications concurrentes de celles-ci, il y a lieu de relever, comme le fait la Commission, que les arguments de Google qui y sont consacrés sont dénués de pertinence. En effet, ces autres applications et les applications concurrentes ne sont pas des applications de recherche générale ou des navigateurs et ne font donc pas l’objet des abus de position dominante définis dans la décision attaquée.
iii) Sur la prétendue contradiction entre le raisonnement relatif aux APR et l’allégation selon laquelle la préinstallation d’applications concurrentes ne serait pas intéressante
467 En deuxième lieu, Google fait valoir que le raisonnement de la décision attaquée sur les APR contredit l’affirmation selon laquelle les FEO n’auraient pas intérêt à préinstaller des applications de recherche générale et de navigation aux côtés de ses applications.
468 À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler le contenu des affirmations litigieuses.
469 D’une part, pour conclure que les accords de préinstallation avec les FEO ne pouvaient pas être comparés en termes de portée et d’efficacité avec les accords de préinstallation de l’application Google Search sur les appareils SMG, la Commission a considéré – entre autres éléments – qu’il serait « peu probable » que les FEO préinstallent une ou plusieurs autres applications de service de recherche générale en plus de l’application obligatoire Google Search. Cette conclusion s’expliquerait notamment par le fait que les FEO devraient mettre en balance les revenus potentiels qu’ils obtiendraient avec cette autre application de service de recherche générale avec le coût d’une telle opération et les autres coûts liés à des facteurs tels que l’expérience de l’utilisateur et le support (considérants 823 et 824 de la décision attaquée).
470 Pour expliquer cette conclusion, la Commission a indiqué avoir pris en considération les éléments suivants :
– premièrement, la part de revenus potentiels que les FEO obtiendraient de l’installation d’une ou de plusieurs autres applications en plus de l’application Google Search serait faible, compte tenu de la part de marché supérieure à 90 % détenue par Google dans la plupart des marchés nationaux des services de recherche dans l’EEE et du fait que Google serait toujours défini par défaut sur tous les autres principaux points d’entrée, en particulier sur les navigateurs (considérant 825 de la décision attaquée) ;
– deuxièmement, les FEO auraient à assumer des coûts de transaction pour obtenir de tels accords de préinstallation et ces coûts ne pourraient probablement pas être justifiés pour un petit volume d’appareils (considérant 826 de la décision attaquée) ;
– troisièmement, les FEO devraient également tenir compte du fait que, dans la mesure où l’ensemble SMG comprend de 12 à 30 applications, il pourrait y avoir des applications en double et cela pourrait nuire à l’expérience de l’utilisateur (considérants 827 à 829 de la décision attaquée).
471 De même, pour conclure que les accords de préinstallation avec les FEO ne pouvaient pas être comparés en termes de portée et d’efficacité avec la préinstallation du navigateur Chrome sur les appareils SMG, la Commission a considéré – entre autres éléments – que les FEO seraient « réticents » à préinstaller des applications qui dupliqueraient des applications déjà installées en raison des problèmes avec l’espace de stockage de certains appareils (considérants 932 et 933 de la décision attaquée).
472 D’autre part, dans la partie de la décision attaquée consacrée aux APR, la Commission ferait toutefois état à plusieurs reprises de l’intérêt qu’auraient les FEO d’obtenir de tels accords pour les motifs suivants :
– « sans les paiements de partage des revenus par portefeuille, les FEO […] auraient eu un intérêt commercial à préinstaller des services de recherche générale concurrents sur au moins certains de leurs appareils Google Android » (considérant 1208, point 1, de la décision attaquée) ;
– préinstaller des services de recherche générale concurrents aurait permis aux FEO « d’offrir des produits différenciés » (considérant 1213 de la décision attaquée) ;
– la « préinstallation de services de recherche générale aux côtés de Google aurait augmenté le trafic vers ces services, » (voir considérant 1214 de la décision attaquée, citant Yahoo !, Qwant, Microsoft, Yandex, et Seznam) ;
– des FEO auraient conclu des accords pour préinstaller des services de recherche générale concurrents sur des appareils ou pour les définir comme services par défaut (considérant 1219 de la décision attaquée) ;
– un accord entre Mozilla et un service de recherche concurrent « montre que Mozilla considère que les FEO […] ont un intérêt commercial à préinstaller le navigateur Mozilla avec un service de recherche générale concurrent défini comme service par défaut sur au moins certains de leurs appareils sous Android » (considérant 1220 de la décision attaquée).
473 Contrairement à ce qu’allègue Google, il ne peut être considéré que ces deux raisonnements se contredisent. Dans un premier temps, en effet, la Commission examine la probabilité ou l’incitation des FEO à négocier des accords de préinstallation avec des concurrents de l’application Google Search ou de Chrome, qui sont préinstallés sur les appareils SMG au titre de l’ADAM. La Commission ne conteste pas, pour autant, que ces FEO puissent avoir un intérêt commercial à négocier de tels accords, lequel est notamment évoqué au titre des APR. Cet intérêt commercial doit toutefois être concilié avec les autres facteurs évoqués dans le raisonnement de la Commission en ce qui concerne le premier groupement (faible part de marché résiduelle pour une deuxième application de service de recherche générale, coûts de transaction, difficultés liées à la duplication au regard de l’expérience de l’utilisateur et de la capacité de stockage) et le second groupement (problèmes liés à l’espace de stockage).
474 Il ressort de ce qui précède qu’il convient de rejeter le grief pris de la contradiction entre le raisonnement de la décision attaquée sur les APR et les affirmations faites par la Commission selon lesquelles il serait peu probable que les FEO préinstallent des applications de services de recherche générale concurrentes de l’application Google Search et selon lesquelles les FEO seraient réticents à préinstaller des applications de navigation concurrentes de Chrome.
iv) Sur l’intérêt des FEO à la préinstallation d’applications concurrentes
475 En troisième lieu, Google fait valoir que la décision attaquée identifie quatre raisons à l’appui de l’affirmation selon laquelle « il est peu probable que les FEO préinstallent une application supplémentaire de service de recherche générale en plus de l’application obligatoire Google Search » (considérant 824 de la décision attaquée, ci-après l’« affirmation contestée »), à savoir l’existence d’obstacles liés à l’expérience de l’utilisateur, des problèmes liés à l’espace de stockage, les coûts de transaction et le manque d’avantages financiers liés à la préinstallation. Or, étant donné que les FEO préinstalleraient dans les faits des applications concurrentes sur les appareils SMG, aucune de ces raisons ne serait corroborée par des preuves et l’affirmation contestée serait donc erronée.
476 L’examen de cette argumentation nécessite au préalable de la remettre dans son contexte.
477 D’une part, en effet, l’affirmation contestée repose sur l’idée, exposée au même considérant 824 de la décision attaquée, selon laquelle la décision relative à la préinstallation d’une application de service de recherche générale concurrente de l’application Google Search résulte de la mise en balance par le FEO, en premier lieu, des recettes susceptibles de provenir de cette application supplémentaire avec, en second lieu, le coût de l’opération et ses effets sur l’expérience de l’utilisateur ou le support technique. L’affirmation contestée concerne donc principalement l’intérêt des FEO de préinstaller une application concurrente de l’application Google Search, ou à titre incident du navigateur Chrome réglé par défaut sur le service de recherche générale Google Search, et non une quelconque des autres applications couvertes par l’ensemble SMG, tout particulièrement celles qui ne sont pas liées à la mise en œuvre d’un service de recherche générale.
478 En conséquence, les faits pertinents pour l’appréciation du bien-fondé de l’affirmation contestée sont ceux qui concernent les applications qui mettent en œuvre un service de recherche générale et non des applications d’un autre type.
479 D’autre part, l’affirmation contestée ne constitue que la première des cinq explications évoquées par la Commission pour soutenir, contrairement à ce que faisait valoir Google lors de la procédure administrative, que « les accords de préinstallation avec les FEO et les ORM ne peuvent pas être comparés en termes de portée et d’efficacité avec la préinstallation de l’application Google Search sur les appareils SMG » (considérant 823 de la décision attaquée).
480 Google ne conteste pas les explications suivantes :
– l’ADAM empêchait les FEO de préinstaller exclusivement une application de service de recherche générale concurrente de l’application Google Search sur les appareils Google Android ; les concurrents de Google se voyaient donc privés d’une possibilité d’obtenir de meilleures conditions que celles définies par l’ADAM ; en effet, en pratique, un FEO qui accepterait une telle préinstallation exclusive d’une application de service de recherche générale concurrente ne pourrait pas proposer le Play Store ou les autres applications de l’ensemble SMG (considérants 830 et 831 de la décision attaquée) ;
– l’ADAM empêchait également les ORM de demander aux FEO de préinstaller exclusivement une application de service de recherche générale concurrente de l’application Google Search sur les appareils Google Android, étant donné que presque tous les FEO avaient conclu un ADAM et s’étaient donc engagés à préinstaller l’application Google Search sur les appareils SMG (considérant 832 de la décision attaquée) ;
– les APR conclus avec certains FEO et ORM entraînaient la préinstallation exclusive de l’application Google Search de [80-90 %] à [50-60 %] des appareils Google Android vendus dans l’EEE de 2011 à 2016, ce qui privait les concurrents de Google de la possibilité de préinstaller leur application de service de recherche générale à côté de l’application Google Search (considérant 833 et point 13.4.2.1 de la décision attaquée) ;
– Bing, le principal concurrent de Google Search, n’a pas pu être préinstallé sur le moindre appareil Google Android de 2011 à 2016, à l’exception d’un seul modèle d’appareil sorti aux États-Unis en 2011 (considérant 834 et considérant 789, point 8, de la décision attaquée).
481 C’est dans le cadre de ce contexte factuel, qui tient compte de la portée et de l’efficacité de la préinstallation de l’application Google Search sur les appareils SMG au regard des différents accords conclus par Google au titre de sa stratégie générale visant à consolider et à préserver ses parts de marché sur l’internet mobile au sein de l’EEE, qu’il y a lieu d’examiner les arguments de Google concernant l’affirmation contestée. En substance, Google critique les différentes raisons évoquées par la Commission (voir point 475 ci-dessus) pour apprécier l’intérêt des FEO à la préinstallation d’applications concurrentes, à savoir, les recettes potentielles, les coûts de transaction, l’expérience de l’utilisateur et l’espace de stockage.
– Sur les recettes potentielles
482 Au titre de son appréciation de la probabilité qu’un FEO préinstalle une application supplémentaire de service de recherche générale en plus de l’application Google Search pour ce qui concerne les appareils SMG, la Commission fait observer que « la part des recettes potentielles que les FEO tireraient d’une ou de plusieurs applications des services de recherche générale supplémentaires serait faible, étant donné que Google disposait de parts de marché de 90 % sur la plupart des marchés nationaux et, comme cela est expliqué au considérant 796 [de la décision attaquée], Google serait encore défini par défaut sur les autres principaux points d’entrée, notamment les navigateurs » (considérant 825 de la décision attaquée).
483 Cette explication est critiquée par Google pour les motifs suivants :
– selon la décision attaquée, les concurrents aussi efficaces pourraient obtenir une part de 22,5 % des requêtes de recherche s’ils étaient préinstallés à côté de Google et définis par défaut sur les points d’entrée des navigateurs (considérant 1226, point 2, de la décision attaquée) ; ces concurrents pourraient donc partager les revenus de ces requêtes avec les FEO (ci-après la « première critique ») ;
– l’affirmation selon laquelle « Google serait toujours défini par défaut sur les autres principaux points d’entrée, en particulier les navigateurs » (considérant 825 de la décision attaquée) serait erronée, parce que « l’ADAM n’a jamais exigé que Google [Search] soit défini par défaut sur les navigateurs concurrents » ; la décision attaquée renverrait ici à des éléments de preuve relatifs aux réglages par défaut sur des appareils autres qu’Android (voir considérant 796, point 2, qui évoque les navigateurs sur les appareils iOS ou sur les ordinateurs portables), ce qui n’aurait rien à voir ; en outre, il serait fait référence dans d’autres parties de la décision attaquée à une version de l’ADAM, qui n’exigeait pourtant pas de réglages par défaut dans les navigateurs et qui en tout état de cause a été supprimée (considérant 185) (ci-après la « deuxième critique ») ;
– les références faites dans d’autres parties de la décision attaquée aux déclarations de deux entreprises, selon lesquelles les navigateurs concurrents ne peuvent pas être configurés par défaut (considérant 935 de la décision attaquée), ne seraient pas corroborées ; aucune de ces entreprises n’était partie à des ADAM et l’une d’elle a précisé que « Chrome pourra[it] coexister avec les navigateurs des FEO et qu’il n’[était] pas requis que ce dernier soit le navigateur par défaut » ; ces affirmations seraient également contredites par les FEO qui, comme Huawei, ont défini un navigateur concurrent par défaut (ci-après la « troisième critique ») ;
– affirmer que les FEO n’auraient pas intérêt à préinstaller des applications concurrentes, car la majeure partie de l’utilisation liée aux recherches irait à Google, impliquerait que ces applications soient moins attrayantes, ce qui reviendrait à protéger des concurrents moins efficaces (ci-après la « quatrième critique »).
484 Ces critiques ne sont toutefois pas de nature à remettre en cause l’affirmation contestée.
485 En effet, ainsi qu’il a déjà été relevé, Google ne conteste pas que l’ADAM avait pour conséquence qu’aucune application des services de recherche générale concurrente de l’application Google Search ne pouvait obtenir la préinstallation exclusive sur les appareils Google Android (considérants 830 à 832 de la décision attaquée). Seule la préinstallation conjointe était possible sur ces appareils.
486 En pratique, de plus, il y a lieu de relever que, du seul fait de l’ADAM, Google s’octroyait une préinstallation qui restait exclusive si le FEO ne décidait pas d’installer conjointement une autre application de service de recherche générale.
487 À la différence de la préinstallation obtenue d’emblée par Google en vertu de l’ADAM, ce FEO ou un concurrent de Google devait tenir compte d’autres paramètres pour préinstaller ou obtenir la préinstallation d’une autre application des services de recherche générale.
488 Dans ce contexte, la part des recettes potentielles susceptible de provenir de la préinstallation d’une ou de plusieurs applications de services de recherche générale supplémentaires n’était pas comparable en termes de portée et d’efficacité à celle provenant de l’ADAM et ne pouvait qu’être limitée.
489 Cela s’explique tout d’abord, comme le relève la Commission aux considérants 825 et 830 de la décision attaquée, par le fait que le service de recherche générale de Google est le leader du secteur avec des parts de marché fortes et stables de plus de 90 % dans la plupart des pays de l’EEE, et ce depuis 2008 (voir considérants 683 et 684 de la décision attaquée). Il doit également être tenu compte de la forte notoriété de la marque Google, dont bénéficie son service de recherche générale (considérants 712, 812 et 830 de la décision attaquée). Aucune de ces affirmations n’est critiquée par Google.
490 Google critique plutôt l’affirmation faite à la fin du considérant 825 de la décision attaquée selon laquelle, même en cas de préinstallation d’une application de service de recherche générale concurrente sur des appareils SMG, « Google serait encore défini par défaut sur les autres principaux points d’entrée, notamment les navigateurs ». En effet, dans sa deuxième critique, Google fait valoir que cette affirmation est erronée, d’une part, parce que « l’ADAM n’a jamais exigé que Google [Search] soit défini par défaut sur les navigateurs concurrents » et, d’autre part, parce que cette affirmation repose sur des éléments de preuve relatifs au réglage par défaut sur des appareils non-Android (voir considérant 796, point 2, de la décision attaquée, qui fait état des appareils iOS, des PC équipés de Chrome et des PC équipés de Safari, d’Opera ou de Firefox).
491 Quant aux deux premiers arguments de la deuxième critique, il y a lieu tout d’abord de relever que la décision attaquée ne prétend pas que le réglage par défaut du service de recherche générale Google Search sur les autres principaux points d’entrée résultait de l’ADAM. Prise dans son contexte, l’affirmation faite à la fin du considérant 825 de la décision attaquée laisse plutôt entendre, comme le fait valoir la Commission dans son mémoire en défense, que Google utilisait plusieurs moyens à sa disposition pour obtenir des FEO qu’ils définissent Google Search comme service de recherche générale par défaut sur d’autres points d’entrée que celui résultant de l’utilisation de l’application Google Search préinstallée.
492 Certes, s’il est vrai, comme le relève Google, que certains éléments de preuve évoqués dans la décision attaquée pour attester de l’importance de l’utilisation de Google Search pour effectuer des recherches générales ne concernent pas les appareils SMG, mais des appareils iOS, des PC équipés de Chrome ou des PC équipés des navigateurs Safari, d’Opera ou de Firefox, tous réglés par défaut sur Google Search (voir considérant 796, point 2, de la décision attaquée), il est tout aussi avéré que, pour les appareils SMG également, même en cas de préinstallation d’une application de service de recherche générale concurrente, Google Search serait encore défini par défaut sur d’autres points d’entrée, notamment les navigateurs.
493 En effet, comme cela ressort des considérants 818 et 973 de la décision attaquée, Google ne permet pas à un autre service de recherche générale que Google Search d’être réglé par défaut sur Chrome. Ce réglage par défaut ne peut pas être modifié par un FEO.
494 De même, il ressort des réponses aux mesures d’organisation de la procédure que, sur la plupart des navigateurs préinstallés à côté de Chrome ou même téléchargés, Google Search était le service de recherche générale par défaut. Il en est ainsi pour Samsung, Mozilla et UC Web browser ou, au sein de l’EEE, pour Opera. Ledit réglage par défaut était une conséquence d’un APR ou d’un accord en ce sens conclu entre Google et l’entreprise concernée, ce qui avait donc pour conséquence de relativiser l’intérêt financier qu’un FEO aurait pu trouver à préinstaller une application de service de recherche générale concurrente de l’application Google Search.
495 Les différents moyens mis en œuvre par Google au titre de sa stratégie d’ensemble visant à consolider et à préserver sa position sur les marchés de la recherche générale, notamment celle effectuée à partir d’appareils mobiles utilisant Internet, lui permettaient ainsi d’obtenir, avec le service de recherche générale Google Search et pour presque tous les marchés nationaux au sein de l’EEE en 2016, une part de marché représentant de deux à cinq fois la part de marché combinée de tous les autres services de recherche générale (voir considérant 796, point 1, de la décision attaquée).
496 En conséquence, compte tenu de ces observations factuelles, il y a lieu de considérer que l’affirmation faite à la fin du considérant 825 de la décision attaquée selon laquelle, même en cas de préinstallation d’une application de service de recherche générale concurrente sur des appareils SMG, « Google serait encore défini par défaut sur les autres principaux points d’entrée, notamment les navigateurs » n’est pas erronée.
497 En tout état de cause, quant au troisième argument de la deuxième critique, la portée des références faites dans la décision attaquée aux dispositions de l’ADAM relatives au réglage par défaut citées par Google, lesquelles auraient été mal interprétées et en tout cas ont été supprimées, doit être relativisée dans la mesure où ces références n’ont pas de conséquence sur le raisonnement qui précède. Dans ces conditions, leur critique par Google en devient inopérante.
498 Il est vrai que, dans d’autres parties de la décision attaquée qu’au considérant 825, la Commission a indiqué que certaines versions de l’ADAM étaient rédigées de telle manière qu’elles paraissaient requérir des FEO qu’ils règlent par défaut le service de recherche générale Google Search pour tous les points d’accès des recherches effectuées sur les appareils SMG (voir considérant 185, où il est aussi indiqué que cette obligation a été abandonnée par Google à partir d’octobre 2014).
499 Cependant, il convient de considérer que, pour les raisons évoquées par Google lors de la procédure administrative, il n’est plus contesté que ces dispositions contractuelles n’exigeaient pas des FEO qu’ils règlent Google Search par défaut pour toutes les recherches effectuées à partir d’un navigateur préinstallé sur un appareil Google Android. Selon ce qu’indique Google, sans que cela soit réfuté par la Commission, la clause visée avait pour objet de résoudre les conflits susceptibles d’intervenir quand une demande de recherche générale, effectuée à partir d’une application quelconque, risquait d’être traitée par plus d’une application de recherche générale.
500 Dès lors, même si la Commission est fondée à relever qu’il ressort du dossier qu’une certaine ambiguïté a pu exister quant à la portée réelle de ces dispositions contractuelles au début de la période infractionnelle (voir considérants 1228 à 1238, d’une part, et considérant 1230 de la décision attaquée, d’autre part, au titre de l’analyse des APR par portefeuille), il n’en demeure pas moins que les explications fournies à ce propos par Google sont convaincantes et permettent d’en expliquer la raison d’être. Sur ce point, le doute doit profiter à l’entreprise mise en cause.
501 Quant à la première critique, la référence faite, au titre de l’examen du caractère abusif des APR par portefeuille qui relève du troisième moyen, à l’hypothèse selon laquelle un ou plusieurs concurrents hypothétiques aussi efficaces que Google pourraient obtenir une part de 22,5 % des requêtes de recherche générale « s’ils étaient préinstallés à côté des applications de Google et aussi définis par défaut sur les points d’entrée des navigateurs » ne remet pas en cause le raisonnement de la Commission critiqué par Google. En effet, à supposer qu’une telle hypothèse soit envisageable pour apprécier « la part des recettes potentielles que les FEO tireraient de la préinstallation d’une ou de plusieurs applications de services de recherche générale supplémentaires », il n’en demeurerait pas moins que les recettes en cause seraient difficilement comparables à celles obtenues par Google en raison des conditions de préinstallation prévues par l’ADAM.
502 De plus, en principe, pour accepter de préinstaller conjointement une ou plusieurs autres applications de service de recherche générale aux côtés de celles préinstallées en application de l’ADAM, le FEO demanderait une rémunération au concurrent de Google. Or, compte tenu de la seule présence de l’application Google Search et de Chrome, hors même l’hypothèse des paiements conférés pour obtenir l’exclusivité au titre des APR par portefeuille, ce qu’un concurrent de Google pourrait proposer à cet égard ne saurait être intéressant compte tenu des revenus sur lesquels il pourrait compter au titre de cette préinstallation conjointe.
503 Quant à la troisième critique, la Commission rappelle à raison que, à supposer même qu’un FEO préinstalle également un navigateur concurrent de Chrome sur les appareils SMG, celui-ci ne pourrait le définir comme navigateur par défaut.
504 En effet, ainsi qu’il ressort des réponses aux mesures d’organisation de la procédure, Google ne conteste pas que, en vertu des AAF et du DDC, si plus d’un navigateur était préinstallé sur un appareil Android, aucun de ces navigateurs ne pouvait être défini par défaut.
505 Or, pour ce qui concerne les appareils Google Android, étant donné que, en application de l’ADAM, le FEO était obligé de préinstaller Chrome pour obtenir l’ensemble SMG, le considérant 935 de la décision attaquée énonce donc à juste titre que, compte tenu des effets combinés de cet accord avec les dispositions précitées, « même si un navigateur concurrent était installé, il ne pouvait pas être défini en tant que navigateur par défaut ».
506 À cet égard, contrairement à ce que fait valoir Google et ainsi qu’il a déjà été jugé aux points 462 et 463 ci-dessus, les déclarations faites par certaines entreprises ne peuvent être utilement invoquées pour remettre en cause l’appréciation contestée.
507 Un courriel de Google du 27 mars 2013, adressé à un des principaux FEO, fait ainsi état de la nécessité pour celui-ci de permettre à l’utilisateur de choisir entre le navigateur préinstallé de ce dernier et Google Chrome dans un tel cas de figure.
508 Dès lors, la déclaration faite par Orange dans un courriel du 3 août 2012, selon laquelle « Chrome pourra coexister avec les navigateurs des fabricants[ ;] Google ne l’impose pas comme navigateur par défaut » indique simplement que l’ADAM n’obligeait pas les FEO à paramétrer Chrome comme navigateur par défaut et que ce navigateur pouvait donc coexister avec d’autres navigateurs (voir point 463 ci-dessus).
509 Les déclarations faites par une autre entreprise en 2013 (considérant 935, point 2, de la décision attaquée) s’inscrivent également dans un contexte où, comme le fait valoir la Commission, les FEO et, par la suite, les ORM ne pouvaient pas définir un navigateur concurrent par défaut. Ces déclarations pouvaient bien être invoquées par la Commission pour considérer, comme elle le fait au considérant 935 de la décision attaquée, que, « même si un navigateur concurrent était également préinstallé, il ne pouvait pas être défini en tant que navigateur par défaut » (voir point 462 ci-dessus).
510 S’agissant de la déclaration faite par Huawei en 2015, en tant que réponse préliminaire effectuée par un de ses salariés, aux termes de laquelle « le navigateur Huawei est préchargé sur tous les téléphones intelligents sur le marché de l’EEE en tant que navigateur système par défaut », son contenu reste ambigu (voir point 463 ci-dessus). Ainsi que le fait valoir la Commission, il est effectivement difficile de savoir ce que l’auteur de la réponse considère comme être un « navigateur système par défaut », compte tenu de ce qui était exigé par le DDC en application duquel les FEO ne pouvaient pas définir un navigateur concurrent par défaut. Le navigateur de Huawei ne pouvait donc pas, en principe, être défini en tant que navigateur par défaut s’il était préinstallé sur un appareil sur lequel Chrome était également préinstallé, du moins dans le sens défini par le DDC. Dès lors, comme le fait également valoir la Commission, il est probable que l’expression « navigateur système par défaut » renvoie simplement au fait que le navigateur de Huawei était « préchargé », c’est-à-dire préinstallé sur les appareils Google Android.
511 De même, il n’est pas possible d’attacher une valeur déterminante au contenu du courrier d’Opera, transmis de sa propre initiative à la Commission le 31 mai 2017, qui indique que « certains FEO Android ont accepté de préinstaller Opera et de définir Opera en tant que navigateur par défaut sur leurs appareils et de le faire figurer de manière proéminente sur l’écran d’accueil par défaut ». En effet, ledit courrier vient contredire ce qui avait été précédemment exposé par Opera, dans sa réponse à la demande d’informations du 19 octobre 2015, laquelle indiquait pour sa part « que la disponibilité du navigateur Chrome en tant qu’application de navigation par défaut, préinstallée et disponible sur l’écran d’accueil des téléphones Android limit[ait] la capacité d’Opera de concourir pour la position par défaut sur tous les appareils Android » (voir considérant 925, point 2, de la décision attaquée).
512 À cet égard, pour expliquer l’évolution de sa position, Opera indique dans son mémoire en intervention que, si, en 2015, sa compréhension était que « les ADAM exigeaient des FEO non seulement de préinstaller Chrome, mais aussi de le paramétrer comme navigateur par défaut et de prévoir un placement au premier plan sur l’écran d’accueil des appareils Android », en 2017, elle avait appris que « son interprétation ne correspondait manifestement pas aux conditions de préinstallation des ADAM[ ;] les ADAM exige[ant] seulement que Chrome soit préinstallé dans un dossier ». Une telle explication peut effectivement être avancée, dès lors que les conditions de préinstallation des ADAM n’imposaient pas le réglage par défaut d’un navigateur au détriment d’un autre en cas de préinstallation conjointe (voir point 491 ci-dessus).
513 Toutefois, comme le fait observer à juste titre la Commission, le réglage par défaut d’un navigateur concurrent en cas de préinstallation conjointe avec Chrome n’était pas envisageable du fait des effets combinés de l’ADAM et du DDC. Le réglage par défaut d’un navigateur concurrent préinstallé n’était possible qu’avec l’intervention de l’utilisateur à un stade ultérieur. D’ailleurs, dans son mémoire en intervention, Opera ne se prévaut plus de la préinstallation de son navigateur avec son réglage « en tant que navigateur par défaut » et un placement sur l’écran d’accueil, mais seulement de la préinstallation de son navigateur avec un placement sur l’écran d’accueil.
514 Quant à la quatrième critique, Google ne peut être suivie quand elle affirme que l’appréciation contestée impliquerait que les applications des services de recherche concurrentes étaient moins attrayantes pour les utilisateurs ou qu’elles provenaient de concurrents moins efficaces. En effet, ainsi qu’il a déjà été exposé (voir point 294 ci-dessus), la décision attaquée expose les raisons pour lesquelles une telle supposition ne peut être faite en l’espèce compte tenu de l’intérêt que représentaient les différentes solutions techniques proposées par les concurrents de Google pour les utilisateurs ou l’innovation.
515 En conclusion, il ressort de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause l’appréciation de la Commission selon laquelle les FEO ne pouvaient tirer que des recettes limitées de la préinstallation d’un ou de plusieurs services de recherche générale concurrents parallèlement à l’application Google Search.
– Sur les coûts de transaction
516 En deuxième lieu, Google critique l’affirmation selon laquelle les coûts de transaction dissuaderaient les FEO de négocier des accords de préinstallation avec d’autres services de recherche générale, car « ces coûts sont peu susceptibles d’être justifiées pour un petit volume d’appareils » (considérant 826 de la décision attaquée). En effet, aucune preuve ne permettrait de justifier ou de quantifier ces coûts de transaction ou encore d’établir la raison pour laquelle ceux-ci ne couvriraient qu’un petit volume d’appareils. Le seul élément cité à cet égard, à savoir un courriel interne de Google de 2012 concernant des discussions avec un FEO en ce qui concernait le partage des revenus engendrés par le Play Store sur des télévisions et des appareils mobiles (voir considérant 1222, point 2, de la décision attaquée), serait insuffisant.
517 Pour la Commission, la décision attaquée ne tire « aucune conclusion générale selon laquelle les coûts de transaction empêch[ai]ent les accords de préinstallation », mais constate simplement que, en raison des coûts de transaction, il était peu probable que les FEO concluent un grand nombre d’accords sur de faibles volumes, qu’il s’agisse d’accords de préinstallation ou de partage des recettes. En outre, le courriel interne de Google de 2012 montrerait qu’elle reconnaîtrait l’existence de tels coûts de transaction pour ce qui la concerne.
518 Il ressort de ce qui précède que les parties principales s’accordent pour reconnaître que l’affirmation relative aux coûts de transaction ne peut être interprétée en ce sens qu’elle empêcherait les accords de préinstallation. La question est plutôt de savoir si ces coûts rendent improbables la conclusion d’accords de préinstallation pour un petit volume d’appareils.
519 Le seul élément évoqué sur ce point dans la décision attaquée, à savoir le courriel interne de Google de 2012 évoqué au considérant 826 et cité au considérant 1222, point 2, ne saurait être considéré comme suffisant pour étayer l’existence d’un obstacle à la négociation d’accords de préinstallation.
520 Il s’agit en effet d’un document unique, relativement ancien pour ce qui concerne la période infractionnelle et non directement pertinent, parce qu’il est relatif à une négociation en cours entre Google et un FEO sur le partage des revenus engendrés par le Play Store sur des télévisions et des appareils mobiles. Les indications selon lesquelles cet accord portait sur un volume qualifié de « non significatif » au vu des ressources engagées et des paiements qui seraient effectués par Google restent à la fois trop génériques en ce qu’elles ne sont pas quantifiées et trop liées à la situation particulière de Google pour pouvoir être généralisées à la situation de ses concurrents.
521 Ainsi que le fait valoir Google, il ne ressort donc pas du dossier que les coûts de transaction mentionnés dans la décision attaquée faisaient obstacle à la négociation d’accords de préinstallation entre des FEO et des fournisseurs d’un service de recherche générale concurrent de Google Search. Pour autant, même si ces coûts ne font pas obstacle à la négociation de tels accords, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un paramètre économique dont les FEO tiennent compte quand ils en apprécient l’intérêt.
522 C’est dans ce contexte qu’il y a lieu de tenir compte des différents éléments et appréciations évoqués dans la décision attaquée en ce qui concerne les coûts de transaction.
– Sur l’expérience de l’utilisateur
523 En troisième lieu, Google critique l’affirmation selon laquelle « la duplication d’un trop grand nombre d’applications peut avoir un impact négatif sur l’expérience de l’utilisateur », parce que, par exemple, les utilisateurs « seront invités à choisir à plusieurs reprises l’application à utiliser ou à définir comme application par défaut » (considérants 827 et 828 de la décision attaquée). En effet, la décision attaquée n’établirait pas que le choix d’une application de recherche générale ou d’un navigateur nuirait à l’expérience de l’utilisateur, de sorte que les FEO ne voudraient pas préinstaller des services concurrents. La décision attaquée n’établirait pas non plus que les utilisateurs sont « invités à plusieurs reprises » à sélectionner quelle application de recherche générale ou quel navigateur ils souhaitent utiliser ou définir par défaut. En outre, la préinstallation d’une application de recherche générale et d’un navigateur concurrents ne ferait pas double emploi avec « trop d’applications », mais ne ferait que dupliquer Google Search et Chrome. Il ne s’agirait pas d’une « bloatware », ce terme visant les applications qui n’ont pas ou peu d’utilité.
524 Pour sa part, la Commission rappelle que, en vertu de l’ADAM, les FEO doivent préinstaller un ensemble de 12 à 30 applications de Google et pas seulement l’application Google Search et Chrome. Dans ce contexte, la duplication d’un trop grand nombre d’applications de Google aurait une incidence négative sur l’expérience de l’utilisateur. Cette observation vaudrait pour les différentes applications comprises dans l’ensemble SMG et non spécifiquement pour les applications de recherche générale et de navigation concurrentes de l’application Google Search ou de Chrome.
525 Il ressort de ce qui précède que les parties principales s’accordent à reconnaître que les critiques relatives à la duplication des applications ne concernent pas à proprement parler les applications Google Search et Chrome ou les applications de recherche générale et les navigateurs concurrents, mais plutôt d’autres applications, comprises dans l’ensemble SMG.
526 Les éléments mentionnés à cet égard aux considérants 827 et 828 de la décision attaquée, à savoir un courriel interne de Google du 10 janvier 2012, un courriel interne de Google du 17 janvier 2014 concernant l’état des discussions entre Google et un FEO, et un courriel de Google à ce FEO du 18 avril 2014, confirment que tel est bien le cas.
527 En outre, s’agissant plus précisément de l’inconvénient que pourrait représenter pour un utilisateur le fait d’être invité à plusieurs reprises à sélectionner quelle application de recherche générale ou quel navigateur il souhaite utiliser ou définir par défaut, il y a lieu de relever que Google fait valoir sans être contestée sur ce point qu’une telle invitation ne surgirait que lorsqu’une application souhaite déclencher une recherche générale ou une action sur le navigateur et que l’application n’a pas spécifié le service de recherche générale ou le navigateur à utiliser et, lorsque cela survient, l’utilisateur pourra généralement sélectionner « toujours » pour utiliser l’application qu’il préfère, auquel cas l’invitation ne s’affichera plus. Google fait également observer, sans être contredite, qu’en tout état de cause les utilisateurs pouvaient aisément désactiver les applications Google Search et Chrome de sorte qu’elles deviendraient invisibles et cesseraient de fonctionner.
528 Dès lors, ainsi que le fait valoir Google, il ne ressort pas du dossier que l’installation de deux ou de plusieurs applications de recherche générale et de navigateurs nuit à l’expérience des utilisateurs.
– Sur l’espace de stockage
529 En quatrième lieu, Google critique l’affirmation selon laquelle « la duplication d’un trop grand nombre d’applications Google obligatoires p[ouvait] entraîner des problèmes d’espace de stockage sur certains appareils » (considérants 829 et 933 de la décision attaquée), dès lors que la préinstallation de plusieurs applications de recherche générale et de navigation ne pourrait certainement pas remplir l’espace de stockage d’un appareil mobile moderne. En effet, la capacité de la mémoire des appareils mobiles aurait augmenté de manière exponentielle. Par exemple, le Samsung Galaxy S9 était livré avec 64 Go de mémoire interne, le S9+ avec jusqu’à 256 Go de mémoire et le HTC Desire disposait d’une mémoire flash interne de 512 Mo, alors qu’une application de recherche générale concurrente comme Bing représentait 2,9 Mo en 2012 et 14 Mo en 2016. En outre, selon des données fournies par l’International Data Corporation (IDC), en 2012, la majorité des smartphones Android livrés disposaient d’une capacité de stockage de 4 Go ou plus, et au premier semestre de 2017, 74 % des appareils disposaient d’une capacité de stockage de 16 Go ou plus. Les déclarations citées par la décision attaquée ne supplanteraient pas la preuve objective de la capacité de stockage disponible.
530 Pour la Commission, la décision attaquée ne constate pas que les problèmes liés à l’espace de stockage des appareils dissuadent généralement les FEO de préinstaller une application concurrente en plus de l’application Google Search ou du navigateur Chrome. La décision attaquée constaterait seulement que les FEO devaient être attentifs aux conséquences, pour l’expérience de l’utilisateur, de la duplication d’une application Google préinstallée donnée, compte tenu du fait que, en raison de l’ADAM, ceux-ci devaient préinstaller un ensemble de 12 à 30 applications de Google et que la duplication d’un trop grand nombre de ces applications de Google pouvait poser des problèmes avec l’espace de stockage de certains appareils (considérants 827 à 829 et 926 de la décision attaquée).
531 Tout comme le grief qui précède, relatif à l’expérience de l’utilisateur, les parties principales s’accordent à reconnaître que les critiques relatives à la duplication des applications ne concernent pas à proprement parler les applications Google Search et Chrome ou les applications de recherche générale et les navigateurs concurrents, mais plutôt d’autres applications, comprises dans l’ensemble SMG.
532 En ce qui concerne les applications de service de recherche générale et compte tenu des développements technologiques concernant la mémoire des appareils intelligents mobiles ainsi que des illustrations fournies par Google, la duplication de ce type d’applications ne semble pas susceptible de poser réellement problème. Il y a lieu de relever à cet égard que la déclaration d’Hutchison 3G invoquée à ce propos au considérant 829 de la décision attaquée concerne la duplication des applications en général et non celle des applications de service de recherche générale. Ainsi que le fait valoir Google, il ne ressort donc pas du dossier que l’installation de deux ou de plusieurs applications de recherche générale pose des problèmes de stockage.
533 En ce qui concerne les navigateurs, il y a lieu toutefois de relever que les déclarations de deux FEO citées au considérant 934 de la décision attaquée font état pour l’un de demandes d’ORM en août 2012 et pour l’autre de la décision de ne plus préinstaller à partir de 2012 son propre navigateur compte tenu de la préinstallation obligatoire de Chrome en application de l’ADAM. Il est dès lors permis de penser que de telles déclarations ont été faites à un moment où l’espace disponible au sein des appareils mobiles intelligents était encore relativement contraint, ce qui ne devait plus être le cas par la suite, comme l’illustre Google en fournissant des exemples tirés d’appareils modernes.
534 En conséquence, s’il n’est pas démontré que la préinstallation de plusieurs applications de service de recherche générale pose un problème de capacité de stockage, il s’avère néanmoins que certains FEO ont renoncé du fait de l’installation de Chrome à l’installation de navigateurs concurrents, à tout le moins pour les premières années de l’infraction. Il ressort également du dossier que, au moins à partir de 2016, l’un des FEO cités au considérant 934 de la décision attaquée a pu installer son propre navigateur en plus de Chrome sur ses appareils Google Android. La contrainte exercée par l’espace de stockage paraît ainsi avoir rapidement disparu.
535 Dans le prolongement de cette analyse toutefois, et donc compte tenu de l’augmentation constante de la capacité de la mémoire des appareils mobiles, il doit également être tenu compte du fait que les applications Google Search et Chrome faisaient l’objet d’un ensemble, ce qui augmentait d’autant l’espace occupé.
536 C’est dans ce contexte, qu’il y a lieu de tenir compte des différents éléments et appréciations évoqués dans la décision attaquée en ce qui concerne l’espace de stockage.
– Conclusion
537 Il ressort de ce qui précède que, en dépit du fait que certains griefs présentés par les requérantes à l’encontre de certains éléments de la motivation de la décision attaquée permettent d’en atténuer ou d’en nuancer la portée, la Commission était bien en mesure de considérer que, même si les fournisseurs des services de recherche générale concurrents de Google Search restaient libres de fournir aux FEO et aux ORM la même préinstallation que celle octroyée à l’application Google Search et à Chrome sur les appareils Google Android vendus dans l’EEE, cela ne s’est pas matérialisé pendant l’essentiel de la période infractionnelle et que, à tout le moins, une partie de l’explication de l’absence de telles préinstallations se trouve dans les effets combinés des ADAM, des APR ainsi que des AAF.
538 Sur ce point, la différence de situation entre Seznam, qui n’a pas réussi en dépit de ses efforts à obtenir des accords de préinstallation sur des appareils Google Android, et Opera, qui a réussi à obtenir des accords de préinstallation sur ces appareils, s’avère frappante, dans la mesure où cette différence s’expliquait par le fait que le premier cherchait à concurrencer le service de recherche générale Google Search alors que le second souhaitait recourir à ce service en le réglant par défaut sur son navigateur.
c) Autres moyens que la préinstallation permettant d’atteindre les utilisateurs
1) Arguments des parties
539 Google fait valoir que les concurrents seraient non seulement libres de s’assurer que les FEO préinstallent leurs services de recherche générale, les configurent par défaut et les positionnent de façon égale ou supérieure par rapport aux applications Google préinstallées, mais qu’ils disposeraient également d’un accès libre aux utilisateurs par l’intermédiaire du téléchargement et du navigateur dans le cas de services de recherche générales. Cela ne permettrait pas de conclure que les conditions de préinstallation seraient capables d’évincer les utilisateurs. Le comportement des utilisateurs montrerait qu’ils téléchargent, de manière soutenue, des applications, y compris concurrentes pour lesquelles une alternative est préinstallée sur un appareil. Ces habitudes de téléchargement contrediraient l’affirmation de la décision attaquée selon laquelle la préinstallation créerait un « biais de statu quo » qui empêcherait les utilisateurs de rechercher des services concurrents.
540 En premier lieu, quant au téléchargement des applications par les utilisateurs, Google fait observer que le téléchargement est un moyen efficace pour atteindre les utilisateurs, y compris lorsque des applications concurrentes sont préinstallées. Les éléments de preuve relatifs à l’application Google Search, à Seznam, à Naver et à Yandex confirmeraient le téléchargement des services de recherche générale concurrents s’ils étaient attrayants. Les navigateurs atteindraient également des taux de téléchargement importants. Comparativement, les éléments sur lesquels se fonde la décision attaquée ne seraient pas suffisants pour affirmer que le téléchargement est inefficace. Ainsi, les réponses aux demandes de renseignements citées ne refléteraient pas la teneur générale des réponses reçues.
541 Par conséquent, ni la réticence générale des utilisateurs à télécharger des applications pour lesquelles un service concurrent est préinstallé, ni l’inefficacité du téléchargement ne pourraient expliquer les faibles taux de téléchargement d’applications de recherche générale concurrentes constatés dans la décision attaquée (considérants 808 à 810). Compte tenu des taux de téléchargement élevés d’autres types d’applications concurrentes, il serait plus plausible que ces faibles taux de téléchargement soient le résultat de facteurs non liés à l’ADAM, comme la préférence des utilisateurs pour Google Search, sa qualité et ses performances, ou le fait que les utilisateurs effectuent leurs recherches par l’intermédiaire du navigateur.
542 En second lieu, Google relève que les utilisateurs peuvent accéder facilement et rapidement aux services de recherche générale concurrents par l’intermédiaire du navigateur, sans télécharger d’applications. Certains navigateurs, comme Chrome, proposeraient déjà des services de recherche générale concurrents en fournissant aux utilisateurs des listes sous forme de menus déroulants avec différents services de recherche générale leur permettant ainsi d’en choisir un par défaut. La décision attaquée constaterait que la plupart des requêtes de Google Search proviendraient du navigateur, et non de l’application Google Search [considérant 1234, point 3, sous b)]. La part importante de Chrome en termes d’utilisation de navigateurs et le réglage par ce dernier de Google Search comme service de recherche par défaut (considérants 818 et 821 de la décision attaquée) ne seraient pas pertinents. Ce qui importerait serait que les utilisateurs puissent accéder, et accèdent, aux services de recherche générale concurrents par l’intermédiaire de Chrome, de la même manière qu’avec tout navigateur mobile. Les utilisateurs auraient donc un accès sans entrave aux services de recherche générale concurrents par l’intermédiaire du navigateur et une grande partie des recherches serait effectuée de cette manière.
543 Par ailleurs, au titre de cette argumentation, Google reproche à la décision attaquée de confondre « avantage compétitif » et « éviction anticoncurrentielle ». La seconde serait déduite de la première. Or, pour que le comportement soit considéré comme abusif, la Commission devrait démontrer que l’effet d’éviction rendrait « plus difficile, voire impossible, l’accès au marché des concurrents de l’entreprise en position dominante ». Un désavantage concurrentiel n’équivaudrait pas à une pratique d’éviction anticoncurrentielle. En l’espèce, à supposer même que les conditions de préinstallation de l’ADAM confèrent à Google un « avantage concurrentiel significatif », ce qui ne serait pas le cas, la décision attaquée n’établirait pas que les concurrents n’ont pas été en mesure de compenser cet avantage ou que ces conditions ont rendu leur « entrée sur le marché très difficile, voire impossible ». La décision attaquée ne chercherait pas à qualifier l’avantage concurrentiel allégué et elle n’examinerait pas le taux de couverture du comportement, alors même que la grande majorité des requêtes de recherche générale dans l’EEE – entre [80-90] % et [70-80] %, entre 2013 et 2015 – n’avait pas lieu sur des appareils Google Android (considérant 796). L’ADAM serait limité aux appareils SMG, qui ne représentent qu’une fraction des appareils sur lesquels les utilisateurs accèdent à des navigateurs et à des services de recherche générale ; ceux-ci utilisant notamment les appareils mobiles Apple ou les ordinateurs de bureau Windows. En outre, les développeurs de navigateurs et de services de recherche générale concurrents seraient libres de négocier des accords de préinstallation pour les appareils SMG et d’obtenir une publicité identique ou supérieure pour leurs services sur ces appareils. La facilité d’accès aux concurrents grâce au téléchargement et au navigateur signifierait qu’ils disposent de possibilités supplémentaires pour atteindre les utilisateurs sur ces appareils. Il n’y aurait donc aucun fondement pour alléguer une éviction.
544 La Commission soutient qu’aucune des affirmations de Google ne remet en cause la conclusion selon laquelle les concurrents ne peuvent pas compenser l’important avantage concurrentiel que Google s’assure grâce à la préinstallation de l’application Google Search et de Google Chrome sur pratiquement tous les appareils Google Android vendus dans l’EEE. En effet, les téléchargements d’applications de recherche générale et de navigateurs concurrents ou le paramétrage par défaut d’un service de recherche générale concurrent dans les navigateurs sur les appareils Google Android ne seraient pas comparables, en termes de présence et d’efficacité (voir considérants 805 à 812 et 917 à 931 de la décision attaquée). Par ailleurs, pour établir la restriction de concurrence, la décision attaquée prendrait en compte, non seulement l’important avantage concurrentiel conféré par la préinstallation, mais aussi le fait que celui-ci ne pourrait pas être compensé par les concurrents (voir considérant 896, point 1, de la décision attaquée). En outre, alors même qu’il ne serait pas nécessaire de quantifier l’important avantage concurrentiel résultant de la vente liée, ni d’examiner la couverture du marché par la vente liée, la décision attaquée indiquerait notamment que, entre 2013 et 2015, les appareils Google Android ont représenté de [10-20] % à [20-30] % des requêtes de recherche générale sur Google Search dans l’EEE, et, en 2016, [20-30] % de ces requêtes (voir considérant 796 de la décision attaquée).
2) Appréciation du Tribunal
545 En dehors des possibilités de préinstallation offertes aux services de recherche générale ou aux navigateurs concurrents, Google fait également valoir que ses concurrents peuvent compenser la tendance à figer la situation découlant des conditions de préinstallation de l’ADAM, en comptant sur le comportement des utilisateurs, lesquels peuvent télécharger leurs applications ou accéder à leur service de recherche générale par l’intermédiaire du navigateur.
i) Sur le téléchargement des applications concurrentes
546 À titre liminaire, il y a lieu de relever que les parties principales ne contestent pas que les utilisateurs peuvent facilement télécharger des applications de service de recherche générale ou de navigation concurrentes de l’application Google Search ou de Chrome.
547 Les parties principales s’opposent sur la réalité de tels téléchargements, ce qui a une incidence directe sur la possibilité pour les concurrents de Google de compenser les conditions de préinstallation de l’ADAM.
548 Les développements de la décision attaquée afférents à cette question portent donc bien sur la caractérisation des effets concrets et réels du comportement litigieux de Google sur la période allant de 2011 ou 2012 à 2018.
549 À cet égard, s’agissant des applications de recherche générale, il ressort des données fournies par Google et reprises dans la décision attaquée que le nombre de téléchargements d’applications concurrentes de l’application Google Search est resté faible par rapport au nombre d’appareils sur lesquels l’application Google Search était préinstallée :
– entre 2011 et 2016, les utilisateurs ont téléchargé à partir du Play Store des applications de recherche générale concurrentes sur moins de 5 % des appareils SMG vendus dans le monde, chiffre qui tomberait à moins de 1 % pour les appareils SMG vendus dans l’EEE étant donné que la plupart de ces téléchargements ont été effectués en Corée du Sud (considérants 808 et 809 de la décision attaquée) ;
– entre 2011 et 2016, le nombre annuel de téléchargements d’applications de recherche générale concurrentes sur le Play Store dans chaque pays de l’EEE aurait été minime, sauf en République tchèque avec Seznam (considérant 810 de la décision attaquée) ;
– s’agissant de la République tchèque, les utilisateurs ont téléchargé l’application de recherche Seznam à partir du Play Store sur 23 % au maximum pour une année donnée des appareils SMG vendus dans cet État membre.
550 De même, en ce qui concerne les navigateurs, il ressort des données fournies par Google reprises dans la décision attaquée que le nombre de téléchargements de navigateurs concurrents de Chrome est resté faible par rapport au nombre d’appareils sur lesquels Chrome était préinstallé :
– en 2016, aucun navigateur Internet mobile concurrent n’aurait obtenu un nombre de téléchargements comparable au nombre de navigateurs Google Chrome préinstallés (voir considérant 919 de la décision attaquée) ;
– en 2016, les utilisateurs auraient téléchargé des navigateurs Internet mobile concurrents sur moins de 50 % des appareils SMG vendus dans le monde et, entre 2013 et 2016, les utilisateurs auraient téléchargé des navigateurs Internet mobile concurrents sur seulement 30 % environ des appareils SMG vendus dans le monde (voir considérant 920 de la décision attaquée) ;
– en 2016, les utilisateurs auraient téléchargé les navigateurs UC, Opera et Firefox sur moins de 1 %, 1,5 % et 4 %, respectivement, des appareils SMG vendus dans l’EEE, et, entre 2013 et 2016, le nombre total de téléchargements de navigateurs Internet mobile concurrents à partir du Play Store sur les appareils SMG dans l’EEE aurait représenté moins de 10 % des appareils SMG sur lesquels Google Chrome était préinstallé (voir considérants 921 et 922 de la décision attaquée).
551 Il convient de relever dans ce contexte que les éléments invoqués par Google en ce qui concerne le téléchargement des applications Seznam, Naver et Yandex ne sont pas suffisants pour remettre en cause les constatations qui précèdent. Ainsi que le reconnaissent les parties principales, ces trois exemples s’expliquent par le fait qu’il s’agit de services de recherche générale définis autour d’un algorithme qui tient compte des spécificités linguistiques tchèque, coréenne et russe.
552 La Commission explique également, de manière convaincante, que le contre-exemple du téléchargement de l’application Google Search sur les appareils Windows Mobile pour lesquels Bing est réglé par défaut n’est pas du tout aussi probant que ne l’allègue Google, dès lors que l’année 2016 n’est pas représentative et que les données invoquées ne comprennent pas que les téléphones intelligents, mais aussi d’autres types d’appareils (note en bas de page n° 901 de la décision attaquée). Le chiffre allégué de 95 % de téléchargements de l’application Google Search ne serait ainsi en réalité que de 27 % en 2016. Un tel chiffre pourrait être comparé au chiffre de 23 % correspondant au téléchargement de l’application Seznam sur les téléphones intelligents Google Android vendus en République tchèque qui avaient tous l’application Google Search préinstallée.
553 De même, c’est à juste titre que la Commission fait observer pour les raisons exposées au considérant 813 de la décision attaquée que les analogies suggérées par Google en considération des pratiques de téléchargement observées pour d’autres types d’applications, comme les applications de messagerie, ne sont pas pertinentes pour la recherche et la navigation.
554 Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme Google, les différents éléments exposés dans la décision attaquée pour établir que le téléchargement d’applications concurrentes de Google Search et de Chrome ne compense pas l’avantage octroyé par la préinstallation conservent leur pertinence. Ces éléments confirment que les téléchargements ne sont pas comparables en termes de présence et d’efficacité à la préinstallation.
555 Il en est ainsi du sondage fourni par Opera (considérants 812 et 923 de la décision attaquée), qui, pour ne donner des indications que sur l’usage des navigateurs préinstallés et ne concerner que l’année 2013, peut tout de même être invoqué dans la décision attaquée pour soutenir que « certains utilisateurs restent réticents à télécharger des applications et préfèrent utiliser le navigateur Internet mobile préinstallé ».
556 De même, quant aux différentes déclarations faites dans les réponses aux demandes de renseignements, il s’avère effectivement que des réponses qui ne sont pas citées dans la décision attaquée font état de la possibilité théorique pour le téléchargement de compenser la préinstallation. Pour autant, cela ne prive pas de pertinence les différentes réponses exposées dans la décision attaquée qui permettent d’étayer l’idée que les utilisateurs ont tendance à privilégier l’application préinstallée à une application à télécharger.
557 En outre, contrairement à ce que fait valoir Google, il n’y a pas lieu de considérer que la décision attaquée n’est pas conforme à la jurisprudence et à la pratique décisionnelle antérieure. En effet, la décision attaquée ne conteste pas que le téléchargement peut en principe compenser l’avantage qui serait octroyé par la préinstallation, ce qui a déjà été envisagé dans d’autres affaires examinées par la Commission. En l’espèce, toutefois, pour les raisons exposées dans la décision attaquée et examinées ci-dessus, il s’avère que, même s’il est facile et gratuit de télécharger une application de recherche générale ou de navigation, ce téléchargement n’est pas réalisé en pratique ou l’est en tout cas pour une partie insuffisante des appareils concernés.
558 En conséquence, il y a lieu de rejeter le grief de Google relatif au téléchargement des applications concurrentes.
ii) Sur l’accès aux services de recherche concurrents par l’intermédiaire du navigateur
559 L’argumentation de Google ne remet pas en cause la conclusion selon laquelle les concurrents ne peuvent pas compenser, par des accords avec les développeurs de navigateurs Internet mobiles, l’important avantage concurrentiel que Google s’assure grâce à la préinstallation de l’application Google Search sur pratiquement tous les appareils Google Android vendus dans l’EEE.
560 Il y a lieu à cet effet de comparer la situation réelle observée par la Commission et reprise dans la décision attaquée aux différentes solutions alternatives alléguées par Google, mais dépourvues de concrétisation dans la réalité.
561 En effet, comme l’expose la Commission, le paramétrage par défaut d’un service de recherche générale concurrent dans les navigateurs Internet mobile sur les appareils Google Android ne serait pas comparable, en termes de présence et d’efficacité, à la préinstallation de l’application Google Search (voir considérants 817 à 822 de la décision attaquée). En particulier, il doit être tenu compte du fait que Google ne permet pas de définir par défaut un autre service de recherche que Google Search sur Chrome et que Chrome détenait une part d’utilisation d’environ 75 % des navigateurs Internet mobiles non spécifiques à un SE en Europe et de 58 % au niveau mondial.
562 La Commission expose également, sans être contredite sur ce point par Google, différents éléments, dont des présentations de Microsoft et de Yandex, permettant d’attester que les utilisateurs n’accèdent pas en pratique à d’autres services de recherche générale par l’intermédiaire des navigateurs et ne modifient le paramétrage par défaut de ces navigateurs que rarement. De telles observations sont pertinentes, contrairement à ce qu’allègue Google, et permettent d’établir que, en dépit de la possibilité offerte à cet égard de définir un autre moteur de recherche générale, celui-ci reste en pratique celui qui a été défini à l’origine.
563 Dans de telles circonstances, il y a lieu de rejeter le grief de Google sur l’accès aux services de recherche concurrents par l’intermédiaire du navigateur.
iii) Sur la confusion entre avantage compétitif et éviction anticoncurrentielle
564 Quant à la confusion alléguée entre l’avantage compétitif et l’éviction anticoncurrentielle, il y a lieu de relever que ce grief procède d’une mauvaise lecture de la décision attaquée, dont il ressort qu’elle établit, d’une part, l’existence d’un avantage lié aux conditions de préinstallation de l’ADAM, lequel ne pouvait pas être compensé par les concurrents, et, d’autre part, les effets anticoncurrentiels de cet avantage.
565 S’agissant de la question de savoir s’il y a lieu de quantifier l’avantage, il convient d’observer en tout état de cause, comme le suggère la Commission, qu’entre 2013 et 2015, les appareils Google Android représentaient de 11 à 24 % de l’ensemble des requêtes de recherche effectuées sur Google Search dans l’EEE. En 2016, les appareils Google Android représentaient 29 % de ces requêtes de recherche (considérant 796 de la décision attaquée). De même, en 2016, l’ADAM a couvert tous les appareils Google Android vendus en dehors de la Chine, ce qui correspond à 76 % du nombre total d’appareils mobiles intelligents vendus en Europe et à 56 % du nombre total d’appareils mobiles intelligents vendus dans le monde (Chine comprise) (considérants 783, 784 et 901 de la décision attaquée). Dans ces circonstances, il reste toujours possible de considérer, comme le fait la Commission dans la décision attaquée, que les conditions de préinstallation de l’ADAM conféraient à Google un important avantage concurrentiel.
566 Dès lors, il y a lieu de rejeter le grief de Google sur la confusion entre avantage compétitif et éviction anticoncurrentielle.
iv) Conclusion
567 Il ressort de ce qui précède que la Commission est fondée à considérer que, même si les utilisateurs restaient libres de télécharger des applications concurrentes de l’application Google Search et de Chrome ou de modifier les réglages par défaut, ou encore que les développeurs de navigateurs Internet mobiles pouvaient proposer leurs applications aux FEO, cela n’a pas été suffisamment le cas pendant l’essentiel de la période infractionnelle du fait des conditions de préinstallation de l’ADAM.
d) Absence de démonstration du lien entre les parts d’utilisation et la préinstallation
1) Arguments des parties
568 Google fait observer que, selon la décision attaquée, ses parts de recherche générale et de navigation « ne semblent pas s’expliquer » par la préférence des utilisateurs et sont « conformes à » une restriction de la concurrence (considérants 835, 837, 947 et 954). Toutefois, la décision attaquée ne démontrerait pas que les parts de Google ont été occasionnées par les conditions de préinstallation contestées ou qu’elles sont incompatibles avec la concurrence par les mérites, ce qu’il appartiendrait pourtant à la Commission d’établir. En outre, la décision attaquée ignorerait de nombreuses preuves selon lesquelles le succès du service de recherche générale et du navigateur de Google refléterait leur qualité. Invoquer les notes du Play Store pour l’application Google Search et ses concurrentes ne saurait suffire pour écarter ces éléments de preuve.
569 La Commission soutient qu’aucun des arguments de Google ne remet en cause la conclusion selon laquelle l’important avantage concurrentiel résultant de la préinstallation de l’application Google Search et de Google Chrome sur pratiquement tous les appareils Google Android vendus dans l’EEE et l’incapacité des concurrents à compenser cet avantage concordent avec l’évolution des parts de marché de Google. En effet, le succès de l’application Google Search et de Google Chrome ne refléterait pas seulement les prétendues « qualité et performance supérieures des services de Google ». De même, le fait que les évaluations par les utilisateurs sur le Play Store soient fondées sur des échantillons de différentes tailles ne serait pas déterminant. Ces échantillons seraient suffisamment étendus pour être représentatifs.
2) Appréciation du Tribunal
570 En premier lieu, s’agissant de la préinstallation et de ses effets, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que ses conclusions sur l’existence d’un avantage concurrentiel pour Google du fait de la préinstallation, lequel n’avait pas pu être compensé par les concurrents et avait pour effet de restreindre la concurrence par les mérites au détriment des consommateurs, étaient confirmées par l’évolution des parts d’utilisation imputables à Google effectuées sur les appareils mobiles intelligents (voir considérants 835 à 851 et 947 à 963 de la décision attaquée).
571 Dans ce contexte, les références qui sont faites par la Commission à l’évolution de ces parts d’utilisation ne sont pas critiquables en soi. Celles-ci permettent en effet à la Commission d’asseoir sa démonstration selon laquelle, d’une part, la préinstallation confère un avantage aux applications de recherche générale et de navigation de Google qui en font l’objet et, d’autre part, cet avantage n’a pas pu être compensé par les concurrents.
572 En ce qui concerne l’évolution de la part de Google dans les demandes de recherche générale effectuées par type d’appareil en Europe de 2009 à mars 2017, la Commission est ainsi en mesure de constater que cette part a toujours oscillé entre 95 et 98 % de 2011 à mars 2017 en ce qui concernait les appareils mobiles intelligents et que cette part a toujours été plus importante que celle observée sur la même période en ce qui concernait les PC (88-95 %) ou les tablettes (90-98 % de juillet 2012 à mars 2017) (considérant 836 de la décision attaquée).
573 S’agissant de l’évolution de la part d’utilisation de Chrome comparée à celle d’autres navigateurs mobiles non spécifiques à un SE en Europe d’août 2012 à mars 2017, la Commission est également en mesure de constater que la part de Chrome est passée de 4,7 à 74,9 % au cours de cette période. En revanche, la part des autres navigateurs Android (les « AOSP-based browsers » ou les « Android browsers ») est passée de 74,5 à 8,2 % sur la même période (voir considérant 949 de la décision attaquée ; pour une présentation des résultats au niveau mondial, voir considérant 950 de la décision attaquée ; pour une présentation des résultats avec les navigateurs sur PC, voir considérant 951 de la décision attaquée ; pour une présentation des résultats avec les navigateurs spécifiques à un SE en Europe, voir considérant 952 de la décision attaquée).
574 Contrairement à ce que fait valoir Google, la Commission est en droit d’invoquer ces évolutions au soutien de sa thèse du préjudice. Dans la mesure où cette thèse prend pour point de départ le « biais de statu quo » lié à la préinstallation, lequel perturbe le jeu de la concurrence présupposé par Google, pour qui l’utilisateur pourrait notamment remédier à cette tendance en téléchargeant une application concurrente – ce que précisément il ne fait pas –, la Commission peut à juste titre se référer aux parts d’utilisation.
575 En deuxième lieu, s’agissant du facteur relatif à la qualité et de ses effets allégués, il convient de considérer que, dans un cas de figure comme celui de l’espèce, la Commission n’avait pas à déterminer précisément si ces parts d’utilisation s’expliquaient non seulement par la préinstallation – ce qu’elle estime – mais également, voire plutôt, par la supériorité qualitative alléguée par Google. En effet, pour Google, l’absence de remise en cause des parts d’utilisation de l’application Google Search ou l’augmentation progressive des parts d’utilisation de Chrome s’expliqueraient plus par la supériorité qualitative de ses produits que par la préinstallation. En l’espèce, toutefois, la préinstallation n’est pas contestée, si bien que tous les appareils Google Android disposaient de l’application Google Search et de Chrome, alors que l’incidence de la qualité sur l’absence de préinstallation ou de téléchargement d’une application concurrente n’est qu’affirmée par Google sans que les éléments de preuve transmis à cet égard soient ni suffisants ou particulièrement pertinents.
576 Google se prévaut à cet effet de la déclaration d’un de ses dirigeants, qui se prononce sur la supériorité qualitative de l’application Google Search par rapport à ses concurrents. Ce document fait effectivement état de différents éléments, dont un sondage effectué auprès de consommateurs en 2016 montrant que Google Search était le moteur de recherche générale préféré des consommateurs au Royaume-Uni, en Allemagne et en France et différents articles indiquant que Google Search présentait de meilleures ou de plus récentes fonctionnalités que Bing ou que Bing n’était pas aussi précis qu’annoncé. La déclaration du dirigeant de Google et les différents éléments qui y sont annexés ne suffisent toutefois pas en tant que tels à établir que la part d’utilisation de Google Search et de Chrome s’explique plutôt par le fait que Google dispose d’un service de qualité supérieure que par le fait que ces applications sont préinstallées.
577 Au demeurant, à supposer même que Google Search et Chrome bénéficient d’une supériorité qualitative sur les services proposés par les concurrents, celle-ci ne serait pas déterminante dès lors qu’il n’est nullement allégué que les différents services proposés par les concurrents ne seraient pas techniquement en mesure de satisfaire les besoins des consommateurs.
578 En outre, ainsi que cela ressort des pièces du dossier, les besoins des consommateurs ne sont pas nécessairement satisfaits par la solution qualitativement la meilleure, à supposer que Google puisse alléguer que ses services représentent une telle solution, étant donné que d’autres variables que la qualité technique, comme la protection de la vie privée ou la prise en compte des spécificités linguistiques des demandes de recherche effectuées jouent également un rôle.
579 En troisième lieu, il convient de relever que, pour réfuter l’argument de Google selon lequel la qualité de ses produits aux yeux des consommateurs plutôt que la préinstallation expliquerait l’importance et l’évolution de ses parts d’utilisation, la Commission a indiqué dans la décision attaquée qu’un tel avantage qualitatif ne semblait pas ressortir des notes octroyées aux services concurrents sur le Play Store.
580 Pour le premier groupement, les notes moyennes du Play Store étaient de 4,4 pour l’application Google Search avec 5,8 millions d’évaluations, de 4,3 pour l’application Bing avec 73 000 évaluations, de 4,2 pour l’application Yahoo avec 28 000 évaluations, de 4,3 pour l’application de Seznam avec 39 000 évaluations et de 4,4 pour l’application Yandex avec 219 000 évaluations (considérant 837 de la décision attaquée).
581 Pour le deuxième groupement, les notes moyennes du Play Store étaient de 4,3 pour Chrome avec 7,4 millions d’évaluations, de 4,3 pour Opera avec 2,2 millions d’évaluations, de 4,4 pour Firefox avec 2,8 millions d’évaluations, de 4,5 pour UC Browser avec 13,9 millions d’évaluations et de 4,4 pour UC Browser Mini avec 2,8 millions d’évaluations (considérant 954 de la décision attaquée).
582 Certes, comme le relève Google, les évaluations ne représentent pas la même importance et celles-ci ne constituent pas nécessairement un critère d’évaluation représentatif. Pour autant, comme le fait valoir la Commission, il ressort bien de ces notes que l’appréciation qualitative des différents services en concurrence reste analogue. Il peut donc en être tenu compte pour considérer que la qualité respective des différents services de recherche et de navigation en concurrence n’est pas un critère déterminant dans leur utilisation, ceux-ci proposant tous un service susceptible de répondre à la demande.
583 Il ressort de ce qui précède que, compte tenu de la tendance à figer la situation liée aux conditions de préinstallation de l’ADAM et en l’absence de démonstration de l’incidence précise de la supériorité qualitative alléguée par Google en ce qui concerne ses applications de recherche générale et de navigation, c’est à juste titre que la Commission a considéré que les parts d’utilisation de Google corroboraient le « biais de statu quo » lié à la préinstallation.
584 Ce grief doit donc être rejeté.
e) Absence de prise en considération du contexte économique et juridique
1) Arguments des parties
585 Google fait valoir que la décision attaquée omet d’évaluer si les conditions de préinstallation de l’ADAM étaient capables de porter atteinte à la concurrence qui aurait existé en leur absence, et ce au regard de tout le contexte économique et juridique. Une analyse complète de ce contexte établirait que ces conditions n’étaient pas susceptibles d’évincer la concurrence, ni capables de le faire, car elles créaient de nouvelles opportunités pour les concurrents, plutôt que de les en priver. La mesure dans laquelle Google ou ses concurrents ont tiré parti de ces opportunités dépendrait des qualités respectives de leurs services et de leur attractivité auprès des utilisateurs. En effet, les conditions de préinstallation de l’ADAM feraient partie du modèle de licence gratuite développé pour la plateforme Android et ne pourraient donc pas être examinées séparément. En outre, n’importe qui pourrait se servir gratuitement du SE Android et l’utiliser.
586 La Commission fait valoir que c’est Google, et non la décision attaquée, qui omet d’apprécier le contexte économique et juridique de la vente liée de l’application Google Search avec Play Store et de la vente liée de Google Chrome avec Play Store et l’application Google Search. En effet, la décision attaquée tiendrait compte de la nature des interactions entre les différents volets de la plateforme Android (considérants 874 et 875, 990 et 991 de la décision attaquée). Il devrait notamment être tenu compte des aspects suivants dans lesquels s’inscrit la vente liée :
– au sein de l’EEE, la préinstallation de Google Chrome a couvert pratiquement tous les appareils Google Android (considérant 901 de la décision attaquée) ;
– sur les appareils SMG, Google n’autorise la préinstallation exclusive d’aucune autre application de recherche générale que Google Search. L’application Google Search est le point d’entrée unique le plus important pour les recherches générales sur les appareils Google Android, et représentait [40-50] % de toutes les requêtes de recherche générale sur les appareils Google Android en 2016 (considérant 799, point 1, et considérant 974 de la décision attaquée) ;
– Google ne permet pas de paramétrer par défaut sur Google Chrome un service de recherche générale autre que Google Search (considérants 818 et 973 de la décision attaquée), deuxième point d’entrée le plus important pour les recherches générales sur les appareils Google Android, avec [30-40] % de toutes les requêtes de recherche générale sur les appareils Google Android effectuées au moyen de Google Chrome en 2016 (considérants 818, 973 et 974 de la décision attaquée) ;
– entre 2011 et 2016, Google a conclu des accords de partage des recettes avec des FEO et des ORM. En vertu de ces accords, couvrant entre [50-60] % et [80-90] % de tous les appareils Google Android vendus dans l’EEE, les FEO et les ORM étaient tenus de préinstaller exclusivement l’application Google Search et de paramétrer Google Search comme service de recherche générale par défaut pour tous les navigateurs Internet mobile préinstallés (voir considérants 822 et 833 de la décision attaquée) ;
– en vertu des AAF, les FEO souhaitant vendre ne serait-ce qu’un seul appareil avec le Play Store et l’application Google Search préinstallés ne peuvent vendre aucun autre appareil fonctionnant sous une fourche Android ;
– en vertu d’un accord de partage des recettes maintenu depuis 2007, Apple définit Google Search comme service de recherche générale par défaut dans le navigateur Safari sur les appareils iOS [voir considérants 119 et 154, considérant 515, point 1, considérant 796, point 2, sous a), considérant 799, point 2, considérants 840 et 1293 de la décision attaquée] ;
– en vertu des accords de partage des recettes, tous les principaux navigateurs Internet pour PC, à l’exception d’Internet Explorer/Edge de Microsoft, sont tenus de paramétrer Google Search comme service de recherche générale par défaut [voir considérant 796, point 2, sous c), et considérant 845 de la décision attaquée].
2) Appréciation du Tribunal
587 En substance, Google reproche à la Commission l’absence d’analyse de l’ensemble des circonstances pertinentes pour apprécier les effets allégués du comportement litigieux.
588 Pour Google, la Commission aurait dû mieux tenir compte, d’une part, de la raison qui l’a poussée à développer la plateforme Android, à savoir la volonté de faire face au verrouillage des autres systèmes d’exploitations (iOS ou Windows) par leurs propriétaires, et, d’autre part, des effets proconcurrentiels engendrés par le succès de la plateforme ouverte et gratuite Android, alors même que les conditions de préinstallation litigieuses étaient en vigueur, lesquels établiraient une augmentation des volumes d’utilisation des services de recherche générale et de navigation ainsi qu’une augmentation du nombre d’applications. Dans ce contexte, la Commission aurait dû évaluer la situation en la comparant avec une situation où, du fait de l’absence des conditions de préinstallation litigieuse, Google n’aurait pas été en mesure de développer et de maintenir la plateforme ouverte et gratuite Android.
589 Une telle argumentation ne correspond toutefois pas au contenu de la décision attaquée.
590 En effet, ainsi que le fait valoir la Commission, le comportement abusif caractérisé dans la décision attaquée ne porte pas sur le développement et la maintenance de la plateforme Android, y compris en ce qui concerne son aspect ouvert et gratuit défini par Google pour faire face à ce que cette entreprise considère comme être le verrouillage des autres systèmes d’exploitation par leurs propriétaires. La Commission reconnaît d’ailleurs devant le Tribunal que la plateforme Android a accru les opportunités pour les concurrents de Google.
591 Il ressort également de la décision attaquée que Google avait présenté à la Commission une argumentation de même nature que celle qui est réitérée devant le Tribunal et que celle-ci a été rejetée par la Commission au motif notamment que cette dernière ne mettait pas en cause l’ensemble de l’ADAM, mais seulement l’un de ses aspects dont les effets étaient restrictifs de concurrence (voir considérants 867 à 876 pour le premier groupement ; voir considérants 983 à 992 pour le deuxième groupement). L’argumentation de Google a donc été prise en compte par la Commission au titre de l’appréciation de l’ensemble des circonstances pertinentes comme cela ressort de la décision attaquée.
592 En effet, même en tenant compte des effets proconcurrentiels engendrés par la plateforme Android, dont l’ADAM constitue l’une des modalités, la Commission a néanmoins considéré qu’un aspect spécifique de l’ADAM, à savoir les conditions de préinstallation litigieuses, était abusif.
593 Ainsi, comme cela a été examiné ci-dessus dans le cadre du présent moyen (voir, également, les différentes circonstances factuelles rappelées au point 585 ci-dessus), la Commission a considéré que les deux groupements de produits conféraient à Google un avantage concurrentiel occasionné par le « biais de statu quo » lié à la préinstallation, qui ne pouvait pas être compensé par les concurrents et qui avait pour effet de restreindre la concurrence par les mérites au détriment des consommateurs.
594 Ce sont ces conditions de préinstallation de l’ADAM, et non de manière plus générale le système de licence ouverte et gratuite souhaité par Google avec les FEO signataires de cet accord, qui constituent le comportement litigieux.
595 C’est dans ce contexte, dès lors, comme le suggère la Commission, qu’il y a lieu d’évoquer les différentes contributions d’Opera. Certaines font état, comme l’indique Google, des effets proconcurrentiels du développement et de la maintenance de la plateforme Android. D’autres évoquent, comme le relève la Commission, les effets restrictifs de concurrence liés à la préinstallation.
596 Il ressort de ce qui précède que Google n’établit pas, comme elle l’allègue, que la Commission n’a pas dûment tenu compte de l’ensemble des circonstances pertinentes pour apprécier le comportement litigieux. Ce grief doit donc être rejeté.
3. Sur la seconde branche, visant les justifications objectives
a) Arguments des parties
597 Google fait valoir que les conditions de préinstallation de l’ADAM sont objectivement justifiées, parce qu’elles lui permettent de fournir gratuitement la plateforme Android en garantissant que les applications engendrant des revenus, Google Search et Chrome, ne soient pas exclues de la préinstallation et des opportunités publicitaires associées. Ces conditions, légitimes et pro-concurrentielles, auraient contribué à la diversité et à l’adoption généralisée des appareils mobiles, réduit les barrières à l’entrée et créé des opportunités pour les concurrents. La suggestion faite dans la décision attaquée de facturer aux FEO un droit de licence pour le Play Store qui varierait pour les appareils bas de gamme et haut de gamme sacrifierait les bénéfices pro-concurrentiels de l’offre gratuite faite par Google en ce qui concerne la plateforme Android. Google conteste également pouvoir obtenir une compensation à partir des données mobiles. De même, l’échange non monétaire créé par les conditions de préinstallation de l’ADAM serait plus efficace et augmenterait la production par rapport à un système dans lequel les FEO verseraient des paiements pour les composants de la plateforme Android.
598 La Commission soutient que les conditions de préinstallation de Google Search et de Chrome sur pratiquement tous les appareils Google Android vendus dans l’EEE ne sont pas objectivement justifiées. En effet, Google monétiserait déjà les investissements grâce à la commercialisation des données collectées auprès des utilisateurs et aux recettes engendrées par le Play Store et d’autres applications et services, y compris Google Search. En outre, un nombre important d’utilisateurs de Google Android continuera d’utiliser Google Search en l’absence de ces exigences. Google ne démontrerait également pas que la préinstallation serait nécessaire pour éviter que la préinstallation exclusive sur les appareils Google Android ne soit pas accessible à Google ou pour éviter qu’elle ne soit obligée de facturer des frais aux FEO pour le Play Store.
b) Appréciation du Tribunal
599 Il y a lieu de rappeler que, dans le cas où l’existence d’effets anticoncurrentiels dus au comportement d’une entreprise occupant une position dominante a été constatée, cette entreprise peut justifier des agissements susceptibles de tomber sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C 209/10, EU:C:2012:172, point 40 et jurisprudence citée).
600 En particulier, une telle entreprise peut démontrer, à cet effet, soit que son comportement est objectivement nécessaire, soit que l’effet d’éviction qu’il entraîne peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C 209/10, EU:C:2012:172, point 41 et jurisprudence citée).
601 En ce qui concerne la première hypothèse, il a été jugé que, si la charge de la preuve quant à l’existence des circonstances constitutives d’une violation de l’article 102 TFUE reposait sur la Commission, c’est toutefois à l’entreprise dominante concernée, et non à la Commission, qu’il incombait, le cas échéant, et avant la fin de la procédure administrative, de faire valoir une éventuelle justification objective et d’avancer, à cet égard, des arguments et des éléments de preuve. Il appartient ensuite à la Commission, si elle entend conclure à l’existence d’un abus de position dominante, de démontrer que les arguments et les éléments de preuve invoqués par ladite entreprise ne sauraient prévaloir et, partant, que la justification présentée ne saurait être accueillie (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T 201/04, EU:T:2007:289, points 688 et 1144).
602 En ce qui concerne la deuxième hypothèse, il appartient à l’entreprise dominante concernée de démontrer que les gains d’efficacité susceptibles de résulter du comportement considéré neutralisent l’effet d’éviction qu’il entraîne, que ces gains d’efficacité ont été ou sont susceptibles d’être réalisés grâce audit comportement, que ce dernier est indispensable à la réalisation de ceux-ci et qu’il n’élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C-209/10, EU:C:2012:172, point 42).
603 À cet égard, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a examiné sous le même intitulé, « Justifications objectives et gains d’efficacité », les différents arguments invoqués à cet égard par Google lors de la procédure administrative (considérants 993 à 1008).
604 Dans ses écritures, Google invoque en substance deux séries d’arguments pour justifier son comportement, qui recouvrent en grande partie ceux qu’elle avait fait valoir au cours de la procédure administrative et qui ont été examinés et rejetés dans la décision attaquée.
605 En premier lieu, Google faisait valoir devant la Commission que ses pratiques étaient légitimes, parce qu’elles lui permettaient de rentabiliser ses investissements dans Android et dans ses applications qui n’engendraient pas de revenus (considérant 993, point 1, de la décision attaquée).
606 Cette argumentation est reprise dans le présent recours, où Google invoque, d’une part, l’importance de ses investissements dans le développement et la maintenance de la plateforme Android, y compris le SE Android, le Play Store et l’ensemble SMG, et, d’autre part, la gratuité de cette plateforme. Les conditions de préinstallation de l’ADAM seraient dès lors justifiées, parce qu’elles permettraient à Google, au moyen des revenus engendrés par les applications Google Search et Chrome, d’obtenir un retour approprié sur ses investissements sans exclure pour autant la possibilité pour les concurrents ou les utilisateurs de recourir à la préinstallation ou à d’autres options.
607 Pour écarter cette argumentation, la Commission a considéré que Google n’avait pas démontré que les groupements litigieux étaient nécessaires pour rentabiliser ses investissements dans Android et dans ses applications qui n’engendraient pas de revenus (voir considérants 995 à 998 de la décision attaquée).
608 Rapporté au montant des investissements consacrés par Google au développement et à la maintenance d’Android, que ce montant soit celui évoqué par la Commission ou celui mis en avant par Google, il s’avère, en tout état de cause, que Google a toujours été en mesure de disposer de sources de revenus conséquentes pour financer ces investissements effectués au titre de sa stratégie visant à préserver ses parts de marché dans les services de recherche générale à l’occasion du passage à l’internet sur appareils mobiles.
609 En dehors des recettes engendrées par le Play Store (considérant 996 et note en bas de page n° 1074 de la décision attaquée), qui suffisent désormais à elles seules pour permettre à Google de récupérer les investissements effectués pour le développement et la maintenance de la plateforme Android pendant l’année correspondante (voir, à cet égard, les données fournies par Google devant le Tribunal), Google disposait également d’autres sources de revenus.
610 En effet, ainsi que le relève la Commission dans la décision attaquée, Google pouvait toujours bénéficier de la valorisation des données relatives aux utilisateurs obtenues à partir des appareils Google Android, telles celles liées à la localisation ou à l’utilisation des Google Play Services. Google pouvait également, compte tenu de ses importantes parts de marché sur les PC, bénéficier des revenus significatifs engendrés par la publicité sur les recherches (considérants 997 à 998 de la décision attaquée).
611 Les critiques formulées par Google à l’encontre de ces possibilités restent génériques et vagues.
612 En conséquence, en considération, d’une part, de la valeur que représentent les données relatives aux utilisateurs et, d’autre part, de l’importance des revenus engendrés par la publicité sur les recherches effectuées sur les PC, la Commission a considéré à juste titre que Google pouvait ne pas avoir à recouvrer l’intégralité des dépenses relatives au développement et à la maintenance de la plateforme Android en considération des seules recettes engendrées à partir de cette plateforme.
613 En outre, comme le relève également la Commission dans la décision attaquée, Google n’a pas démontré qu’elle n’avait pas eu un intérêt à développer Android afin de contrer les risques que la transition à l’appareil mobile intelligent faisaient peser sur son modèle commercial de publicité associé à la recherche (considérant 999 de la décision attaquée). Dans cette perspective, il peut valablement être considéré que Google aurait effectué les dépenses relatives au développement et à la maintenance de la plateforme Android sans même être assurée que ces dépenses soient compensées par les recettes engendrées à partir de cette plateforme, en considération par exemple des recettes engendrées par le Play Store.
614 Il ressort de ce qui précède que Google n’a pas établi que les conditions de préinstallation de l’ADAM étaient objectivement justifiées en ce sens qu’elles lui avaient permis, en garantissant la préinstallation de l’application Google Search et de Chrome sur les appareils Google Android, de récupérer le montant des dépenses effectuées au titre du développement et de la maintenance de la plateforme Android.
615 En deuxième lieu, Google soutient que les conditions de préinstallation de l’ADAM lui ont permis de proposer gratuitement le Play Store, parce que sa valeur auprès des FEO et des utilisateurs correspondait à la valeur pour Google de la promotion par ces FEO de son service de recherche générale. La suggestion faite par la Commission de faire payer un droit de licence pour le Play Store remettrait en cause ce modèle et ses effets positifs pour la concurrence (voir considérant 993, point 3, de la décision attaquée).
616 Toutefois, Google ne satisfait pas là non plus à la charge de la preuve qui lui incombe au titre de la démonstration des justifications objectives.
617 La solution privilégiée par Google, celle de la gratuité des licences, ne saurait pour autant empêcher l’application des autres solutions envisagées par la Commission pour lui permettre de remplacer les revenus engendrés par la préinstallation de l’application Google Search et de Chrome sur les appareils Google Android, telles que, par exemple, le paiement d’un droit de licence pour le Play Store, qui peut se concilier avec une différence de traitement entre les produits bas de gamme et les produits haut de gamme.
618 Il ressort de ce qui précède que Google n’est pas en mesure d’établir que les conditions de préinstallation de l’ADAM sont objectivement justifiées en ce sens qu’elles lui garantissent la gratuité des licences relatives au Play Store.
619 La deuxième branche visant les justifications objectives de la préinstallation doit donc être rejetée, tout comme l’ensemble du deuxième moyen, tiré de l’appréciation erronée du caractère abusif des conditions de préinstallation de l’ADAM.
D. Sur le troisième moyen, tiré de l’appréciation erronée du caractère abusif de la condition de préinstallation unique incluse dans les APR par portefeuille
620 Par le troisième moyen du recours, Google soutient que la Commission a erronément conclu à la nature abusive de certaines dispositions incluses dans les APR par portefeuille.
1. Éléments de contexte
a) Décision attaquée
621 Selon la décision attaquée, Google a accordé à certains FEO et ORM des paiements à la condition qu’ils ne préinstallent ou qu’ils ne rendent immédiatement disponible après l’achat aucun service de recherche générale concurrent sur un ensemble d’appareils mobiles figurant au sein d’un portefeuille prédéfini (considérants 198 et 1195 de la décision attaquée).
622 Il ressort également de la décision attaquée que les APR par portefeuille sanctionnés sont ceux qui étaient en vigueur du 1er janvier 2011, date à laquelle la Commission a considéré que Google était dominante sur chaque marché national des services de recherche générale au sein de l’EEE, au 31 mars 2014, date à laquelle un APR par portefeuille avec un FEO cité par la Commission a pris fin (considérant 1333 de la décision attaquée).
1) Sur la nature des APR par portefeuille
623 La Commission fait valoir que les APR par portefeuille comportent des paiements d’exclusivité. Elle rappelle que, en application desdits APR, si le FEO ou l’ORM concerné préinstalle un service de recherche générale concurrent sur un appareil qui relève du portefeuille prédéfini et accepté, il doit renoncer au partage de revenus sur tout le portefeuille.
624 Dans le cas tant des FEO que des ORM concernés, la Commission souligne que les APR par portefeuille couvraient un segment important des appareils mobiles vendus. Des documents internes de Google confirmeraient que l’objectif des APR par portefeuille était de garantir que Google réponde à tous les besoins de ces FEO et ORM en matière de services de recherche générale sur les appareils inclus dans ces portefeuilles. Ces documents révéleraient également que Google était consciente que cette pratique pouvait soulever des problèmes de concurrence (considérants 1195 à 1205 de la décision attaquée).
2) Sur la capacité des APR par portefeuille à restreindre la concurrence
625 Aux considérants 1206 et 1207 de la décision attaquée, la Commission soutient que la présomption selon laquelle les paiements d’exclusivité de Google sont abusifs est confirmée en l’espèce par l’analyse de leur capacité à restreindre la concurrence, compte tenu notamment du taux de couverture des marchés nationaux des services de recherche générale par la pratique contestée.
626 Tout d’abord, la Commission estime que les APR par portefeuille ont réduit les incitations des FEO et des ORM concernés à préinstaller des services de recherche générale concurrents. Premièrement, en l’absence des APR par portefeuille, ces FEO et ORM auraient eu un intérêt commercial à préinstaller de tels services sur au moins une partie de leurs appareils Google Android. Deuxièmement, les services de recherche générale concurrents n’auraient pas pu proposer à ces FEO et ORM le même niveau de revenu que celui offert par Google. Troisièmement, les APR par portefeuille seraient l’une des raisons de l’hésitation des FEO et des ORM à installer des services de recherche générale concurrents sur leurs appareils Google Android (considérants 1208 à 1281 de la décision attaquée).
627 Ensuite, la Commission avance que les APR par portefeuille ont rendu plus difficile l’accès des concurrents de Google aux marchés nationaux des services de recherche générale. Premièrement, ces paiements auraient découragé les FEO et les ORM de préinstaller des services de recherche générale concurrents. Deuxièmement, les APR par portefeuille couvriraient une partie significative des marchés pertinents. Troisièmement, les services concurrents n’auraient pas été en mesure de compenser, par l’intermédiaire de canaux alternatifs de distribution comme le téléchargement, l’avantage compétitif que Google retirait de la pratique litigieuse (considérants 1282 à 1312 de la décision attaquée).
628 Enfin, la Commission indique que les APR par portefeuille ont découragé l’innovation, puisqu’ils ont empêché le lancement d’appareils Google Android où seraient préinstallés des services de recherche générale autres que Google Search. En l’absence d’une telle pratique, les utilisateurs auraient bénéficié d’un choix plus large. Cette pratique aurait également réduit, d’une part, les incitations des concurrents au développement de fonctionnalités innovantes en les empêchant de bénéficier de requêtes de recherches supplémentaires et des revenus et données nécessaires pour améliorer leurs services et, d’autre part, l’incitation de Google à innover, puisqu’elle ne subissait plus de pression concurrentielle par les mérites. De plus, même si la pratique coïncidait avec une période d’amélioration du service de recherche générale de Google, celle-ci ne rapporterait pas la preuve que cette pratique n’a pas affecté les incitations ou la capacité des services de recherche générale concurrents à améliorer leurs services. Google aurait ainsi pu améliorer ses services à un degré plus important (considérants 1313 à 1322 de la décision attaquée).
629 Par ailleurs, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 1259 de la décision attaquée, la Commission a examiné en l’espèce la capacité de la pratique en cause de produire un effet d’éviction sur des entreprises considérées comme aussi efficaces que l’entreprise dominante. Interrogée sur ce point lors de l’audience de plaidoiries, la Commission a confirmé qu’elle avait effectivement pris en considération les attributs d’un tel concurrent hypothétique au titre de son appréciation.
3) Sur l’existence de justifications objectives
630 La Commission réfute les justifications objectives invoquées par Google. Ainsi, premièrement, les APR par portefeuille n’auraient pas été nécessaires pour convaincre initialement les FEO ou les ORM de vendre des appareils Google Android, étant donné que les appareils Google Android représentaient déjà plus de 40 % des ventes mondiales d’appareils mobiles intelligents en janvier 2011 et que les APR avaient pour objectif, non pas de vendre des appareils Google Android, mais de permettre « l’installation exclusive du service de recherche générale » de Google sur ces appareils Google Android. Deuxièmement, Google ne démontrerait pas que les APR par portefeuille étaient nécessaires pour lui permettre de récupérer les investissements effectués dans Android. En l’absence des APR par portefeuille, Google aurait toujours été en mesure d’obtenir d’Android des revenus conséquents. Troisièmement, Google n’aurait pas démontré que les APR par portefeuille étaient nécessaires pour permettre aux appareils Google Android de concurrencer Apple (considérants 1323 à 1332 de la décision attaquée).
b) Sur la distinction entre les APR par portefeuille et les APR par appareils
631 Les partages de revenus publicitaires visés dans la décision attaquée sont conditionnés à la préinstallation exclusive de Google Search sur un ensemble d’appareils prédéfinis dans un portefeuille. En d’autres termes, pour chacun des appareils visés, les FEO et les ORM doivent, pour obtenir une participation aux revenus publicitaires de Google, satisfaire aux conditions posées par les APR par portefeuille.
632 Comme le souligne la Commission au considérant 197 de la décision attaquée, Google a toutefois progressivement remplacé, à partir de mars 2013, les APR par portefeuille par des APR par appareils. En application d’un APR par appareils, la participation d’un FEO et d’un ORM aux revenus de Google dépend du nombre d’appareils vendus respectant l’obligation de non-préinstallation de services de recherche générale concurrents. Ainsi, les APR par appareils permettent à un FEO ou un ORM de proposer, pour un même type d’appareil, certains mettant en avant exclusivement le service de recherche générale de Google et d’autres proposant aussi des services de recherche générale concurrents.
633 Dès lors, à la différence de la position exposée dans la communication des griefs, la Commission n’a pas considéré dans la décision attaquée que les APR par appareils, progressivement mis en œuvre plus de cinq ans avant son adoption, constituaient, en eux-mêmes, une pratique abusive. Les APR par appareils demeurent toutefois partie intégrante du contexte factuel dans lequel la Commission a examiné les effets d’éviction entraînés par les pratiques reprochées à Google dans la décision attaquée (voir points 448 à 452 ci-dessus).
c) Sur les revenus partagés au titre des APR par portefeuille
634 Au titre des APR par portefeuille, Google partage une partie de ses revenus publicitaires en contrepartie de la préinstallation exclusive de Google Search sur un ensemble d’appareils mobiles figurant sur un portefeuille prédéfini.
635 Au considérant 1240 de la décision attaquée, la Commission souligne que ces APR ne couvrent pas les revenus provenant des requêtes de recherche effectuées sur les appareils mobiles par l’intermédiaire de la page d’accueil Internet de Google, ce que cette dernière a expressément confirmé en réponse à une question posée par le Tribunal avant l’audience.
636 En d’autres termes, les APR par portefeuille couvrent les revenus publicitaires provenant des requêtes de recherche effectuées par l’intermédiaire de Google Search, de Chrome et de la barre URL d’autres navigateurs Internet mobile lorsque le moteur de recherche de Google y est défini par défaut. Une lecture combinée des considérants 1234 et 1240 de la décision attaquée corrobore ce constat.
d) Sur la preuve du caractère abusif d’un paiement d’exclusivité
637 Selon la décision attaquée, les APR par portefeuille ont pour finalité d’assurer à Google l’exclusivité de la préinstallation sur les appareils mobiles des applications de service de recherche générale. Cette pratique aboutit à un résultat en substance identique à celui de rabais dits de « fidélité », ayant été au cœur de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C-413/14 P, EU:C:2017:632). Google rémunère, en l’espèce, les FEO et les ORM pour assurer la préinstallation exclusive de Google Search.
638 Dans ce contexte, il importe, avant d’apprécier le bien-fondé des arguments soulevés par Google au soutien du troisième moyen, de rappeler les principes qui gouvernent l’appréciation, au regard de l’article 102 TFUE, des paiements dits d’« exclusivité ».
639 Il ressort de la jurisprudence que, dans une situation où, comme en l’espèce, l’entreprise concernée par une procédure d’application de l’article 102 TFUE susceptible d’entraîner sa condamnation pour abus de position dominante fait valoir, au cours de cette procédure, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction qui lui sont reprochés, il appartient alors à la Commission, pour établir la culpabilité de cette entreprise, d’analyser les différentes circonstances permettant de démontrer la restriction de concurrence qui résulte de la pratique contestée (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, EU:C:2017:632, points 137 et 138).
640 Dans une telle situation, la Commission est non seulement tenue d’analyser, d’une part, l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et, d’autre part, le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités des pratiques tarifaires en cause, leur durée et leurs montants, mais elle est également tenue d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces. De même, la mise en balance des effets favorables et défavorables pour la concurrence de la pratique contestée ne peut être opérée qu’à la suite d’une analyse de la capacité d’éviction de concurrents au moins aussi efficaces, inhérente à la pratique en cause (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 139 et 140).
641 Pour apprécier la capacité inhérente d’une pratique à évincer des concurrents au moins aussi efficaces, un test dit du concurrent aussi efficace (As Efficient Competitor Test, ci-après le « test AEC ») peut s’avérer utile.
642 Le test AEC porte sur un concurrent hypothétiquement aussi efficace, lequel est supposé appliquer les mêmes prix à ses clients que ceux qu’applique l’entreprise dominante, tout en faisant face aux mêmes coûts que ceux qu’elle supporte (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C 52/09, EU:C:2011:83, points 40 à 44). Par ailleurs, outre le prix, pour pouvoir être considéré comme « aussi efficace » que l’entreprise dominante, ce concurrent hypothétique doit être aussi intéressant pour les clients de ladite entreprise en termes de choix, de qualité ou d’innovation (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C 209/10, EU:C:2012:172, point 22).
643 Le test AEC, mentionné dans les orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article [102 TFUE] aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes (JO 2009, C 45, p. 7, ci-après les « orientations sur les abus d’éviction »), vise à distinguer les comportements qu’une entreprise en position dominante ne peut adopter de ceux qui lui sont permis. Le test AEC constitue ainsi une grille d’analyse possible des effets d’éviction relatifs à une affaire donnée et des effets d’éviction reprochés. Pour autant, il ne s’agit que d’un élément parmi d’autres susceptible d’être mis en œuvre pour établir, au moyen de preuves qualitatives ou quantitatives, l’existence d’une éviction anticoncurrentielle au sens de l’article 102 TFUE.
644 Néanmoins, lorsque, comme en l’espèce, le test AEC est mis en œuvre, celui-ci doit être rigoureusement conduit. À cet égard, pour déterminer si un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace risque de se voir évincé par la pratique contestée, la Commission doit examiner les données économiques se rapportant aux coûts et aux prix de vente et vérifier notamment si l’entreprise dominante pratique des prix inférieurs aux coûts. Cette méthode suppose toutefois que des données suffisamment fiables soient disponibles. Lorsqu’elles le sont, la Commission est tenue d’utiliser les informations sur les coûts de l’entreprise dominante elle-même. Afin d’obtenir les données nécessaires, la Commission dispose de pouvoirs d’enquête. En outre, à défaut de données fiables sur ces coûts, la Commission peut décider d’utiliser les coûts de concurrents ou d’autres données fiables comparables.
645 S’agissant de paiements d’exclusivité, la finalité du test AEC est d’apprécier si un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que l’entreprise dominante aurait été capable d’égaler ou de surenchérir auxdits paiements. En l’espèce, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, l’objet du test AEC conduit par la Commission était d’apprécier si un concurrent de Google hypothétiquement au moins aussi efficace pouvait avoir un intérêt stratégique ou économique à obtenir la part contestable des requêtes de services de recherche générale couvertes par les APR par portefeuille.
646 À cet égard, il convient de rappeler que l’analyse à laquelle la Commission a procédé dans la décision attaquée pour établir le caractère anticoncurrentiel des APR par portefeuille dépend notamment de deux séries de considérations, à savoir, d’une part, l’examen de la couverture de cette pratique et, d’autre part, les résultats du test AEC qu’elle a mis en œuvre.
647 C’est à la lumière de ces considérations liminaires qu’il convient d’apprécier le bien-fondé des arguments avancés par Google au soutien du troisième moyen.
648 Le troisième moyen du recours se divise en trois branches. Par la première, Google reproche à la Commission d’avoir erronément considéré que les APR par portefeuille comportaient une condition d’exclusivité. Par la deuxième, développée au stade de l’audience, Google soutient que la décision attaquée repose sur un défaut de motivation, en ce que la Commission ne justifierait pas dans quelle mesure une pratique présentant une couverture limitée du marché pertinent restreindrait la concurrence. Au titre de la troisième branche, Google prétend que la Commission n’a pas établi, à suffisance de fait et de droit, la nature anticoncurrentielle des APR.
2. Sur la première branche, visant la nature des APR par portefeuille
a) Arguments des parties
649 Google soutient que la Commission ne pouvait qualifier les APR par portefeuille d’accords d’exclusivité. Une situation d’exclusivité ne pourrait, dans l’abstrait, exister que si l’ensemble des besoins d’un client sont couverts. Or, premièrement, les APR par portefeuille n’auraient pas vocation à régir les besoins des FEO et des ORM en service de recherche générale sur les appareils mobiles non Android ou sur les ordinateurs. Deuxièmement, les APR par portefeuille ne concerneraient qu’un des points d’entrée vers les services de recherche générale. Ils enjoindraient clairement aux FEO et aux ORM de préserver des points d’entrée pour les services de recherche générale concurrents. Troisièmement, les APR par portefeuille seraient, pour certains, territorialement limités.
650 La Commission fait observer que les APR par portefeuille constituent le « sommet » des différentes pratiques étroitement imbriquées et sanctionnées dans la décision attaquée. En effet, selon la Commission, pour pouvoir percevoir une partie des recettes provenant des requêtes effectuées au moyen du service de recherche générale de Google sur les appareils fonctionnant avec les versions d’Android approuvées par Google, les FEO devaient d’abord conclure un AAF et un ADAM, puis un APR par portefeuille, ce dernier renforçant les capacités de restriction des AAF et des ADAM. En outre, aucune des trois raisons invoquées par Google pour nier que les APR par portefeuille soient des accords d’exclusivité ne saurait convaincre, ces raisons étant toutes axées sur l’importance de la couverture des APR et non sur leur caractère exclusif.
b) Appréciation du Tribunal
651 Premièrement, ainsi que l’évoque Google, une situation d’exclusivité découle d’un verrouillage par une entreprise de la totalité ou d’une part considérable des besoins d’un client. En effet, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier des acheteurs par une obligation ou une promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise peut constituer une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 102 TFUE, soit que l’obligation soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi d’un rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d’accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client, quel que soit par ailleurs le montant de ces achats, s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante (arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 89, et du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, point 137).
652 Dès lors, pour apprécier l’argument de Google selon lequel la Commission a qualifié à tort les APR par portefeuille d’accords d’exclusivité, il y a lieu de vérifier si, en vertu de ces accords, les clients de Google, à savoir les FEO et les ORM, pouvaient, pour l’ensemble ou une partie considérable de leurs besoins, solliciter également les services ou les produits de concurrents de l’entreprise occupant une position dominante.
653 Or, en l’espèce, et sans préjudice de l’examen de la couverture des marchés nationaux des services de recherche générale, lequel fait l’objet de la troisième branche du présent moyen, il convient de constater que Google ne conteste pas que les APR par portefeuille constituaient un avantage financier octroyé aux FEO et aux ORM à la condition qu’ils ne préinstallent aucun autre service de recherche générale que Google Search sur un ensemble d’appareils mobiles figurant au sein d’un portefeuille prédéfini. De même, il est également constant que les APR par portefeuille constituaient, pour les FEO et les ORM en cause, dans la mesure où ils souhaitaient commercialiser des appareils mobiles intelligents pourvus d’un service de recherche générale, une incitation à s’approvisionner auprès de Google et à exclure les concurrents de celle-ci pour une part importante de ces appareils (voir considérants 1197 et 1199 de la décision attaquée).
654 Deuxièmement, Google fait valoir que les APR par portefeuille n’excluaient pas l’accès aux services de recherche générale concurrents, lesquels demeureraient accessibles en dépit de la préinstallation exclusive de Google Search. Il en irait ainsi du téléchargement d’applications concurrentes ou d’un accès direct par l’intermédiaire des navigateurs Internet mobiles, autres que Chrome.
655 À cet égard, il résulte de la jurisprudence rappelée ci-dessus s’agissant des accords d’exclusivité que la notion d’exclusivité s’apprécie par rapport à la possibilité, pour les clients de l’entreprise occupant une position dominante, de solliciter les concurrents de celle-ci pour des services identiques. L’exclusivité ne s’apprécie donc pas par rapport au comportement des utilisateurs, mais par rapport à celui des clients de l’entreprise en position dominante. L’argument tiré par Google du fait que l’utilisateur pourrait par lui-même recourir à des services de recherche générale concurrents de Google Search, par le biais du téléchargement d’applications ou d’autres navigateurs que Chrome, doit donc être écarté comme inopérant.
656 Troisièmement, Google souligne que certains APR par portefeuille avaient un champ d’application géographique réduit à certains États membres. Or, comme le souligne à juste titre la Commission, Google ne conteste pas le fait que les marchés appréhendés sont l’ensemble des marchés nationaux, pris individuellement, pour les services de recherche générale. Le fait que certains APR par portefeuille ne s’appliquent qu’à un nombre limité d’États membres ne permet pas d’exclure un effet d’exclusivité sur les marchés nationaux concernés.
657 Partant, Google n’est pas fondée à soutenir que la Commission a commis une erreur d’appréciation en considérant que les paiements en cause étaient des paiements d’exclusivité.
3. Sur la deuxième branche, visant un défaut de motivation
658 Lors de l’audience, Google a fait valoir que la décision attaquée est insuffisamment motivée. La Commission ne justifierait en effet nullement dans quelle mesure une pratique représentant, selon Google, une couverture limitée du marché pertinent peut restreindre la concurrence.
659 À cet égard, il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement ou individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 27 juin 2012, Microsoft/Commission, T 167/08, EU:T:2012:323, point 99).
660 Or, tout d’abord, il y a lieu de rappeler que les motifs pour lesquels la Commission a considéré que les APR par portefeuille présentaient un caractère abusif sont exposés aux considérants 1188 à 1336 de la décision attaquée, consacrés à l’examen du caractère abusif des APR par portefeuille. À cet égard, au titre de ce raisonnement, la Commission a consacré les considérants 1286 à 1304 à la couverture des marchés nationaux des services de recherche générale par la pratique contestée.
661 Au vu dudit raisonnement et de l’argumentation de Google à ce propos au titre de la troisième branche du présent moyen, le Tribunal estime, d’une part, que Google a pu utilement contester l’analyse menée sur ce point par la Commission et, d’autre part, qu’il est en mesure d’en apprécier le bien-fondé.
662 Partant, il convient de rejeter comme étant non fondé le grief tiré d’un défaut de motivation allégué par Google.
4. Sur la troisième branche, visant le constat d’une restriction de concurrence
663 Google soutient, ce que conteste la Commission, que la décision attaquée n’analyse pas correctement, à la lumière de toutes les circonstances pertinentes, la condition de préinstallation unique incluse dans les APR par portefeuille afin d’établir ses effets d’éviction.
664 Premièrement, la décision attaquée ne prendrait pas en compte la faible part du marché couverte par la pratique contestée et son impact négligeable. Deuxièmement, la décision attaquée évaluerait erronément la possibilité pour les APR par portefeuille d’évincer des concurrents hypothétiquement au moins aussi efficaces, en particulier la capacité de ces derniers à les compenser. Troisièmement, la décision attaquée ignorerait les conditions d’octroi des paiements en question, qui laisseraient aux utilisateurs un accès libre aux concurrents. Quatrièmement, la Commission n’aurait pas réalisé un test contrefactuel valide.
a) Sur la couverture et l’impact des APR par portefeuille
1) Décision attaquée
665 Selon la décision attaquée, la Commission a considéré que les APR par portefeuille couvraient une « partie significative » des marchés nationaux des services de recherche générale (considérant 1286 de la décision attaquée).
666 Premièrement, pour appuyer cette constatation, la Commission souligne que les APR par portefeuille ont été conclus avec les principaux FEO vendant des smartphones Google Android et avec les principaux ORM actifs sur le marché européen. Les FEO concernés auraient vendu sur le marché européen, selon la Commission, près de [80-90] % des smartphones Google Android en 2011-2012. Tenant également compte du fait que les smartphones Google Android représentaient 56 % de l’ensemble des smartphones vendus en 2011-2012, la Commission en déduit que les APR par portefeuille couvraient, durant cette période, [40-50] % de l’ensemble des smartphones vendus en Europe. La Commission précise à cet égard qu’elle n’a pas inclus tous les smartphones vendus par les ORM au titre de leurs APR par portefeuille, lesquels ne représentaient pour les deux ORM pris en considération qu’une très faible partie des ventes précitées (considérants 1287 à 1289 et note en bas de page n°°1376 de la décision attaquée).
667 Deuxièmement, la Commission fait observer que la proportion des requêtes de recherche effectuées sur l’ensemble des appareils mobiles par l’intermédiaire de Google Search a cru de manière importante entre 2012 et 2014 pour atteindre près de [30-40] % des requêtes de Google en 2014 dans l’EEE (considérant 1290 de la décision attaquée).
668 Troisièmement, la Commission fait état du remplacement à partir de 2013 des APR par portefeuille par les APR par appareils, lesquels couvraient respectivement près de [50-60] % et près de [60-70] % des appareils Google Android en 2013 et en 2014. De même, la Commission souligne que Google Search était définie par défaut dans le navigateur d’Apple, Safari, et ce pour l’ensemble des iPhones. Google Search serait ainsi préinstallé ou réglé par défaut sur un navigateur pour une large majorité des appareils mobiles restants ou des PC (considérants 1291 à 1293, et 1298 de la décision attaquée).
669 Quatrièmement, la proportion de requêtes de recherche à partir des appareils Google Android correspondait respectivement à [10-20] % et à [10-20] % de l’ensemble des requêtes de recherche de Google effectuées en 2013 et en 2014 dans l’EEE (considérant 1294 de la décision attaquée ; ces données n’étant pas disponibles pour 2011 et 2012).
670 Cinquièmement, en réponse à un argument de Google sur l’« impact » minimal des APR par portefeuille au regard même de certaines données prises en compte dans la communication des griefs en ce qui concerne la possibilité pour les services de recherche générale concurrents d’égaler le niveau des paiements accordés aux FEO ou ORM en cause (voir considérants 1225 à 1271 de la décision attaquée), la Commission indique que si cet « impact » paraissait minimal à Google, il était néanmoins important pour ces services, en particulier parce que les requêtes de recherche évoquées au titre de cette analyse auraient constitué pour eux un « montant significatif de recherches supplémentaires » à un moment crucial du développement de la recherche générale, à savoir le passage de la recherche générale sur PC à la recherche générale sur appareils mobiles (considérants 1299 à 1302 de la décision attaquée). La Commission soutient également que le caractère significatif de la couverture des marchés nationaux des services de recherche générale par la pratique contestée ressort du fait que le type de recherche en cause permettait d’obtenir des données de localisation précieuses susceptibles, comme telles, d’améliorer le service de recherche générale et les revenus publicitaires en résultant (considérant 1298 de la décision attaquée).
2) Arguments des parties
671 Google note que, aux considérants 1286, 1287 et 1295 de la décision attaquée, la Commission prétend que les APR par portefeuille « couvraient une partie significative des marchés nationaux pertinents des services de recherche générale » au motif que ces APR s’appliquaient aux « FEO les plus importants » distribuant les appareils Google Android et aux « principaux ORM actifs dans l’EEE ». Cette appréciation ne tiendrait pas compte du taux de couverture de la pratique contestée. En effet, une analyse appropriée de la couverture des APR par portefeuille dépendrait de la proportion des requêtes de recherche imputables aux appareils Google Android et de la proportion des appareils Google Android soumis à des APR par portefeuille.
672 Or, en moyenne, Google indique au point 262 de la requête ou, en tenant compte des observations présentées à cet égard par la Commission, au point 172 de la réplique, que les APR par portefeuille ne couvriraient que [0-5] % des « marchés » nationaux de recherche générale durant la période de l’abus allégué. En effet, ces « marchés » comprendraient, selon le considérant 353 de la décision attaquée, « les recherches par l’intermédiaire des PC et des appareils mobiles intelligents » et les APR par portefeuille, qui ne s’appliquaient qu’à certains smartphones, ne représenteraient qu’une partie non significative des requêtes effectuées durant la période pertinente. De même, de nombreux FEO et ORM n’auraient jamais signé d’APR par portefeuille. Un taux de couverture de [0-5] % en moyenne durant la période allant de 2011 à 2014 ne permettrait donc pas de conclure que ces APR ont rendu l’accès aux marchés pertinents « plus difficile, voire impossible » pour les concurrents. Un tel taux serait d’ailleurs sensiblement inférieur à la couverture de marché des pratiques jugées abusives dans des affaires antérieures, lesquelles étaient de 39, 40 ou 85 %.
673 En réponse à la critique de la Commission selon laquelle elle a utilisé des chiffres relatifs aux appareils vendus et non aux appareils utilisés, Google fait valoir que la décision attaquée elle-même a tenu compte des appareils vendus comme un indicateur de la couverture de marché. Google ajoute que, même en modifiant ses calculs pour inclure les appareils utilisés, en considérant que chaque appareil vendu a une durée de vie estimée d’environ deux ans, l’incidence sur la couverture demeure minime.
674 À titre incident, Google relève que, pour la Commission, ainsi qu’il ressort du considérant 1226 de la décision attaquée, les services de recherche concurrents auraient pu atteindre, au plus, [0-5] % des requêtes sur les appareils Google Android soumis au partage de revenus si leur application avait été préinstallée aux côtés de l’application Google Search. Ainsi, compte tenu des marchés pris en considération et d’après la propre analyse de la Commission, l’impact des APR par portefeuille sur les parts des requêtes de recherche générale dans l’EEE serait extrêmement faible chaque année de l’infraction alléguée.
675 En conséquence, compte tenu de la faible couverture des APR par portefeuille contestés et de leur impact négligeable, les raisons avancées pour conclure que la couverture de la condition de préinstallation unique était « significative » ne devraient pas être retenues.
676 En substance, la Commission soutient que la couverture des APR par portefeuille suggérée par Google n’affaiblirait pas la conclusion faite dans la décision attaquée sur l’importance de cette couverture pour les motifs qui y sont évoqués.
677 En particulier, les ventes annuelles ne pourraient pas être assimilées au nombre d’appareils faisant l’objet des APR par portefeuille, sans tenir compte des ventes effectuées, lors des années précédentes, des appareils toujours en service. En outre, le calcul d’impact de Google reposerait, sans autre explication, sur la part de marché contestable de [0-5] % au lieu de la part contestable de 22,5 %, atteignable par un concurrent dans l’hypothèse où son service de recherche serait défini par défaut sur un navigateur Internet mobile préinstallé autre que Chrome.
678 La VDZ soutient pour sa part que le degré de couverture du marché est sans pertinence, puisqu’il conviendrait de protéger la concurrence au maximum dès que le marché est dominé. Dans ce contexte, les APR par portefeuille contribueraient à renforcer la position dominante de Google en empêchant les FEO d’offrir un multi-hébergement aux utilisateurs.
3) Appréciation du Tribunal
679 Il convient de rappeler que dans le cas où, comme en l’espèce, l’entreprise concernée soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, qu’une pratique d’exclusivité dont elle est à l’origine n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction qui lui sont reprochés par la Commission, celle-ci est notamment tenue d’analyser le taux de couverture du marché par la pratique contestée (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 138 et 139).
680 Une telle analyse permet de déterminer l’effet de verrouillage du marché pertinent imputable à la pratique contestée en vue notamment de déterminer quelle est la partie qui est soustraite à la concurrence du fait de l’exclusivité conférée par les paiements litigieux.
681 Or, il ressort sans équivoque du considérant 1286 de la décision attaquée que la Commission a considéré que les APR par portefeuille conclus par Google avec certains FEO et ORM couvraient une partie significative des marchés nationaux des services de recherche générale au sein de l’EEE.
682 Il ressort également de la décision attaquée que ces différents marchés englobent l’ensemble des recherches générales effectuées à partir de tous types d’appareils, y compris les appareils mobiles non Android et les PC (voir, par exemple, considérant 353 de la décision attaquée).
683 Ainsi que le fait valoir Google à cet égard, il ressort également des différents exemples tirés de la pratique antérieure de la Commission que celle-ci a considéré comme significatifs des taux de couverture du marché pertinent allant de 39 % à 85 %.
684 En l’espèce, toutefois, le taux de couverture de la pratique contestée considéré comme significatif par la Commission est, en tant que tel, considérablement inférieur à ceux précédemment retenus par la Commission dans sa pratique antérieure. En effet, selon les données fournies par Google à cet égard, il serait inférieur à 5% du marché défini par la Commission.
685 Si la Commission fait valoir que le taux de couverture avancé par Google dans la requête puis dans la réplique sous-estime le nombre d’appareils en circulation qui faisaient l’objet des APR par portefeuille au cours de la période infractionnelle pertinente, il n’en demeure pas moins que les données et les explications présentées par Google à ce propos permettent de considérer que le calcul avancé par Google est vraisemblable.
686 Cela est d’autant plus le cas que la Commission, alors même que cela relève de sa responsabilité en application de la jurisprudence citée au point 679 ci-dessus, a omis d’indiquer qu’elle serait sa propre estimation du taux de couverture des APR par portefeuille en ce qui concerne les différents marchés qu’elle a elle-même considéré pertinents pour son analyse.
687 En effet, il s’avère que, pour conclure que les APR par portefeuille couvraient une partie significative des marchés nationaux des services de recherche générale au sein de l’EEE, les arguments avancés par la Commission dans la décision attaquée portent, soit sur un segment seulement des différents marchés pertinents, à savoir celui correspondant aux requêtes de recherche générale effectuées à partir d’un appareil mobile intelligent, soit sur des éléments sans rapport avec l’incidence de la pratique contestée sur ces marchés.
688 Premièrement, la Commission observe ainsi, aux considérants 1287 à 1289 de la décision attaquée, d’une part, que les APR par portefeuille lient, en substance, des FEO (la Commission en cite trois) et des ORM (la Commission en cite quatre) importants au sein de l’EEE et, d’autre part, que ceux liant les FEO représentaient [40-50] % de l’ensemble des smartphones vendus en Europe en 2011 et en 2012. Toutefois, de tels constats ne permettent pas de soutenir celui d’une couverture significative des marchés nationaux des services de recherche générale par les APR par portefeuille. Ces constats montrent qu’un segment seulement de ces marchés est affecté, celui de la recherche mobile. Cette part doit d’autant plus être relativisée qu’il ressort du considérant 1288 de la décision attaquée que la part des smartphones Google Android vendus par les FEO et concernés par les APR par portefeuille a décru progressivement de 2011 à 2014 pour passer de [70-80] % en 2011 à [5-10] % en 2014.
689 Certes, il ressort du considérant 1292 de la décision attaquée que, à partir de 2013, année où la proportion des smartphones Google Android concernés par les APR par portefeuille a fortement décru, Google a progressivement remplacé les APR par portefeuille par des APR par appareils. La Commission note que ces derniers ont porté sur [50-60] % et [60-70] % des smartphones Google Android vendus en 2013 et en 2014. Il n’en reste pas moins que le taux de couverture d’une pratique d’exclusivité prétendument anticoncurrentielle ne saurait en principe être établie en tenant compte de pratiques non elles-mêmes considérées comme anticoncurrentielles. Aussi est-il indifférent à l’appréciation du taux de couverture des APR par portefeuille que ces derniers aient été progressivement remplacés par les APR par appareils à compter de l’année 2013.
690 Deuxièmement, aux considérants 1290 et 1297 de la décision attaquée, la Commission souligne que les requêtes de recherche générale effectuées à partir de Google Search sur l’ensemble des appareils mobiles ont crû de manière constante entre 2012 et 2014 et représentent [30-40] % de l’ensemble des requêtes de Google dans l’EEE en 2014. Toutefois, ce constat permet, non de démontrer la couverture prétendument significative des APR par portefeuille sur les marchés nationaux des services de recherche générale, mais seulement l’importance pour Google de Google Search en tant que point d’entrée sur les appareils mobiles.
691 Troisièmement, aux considérants 1293 et 1298 de la décision attaquée, la Commission fonde la couverture prétendument significative des marchés nationaux des services de recherche générale par les APR par portefeuille sur le constat selon lequel Google Search est définie par défaut sur le navigateur Safari intégré aux appareils mobiles vendus par Apple. Toutefois, ainsi que le fait valoir Google, son accord avec Apple ne figure pas au nombre des APR par portefeuille visés dans la décision attaquée.
692 Quatrièmement, au considérant 1294 de la décision attaquée, la Commission observe que la proportion de requêtes de recherche à partir des appareils mobiles Google Android correspondait respectivement à [10-20] % et à [10-20] % de l’ensemble des requêtes de recherche de Google effectuées en 2013 et en 2014. Toutefois, ce constat ne corrobore pas, tout au contraire, l’existence d’une couverture prétendument significative des marchés nationaux des services de recherche générale. En effet, à supposer, ce qui n’était pas le cas, que l’ensemble des appareils mobiles Google Android était concerné par des APR par portefeuille durant les années 2013 et 2014, et que Google détenait, ce qui n’était pas le cas, même si ses parts de marché s’en approchaient, l’ensemble des parts de marché sur les marchés nationaux des services de recherche générale, la couverture théorique des APR par portefeuille sur les marchés nationaux des services de recherche générale ne pouvait, en 2013 et en 2014, excéder respectivement [10 20] % et [10-20] % des marchés nationaux des services de recherche générale. La Commission, dans sa réponse à une question posée par le Tribunal avant l’audience de plaidoiries, a expressément admis le résultat de ce calcul purement théorique.
693 Dans ces conditions, le taux de couverture des marchés pertinents par la pratique contestée ne saurait être qualifié de significatif.
694 Certes, en réponse à un argument de Google sur l’« impact » minimal des APR par portefeuille au regard même de certaines données prises en compte dans la communication des griefs en ce qui concerne la possibilité pour les services de recherche générale concurrents d’égaler le niveau des paiements accordés aux FEO ou ORM en cause (voir considérants 1225 à 1271 de la décision attaquée), la Commission indique que si cet « impact » paraissait minimal à Google, il était néanmoins important pour ces services, en particulier parce que les requêtes de recherche évoquées au titre de cette analyse auraient constitué pour eux un « montant significatif de recherches supplémentaires » à un moment crucial du développement de la recherche générale, celui du passage de la recherche générale sur PC à la recherche générale sur appareils mobiles (considérants 1299 à 1302 de la décision attaquée). La Commission soutient également, en réponse à un autre argument, que le caractère significatif de la couverture des marchés nationaux des services de recherche générale par la pratique contestée ressort du fait que le type de recherche en cause permettait d’obtenir des données de localisation précieuses susceptibles, comme telles, d’améliorer le service de recherche générale et les revenus publicitaires en résultant (considérant 1298 de la décision attaquée).
695 Rapportées au raisonnement qui est exposé dans la décision attaquée et qui est examiné ci-dessus, de telles observations ne sauraient pour autant suffire à établir le caractère significatif de la couverture des marchés pertinents pas la pratique contestée.
696 Il en aurait été autrement si la Commission avait choisi de soutenir, ce qu’elle n’a pas fait, que, en dépit d’un taux de couverture des marchés pertinents par la pratique contestée qui n’est pas significatif, le segment couvert par cette pratique ou même seulement les FEO et ORM ici en cause étaient d’une importance stratégique telle que l’effet de verrouillage imputable à cette pratique était susceptible d’évincer les services de recherche générale concurrents de Google des marchés pertinents. Cela aurait alors privé ces services concurrents de possibilités suffisantes de se livrer à la concurrence par les mérites en rentrant ou en se développant sur ces marchés, et cela à un moment où pour Google comme pour ses concurrents, tel Microsoft, il était important de faire face aux défis du passage de la recherche générale sur PC à la recherche générale sur appareils mobiles.
697 Une telle démonstration ne ressort pas de la décision attaquée, où elle est seulement esquissée et insuffisamment étayée par la Commission dans une partie qui commence par l’affirmation selon laquelle sa conclusion selon laquelle les APR par portefeuille couvrent une partie significative des marchés nationaux des services de recherche générale n’est pas remise en cause par les arguments de Google à cet égard (voir considérant 1295 de la décision attaquée).
698 Il résulte de l’ensemble de l’analyse relative à la couverture des APR par portefeuille que, celle-ci a erronément été qualifiée, au considérant 1286 de la décision attaquée, de « significative ». Cette erreur doit, dès lors, être prise en compte pour l’appréciation de la nature abusive en eux-mêmes des APR par portefeuille.
699 Il convient, en outre, d’examiner les arguments tirés par Google des erreurs commises par la Commission dans l’appréciation des conditions dans lesquels l’avantage concurrentiel conféré par les APR par portefeuille pouvait être compensé par un concurrent au moins aussi efficace.
b) Sur la compensation des APR par portefeuille
1) Décision attaquée
700 Dans la décision attaquée, la Commission souligne qu’un service de recherche générale concurrent ne pourrait pas compenser la perte de revenus publicitaires que subiraient les FEO et les ORM concernés dans l’hypothèse où une application concurrente viendrait à être préinstallée aux côtés de Google Search. En premier lieu, la Commission se fonde sur les données suivantes (considérants 1225 à 1271 de la décision attaquée).
701 Tout d’abord, un service de recherche générale concurrent ne pourrait, selon la Commission, espérer contester au maximum que [0-5] % des requêtes de recherche effectuées sur un appareil mobile, dans l’hypothèse où son application viendrait à être préinstallée aux côtés de Google Search. Cette part contestable atteindrait 22,5 %, selon la Commission, si, en plus de la préinstallation d’une application concurrente, les FEO et les ORM définissaient par défaut un moteur de recherche concurrent sur un navigateur Internet mobile différent de Chrome.
702 Premièrement, la Commission souligne que, du fait des ADAM, une application concurrente de Google Search ne pourrait être préinstallée qu’en complément de celle-ci, et non à sa place. Une confusion existerait également, suivant certains FEO et suivant certains employés de Google, pour ce qui concerne l’obligation faite, au titre des ADAM, de définir par défaut le moteur de recherche de Google sur les navigateurs Internet mobile autres que Chrome. Dans l’hypothèse d’une définition par défaut du moteur de recherche de Google sur l’ensemble des navigateurs Internet mobile, le mieux qu’aurait pu espérer un service concurrent était d’obtenir la préinstallation, aux côtés de Google Search, de son application mobile.
703 Deuxièmement, la Commission détaille le calcul de la part contestable, dans l’hypothèse d’une préinstallation d’une application de recherche concurrente aux côtés de Google Search. D’une part, elle tient compte du pourcentage des requêtes de recherche (12 %) effectuées sur PC par l’ensemble des services de recherche générale concurrents durant la période allant de 2011 à 2014 et transpose ce pourcentage à l’hypothèse des requêtes de recherche effectuées à partir d’un appareil mobile. D’autre part, elle tient compte de la proportion pour Google de requêtes de recherche provenant de Google Search [30-40] %. La part contestable correspond ainsi à [0-5] % des requêtes de recherche provenant de cette application. Il en va ainsi, car, en application des ADAM, toute application des services de recherche concurrente se doit, dans cette hypothèse, d’être préinstallée aux côtés de Google Search. Ce pourcentage serait, selon la Commission, favorable à Google.
704 Troisièmement, la Commission détaille le calcul de la part contestable, dans l’hypothèse d’une définition par défaut supplémentaire d’un moteur de recherche concurrent dans un navigateur Internet mobile autre que Chrome, à savoir 22,5 %. Ce pourcentage résulte de la somme de la part contestable des requêtes de recherche par l’intermédiaire d’une application mobile [0-5] % et de la part des requêtes de recherche obtenues par Google par l’intermédiaire de la barre URL d’un navigateur internet mobile [10-20] %.
705 Ensuite, la Commission observe que les FEO et les ORM recevaient entre [0 20] % et [30-50] % des revenus publicitaires de Google couverts par les APR par portefeuille.
706 Enfin, les APR par portefeuille ne couvraient, selon la Commission, que les revenus publicitaires générés à partir de [70-80] % des requêtes de recherche de Google. En effet, la Commission souligne que les APR par portefeuille ne concernent pas les revenus engendrés à partir de la page d’accueil Internet de Google.
707 En second lieu, à la lumière de ces données, la Commission soutient qu’un service de recherche générale concurrent aurait été dans l’impossibilité de compenser la perte de revenus sur l’ensemble des appareils visés par les APR par portefeuille. La Commission envisage deux scénarios distincts, lesquels varient selon l’existence ou non, au titre des ADAM, d’une obligation de définir le moteur de recherche de Google par défaut sur d’autres navigateurs internet mobile.
708 D’une part, dans l’hypothèse de l’absence d’une telle obligation, la Commission expose que, pour concurrencer un partage de revenu à hauteur de [30-40] %, un service concurrent devrait renoncer à plus de 100 % de ses revenus publicitaires. Pour concurrencer un partage de revenus à hauteur de [10-20] %, la Commission ajoute qu’un service concurrent devrait renoncer à plus de [70-80] % de ses revenus publicitaires. Ce pourcentage chute à [50-60] % en cas d’un partage par Google de [10-20] % de ses revenus publicitaires et à [30-40] % en cas d’un partage par Google de [10-20] % desdits revenus. Ces différences s’expliquent en ce que, alors que Google partage près de [70-80] % de ses revenus publicitaires, un service concurrent ne pourrait partager, selon la part contestable, tout au plus que 22,5 % de tels revenus.
709 De même, la Commission souligne que ce calcul ne vaut que si les services concurrents sont présents sur, dans le cas d’un partage à hauteur de [10-20] %, à tout le moins [70-80] % des appareils mobiles couverts par les APR par portefeuille, dans le cas d’un partage à hauteur de [10-20] %, à tout le moins [50 60] % des appareils mobiles et, dans le cas d’un partage à hauteur de [10 20] %, à tout le moins [30-40] % des appareils mobiles. Dans le cas d’un partage à hauteur de [30-40] %, la compensation serait en tout état de cause impossible.
710 La préinstallation de services de recherche générale concurrents sur un grand nombre d’appareils mobiles s’avérerait difficile en pratique, en particulier pour ceux qui ciblent une partie réduite des consommateurs, tel celui de Seznam, ciblant les locuteurs de la langue tchèque. La difficulté serait d’autant plus importante que les services de recherche générale concurrents ne pourraient espérer être préinstallés que sur les nouveaux appareils mobiles, et non sur ceux déjà en circulation. Plus le nombre d’appareils mobiles Google Android en circulation serait important, plus le pourcentage de revenus auxquels devraient renoncer les services concurrents pour compenser les APR par portefeuille serait élevé.
711 D’autre part, l’hypothèse de l’existence d’une telle obligation de définir par défaut Google Search sur un navigateur internet mobile préinstallé autre que Chrome ne laisserait, selon la Commission, aucune place au doute. En effet, pour compenser ne serait-ce qu’un partage par Google de [10-20] % de ses revenus publicitaires, un service concurrent devrait proposer plus de 100 % de ces mêmes revenus. À cela s’ajouterait la contrainte tenant à la préinstallation de l’application concurrente sur un nombre vraisemblablement limité d’appareils mobiles concernés par les APR par portefeuille.
2) Arguments des parties
712 Google soutient que, du fait de la faible couverture de marché des APR par portefeuille, du libre accès des utilisateurs aux concurrents et de la possibilité pour des concurrents aussi efficaces d’égaler les paiements qu’elle effectue au titre des APR par portefeuille, il est erroné de considérer que ces derniers permettaient d’évincer des concurrents aussi efficaces. En effet, sur la base de la propre analyse de la décision attaquée, des concurrents aussi efficaces ou même moins efficaces auraient pu égaler les paiements au titre des APR par portefeuille.
713 En premier lieu, Google soutient que la grande majorité des APR par portefeuille résultait en des paiements de [10-20] % des revenus de recherche et que les paiements de plus de [20-30] % étaient extrêmement rares. Or, les calculs présentés dans la décision attaquée, en particulier au considérant 1243, montreraient que des concurrents aussi efficaces (ou même moins efficaces) pouvaient compenser les APR par portefeuille qui offraient des paiements allant jusqu’à [20-30] %. Plus précisément, la décision attaquée indiquerait que, « pour un FEO ou ORM ayant reçu un paiement de partage des revenus par portefeuille de [20-30] % de la part de Google, un service de recherche générale concurrent aurait dû offrir une part de ses revenus supérieure à [70-80] % ». Ainsi, selon la décision attaquée, les concurrents pouvaient compenser les APR par portefeuille tout en conservant une marge d’approximativement [30-40] % provenant des revenus de recherche sur des appareils couverts. Cette marge s’élèverait à [60 70] % en ce qui concerne les paiements de partage des revenus de Google de [10 20] %.
714 La décision attaquée mentionnerait cependant au considérant 1246 que les concurrents n’auraient eu aucune marge provenant des revenus de recherche des appareils couverts quand les paiements de partage des revenus de Google atteignaient un niveau de [40-50] %, mais cela ne concernerait que deux ORM. Aucun autre partenaire n’aurait reçu des paiements de partage des revenus à ce niveau. Or, l’accord avec un de ces deux ORM partenaires a été conclu avant que Google ne devienne supposément dominante s’est terminé près d’un an avant l’infraction alléguée et l’accord avec le deuxième ORM partenaire ne couvrirait que certains États membres de l’EEE, ce qui ressort des considérants 208 et 209 de la décision attaquée. Puisque la couverture des APR par portefeuille était très faible dans son ensemble, la couverture de ces deux APR par portefeuille aurait été considérablement plus faible encore. La décision attaquée ne pourrait donc pas établir des effets d’éviction probables pour ces accords.
715 En second lieu, Google soutient que l’analyse de la décision attaquée sur la capacité des concurrents à égaler les paiements des APR par portefeuille comporte plusieurs erreurs qui vicient sa conclusion selon laquelle un service de recherche générale concurrent n’aurait pas pu compenser, pour un FEO ou un ORM, la perte des paiements de Google en vertu des APR pertinents.
716 En effet, la marge qu’un service de recherche concurrent pourrait atteindre tout en égalant les partages des revenus de Google dépendrait de la part des requêtes qu’un concurrent aussi efficace et attrayant peut s’attendre à gagner lorsque son application est préinstallée aux côtés de Google, de la proportion d’appareils pour lesquels un FEO ou un ORM serait prêt à préinstaller un concurrent et des coûts d’un concurrent aussi efficace. Sur ces points, la décision attaquée commettrait des erreurs qui, une fois rectifiées, démontreraient que les concurrents auraient pu surenchérir sur les APR par portefeuille de Google, y compris les APR offrant [40-50] % de partages de revenus.
717 Premièrement, un concurrent aussi efficace aurait pu obtenir bien plus que 12 % des requêtes de recherche de l’application Google Search si l’application de recherche concurrente était également préinstallée. À titre d’illustration, Seznam aurait, en République tchèque, obtenu jusqu’à 26 % des parts annuelles des requêtes de recherche générale sur les PC durant la période de l’abus allégué. Un concurrent aussi attrayant et ainsi aussi efficace pourrait donc obtenir au moins 26 % des requêtes de recherche générale.
718 Deuxièmement, un concurrent aussi efficace aurait pu obtenir des requêtes par l’intermédiaire de sa page d’accueil et engendrer par l’intermédiaire de ce point d’entrée des revenus pouvant être partagés. Bien que Google ne partage pas de tels revenus, un concurrent au moins aussi efficace pourrait surenchérir en partageant de tels revenus.
719 Troisièmement, un concurrent aussi efficace aurait pu obtenir des requêtes supplémentaires par l’intermédiaire d’un réglage par défaut d’un navigateur Internet mobile, sans que les ADAM l’interdisent. Les déclarations de trois FEO, citées dans la décision attaquée, ne prouveraient pas que les FEO avaient mal compris les conditions de l’ADAM. Cette question devrait, en tout état de cause, être évaluée sur la base des termes objectifs de l’ADAM, et non sur des incompréhensions. De plus, ces déclarations ne suggéreraient pas que les FEO ne pouvaient pas définir par défaut un autre navigateur ou un autre service de recherche dans la barre URL d’autres navigateurs. D’autres documents démontreraient que les FEO étaient libres, en vertu de l’ADAM, de définir des services de recherche concurrents par défaut sur les navigateurs et confirmeraient que les FEO avaient compris que cela était le cas. La décision attaquée surestimerait donc l’effet d’éviction allégué des APR de Google.
720 Quatrièmement, la décision attaquée n’expliquerait ni pourquoi un concurrent aussi efficace ne pourrait obtenir une préinstallation que sur une proportion limitée des appareils des FEO, ni pourquoi un FEO donné aurait été empêché de préinstaller des applications en doublon sur certains de ses appareils, mais non sur les autres, ni pourquoi les applications concurrentes ne pouvaient pas être préinstallées sur des appareils ayant déjà été vendus durant la période au cours de laquelle l’APR était exécuté.
721 Cinquièmement, la décision attaquée surestimerait les coûts de Google et de ce fait sous-estimerait la marge qu’un concurrent aussi efficace pourrait atteindre tout en égalant les APR par portefeuille de Google.
722 Pour Google, un concurrent aussi efficace aurait pu au moins attirer [30-40] % des requêtes de recherche s’il était préinstallé aux côtés de Google Search et défini par défaut. Il aurait dû être capable d’obtenir une préinstallation sur un portefeuille entier d’appareils et aurait fait face à des coûts de seulement [5-10] %. Par conséquent, il aurait pu surenchérir sur les APR par portefeuille de Google tout en atteignant une marge allant de [10-20] % sur les APR donnant lieu à des paiements de [40-50] % à [70-80] % sur les APR donnant lieu à des paiements de [10-20] %.
723 Pour sa part, en premier lieu, la Commission fait observer que l’analyse de l’incapacité des concurrents aussi efficaces à compenser les paiements de Google n’est qu’un facteur parmi d’autres pour déterminer la capacité des APR par portefeuille à restreindre la concurrence. De plus, l’application du test AEC ne serait pas pertinente dans une situation où le marché est structuré de telle sorte que l’apparition d’un concurrent aussi efficace est pratiquement impossible.
724 La Commission considère également que, en l’espèce, il serait irréaliste de ne pas tenir compte de la position dominante de Google dans la recherche générale, laquelle amplifierait l’effet de levier dont Google bénéficierait en concluant des APR par portefeuille avec les FEO et les ORM. Les motivations de Google pour conclure ces APR seraient également pertinentes, de même que l’objectif des APR de faire en sorte que les FEO et les ORM obtiennent de Google la réponse à tous leurs besoins en matière de services de recherche générale sur les appareils inclus dans la gamme convenue.
725 En deuxième lieu, pour ce qui est de l’appréciation des APR par portefeuille, la Commission insiste sur le manque d’uniformité des APR ainsi que sur l’existence de restrictions imposées aux FEO figurant dans les ADAM. La décision attaquée note à cet égard qu’il existerait un certain nombre de points d’entrée pour les recherches sur un appareil Google Android déjà configurés à l’avantage de Google par les ADAM avec l’obligation de préinstaller l’application Google Search sur l’écran d’accueil de l’appareil et de préinstaller Google Chrome, Google étant défini par défaut pour la recherche générale.
726 Dans ce contexte, Google versait aux FEO ou aux ORM un pourcentage compris entre [0-10] % et [30-40] % des recettes publicitaires nettes de Google engendrées par les recherches Google sur une gamme d’appareils définie, à partir de l’application Google Search, de la barre d’adresse de Chrome et de la barre URL de tous les autres navigateurs Internet mobile. Ces paiements étaient subordonnés à l’obligation pour le FEO ou l’ORM de maintenir l’exclusivité, c’est-à-dire de ne pas installer, sur n’importe quel appareil de la gamme concernée, un service quelconque similaire à Google Search.
727 La Commission rappelle également que la question de savoir si les ADAM empêchaient les FEO de définir un autre service de recherche générale par défaut dans un navigateur que ces FEO étaient susceptibles d’avoir préinstallé en plus de Chrome était un point d’incertitude pour les FEO. Certains FEO auraient compris que leur ADAM leur imposait de faire du service de recherche générale de Google le service par défaut pour tous les points d’entrée sur les appareils de leur gamme. Toutefois, aux fins de déterminer si un service de recherche générale concurrent pouvait égaler les paiements de Google, la Commission est partie du principe favorable à Google que les ADAM n’imposaient pas une telle restriction. Les arguments de Google à ce propos seraient donc inopérants.
728 En troisième lieu, premièrement, les critiques formulées par Google à l’encontre du raisonnement suivi dans la décision attaquée prendraient pour point de départ une étape intermédiaire du calcul, et ce, sans tenir compte de l’analyse exposée par la suite concernant l’étendue limitée de l’installation qu’un concurrent pouvait espérer atteindre. Ces observations ne seraient pas remises en cause par les critiques faites en ce qui concerne les APR par portefeuille conclus avec deux ORM partenaires Android.
729 Deuxièmement, quant à l’argumentation de Google visant à réfuter la pertinence du critère de 12 % tiré de la part totale obtenue par les concurrents pour les requêtes de recherche générale sur les PC, au motif que ce critère ne refléterait pas la part que pouvait obtenir un concurrent, la Commission tient à rappeler que son appréciation de la capacité des concurrents à égaler les paiements de Google était favorable à Google. La Commission rejette de même tous les arguments présentés par Google à cet égard.
730 Troisièmement, quant à l’argumentation de Google visant à invoquer le partage par les concurrents des recettes engendrées par l’intermédiaire de la page d’accueil, il serait illusoire, selon la Commission, de considérer que ces concurrents accepteraient de partager des recettes que ne partagerait pas Google au titre de ses propres APR.
731 Quatrièmement, la décision attaquée expliquerait bien pourquoi il serait peu probable que des services de recherche générale concurrents aient été installés sur l’ensemble de la gamme d’appareils d’un FEO, quelle serait l’incidence de la préinstallation de l’application Google Search sur les appareils déjà vendus, pourquoi un service de recherche concurrent ne pourrait pas compenser les paiements de Google, malgré l’augmentation des ventes de nouveaux appareils, et pourquoi les FEO ne seraient pas susceptibles de conclure des APR avec plusieurs services concurrents dans le but de compenser les paiements de Google.
732 Cinquièmement, quant à l’argumentation de Google relative aux coûts, celle-ci serait inopérante si le Tribunal acceptait les arguments de la Commission quant à l’exactitude de l’analyse de l’impossibilité pour un concurrent de s’aligner sur les conditions des APR par portefeuille. En tout état de cause, cette argumentation serait non fondée, notamment parce que les coûts calculés par Google n’incluraient pas une partie des coûts fixes, en particulier ceux de recherche et de développement (R&D).
3) Appréciation du Tribunal
733 Google reproche à la Commission d’avoir considéré que les entreprises concurrentes étaient dans l’impossibilité de compenser la perte que subiraient les FEO et les ORM dans l’hypothèse où ces derniers décideraient de préinstaller, aux côtés de Google Search, une application de recherche générale concurrente.
734 Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a notamment conduit un test AEC dont Google conteste tant les résultats que la méthodologie et les hypothèses quantitatives retenues. Il convient, dès lors, d’examiner les erreurs alléguées par Google à la lumière des principes jurisprudentiels rappelés aux points 639 à 645 ci-dessus.
i) Sur les coûts attribuables à un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace
735 Selon Google, aux considérants 1265 et 1266 de la décision attaquée, la Commission surestimerait ses coûts et, corrélativement, sous-estimerait la marge qu’un service de recherche concurrent pourrait se réserver si son application venait à être préinstallée aux côtés de Google Search.
736 En effet, la Commission retiendrait à tort que les coûts de Google correspondraient à [10-20] % de ses revenus publicitaires et que, pour concurrencer Google, un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace devrait à tout le moins se réserver [10-20] % de revenus publicitaires. Or, les coûts supportés par Google et pertinents aux fins de la conduite du test AEC seraient davantage de l’ordre, selon Google, de [0-10] %. Au lieu de présumer les coûts de Google, la Commission aurait pu avoir aisément accès à une information précise en sollicitant l’accès à ses données financières.
737 La Commission soutient que la question des coûts s’avère indifférente. La faculté que Google attribuerait à un concurrent aussi efficace de déduire seulement [0 10] % des coûts au lieu de [10-20] % serait insuffisante pour modifier le résultat de l’analyse faite dans la décision attaquée. Google ne rapporterait pas la preuve contraire et occulterait, comme cela est indiqué au considérant 1267 de la décision attaquée, qu’un service de recherche générale concurrent devrait couvrir également une partie de ses coûts fixes, en particulier les coûts de R&D.
738 De plus, le grief relatif à l’absence de prise en compte des « informations pertinentes et disponibles » serait, selon la Commission, dénué de fondement. Les données annexées par Google à la requête n’auraient pas été fournies au cours de la procédure administrative.
739 À cet égard, il convient de relever qu’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace est un concurrent qui, à tout le moins, présente, ainsi que le souligne la Commission au considérant 1259 de la décision attaquée, la même capacité d’engendrer des revenus et fait face à des coûts identiques à ceux de l’entreprise en position dominante. Cette exigence figure d’ailleurs dans les orientations sur les abus d’éviction. En effet, la Commission souligne, en substance, au paragraphe 25 desdites orientations, que, pour déterminer si un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace risque de se voir évincer par des pratiques de nature tarifaire, elle examine notamment, lorsqu’elles sont disponibles, les données économiques se rapportant aux coûts de l’entreprise dominante.
740 En effet, les coûts à prendre en compte ont un impact direct sur la marge qu’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que Google serait susceptible de se réserver s’il devait procéder à des paiements d’exclusivité pour compenser, en l’espèce, les APR par portefeuille. Plus les coûts à couvrir sont faibles, plus un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace est susceptible de se réserver une marge importante et, corrélativement, de partager des revenus substantiels.
741 Outre cette remarque liminaire, premièrement, il convient de relever que, au considérant 1265 de la décision attaquée, la Commission affirme que Google aurait, dans sa réponse à la seconde lettre d’exposé des faits, « reconnu » que ses coûts dits « opérationnels » seraient de [10-20] % et que, en substance, un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace qu’elle se devrait de supporter le même niveau de coûts.
742 Certes, dans sa réponse à la seconde lettre d’exposé des faits, Google admet que le document sur lequel la Commission se fonde, à savoir un APR par portefeuille conclu avec un FEO, comporte une ligne relative aux « coûts opérationnels », lesquels sont chiffrés à hauteur de [10 20] %. Toutefois, force est de constater que Google a également clairement souligné que le pourcentage retenu par la Commission ne correspondait pas aux coûts pertinents au titre de la mise en œuvre du test AEC, lesquels devaient être les coûts marginaux.
743 En effet, Google a informé la Commission que ce pourcentage était sans relation aucune avec les coûts qu’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace devrait supporter. Il ne correspondrait qu’à la réduction opérée sur la part des revenus partagés avec le cocontractant, laquelle ne serait exprimée qu’en valeur brute, et non nette. Ce point a été avancé par Google dans sa réponse à la première lettre d’exposé des faits.
744 Partant, la Commission ne saurait prétendre, sauf à dénaturer la réponse de Google à la seconde lettre d’exposé des faits, que Google a implicitement consenti à la prise en compte d’un tel pourcentage en tant que coûts pertinents pour la mise en œuvre du test AEC.
745 Deuxièmement, Google a, dans sa réponse à la seconde lettre d’exposé des faits, souligné qu’il appartenait à la Commission de conduire une enquête adéquate aux fins de définir avec précision les coûts pertinents. Google reprochait, plus précisément, à la Commission d’avoir considéré que les coûts dont il devait être tenu compte au titre du test AEC étaient de [10-20] % en ayant extrait ce pourcentage de documents transmis par un tiers, et non d’une réponse à une demande d’informations directement adressée à elle.
746 Or, il ressort notamment du paragraphe 25 des orientations sur les abus d’éviction que, lorsqu’elles sont disponibles, la Commission tient compte des données économiques provenant de l’entreprise dominante, de sorte que la Commission a, en l’espèce, manqué de conduire un examen des coûts approprié.
747 De plus, si, ainsi que la Commission le souligne, Google n’a pas spontanément transmis de telles données durant la procédure administrative, il ne saurait lui en être fait grief.
748 En effet, la charge de la preuve de la nature abusive d’une pratique repose sur la Commission, compte tenu des justifications éventuellement produites par l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, EU:C:2017:632, points 138 à 140). Partant, la Commission ne pouvait, en l’espèce, uniquement se fonder sur des données figurant sur un document transmis par un tiers et s’affranchir de les corroborer auprès de Google, au moyen, le cas échéant, d’une demande d’informations.
749 Troisièmement, il ressort du considérant 1266 de la décision attaquée que la Commission reconnaît la pertinence des coûts marginaux pour la mise en œuvre, en l’espèce, du test AEC, en ce qu’elle note que, dans la mesure où les « coûts opérationnels » déduits par Google sont un pourcentage des revenus associés aux requêtes de recherche, ils se rapprochent, en substance, desdits coûts.
750 Toutefois, force est de relever que la Commission ne s’appuie à cet égard que sur de simples conjectures, sans pour autant renvoyer à des données plus précises provenant de Google. Ce point est d’autant plus essentiel que, devant le Tribunal, Google chiffre ses coûts marginaux, dont il convenait de tenir compte au titre du test AEC, à hauteur de [0 10] %. Or, ainsi que le fait valoir Google à juste titre, il ne saurait être exclu que, en ne devant couvrir que [0-10] % de coûts, un concurrent hypothétiquement aussi efficace se trouve dans une position plus confortable pour compenser les APR par portefeuille que celle envisagée par la Commission.
751 Dans ces conditions, la Commission ne saurait se borner à faire état du caractère inopérant de l’argumentation de Google, en affirmant devant le Tribunal que, en tenant compte d’un pourcentage inférieur, l’issue du test AEC resterait inchangée et que Google ne suggérerait pas le contraire.
752 Il s’ensuit que la référence faite par Google à un pourcentage substantiellement inférieur à celui retenu par la Commission dans la décision attaquée, conjuguée à l’absence de complément d’enquête engagé par la Commission et à l’absence de motifs circonstanciés qui y sont relatifs dans la décision attaquée, est de nature à faire naître un doute quant à la justesse et à la régularité du test AEC mis en œuvre par la Commission.
ii) Sur les revenus partageables par un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace
753 Selon Google, la Commission occulterait à tort la part des requêtes de recherche qu’une entreprise concurrente pourrait obtenir par l’intermédiaire de la page d’accueil internet de son moteur de recherche. Alors que Google ne partagerait pas les revenus publicitaires engendrés par les requêtes de recherche sur sa page d’accueil Internet, des entreprises concurrentes au moins aussi efficaces auraient pu choisir de partager lesdits revenus et, ce faisant, concurrencer Google. Au considérant 1264 de la décision attaquée, la Commission écarterait cette éventualité, sans pour autant fournir une motivation adéquate.
754 À cet égard, il convient d’emblée de relever que Google ne conteste qu’un des deux motifs qui ont conduit la Commission à rejeter cette éventualité. Au considérant 1264 de la décision attaquée, la Commission note en effet que les services de recherche générale concurrents ne partageraient pas les revenus publicitaires engendrés à partir de requêtes de recherche effectuées sur la page Internet de leurs moteurs de recherche, dans la mesure où, premièrement, Google ne partage pas ces revenus et, deuxièmement, ces revenus seraient engendrés indépendamment de tout accord de partage de recettes conclu avec les FEO et les ORM.
755 L’argument de Google ne saurait prospérer. Pour apprécier la capacité d’une pratique à évincer un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace, il importe de tenir compte des revenus partagés par l’entreprise occupant une position dominante. Dans le cas contraire, cela reviendrait à apprécier les effets du comportement d’une entreprise occupant une position dominante sur un concurrent moins efficace, dans la mesure où ce dernier devrait partager une source supplémentaire de revenus pour faire concurrence.
756 De plus, le second motif visé au considérant 1264 de la décision attaquée suffit à exclure la prise en compte de tels revenus dans la conduite, en l’espèce, du test AEC. La logique d’un accord de partage de recettes est d’inciter les FEO et les ORM à privilégier les recherches à partir notamment d’une application mobile ou d’un autre point d’entrée. Les FEO et les ORM n’ont en revanche aucune possibilité d’inciter les utilisateurs à se rendre spontanément sur la page d’accueil Internet du moteur de recherche concurrent, quels que soient les accords éventuellement conclus.
757 Partant, il convient de rejeter cet argument comme étant non fondé.
iii) Sur la part contestable des requêtes de recherche par un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace
758 Google prétend que la marge qu’auraient pu se réserver les entreprises concurrentes pour contrer les APR par portefeuille doit être réévaluée à la hausse. Il en irait ainsi, car la part contestable de requêtes de recherche retenue au considérant 1234 de la décision attaquée aurait dû être plus importante. Google insiste tout autant sur le fait que les ADAM n’empêchaient nullement les FEO ou les ORM concernés de paramétrer par défaut un service de recherche concurrent sur un navigateur Internet mobile préinstallé autre que Chrome. La Commission observe, pour sa part, que les données retenues dans la décision attaquée sont favorables à Google. Elle souligne également que les ADAM présentaient une portée ambigüe, laquelle se serait reflétée dans les comportements des FEO et des ORM.
759 À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que la portée des ADAM n’a pas été appréciée de la même manière par l’ensemble des FEO et des ORM concernés. Ainsi que la Commission le note aux considérants 1229 et 1230 de la décision attaquée, certains FEO et ORM, mais non l’ensemble d’entre eux, interprétaient les ADAM en tant qu’ils interdisaient la définition par défaut sur un navigateur Internet mobile autre que Chrome d’un service de recherche générale concurrent.
760 Ce constat n’est pas sans incidence sur le raisonnement suivi par la Commission dans la décision attaquée. En effet, dans l’hypothèse d’une part contestable des requêtes de recherche intégrant également comme point d’entrée vers les services de recherche générale concurrents la définition par défaut d’un moteur de recherche concurrent sur un navigateur tiers, la Commission parvient, en substance, au considérant 1243 de la décision attaquée, à un stade intermédiaire de son analyse, à la conclusion selon laquelle un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que Google pourrait compenser la quasi-totalité des APR par portefeuille. Ce constat est toutefois remis en cause par la Commission elle-même au considérant 1244 de la décision attaquée, en ce qu’elle intègre, en tant que paramètre supplémentaire, également contesté par Google dans le cadre du présent recours, l’étendue limitée de la préinstallation susceptible d’être, en pratique, obtenue par un service de recherche générale concurrent.
761 Au contraire, s’il n’est tenu compte que d’un point d’entrée, à savoir la préinstallation d’une application concurrente aux côtés de Google Search, la Commission aboutit, dès le stade intermédiaire de son analyse, au considérant 1253 de la décision attaquée, à l’impossibilité pour un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que Google de compenser les APR par portefeuille. Dans ce contexte, il importe dès lors de trancher la question relative à la prise en compte, dans le cadre de la mise en œuvre du test AEC, des multiples interprétations dont les ADAM ont fait l’objet.
762 Or, une incertitude ou un doute relativement, comme en l’espèce, à la portée d’une obligation contractuelle doit, dans le cadre d’une enquête à visée répressive, susceptible d’aboutir à l’infliction d’une amende, profiter à l’entreprise mise en cause, sauf à faire peser sur cette dernière le poids d’un tel doute (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C 89/11 P, EU:C:2012:738, points 71 et 72).
763 Partant, la Commission ne pouvait retenir, aux fins de la mise en œuvre du test AEC, que l’hypothèse d’une part contestable incluant à la fois celle induite par la préinstallation d’une application concurrente aux cotés de Google Search et celle induite par la définition par défaut d’un service de recherche concurrent sur un navigateur internet mobile autre que Chrome.
764 En second lieu, Google reproche à la Commission d’avoir apprécié à la baisse la part contestable des requêtes de recherche sur appareils mobiles par un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace. Un tel concurrent serait en mesure, selon Google, de se réserver plus de 12 % des requêtes de recherche qu’effectuent les utilisateurs par l’intermédiaire de Google Search.
765 Il convient d’emblée de rappeler que la part contestable des requêtes de recherche de 12 % correspond, ainsi qu’il ressort du considérant 1234 de la décision attaquée, à la part contestée par l’ensemble des services de recherche générale concurrents pour ce qui concerne les requêtes de recherche générale effectuées sur PC dans l’EEE. La Commission a en effet transposé la part contestée pour les requêtes de recherche générale sur PC à la part contestable des requêtes de recherche générale sur appareils mobiles. À partir de cette part, la Commission a déterminé la proportion maximale de requêtes de recherche générale qu’un service de recherche générale concurrent aurait pu, au plus, se réserver si son application était préinstallée aux côtés de Google Search.
766 Pour soutenir ses prétentions, premièrement, Google souligne que la part contestée des requêtes de recherche générale par l’ensemble des services de recherche générale concurrents sur PC est minime. Cela implique, selon Google, que les services de recherche générale concurrents ne sont pas des concurrents hypothétiquement au moins aussi efficaces. Elle souligne également que, sur des marchés nationaux où des services concurrents jouissent d’une couverture importante, telle Seznam en République tchèque, la part contestée est plus élevée. Deuxièmement, la Commission aurait occulté le fait que, durant la période retenue, Bing était définie par défaut sur près de l’ensemble des PC.
767 À cet égard, d’une part, l’argument relatif à la définition par défaut de Bing sur près de l’ensemble des PC ne saurait prospérer. La Commission souligne en effet, sans être contestée sur ce point par Google, que, durant la période retenue, à savoir celle allant de 2011 à 2014, Bing n’était pas défini par défaut sur l’ensemble des PC. Microsoft était, pendant cette période, tenue de laisser le choix aux utilisateurs.
768 D’autre part, Google expose que, en retenant une part contestable des requêtes de recherche de 12 %, la Commission ne se serait pas fondée sur la part que pourrait contester un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que Google. Au contraire, la Commission aurait retenu la part réellement contestée par l’ensemble des services de recherche générale concurrents sur PC, potentiellement moins efficaces. Cette erreur vicierait l’ensemble du test AEC mis en œuvre par la Commission.
769 Or, la définition de la part contestable des requêtes de recherche repose, ainsi que Google le souligne à juste titre, sur une erreur de raisonnement et une conception faussée du test AEC.
770 Premièrement, le fait que la Commission a choisi de retenir comme prémisse de son raisonnement la part réellement contestée des requêtes de recherche générale par l’ensemble des services de recherche générale concurrents sur PC ne permet pas d’affirmer avec suffisamment de certitude qu’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace aurait pu, sur les appareils mobiles, ne contester qu’une part identique. La prise en compte des parts réellement contestées sur PC ne pouvait, en l’espèce, raisonnablement constituer la base d’un test AEC visant à vérifier la part contestable des requêtes de recherche générale par un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que Google sur appareils mobiles.
771 Deuxièmement, pour certains marchés nationaux des services de recherche générale, notamment la République tchèque, la part contestée par certains concurrents, tel Seznam, apparaît bien plus élevée que celle retenue dans la décision attaquée par la Commission. Google souligne en effet, sans être contestée sur ce point par la Commission, que, durant la période infractionnelle, Seznam a obtenu jusqu’à 26 % des requêtes de recherche générale sur PC.
772 Le fait que la part contestable des requêtes de recherche de 12 % tienne compte de la part contestée par Seznam en République tchèque ne permet pas non plus de considérer qu’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace ne pourrait pas, de la même manière que Seznam en République tchèque, contester une part plus importante des requêtes de recherche dans l’EEE. Le fait même que Google subisse une concurrence plus importante sur certains marchés nationaux de services de recherche générale est précisément de nature à faire naître un doute quant à la justesse d’un tel pourcentage.
773 Troisièmement, le fait que seule Google pouvait bénéficier des avantages liés à son pouvoir de marché pour améliorer et proposer un service de précision ne permet pas non plus d’exclure avec certitude qu’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace, notamment du point de vue de la qualité des services et de l’innovation, conteste une part supérieure à 12 % des requêtes de recherche.
774 Partant, la Commission a également commis une erreur en partant de la prémisse selon laquelle un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que Google ne pourrait, sur appareils mobiles, contester que 12 % des requêtes de recherche effectuées par les utilisateurs par Google Search.
iv) Sur l’étendue de la préinstallation d’une application d’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace
775 Selon Google, la Commission ne justifierait pas au considérant 1244 de la décision attaquée, les raisons selon lesquelles une application de service de recherche concurrente ne pourrait être préinstallée que sur un nombre limité d’appareils mobiles. Selon Google, le renvoi à la partie de la décision attaquée relative aux ADAM ne saurait suffire et serait en contradiction avec le considérant 1208 de la décision attaquée, aux termes duquel la Commission soulignerait que, en l’absence des APR par portefeuille, les FEO et les ORM auraient un intérêt commercial à préinstaller plusieurs applications de recherche générale.
776 À cet égard, force est de relever que, au considérant 1244 de la décision attaquée, la Commission motive l’affirmation selon laquelle un concurrent ne pourrait prétendre, auprès d’un FEO ou d’un ORM, à obtenir la préinstallation de son application sur l’ensemble du portefeuille d’appareils mobiles couverts par les APR par portefeuille en renvoyant aux considérants 824 à 832 de la décision attaquée.
777 Les considérants 824 à 832 de la décision attaquée concernent l’appréciation de la nature anticoncurrentielle des ADAM. La Commission y expose que, si, en application des ADAM, les FEO et les ORM n’étaient pas, en théorie, empêchés de préinstaller des applications de service de recherche générale concurrentes, ils étaient, en pratique, réticents à préinstaller plusieurs applications de service de recherche générale.
778 Toutefois, le renvoi, au considérant 1244 de la décision attaquée, aux motifs relatifs à l’appréciation de la nature abusive des ADAM pour relativiser la capacité d’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace de compenser les APR par portefeuille ne saurait convaincre, ainsi que Google le souligne à juste titre. En effet, le contexte de l’appréciation concurrentielle des ADAM diffère de celui de l’appréciation de la possibilité pour un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que Google, souhaitant obtenir la préinstallation de son application en contrepartie d’un partage de recettes publicitaires, de compenser les APR par portefeuille.
779 Premièrement, pour démontrer que l’avantage concurrentiel que Google tire des ADAM ne peut pas être compensé par la préinstallation d’applications concurrentes, la Commission souligne, aux considérants 825 à 832 de la décision attaquée, que les FEO et les ORM seraient susceptibles de ne percevoir que de faibles revenus supplémentaires eu égard à la part de marché de Google et à son omniprésence sur les points d’accès aux services de recherche générale. De plus, les FEO et les ORM feraient face à des coûts de transaction plus élevés et à des problèmes techniques liés à la capacité de stockage, dégradant ce faisant l’expérience des utilisateurs.
780 Or, ces motifs, s’ils sont pertinents lorsque est prise en compte la situation d’un concurrent actuel de Google qui ne chercherait pas à partager ses revenus publicitaires, ne permettent nullement de soutenir qu’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace, désireux de partager ses revenus, ne serait pas en mesure d’obtenir la préinstallation de son application sur l’ensemble du portefeuille d’appareils mobiles des FEO et des ORM concernés.
781 Une telle préinstallation conjointe pourrait augmenter l’attractivité des appareils mobiles intelligents et, dès lors, correspondre aux intérêts des FEO et des ORM. En effet, en proposant plusieurs applications de recherche générale, à savoir celles de Google et d’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace, l’expérience des utilisateurs pourrait être améliorée, rendant les appareils mobiles concernés d’autant plus attractifs, ainsi que la Commission le reconnaît au demeurant au considérant 1213 de la décision attaquée.
782 Par ailleurs, les revenus au titre des APR par portefeuille que les FEO et les ORM perdraient au cas où Google Search ne bénéficierait plus d’une préinstallation exclusive pourraient, ainsi qu’il ressort du considérant 1243 de la décision attaquée, être compensés par un concurrent au moins aussi efficace dans l’hypothèse où l’ensemble des appareils mobiles est couvert par le partage de ses recettes publicitaires par un concurrent au moins aussi efficace. La Commission souligne par ailleurs au considérant 1216 de la décision attaquée, sur le fondement de déclarations de Google, que, en l’absence des APR par portefeuille, les FEO et les ORM pourraient toujours percevoir des revenus de la part de Google, ce qui permet à nouveau de relativiser l’affirmation selon laquelle un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace ne pourrait obtenir la préinstallation de son application que sur un nombre limité d’appareils mobiles.
783 Deuxièmement, la Commission note, aux considérants 830 à 832 de la décision attaquée, que les ADAM interdisent aux FEO et aux ORM de préinstaller exclusivement une application de services de recherche générale concurrente ou aux ORM d’exiger du FEO la préinstallation exclusive d’une telle application.
784 Or, l’hypothèse envisagée au considérant 1244 de la décision attaquée est celle d’une préinstallation en plus de Google Search, et non en l’absence de cette dernière application. Le constat fait par la Commission aux considérants 830 à 832 de la décision attaquée n’est d’aucun secours, en ce que l’hypothèse envisagée au titre de la compensation des APR part de la prémisse selon laquelle une application concurrente est préinstallée aux côtés de Google Search.
785 Troisièmement, la Commission se fonde, au considérant 1247 de la décision attaquée, sur deux exemples figurant au considérant 1219 pour illustrer que les concurrents qui ont, en pratique, réussi à obtenir la préinstallation de services de recherche générale n’ont pu que couvrir un nombre limité d’appareils mobiles ou, en tout état de cause, un nombre insuffisant pour compenser les APR par portefeuille. Google souligne, au contraire, que l’un des exemples cités par la Commission permet de corroborer la thèse opposée.
786 Or, les exemples sur lesquels la Commission se fonde sont ceux de concurrents actuels. La Commission n’indique au demeurant pas, au considérant 1247 de la décision attaquée, si elle considère ces concurrents comme des concurrents hypothétiquement au moins aussi efficaces que Google, ayant cherché à partager leurs revenus publicitaires.
787 Quatrièmement, il convient de relever que l’affirmation selon laquelle l’avantage concurrentiel que Google tire des ADAM ne peut être contrebalancé par le comportement des FEO et des ORM qui choisiraient de préinstaller une application concurrente est avant tout, ainsi qu’il ressort du considérant 833 de la décision attaquée, motivée par le fait que ces derniers sont également liés à Google par les APR par portefeuille. Or, le scénario examiné en l’espèce vise un concurrent hypothétique proposant de substituer son propre accord de partage de recettes à l’APR de Google.
788 Partant, la Commission ne saurait relativiser la capacité d’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace de compenser les APR par portefeuille par la simple affirmation qu’un tel concurrent ne pourrait, dans cette situation, obtenir une préinstallation de son application que sur un nombre limité d’appareils mobiles d’un FEO ou d’un ORM.
v) Sur l’application temporelle du test AEC
789 Contrairement à l’approche suivie par la Commission au considérant 1249 de la décision attaquée, Google soutient que la possibilité pour un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace de compenser les APR par portefeuille ne devrait être vérifiée qu’à partir du moment où lesdits accords sont entrés en vigueur. En tout état de cause, la Commission n’examinerait pas la capacité des appareils mobiles récents à engendrer des revenus plus élevés que ceux déjà en circulation. Elle écarterait également à tort le fait que les revenus engendrés à partir d’appareils anciens décroissent au fil du temps, au seul motif que Google n’aurait pas apporté de preuve en ce sens durant la procédure administrative. La Commission soutient qu’aucun des éléments avancés par Google ne permet de remettre en cause la décision attaquée.
790 À cet égard, il convient de souligner que, de la même manière que pour certains systèmes de rabais accordés en fonction des quantités vendues au cours d’une période de référence dans le cadre desquels la pression exercée sur l’acheteur s’accroît à la fin de la période de référence pour réaliser le chiffre d’affaires lui ouvrant droit audit rabais, l’effet d’exclusivité d’un accord de partage de revenus s’intensifie à mesure que s’accroît le nombre de biens vendus et intégrant les services à l’origine desdits revenus (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark, C 23/14, EU:C:2015:651, point 34).
791 Or, en l’espèce, la Commission a, à juste titre, au considérant 1249 de la décision attaquée, apprécié la nature anticoncurrentielle des APR par portefeuille, non au seul moment de leur conclusion, mais également au cours de la période durant laquelle ils étaient en vigueur. Contrairement à ce que soutient Google, il ne saurait être occulté que plus le nombre d’appareils mobiles en circulation concernés par les APR par portefeuille augmentait, plus la capacité d’un concurrent, même hypothétiquement au moins aussi efficace, de les égaler s’avérait, en pratique, difficile. Il en va ainsi en l’espèce, dans la mesure où les revenus partagés par Google dépendent des recherches effectuées sur les appareils mobiles vendus.
792 Partant, la Commission ne saurait avoir commis une erreur de droit en ayant analysé la capacité d’un concurrent à compenser les APR par portefeuille de manière non statique, mais dynamique.
793 Toutefois, d’une part, force est de relever que les considérations figurant au considérant 1249 de la décision attaquée restent purement théoriques. La Commission ne quantifie pas, en l’espèce, l’incidence concrète des appareils déjà vendus sur la capacité d’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que Google de compenser les APR par portefeuille.
794 D’autre part, alors qu’une telle donnée pouvait être pertinente, ainsi que le souligne à juste titre Google, pour relativiser l’impact sur la capacité d’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace à compenser les APR par portefeuille, la Commission écarte, au considérant 1270 de la décision attaquée, la propension des appareils mobiles récents à engendrer des revenus plus importants que les appareils mobiles anciens au seul motif que Google n’aurait pas, dans sa réponse à la seconde lettre d’exposé des faits, apporté de preuves en ce sens.
795 Or, la nature abusive des paiements d’exclusivité ne saurait reposer sur une présomption simple d’abus, à charge pour l’entreprise occupant une position dominante de la renverser. Au contraire, il ressort clairement de la jurisprudence que, en cas de contestation de la nature restrictive de concurrence d’une pratique tarifaire, la Commission est tenue d’apprécier l’ensemble des circonstances pertinentes dans lesquelles s’inscrit la pratique en cause afin d’analyser la capacité d’éviction de concurrents au moins aussi efficaces inhérente à celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 139 et 140).
796 Ainsi, dans la mesure où, en l’espèce, la charge de la preuve de l’effet d’éviction des APR par portefeuille sur un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace ne reposait pas sur Google, mais sur la Commission, cette dernière ne pouvait se fonder, au considérant 1270 de la décision attaquée, sur une prétendue carence de Google pour tenir pour acquise, sans complément d’analyse, la capacité des appareils mobiles récents et anciens à engendrer des revenus de recherche générale identiques.
797 Partant, la Commission ne saurait avoir conduit un examen approprié de la capacité d’un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace à compenser les APR par portefeuille au cours de la période durant laquelle ils étaient en vigueur.
vi) Conclusion sur la régularité du test AEC
798 Il découle de ce qui précède que le test AEC mis en œuvre par la Commission dans la décision attaquée présente plusieurs erreurs de raisonnement. Ces dernières portent, tout d’abord, sur l’une des prémisses du test AEC, à savoir la part de requêtes de recherche générale contestable par un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace si son application venait à être préinstallée aux côtés de Google Search. Ensuite, force est de relever que la Commission a manqué d’isoler les coûts pouvant être attribués à un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace et choisi simplement d’extrapoler des données figurant sur un document transmis par un tiers et contestées durant la procédure administrative par Google. Par ailleurs, les motifs figurant au considérant 1244 de la décision attaquée ne permettent nullement de soutenir l’affirmation selon laquelle un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace est susceptible, en l’absence des APR par portefeuille, de n’obtenir la préinstallation de son application que sur un nombre limité d’appareils mobiles. Enfin, la Commission a apprécié de manière lacunaire la propension des appareils mobiles déjà en circulation à engendrer des revenus inférieurs à ceux des appareils mobiles récents.
799 Ce quadruple constat est, à lui seul, de nature à faire naître un doute quant à la justesse du résultat du test AEC conduit par la Commission et, par conséquent, du prétendu effet d’éviction des APR par portefeuille sur un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace. Dès lors, tel qu’il a été conduit par la Commission, le test AEC ne saurait corroborer le constat d’un abus résultant des APR par portefeuille.
5. Conclusion sur la régularité des motifs relatifs à la nature abusive des APR par portefeuille
800 En raison des diverses erreurs de raisonnement de la Commission, la conclusion selon laquelle les APR par portefeuille étaient abusifs ne peut être considérée comme suffisamment établie. En effet, lesdites erreurs portent sur des aspects essentiels de l’analyse concurrentielle des APR par portefeuille, à savoir l’appréciation de leur couverture et la mise en œuvre du test AEC.
801 Abstraction faite de ces étapes du raisonnement de la Commission, la nature abusive des APR par portefeuille ne saurait, à elle-seule reposer sur le double constat d’une restriction à l’innovation ou d’un intérêt des FEO et des ORM, en l’absence desdits APR, à préinstaller plusieurs applications de services de recherche générale. Quand bien même Google ne contesterait pas ces deux aspects du raisonnement de la Commission, force est de relever qu’ils sont, par eux-mêmes, insuffisants pour lever le doute induit par les erreurs commises par la Commission au titre de l’analyse de la couverture et de la capacité des APR par portefeuille, par le biais du test AEC qu’elle a conduit, à évincer un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace.
802 Par conséquent, il convient d’annuler la décision attaquée, en tant qu’elle considère comme constitutifs d’un abus en eux-mêmes les APR par portefeuille, sans qu’il soit besoin d’examiner les arguments de Google relatifs à l’accès des utilisateurs à des services de recherche générale concurrents et à la nécessité d’un test contrefactuel.
E. Sur le quatrième moyen, tiré de l’appréciation erronée du caractère abusif du conditionnement de l’octroi des licences du Play Store et de Google Search au respect des OAF
1. Observations liminaires relatives à la portée du deuxième abus identifié dans la décision attaquée
803 Dans le quatrième moyen, articulé en deux branches, Google conteste que puisse être qualifiée d’abus de sa position dominante sur les marchés des boutiques d’applications Android et des services de recherche générale sa pratique tenant à conditionner l’octroi des licences du Play Store et de Google Search (dans le cadre d’un ADAM) à l’acceptation des OAF, contenues dans les AAF.
804 La Commission estime que les pratiques en cause ont un caractère abusif et, en outre, qu’une partie des arguments présentés par Google à l’appui du quatrième moyen est inopérante. À cet égard, elle fait également valoir que Google ne conteste pas de nombreux éléments de preuve sur lesquels la décision attaquée est fondée.
805 Ainsi qu’il ressort du dossier, Google a imposé aux FEO qui souhaitaient bénéficier de la possibilité de commercialiser des appareils mobiles intelligents sur lesquels le Play Store et Google Search étaient préinstallés de conclure un AAF. En effet, la signature d’un ADAM était conditionnée à la conclusion d’un AAF.
806 Il convient de rappeler qu’il est constant que les OAF imposent la conformité à une norme de référence de compatibilité minimale pour la mise en œuvre du code source d’Android. Cette norme, définie par Google dans le DDC, lequel est publié sur Internet, exige notamment que les appareils mobiles intelligents permettent l’installation d’applications, transmettent correctement la taille de leurs écrans aux applications, mettent en œuvre les fonctions de sécurité de base et incluent un ensemble complet d’IPA pour Android.
807 Les OAF s’appliquent à l’ensemble des appareils commercialisés par chaque FEO ayant conclu un AAF, dès lors que ces appareils fonctionnent sous Android ou une fourche Android (c’est-à-dire un SE développé à partir du code source d’Android). Pour démontrer leur compatibilité avec les normes prévues dans le DDC, les appareils doivent réussir une suite de tests de compatibilité (ci-après la « STC »). La STC, à laquelle Google assure un accès public sur le site d’Android, consiste en une série de tests permettant de démontrer qu’un appareil mobile intelligent fonctionnant sous une fourche Android satisfait à l’ensemble des exigences techniques de compatibilité prévues dans le DDC. Il incombe aux FEO de faire passer eux-mêmes la STC à leurs appareils fonctionnant sous une fourche Android, y compris ceux sur lesquels les applications de Google ne sont pas préinstallées.
808 Par convention, les fourches Android réussissant la STC seront dénommées ci-après « fourches Android compatibles ». Quant à elles, les fourches Android n’ayant pas été soumises à ces tests ou ne les ayant pas réussis, c’est-à-dire les variantes dérivées du code source d’Android n’ayant pas effectivement démontré leur capacité à réussir la STC, seront dénommées ci-après « fourches Android non compatibles ».
809 Selon la décision attaquée, depuis le 1er janvier 2011, Google a abusé de sa position dominante sur le marché mondial, hors Chine, des boutiques d’applications Android, d’une part, et sur les marchés nationaux des services de recherche générale, d’autre part, en conditionnant la licence du Play Store et de Google Search à l’acceptation des OAF. Le deuxième abus aurait commencé le 1er janvier 2011, date à laquelle Google a acquis une position dominante sur les marchés précités, et se poursuivrait à la date de l’adoption de la décision attaquée (considérant 1187 de la décision attaquée).
810 Il convient de préciser d’emblée que, ainsi que les parties principales l’ont confirmé lors de l’audience, les AAF ne sont considérés comme abusifs dans la décision attaquée que dans la seule mesure où ils imposent aux FEO d’assurer la compatibilité avec le DDC de la totalité des appareils qu’ils commercialisent et dont le SE est Android ou une fourche Android, y compris ceux sur lesquels les applications de Google ne sont pas préinstallées. En d’autres termes, les AAF sont considérés comme abusifs seulement en ce qu’ils interdisent la commercialisation d’appareils mobiles intelligents ayant pour SE des fourches Android non compatibles même en l’absence de préinstallation sur ces appareils des applications de Google.
811 En effet, s’il est vrai que la Commission a considéré, de manière générale, que le fait de conditionner la licence du Play Store et de Google Search au respect des OAF était de nature à restreindre la concurrence (considérant 1036 de la décision attaquée), cette appréciation doit néanmoins être rapprochée de celle selon laquelle, si des justifications peuvent être admises s’agissant des appareils mobiles intelligents sur lesquels la suite SMG est préinstallée, il ne saurait en aucun cas en être de même en ce qui concerne les appareils fonctionnant sous des fourches Android sur lesquels les applications de Google ne sont pas installées (considérant 1173 de la décision attaquée).
812 Ainsi, tout en se référant à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289), et aux conditions dans lesquelles le caractère abusif d’un groupement de produits ou d’obligations peut être établi, la Commission reproche, en substance, à Google, d’avoir mis en œuvre une pratique anticoncurrentielle visant à priver de débouchés commerciaux les fourches Android non compatibles.
813 Il s’ensuit que les arguments présentés par Google et les parties intervenant au soutien des requérantes qui visent à démontrer la légitimité de l’application des OAF aux appareils sur lesquels l’ensemble SMG est installé ne sont pas, en tout état de cause, susceptibles d’établir que la Commission aurait entaché d’erreur son appréciation du deuxième abus.
814 Dans la première branche du quatrième moyen qu’elle invoque, Google conteste les appréciations de la Commission relatives au caractère restrictif de concurrence de la pratique en cause. Dans la seconde branche dudit moyen, Google fait valoir que son comportement est, en tout état de cause, objectivement justifié.
2. Sur la première branche, relative à la restriction de concurrence
a) Décision attaquée
815 Se référant à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289), la Commission indique que, pour caractériser le deuxième abus, il y a lieu d’établir, premièrement, que les OAF ne sont pas liées à la licence du Play Store et de Google Search ; deuxièmement, que Google détient une position dominante sur le marché des boutiques d’applications Android et sur les marchés des services de recherche générale ; troisièmement, que le Play Store et Google Search ne peuvent pas être obtenus sans l’acceptation des OAF et, quatrièmement, que les OAF sont capables de restreindre la concurrence (considérants 1011 et suivants de la décision attaquée).
816 Après avoir apprécié les trois premiers critères, la Commission développe six séries d’arguments pour établir que les OAF sont susceptibles de restreindre la concurrence : premièrement, les fourches Android non compatibles représentent une menace concurrentielle crédible pour Google ; deuxièmement, Google définit les OAF, dont elle maîtrise ainsi le contenu, et surveille effectivement le respect de leur application par les FEO ; troisièmement, les OAF entravent le développement des fourches Android non compatibles ; quatrièmement, les fourches Android compatibles ne représentent pas une menace concurrentielle crédible pour Google ; cinquièmement, la capacité des OAF à restreindre la concurrence est renforcée par l’indisponibilité des IPA propriétaires de Google pour les développeurs de fourches Android non compatibles, ce qui diminue l’intérêt des développeurs à concevoir des applications destinées à fonctionner sur de tels SE et, sixièmement, le comportement de Google maintient et renforce sa position dominante sur les marchés nationaux de service de recherche générale, décourage l’innovation et tend à porter atteinte, directement ou indirectement, aux consommateurs (considérant 1036 de la décision attaquée).
b) Arguments des parties
1) Arguments de Google
817 À l’appui de la première branche du quatrième moyen, Google soutient que les OAF ne limitent pas la compétitivité des variantes d’Android, mais, au contraire, l’augmentent en maintenant une norme de référence de compatibilité minimale qui garantit le bon fonctionnement des applications sur l’ensemble de ces variantes. Les fourches Android non compatibles, lesquelles ne respectent pas cette norme, ne présenteraient aucun intérêt et mettraient en danger l’ensemble de l’« écosystème Android ».
818 En premier lieu, selon Google, le respect des normes techniques du DDC est indispensable, d’une part, pour garantir le bon fonctionnement des appareils mobiles intelligents dont le SE est Android ou une fourche Android et, d’autre part, pour permettre la compatibilité de ces appareils entre eux et avec les applications développées pour Android (ci-après l’« interopérabilité »). Au contraire, des incompatibilités avérées réduiraient l’attrait du SE et des fourches Android pour les utilisateurs et les développeurs d’applications. Les OAF permettraient ainsi aux FEO de bénéficier de la grande flexibilité du modèle ouvert d’Android, tout en protégeant la viabilité et la qualité de ce SE et des fourches Android contre les dysfonctionnements entraînés par des incompatibilités. Google fait valoir que les OAF visent à tirer les conséquences des expériences passées et de la disparition d’autres écosystèmes ouverts, tels que Symbian et Unix. Dès lors, les OAF, étant indispensables pour protéger l’« écosystème Android », ne restreindraient pas la concurrence.
819 En deuxième lieu, la décision attaquée n’indiquerait pas les exigences spécifiques des OAF censées restreindre la concurrence. Elle ne préciserait pas non plus quel paramètre concurrentiel pertinent pourrait être affecté. Les parties aux AAF s’engageraient simplement à garantir que leurs fourches Android sont conformes aux exigences de compatibilité prévues dans le DDC. Les OAF laisseraient ainsi les FEO libres de concourir avec leurs fourches Android sur tous les paramètres concurrentiels envisageables, y compris le prix, la qualité et l’innovation. Ceux-ci pourraient apporter des innovations au code source d’Android, développer de nouvelles fonctionnalités et ajouter des IPA. Les OAF n’empêcheraient pas les fournisseurs de SE ou les FEO ayant conclu un AAF de proposer des services de recherche générale concurrents. En effet, les fourches Android compatibles ne seraient pas moins adaptées que les fourches non compatibles pour proposer des services de recherche concurrents.
820 En troisième lieu, Google fait également valoir que les AAF, en garantissant le développement et la maintenance de la plateforme Android, ont étendu les opportunités pour les concurrents, en leur évitant les coûts accrus de développement qui auraient résulté des tests additionnels requis dans le cas d’une plateforme fragmentée, ce qui aurait, en conséquence, également augmenté les coûts pour les utilisateurs. Par exemple, exiger que l’ensemble des IPA Android soit installé sur un appareil développé spécialement pour fonctionner sous Android ou une fourche Android constituerait un avantage, et non une contrainte. En effet, chaque appareil aurait immédiatement accès à la vaste gamme d’applications conçues pour l’ensemble des SE compatibles. Les autres exigences techniques du DDC viseraient le même résultat. L’ensemble des opérateurs économiques concernés échapperait ainsi à la nécessité de construire leur propre « écosystème » à partir de rien.
821 En quatrième lieu, Google fait valoir que l’affirmation selon laquelle les OAF restreignent la concurrence repose sur des arguments vagues et erronés, lesquels, de plus, seraient sans lien avec les OAF. À cet égard, Google évoque notamment la menace concurrentielle prétendument représentée par les fourches Android non compatibles, les difficultés rencontrées par certaines fourches Android non compatibles, tels le SE Fire OS d’Amazon et le SE Aliyun d’Alibaba, ainsi que l’affirmation relative au caractère souhaitable de certaines incompatibilités, laquelle serait prétendument illustrée par la décision de Google de mettre fin à la compatibilité d’Android avec Java. Selon Google, l’échec des fourches Android non compatibles serait imputable à leur faiblesse intrinsèque et non aux AAF.
822 En cinquième lieu, l’allégation selon laquelle Google pourrait « en principe » modifier les exigences du DDC afin de les rendre plus restrictives à l’avenir serait spéculative et ne saurait caractériser une infraction. Google n’aurait jamais exercé son contrôle limité sur la plateforme pour restreindre la concurrence et il n’y aurait aucune raison de penser qu’elle pourrait être conduite à le faire. Elle rappelle que les AAF prévoient que des exceptions aux exigences de compatibilité peuvent également être consenties.
823 En sixième et dernier lieu, Google fait valoir que, contrairement à ce qui est indiqué dans la décision attaquée, les OAF n’ont pas renforcé sa position sur le marché des services de recherche générale. En effet, des services concurrents pourraient tout aussi bien utiliser, comme canal de distribution, des fourches Android compatibles ou non compatibles. Les OAF n’empêcheraient pas les développeurs de SE ou les FEO de commercialiser des appareils sur lesquels un service de recherche générale concurrent est préinstallé. De plus, dans la décision attaquée, la Commission n’aurait pas expliqué pourquoi elle estimait que les fourches Android non compatibles offriraient un meilleur canal de distribution pour les services de recherche générale concurrents de Google Search. Les perspectives commerciales des fourches Android non compatibles, étant inférieures à celles des fourches compatibles, constitueraient de moins bons canaux de distribution. Les exemples de préinstallation de Bing par Amazon et Nokia sur des fourches Android non compatibles ne seraient pas pertinents.
824 À l’appui de cette argumentation, les parties intervenant au soutien de Google font, notamment, valoir ce qui suit :
– l’ADA soutient que la Commission aurait dû examiner les AAF en considération des interactions entre les SE et les applications ; dans ce contexte, les fourches non compatibles ne constitueraient pas une menace concurrentielle crédible, en raison des coûts de portage et des inconvénients liés aux incompatibilités ; en effet, sans les IPA propriétaires de Google, les applications ne fonctionneraient pas correctement et les corrections de ces dysfonctionnements entraîneraient des coûts multiples et élevés ; ces incompatibilités présenteraient donc un désavantage pour les développeurs et des inconvénients pour les utilisateurs ; il n’y aurait donc pas d’alternative réaliste aux AAF ;
– la CCIA soutient que la Commission aurait dû rechercher un scénario contrefactuel réaliste, ce qui aurait suffi à démontrer que les AAF, contrairement à ce qui est énoncé dans la décision attaquée, ont en réalité élargi les possibilités pour la concurrence ;
– Gigaset et HMD soutiennent que les AAF ont encouragé la concurrence en protégeant la viabilité d’Android par rapport à d’autres modèles alternatifs ; cela aurait profité aux développeurs d’applications, aux FEO et aux consommateurs ; la portée du DDC serait dépourvue de toute ambiguïté ; les effets des dysfonctionnements créés par des fourches non compatibles seraient négatifs pour tous les acteurs ;
– Opera fait valoir que le modèle commercial d’Android lui a bénéficié en lui offrant une plateforme fiable, laquelle lui permet d’accéder à de nombreux utilisateurs potentiels ; ce modèle serait plus favorable à la concurrence que n’importe quel autre.
2) Arguments de la Commission
825 La Commission renvoie, en substance, au contenu de la décision attaquée. En effet, des documents internes et des communications de Google avec les FEO montreraient que cette entreprise souhaitait que les AAF empêchent les FEO désirant vendre des appareils avec préinstallation du Play Store et de l’application Google Search de vendre également des appareils fonctionnant sous des fourches Android non compatibles. Les AAF restreindraient également la concurrence dans le domaine des services de recherche générale, en empêchant les partenaires et les concurrents de Google de développer des fourches Android non compatibles échappant au contrôle de Google, sur lesquelles les FEO auraient pu préinstaller et définir par défaut des services de recherche générale concurrents.
826 Ainsi, premièrement, selon la Commission, l’objectif visé par les AAF est d’empêcher, d’une part, le développement des fourches Android non compatibles, tant par les développeurs de SE que par les FEO, ainsi que, d’autre part, la vente d’appareils fonctionnant sous de telles fourches. Un tel objectif suffirait à caractériser la stratégie de Google visant à évincer les fourches Android non compatibles. Deuxièmement, les fourches Android non compatibles constitueraient pour Google une menace concurrentielle plus crédible que les fourches Android compatibles. Troisièmement, les effets d’éviction inhérents aux AAF ne seraient pas atténués par l’existence de SE sous licence autres qu’Android. Quatrièmement, la Commission rappelle que certains FEO ont souhaité vendre des appareils fonctionnant avec des fourches Android non compatibles. Or, dans tous ces cas, les AAF auraient empêché les FEO et les développeurs intéressés de répondre à une telle demande.
827 Les parties intervenant au soutien de la Commission font notamment valoir ce qui suit :
– la VDZ soutient que la concurrence des fourches Android non compatibles permet d’accroître la diversité et de diminuer le prix des appareils, tout en encourageant l’innovation ; les OAF iraient donc au-delà du nécessaire ;
– FairSearch fait valoir que les OAF ont été conçues pour évincer la concurrence des logiciels libres et que Google dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans l’interprétation du terme « fragmentation », ce qui lui permettrait de consolider son pouvoir de marché ; ainsi, les OAF ne seraient ni justifiées ni proportionnées ;
– Seznam fait observer qu’elle est obligée de recourir au Play Store, en raison de l’impossibilité de convaincre des développeurs de créer sa propre boutique d’applications pour un marché aussi petit que la seule République tchèque ; les OAF la priveraient de toute option présentant un intérêt commercial et feraient obstacle à la concurrence par les mérites sur les marchés des services de recherche générale ;
– Qwant soutient que, depuis l’adoption de la décision attaquée, les offres de fourches Android non compatibles par les FEO sont devenues compétitives, ainsi que l’illustre l’exemple de Fairphone ; les AAF, en empêchant le développement de fourches Android non compatibles, auraient privé de plateformes de distribution des moteurs de recherche concurrents de Google Search.
c) Appréciation du Tribunal
828 Ainsi qu’il vient d’être rappelé, la Commission reproche à Google de conditionner l’octroi des licences du Play Store et de Google Search à un ensemble d’obligations restreignant la liberté des FEO souhaitant obtenir ces licences, précisément en ce qu’elles leur interdisent de commercialiser par ailleurs tout autre appareil exécutant une fourche Android non compatible. Cette restriction découle des AAF, dont elle constitue, en ce qu’elle s’applique aux appareils mobiles intelligents sur lesquels les applications de Google ne sont pas préinstallées, la seule obligation considérée comme abusive dans la décision attaquée. En effet, la Commission ne conteste pas le droit de Google d’imposer des exigences de compatibilité visant les appareils sur lesquels ses applications sont installées. En revanche, elle considère comme abusive la pratique de Google visant à faire obstacle au développement et à la présence sur le marché d’appareils fonctionnant avec une fourche Android non compatible. Il convient donc d’examiner si la Commission est parvenue à établir que Google a, comme elle l’estime dans la décision attaquée, mis en œuvre une pratique visant à évincer les fourches Android non compatibles et si cette pratique peut être qualifiée d’anti-concurrentielle au sens de l’article 102 TFUE.
829 Aux termes de l’article 102, second alinéa, sous b), TFUE, les pratiques abusives susceptibles de constituer un abus de position dominante consistent, notamment, à limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs. Pour apprécier si le deuxième comportement de Google qualifié d’abus dans la décision attaquée constitue une telle pratique abusive, il convient de vérifier, d’abord, si la Commission a démontré son existence, puis si elle a établi que cette pratique était capable de restreindre la concurrence.
1) Sur l’existence de la pratique
830 En ce qui concerne l’existence de la pratique concernée, l’interdiction faite aux parties aux AAF de commercialiser des appareils exécutant des fourches Android non compatibles n’est pas contestée par les parties. Elle ressort en outre des pièces du dossier.
831 Premièrement, l’existence de cette pratique est corroborée par les réponses présentées par Google aux questions écrites qui lui ont été adressées par le Tribunal, dans lesquelles elle rappelle que sa décision de mettre en place les AAF remonte aux origines d’Android. Elle fait valoir qu’elle a choisi de ne traiter commercialement qu’avec des entreprises qui accepteraient de ne pas mettre Android en péril. Selon elle, un tel objectif ne pouvait être atteint qu’en limitant toutes les sources possibles d’incompatibilités et, notamment, le développement de fourches Android non compatibles. Celles-ci, en créant un risque de dysfonctionnement des applications, représenteraient une menace pour sa réputation et un désavantage, tant du point de vue des développeurs que des consommateurs. Il convient donc de constater que Google reconnaît avoir, dès l’origine, mis en place les AAF pour faire obstacle au développement de fourches Android non compatibles.
832 Deuxièmement, Google ne conteste pas la réalité des sept exemples, repris dans la décision attaquée, selon lesquels elle est activement intervenue pour rappeler à leurs obligations contractuelles des FEO qui avaient entrepris de commercialiser des appareils exécutant des fourches Android non compatibles ou pour faire pression sur des développeurs, en vue de les dissuader de concevoir des applications pour des fourches Android non compatibles (considérants 1051 à 1059 de la décision attaquée). Si Google a fait valoir, durant la procédure administrative, que ses interventions visaient à remédier à des défaillances du matériel, elle n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de ses allégations. Au contraire, il ressort des courriels envoyés à l’époque par Google aux entreprises en cause que ses interventions étaient motivées par la volonté de faire obstacle au développement de fourches Android non compatibles et non par la nécessité de résoudre des difficultés techniques liées aux appareils eux-mêmes.
833 Troisièmement, les observations transmises à la Commission par une entreprise interrogée durant la procédure administrative montrent que Google veillait elle-même au respect des AAF par les FEO en procédant, de manière sporadique, à des achats auprès d’ORM et en soumettant elle-même les appareils ainsi acquis à la STC (considérant 1061 de la décision attaquée).
834 Il y a donc lieu de considérer que l’existence matérielle de la pratique considérée par la Commission comme constitutive du deuxième abus, admise par Google, est établie. Il ressort également de ce qui précède qu’elle a fait l’objet d’une mise en œuvre effective, et ce dès les origines d’Android.
835 Il convient, dès lors, de vérifier si cette pratique, visant à limiter le développement de fourches Android non compatibles, constitue un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE. À cette fin, il convient d’examiner les raisons pour lesquelles la Commission a estimé, dans la décision attaquée, que cette éviction restreignait la concurrence ou, du moins, était capable de le faire ainsi que les arguments par lesquels Google conteste ces appréciations.
2) Sur le caractère anticoncurrentiel de la pratique
836 En ce qui concerne le caractère anticoncurrentiel de la pratique concernée, selon la décision attaquée, Google a poursuivi des objectifs anticoncurrentiels et son comportement a effectivement produit des effets restrictifs de la concurrence. Il convient, dès lors, d’examiner ces appréciations.
i) En ce qui concerne le caractère anticoncurrentiel des objectifs poursuivis
837 Il ressort de documents internes mentionnés dans la décision attaquée que les OAF ont été conçues, notamment, dans l’intention de faire obstacle à tout développement du code source d’Android non approuvé par Google, en privant les développeurs de fourches Android non compatibles de débouchés commerciaux. Cet objectif est par ailleurs confirmé par les arguments avancés par Google dans le cadre de la première branche du quatrième moyen.
838 D’une part, en effet, il ressort de courriels internes cités dans la décision attaquée que la stratégie visant à entraver le développement des fourches Android non compatibles a été mise en place dès l’origine, pour empêcher les partenaires et les concurrents de Google de développer des versions d’Android autonomes. Dès l’origine, ainsi qu’il résulte de courriels internes et d’informations publiées sur le site Internet d’Android, Google a entendu réserver l’accès à l’« écosystème » aux fourches Android compatibles et interdire aux entreprises participantes de commercialiser des appareils fonctionnant avec des fourches Android non compatibles (considérants 159 et 160 de la décision attaquée).
839 D’autre part, les arguments présentés par Google dans le cadre de la première branche du présent moyen pour contester le caractère anticoncurrentiel de la pratique en cause reposent sur la prétendue nécessité de préserver l’« écosystème Android » de la fragmentation inhérente aux modèles de licence dits « open source ». Cette prétendue nécessité constituerait une circonstance faisant obstacle à ce que son comportement puisse être considéré comme abusif, dès lors que les avantages proconcurrentiels résultant de la non-fragmentation de l’« écosystème Android » excéderaient largement les effets anticoncurrentiels de l’exclusion des fourches Android non compatibles. Or, selon Google, ce risque de fragmentation découlerait de la seule présence sur le marché de fourches Android non compatibles, susceptibles, en raison de leur incompatibilité, de porter atteinte à l’interopérabilité, c’est-à-dire à la capacité de faire fonctionner l’ensemble des applications conçues pour Android sur l’ensemble des appareils utilisant Android ou toute fourche Android comme SE. Google reconnaît ainsi que la nécessité de lutter contre une telle menace l’a conduite à faire obstacle au développement des fourches non compatibles.
840 À ce sujet, selon Google, les seules incitations du marché n’auraient pu parvenir au résultat recherché, dès lors que les développeurs et les FEO, en l’absence des AAF, n’auraient pas eu un intérêt suffisant à remédier par eux-mêmes à tout risque d’incompatibilité. Google fait ainsi valoir que l’interdiction de commercialisation visant les fourches Android non compatibles contenue dans les AAF était donc nécessaire. Quant à la question de savoir si le risque de fragmentation allégué par Google est de nature à justifier objectivement ce comportement, celle-ci sera examinée dans le cadre de la seconde branche du présent moyen.
841 Il convient donc de constater qu’il ressort des déclarations mêmes de Google, corroborées par les pièces du dossier, que la pratique qualifiée d’abusive dans la décision attaquée a été sciemment mise en œuvre dans le but de limiter l’accès au marché des fourches Android non compatibles.
ii) En ce qui concerne la restriction de la concurrence
842 Il convient, dès lors, d’examiner si Google est fondée à soutenir que la Commission n’a pas suffisamment établi dans la décision attaquée que la pratique en cause était capable de restreindre la concurrence. À cet égard, les éléments retenus par la Commission dans la décision attaquée pour établir la capacité du deuxième abus à restreindre la concurrence contestée par Google peuvent être regroupés en trois motifs principaux. Premièrement, les fourches Android non compatibles seraient des concurrents de Google plus crédibles que les fourches Android compatibles. Deuxièmement, le deuxième abus aurait permis à Google d’évincer effectivement les fourches Android non compatibles. Troisièmement, enfin, cette éviction serait préjudiciable à la concurrence, car elle aurait pour conséquence de renforcer la position dominante de Google sur les marchés de services de recherche générale nationaux et constituerait un frein à l’innovation.
– Sur la menace potentielle exercée par les fourches non compatibles
843 Selon la Commission, les fourches Android non compatibles constituent pour Google une menace concurrentielle non seulement crédible, mais même supérieure à celle exercée par les fourches Android compatibles et à celle que pourraient représenter des SE différents, tels Windows Mobile ou Linux. À cet égard, les parties sont en désaccord, d’une part, sur la question de savoir dans quelle mesure les applications conçues pour Android pourraient fonctionner correctement sur des fourches Android non compatibles et, d’autre part, sur les coûts entraînés par l’adaptation de ces applications aux fourches Android non compatibles, la Commission estimant qu’ils sont inférieurs en cas de portage d’une application conçue pour Android vers une fourche Android non compatible à ceux qui seraient nécessaires pour le portage de cette application vers des SE différents.
844 À cet égard, il ressort sans équivoque des pièces du dossier que les fourches Android non compatibles constituent, tout comme Android et les fourches Android compatibles, des SE sous licence. Il ressort, en outre, de l’examen du premier moyen que les SE sous licence constituent un marché pertinent pour l’appréciation de rapports de concurrence. Par conséquent, les fourches Android non compatibles sont susceptibles d’entrer en concurrence avec Google sur le marché des SE sous licence. Dès lors, la question, débattue entre les parties, de savoir dans quelle mesure, par comparaison avec la pression concurrentielle exercée sur Google par les fourches Android non compatibles, la pression concurrentielle relative exercée par les fourches Android compatibles et par les autres SE sous licence est plus ou moins importante est dépourvue de pertinence. Il suffit en effet, pour caractériser une restriction de concurrence, d’établir que les fourches Android non compatibles auraient été des concurrentes d’Android sur le marché des SE sous licence, ce que Google ne conteste pas.
845 De même, la question de savoir si les coûts du portage des applications vers les fourches Android non compatibles, c’est-à-dire les dépenses de développement qui doivent être exposées pour permettre le fonctionnement correct des applications conçues pour Android sur des appareils dont le SE est une fourche Android non compatible, sont plus ou moins élevés que ceux du portage vers des SE différents d’Android est également sans pertinence. En effet, même en admettant, ce que Google n’a pas démontré, que les coûts du portage des applications conçues pour l’« écosystème Android » vers les fourches Android non compatibles soient comparables à ceux qui doivent être exposés pour un portage vers des SE entièrement différents, c’est-à-dire non développés à partir du code source d’Android, il convient de considérer que, en ce qui concerne ces dépenses, la menace concurrentielle pour Google exercée par les fourches Android non compatibles ne saurait être inférieure à celle qui est exercée par les autres SE sous licence analysés dans la décision attaquée.
846 La capacité des fourches Android non compatibles à exercer une pression concurrentielle sur Google n’est pas non plus remise en cause par les arguments des requérantes selon lesquels le développement de fourches Android non compatibles ne présente aucun intérêt commercial, ce qui exclurait qu’elles constituent pour elles une menace. En effet, Google présente à cet égard une allégation générale et abstraite, dont le bien-fondé n’est appuyé sur aucun élément de preuve concluant. Tout au contraire, Seznam, dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal, fait valoir qu’elle a tenté en vain de convaincre des FEO ayant conclu un AAF avec Google de commercialiser des appareils exécutant des fourches Android non compatibles, sur lesquels elle comptait installer son propre moteur de recherche. Cet exemple corrobore les appréciations contenues dans la décision attaquée selon lesquelles le deuxième abus a contribué à soustraire Google à la menace concurrentielle que des fourches Android non compatibles auraient pu représenter pour elle, tant sur le marché des SE sous licence que sur celui des services de recherche générale.
847 Il résulte de ce qui précède que Google n’a pas établi que les fourches Android non compatibles n’auraient pu en aucun cas constituer pour elle une menace concurrentielle. Dès lors, il convient d’examiner si les AAF sont susceptibles d’avoir effectivement rendu plus difficile l’entrée de ces concurrents de Google sur le marché des SE.
– Sur l’éviction effective des fourches Android non compatibles et les effets anticoncurrentiels de cette éviction
848 Il est constant que, durant la période infractionnelle considérée dans la décision attaquée, aucune fourche Android non compatible n’a été à même d’exister durablement sur le marché. Les parties s’opposent sur l’interprétation de ce constat, la Commission estimant, dans la décision attaquée, que l’échec commercial des fourches Android non compatibles ayant existé, d’une part, et l’absence d’entrée sur le marché de nouvelles fourches Android non compatibles, d’autre part, résultent du comportement de Google. En particulier, la Commission reproche à Google d’avoir imposé de conclure un AAF à tous les FEO qui souhaitaient bénéficier de l’installation du Play Store et de Google Search sur les appareils qu’ils commercialisaient. Au contraire, Google fait valoir que l’échec des fourches Android non compatibles tient à leurs faiblesses inhérentes et à leur absence d’intérêt commercial.
849 Tout d’abord, il convient d’observer que Google ne conteste pas les observations, figurant au point 6.3.1 de la décision attaquée, relatives à la couverture des AAF. À cet égard, il est rappelé dans la décision attaquée que Google a conclu des AAF ou des accords similaires avec une centaine d’entreprises intervenant sur le marché des appareils mobiles intelligents, à tous les niveaux de la chaîne de production de ces appareils. Des AAF, notamment, ont été conclus avec les 30 FEO les plus importants au regard de leurs ventes d’appareils mobiles intelligents (graphique 7 de la décision attaquée). La durée de ces accords conclus avec les FEO était au moins égale à celle des ADAM, les AAF devant être reconduits au cas où les FEO souhaiteraient continuer à bénéficier d’un ADAM. Il convient donc de considérer comme établi que, durant la période infractionnelle, les opérateurs économiques les plus importants, susceptibles d’offrir un débouché commercial aux développeurs de fourches Android non compatibles, en étaient empêchés par les AAF.
850 Ensuite, Google conteste l’interprétation par la Commission de l’échec de Fire OS, une fourche Android non compatible développée par Amazon et conçue dans le but de créer un « écosystème » indépendant de Google, mais pour permettre aux applications conçues pour Android de fonctionner. Selon Google, l’échec de Fire OS s’explique par différents facteurs, dont l’indisponibilité du Play Store, ce qu’Amazon aurait elle-même reconnu. À cet égard, il convient d’observer qu’il est, certes, constant que le Play Store est un « must have » délibérément réservé aux participants à l’« écosystème Android ». Pour autant, Google n’apporte aucun élément susceptible d’infirmer les constatations, figurant dans la décision attaquée, selon lesquelles six des FEO les plus importants en termes de ventes ont refusé de conclure des accords visant au développement d’appareils fonctionnant avec Fire OS, en opposant à Amazon qu’il s’agirait d’une violation claire des AAF (considérant 1094 de la décision attaquée). Il convient, dès lors, de considérer que, même si d’autres raisons pouvaient également expliquer l’échec commercial de Fire OS, lesquelles ne sont, au demeurant, pas indépendantes de la politique commerciale de Google, la Commission a néanmoins établi que les AAF avaient privé ce SE des débouchés qu’auraient pu constituer pour lui les FEO qui avaient conclu un AAF avec Google.
851 De plus, Google ne conteste pas être activement intervenue pour rappeler à leurs obligations plusieurs FEO qui envisageaient de commercialiser, dans un premier temps en Chine, le SE Aliyun, une fourche Android non compatible développée par Alibaba. Il résulte, en effet, des déclarations faites par cette dernière entreprise durant la procédure administrative qu’elle envisageait de conclure des accords de production visant à introduire son SE en Chine, puis dans le reste du monde, y compris l’EEE. Il résulte également des déclarations faites par plusieurs FEO que Google leur a expressément demandé de suspendre toute négociation commerciale avec Alibaba (considérants 1054, 1057 et 1069 de la décision attaquée). Or, Google, si elle estime ses interventions justifiées par des motifs relatifs à la protection de sa réputation et à la volonté de ne pas laisser ses concurrents bénéficier d’externalités positives dues au caractère « open source » de la licence d’Android, ne conteste pas être intervenue pour faire respecter par ces FEO leurs obligations relatives à l’interdiction de fournir des débouchés aux fourches Android non compatibles contenues dans les AAF. Dans ces conditions, Google n’est pas fondée à soutenir que l’échec d’Alibaba en Chine s’explique exclusivement par des défaillances de matériel et des problèmes de qualité des contrefaçons.
852 En outre, il convient de rappeler que, dans la seconde branche du quatrième moyen, Google fait valoir, en réponse à un argument de la Commission, que, en l’absence des AAF, la discipline du marché, malgré l’absence d’intérêt commercial au développement de fourches Android non compatibles, n’aurait pas été suffisante pour garantir l’absence d’incompatibilités. En effet, à défaut d’obligations contraignantes, Google estime que les opérateurs de l’« écosystème Android » auraient eu un intérêt à profiter de l’interopérabilité résultant de la compatibilité, mais pas nécessairement à engager eux-mêmes les dépenses nécessaires pour remédier à l’ensemble des incompatibilités.
853 Enfin, les parties sont également en désaccord en ce qui concerne les conséquences qui doivent être tirées de ce que Google s’est réservé la propriété des IPA ainsi que d’autres programmes qu’elle a elle-même développés, contribuant au fonctionnement des applications sur les appareils, en leur permettant de communiquer efficacement avec le SE. Bien que, dans la décision attaquée, la Commission considère que le refus de Google de mettre ses IPA à la disposition des développeurs de fourches Android non compatibles ait contribué au deuxième abus, il convient toutefois de relever que, ainsi qu’elle l’a confirmé lors de l’audience, elle ne conteste pas, en tant que tel, le droit de propriété de Google sur les programmes qu’elle a développés. Il convient, en outre, de relever que Google a indiqué, sans être contredite, que les versions successives du code source d’Android qu’elle avait divulguées intégraient toutes une mise à jour des IPA « de base » et que celles-ci étaient suffisantes pour permettre aux applications conçues pour Android de fonctionner sur tous les développements compatibles du code source.
854 En l’espèce, il convient de relever que ne saurait être considéré en tant que tel comme abusif, au sens de l’article 102 TFUE, l’usage par une entreprise, même en position dominante, d’un droit de propriété légitimement acquis. En effet, l’exercice d’un droit exclusif lié à un droit de propriété intellectuelle fait partie des prérogatives du titulaire d’un tel droit, de sorte que l’exercice de ce droit, alors même qu’il serait le fait d’une entreprise en position dominante, ne saurait constituer en lui-même un abus de celle-ci. Toutefois, de tels comportements ne peuvent être admis lorsqu’ils ont précisément pour objet de renforcer la position dominante de leur auteur et d’en abuser [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 150 et 151 et jurisprudence citée].
855 En l’espèce, il convient de tenir compte des déclarations obtenues de la part de trois entreprises durant la procédure administrative, selon lesquelles la mise à la disposition des seuls participants à l’« écosystème Android » d’IPA propriétaires de plus en plus performantes a eu tendance à inciter les développeurs d’applications pour Android à dépendre de ces IPA de façon critique. Le coût d’un portage éventuel des applications vers des fourches Android non compatibles est ainsi devenu plus dissuasif. Compte tenu de ces constatations, il convient de considérer que la politique commerciale adoptée par Google en ce qui concerne la mise à disposition de ses IPA doit être prise en considération, en tant qu’élément de contexte, pour apprécier l’effet des restrictions de débouchés mises en place dans les AAF. Cet effet est d’autant plus important que Google ne conteste pas les appréciations de la Commission selon lesquelles l’écart technologique entre les IPA de Google et les versions basiques du code source s’est accru tout au long de la période infractionnelle. L’accès aux IPA propriétaires de Google présentait ainsi un intérêt stratégique pour les développeurs et les FEO. L’ADA, partie intervenante au soutien de Google, confirme d’ailleurs que, sans les IPA propriétaires de Google, les applications ne fonctionneraient pas correctement et les corrections de ces dysfonctionnements entraîneraient des coûts multiples et élevés.
856 Or, ainsi qu’il résulte de l’examen du deuxième moyen, les FEO désireux de disposer des IPA propriétaires de Google devaient conclure un ADAM, ce qui supposait, au préalable, d’accepter les conditions des AAF. Dès lors, il convient de constater que la politique de développement et de distribution de ses IPA par Google a constitué une incitation à conclure des AAF, lesquels, ainsi qu’il vient d’être constaté, limitaient les débouchés des fourches Android non compatibles.
857 Pour établir le caractère anticoncurrentiel de la pratique d’exclusion constitutive du deuxième abus, la Commission, dans la décision attaquée, met en avant, outre l’entrave au développement de concurrents réels ou potentiels de Google sur le marché des SE sous licence, deux conséquences principales. D’une part, le deuxième abus aurait conduit au renforcement de la position dominante de Google sur le marché des services de recherche générale. D’autre part, il constituerait un frein à l’innovation et limiterait la diversité des offres accessibles aux consommateurs (considérants 1139 à 1145 de la décision attaquée).
858 S’agissant du premier point évoqué ci-dessus, d’une part, Google conteste que les AAF aient contribué au renforcement de sa position dominante sur les marchés de services de recherche générale. À l’appui de sa contestation, Google fait valoir, en substance, que les AAF ne comportaient aucune clause interdisant aux FEO d’installer des services de recherche générale concurrents de Google Search et que le succès de son propre service s’explique par ses mérites.
859 À cet égard, il suffit de constater que la Commission n’a pas estimé abusives les clauses des AAF en tant qu’elles s’appliquaient aux appareils sur lesquels la suite SMG est installée. En revanche, dans le cadre du deuxième abus, la Commission reproche à Google d’avoir fait en sorte de priver les fourches Android non compatibles de tout débouché commercial. Or, il est constant que la politique de licence mise en place par Google consistait à réserver l’ensemble SMG aux fourches Android compatibles. L’installation de Google Search était donc exclue sur les appareils fonctionnant sous des fourches Android non compatibles. Cette seule circonstance suffit à établir que les fourches Android non compatibles auraient pu constituer des canaux de distribution pour des services de recherche générale concurrents. Ainsi, si les AAF ne comportaient, certes, aucune interdiction de préinstaller des services de recherche générale concurrents de Google Search, ils contribuaient néanmoins, en limitant les débouchés des fourches Android non compatibles, à priver les services de recherche générale concurrents de situations dans lesquelles, faisant l’objet d’une préinstallation exclusive, ils ne seraient pas entrés en concurrence directe avec Google Search sur un appareil donné.
860 En effet, sur les appareils fonctionnant sous des fourches Android non compatibles, les services de recherche générale concurrents de Google Search auraient pu prétendre non seulement à une préinstallation, mais même à une installation exclusive. C’est d’ailleurs, selon Seznam, la raison pour laquelle elle a proposé à des FEO la commercialisation d’appareils fonctionnant avec des fourches Android non compatibles, sur lesquels son propre service de recherche générale serait seul installé. FairSearch fait également valoir, sans être sérieusement contredite, que la pratique litigieuse a rendu plus difficile le développement et la pénétration sur le marché de services de recherche générale mettant l’accent sur la protection de la vie privée des utilisateurs.
861 Il s’ensuit que Google n’est pas fondée à contester les appréciations selon lesquelles sa pratique d’éviction des fourches Android non compatibles a contribué au renforcement de sa position dominante sur les marchés des services de recherche générale.
862 D’autre part, s’agissant du frein à l’innovation, la Commission a estimé, dans la décision attaquée, que la pratique d’éviction des fourches Android non compatibles mise en place dans les AAF, en empêchant le développement de variantes différentes du SE, avait, de ce fait, fait obstacle aux possibilités d’innovation et privé les utilisateurs de fonctionnalités distinctes de celles offertes par les fourches Android compatibles ou additionnelles à celles-ci. À cet égard, contrairement à ce que Google allègue, la Commission n’était pas tenue, pour établir le bien-fondé de cette appréciation, de définir plus précisément quelles fonctionnalités auraient pu être mises en place en l’absence de la pratique litigieuse. En effet, Google ne conteste pas que les marchés en cause soient caractérisés par la rapidité des innovations, auxquelles des fourches présentant des caractéristiques différentes de celle des fourches compatibles auraient été en mesure de contribuer.
863 Il résulte de ce qui précède que la Commission a suffisamment établi que les AAF avaient interdit à leurs signataires de fournir des débouchés aux fourches Android non compatibles. Cette entrave à des concurrents directs de Google sur le marché des SE, dont les effets sont, en outre, renforcés par la politique de Google relative aux conditions de commercialisation de ses IPA et de ses autres applications propriétaires, a par ailleurs contribué à renforcer la position dominante de Google sur les marchés des services de recherche générale et s’est également avérée préjudiciable aux utilisateurs finaux.
864 La Commission ayant considéré que le deuxième abus consistait en l’application de l’ensemble des normes techniques définies dans le DDC aux appareils sur lesquels l’ensemble SMG n’était pas installé et ayant procédé à une analyse globale des effets de la restriction de concurrence entraînée par la pratique litigieuse, elle n’était pas tenue, contrairement à ce que soutient Google, d’identifier avec précision les normes du DDC qui étaient à l’origine de ces effets. En effet, les reproches adressés à Google dans la décision attaquée ne concernent pas le contenu des obligations de compatibilité définies par elle, mais sa pratique visant à empêcher les fourches Android non compatibles de trouver des débouchés commerciaux.
865 Dès lors que cette pratique peut être considérée comme établie dans son existence et dans ses effets par les éléments qui précèdent, il n’est pas nécessaire de se prononcer dans le cadre de cette branche sur les arguments relatifs à la clarté des OAF, au caractère purement théorique de la possibilité, pour Google, de faire évoluer le contenu du DDC dans un sens anticoncurrentiel ou de l’existence, de la part de celle-ci, d’une intention d’induire ses cocontractants en erreur. Ces arguments, en effet, visent à contester des motifs supplémentaires retenus par ailleurs dans la décision attaquée, si bien que leur examen ne serait pas susceptible de remettre en cause les constats qui précèdent. Il convient, en revanche, d’examiner à présent les justifications objectives présentées par Google.
3. Sur la seconde branche, relative à l’existence de justifications objectives
a) Décision attaquée
866 La Commission estime qu’aucune des justifications objectives avancées par Google ne peut être admise. Elle conteste l’argumentation développée par Google en huit points durant la procédure administrative, à savoir que, premièrement, les OAF seraient nécessaires pour garantir la compatibilité au sein de l’« écosystème Android », les modèles commerciaux des développeurs des autres SE étant plus restrictifs de la concurrence ; deuxièmement, les OAF seraient nécessaires pour prévenir la fragmentation, laquelle serait délétère pour l’ensemble de l’« écosystème Android » ; troisièmement, les OAF seraient nécessaires pour protéger sa réputation ; quatrièmement, les OAF seraient nécessaires pour éviter que les développeurs de fourches Android non compatibles ne bénéficient d’externalités indues liées à l’allégement de leurs coûts de développement par la mise à disposition gratuite d’un code source déjà opérationnel ; cinquièmement, les OAF seraient nécessaires pour éviter que les développeurs de fourches Android non compatibles ne bénéficient d’externalités indues liées à la mise à leur disposition par Google de sa technologie, notamment par le biais de la communication précoce du code source ou par l’organisation d’ateliers de perfectionnement pour les développeurs ; sixièmement, les OAF auraient été introduites avant qu’elle ne bénéficie d’une position dominante ; septièmement, les OAF n’auraient pas été conçues dans le but d’induire en erreur sur leur portée les entreprises ayant conclu un AAF et, huitièmement, la Commission serait restée en défaut de faire le bilan des effets anticoncurrentiels et proconcurrentiels des OAF (considérants 1155 à 1183 de la décision attaquée).
b) Arguments des parties
1) Arguments de Google
867 À l’appui de la seconde branche du quatrième moyen, Google soutient que la décision attaquée ne tient pas compte de la nature pro-concurrentielle des OAF, nécessaires pour protéger l’intégrité et la qualité de la plateforme Android face aux risques inhérents à d’éventuelles incompatibilités.
868 En premier lieu, Google soutient que les OAF sont nécessaires pour protéger la viabilité et la qualité d’Android contre les risques qu’entraîneraient des incompatibilités. Les OAF assureraient aux développeurs que leurs applications s’exécuteront sur différents appareils Android sans dysfonctionnement. Elles donneraient également aux utilisateurs finals l’assurance que les applications développées pour Android fonctionneront sur le périphérique Android de leur choix. Promouvoir la compatibilité constituerait, dès lors, un avantage concurrentiel à la fois pour les développeurs de fourches Android, les développeurs d’applications, les FEO et les utilisateurs. La préservation de cette interopérabilité et la protection de l’intégrité et de la qualité de la plateforme Android seraient des objectifs légitimes et dépourvus de caractère anticoncurrentiel.
869 En deuxième lieu, Google rappelle qu’Android a été introduit sous un modèle de licence ouverte, offrant aux FEO et aux développeurs plus de flexibilité que les modèles de licence dits « propriétaires », en leur permettant de modifier le code source et de l’adapter à leurs besoins. La plateforme Android, au sein de laquelle coexisteraient plusieurs fourches, aurait ainsi vocation à se développer de manière pluraliste et diversifiée. Ces particularités rendraient néanmoins indispensable la mise en œuvre de mécanismes destinés à prévenir la fragmentation, qui pourrait mener à la destruction de la plateforme Android dans son ensemble. Les OAF, qui viseraient seulement à répondre à un tel objectif, seraient donc justifiées, même à supposer qu’elles présentent un caractère anticoncurrentiel – ce que Google conteste par ailleurs dans le cadre de la première branche du présent moyen.
870 Plusieurs éléments démontreraient la nécessité des OAF. Premièrement, les expériences passées de fragmentation des plateformes ouvertes Unix, Symbian et Linux Mobile montreraient les conséquences irrémédiables de la prolifération des incompatibilités. Deuxièmement, les témoignages de nombreux participants à l’« écosystème Android » corroboreraient la position de Google. Ainsi, plus de 94 % (35 sur 37) des parties prenantes d’Android ayant répondu sur le fond aux questions de la Commission concernant la fragmentation (y compris les développeurs d’applications, les FEO, les ORM et d’autres entreprises) auraient indiqué que la menace d’incompatibilités était une source de préoccupation. Troisièmement, des documents internes de Google produits durant la procédure administrative attesteraient que la seule raison d’être des OAF était d’assurer la compatibilité et de préserver l’intégrité de la plateforme Android.
871 En troisième lieu, Google relève que, dans la décision attaquée, la Commission indique que les OAF n’étaient pas nécessaires, car les développeurs de fourches éviteraient spontanément les incompatibilités pour assurer le bon fonctionnement des applications. Selon Google, la Commission ne pourrait à la fois, sans se contredire, d’une part, critiquer les OAF au motif qu’elles empêcheraient le développement de fourches Android non compatibles et, d’autre part, faire valoir que les développeurs minimiseraient les incompatibilités indépendamment de l’existence des OAF. Google estime que les développeurs ne pourraient s’assurer de la compatibilité de leurs fourches Android qu’en se conformant aux exigences techniques du DDC. Sans les OAF, la compatibilité, dès lors, ne pourrait pas être garantie. Il ne pourrait pas non plus être allégué que les développeurs de fourches ou les FEO assureraient d’eux-mêmes la compatibilité, dès lors que ceux-ci auraient intérêt à profiter de l’interopérabilité, mais n’auraient pas une incitation suffisante à faire d’eux-mêmes tous les efforts nécessaires pour la garantir en l’absence de critères de définition et de contrôle communs, que Google était seule en mesure de mettre en place.
872 En quatrième lieu, Google relève que l’application des OAF, dont la Commission reconnaît la légitimité en tant qu’elles s’appliquent aux appareils sur lesquels la suite SMG est installée, doit nécessairement être étendue aux appareils sur lesquels ces applications ne sont pas préinstallées. Au cas contraire, l’intégrité et la viabilité de la plateforme Android dans son ensemble ne pourraient pas être protégées des problèmes que créent les incompatibilités, à savoir le risque de la fragmentation d’Android.
873 En cinquième lieu, Google conteste les arguments de la Commission relatifs à la possibilité de remédier aux inconvénients de la fragmentation par le recours à une politique de propriété intellectuelle adaptée. À cet égard, la Commission laisserait entendre que les problèmes d’incompatibilité n’entacheraient que sa réputation et pourraient être résolus par une stratégie de marque qui limiterait l’utilisation de l’appellation « Android » aux appareils compatibles. L’incompatibilité et le risque de dysfonctionnement des applications Android ne seraient cependant pas un problème de réputation, mais un problème technique menaçant l’intégrité et la viabilité de l’« écosystème Android ». Cet argument ignorerait aussi que les OAF ne s’appliquent qu’aux appareils « développés spécialement pour fonctionner sur Android ». Si ces appareils n’étaient pas à la mesure des attentes des utilisateurs et des développeurs d’applications en matière de compatibilité, ils ébranleraient la confiance placée dans Android dans son ensemble.
2) Arguments de la Commission
874 La Commission fait valoir que, dans la décision attaquée, les AAF sont contestés uniquement dans la mesure où ils exigent des FEO que leurs appareils sur lesquels les applications de Google ne sont pas préinstallées réussissent la STC. Selon la Commission, les justifications objectives avancées quant à la nécessité d’éviter les risques liés aux applications qui ne fonctionnent pas ou pas correctement sur les appareils sur lesquels les applications de Google ne sont pas préinstallées doivent être écartées. En effet, les utilisateurs et les développeurs d’applications n’attribueraient pas à Google d’éventuels défaillances ou dysfonctionnements des applications sur ces appareils.
875 Les OAF n’auraient pas pour seule raison de garantir la compatibilité et de préserver l’intégrité de la plateforme Android, mais chercheraient également à lutter contre les conséquences négatives pour Google de la concurrence provenant des fourches Android non compatibles. Cela ressortirait de documents internes de Google et des réponses aux demandes de renseignements.
c) Appréciation du Tribunal
876 Selon la jurisprudence rappelée lors de l’examen de la seconde branche du deuxième moyen, un comportement n’est pas abusif s’il est justifié par des avantages pro-concurrentiels ou s’il sert des intérêts légitimes. En particulier, l’entreprise occupant une position dominante peut démontrer, à cet effet, soit que son comportement est objectivement nécessaire, soit que l’effet d’éviction qu’il entraîne peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs. À cette fin, il appartient à l’entreprise dominante concernée de démontrer que les gains d’efficacité susceptibles de résulter du comportement considéré neutralisent l’effet d’éviction qu’il entraîne, que ces gains d’efficacité ont été ou sont susceptibles d’être réalisés grâce audit comportement, que ce dernier est indispensable à la réalisation de ceux-ci et qu’il n’élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C-209/10, EU:C:2012:172, points 40 à 42 et jurisprudence citée). C’est au regard de ces principes qu’il convient d’apprécier les justifications avancées par Google.
1) Sur la nécessité de protéger la compatibilité au sein de l’« écosystème Android » et de prévenir la « fragmentation »
877 Google estime que le comportement litigieux est nécessaire en vue d’assurer la compatibilité au sein de l’« écosystème Android », pour lequel la fragmentation constituerait une menace. Il s’agit néanmoins de deux objectifs différents, qu’il y a lieu d’apprécier distinctement.
878 D’une part, il convient de rappeler que la Commission n’a pas estimé, dans la décision attaquée, que la mise en place d’obligations visant à assurer la compatibilité des fourches Android sur lesquelles le Play Store et Google Search étaient installées constituait une violation de l’article 102 TFUE. Il convient également de rappeler que la Commission ne conteste pas le droit de Google de réserver l’installation de l’ensemble SMG aux appareils fonctionnant avec des fourches Android compatibles. La Commission a seulement estimé abusive l’interdiction faite aux FEO commercialisant des appareils sur lesquels l’ensemble SMG était installé d’offrir, par ailleurs, des débouchés commerciaux aux fourches Android non compatibles. Il s’ensuit que la première justification avancée par Google, à savoir la nécessité de garantir la compatibilité au sein de l’« écosystème Android », est sans rapport avec le deuxième abus et, dès lors, est dépourvue de pertinence en l’espèce.
879 D’autre part, Google ne saurait justifier la privation de tous les débouchés résultant des AAF pour les fourches Android non compatibles par le seul motif du risque que la « fragmentation », c’est-à-dire la multiplication de plateformes incompatibles entre elles, ferait peser sur la survie même d’Android. Google renvoie, sur ce point, aux échecs qu’ont connu pour cette raison de précédents SE distribués, comme Android, en « open source ».
880 Or, et sans qu’il soit nécessaire de trancher le débat entre les parties sur le caractère néfaste ou les avantages que la fragmentation aurait pu représenter pour Google et pour l’ensemble du secteur, il suffit de constater que Google ne remet pas sérieusement en cause les constats opérés dans la décision attaquée relatifs au degré prééminent du pouvoir de marché de l’« écosystème Android ». Il convient de rappeler, à cet égard, que les arguments, présentés à l’appui du premier moyen, relatifs à la position dominante de Google sur les marchés des boutiques d’applications et des SE doivent être écartés. De plus, Google ne conteste pas occuper une position dominante sur les marchés des services de recherche générale. En outre, selon le tableau 1 repris dans la décision attaquée, que Google ne conteste pas non plus, la part des appareils fonctionnant avec un SE sous licence vendus dans le monde hors Chine par des FEO liés par un AAF serait passée de [70-80] % en 2011 à [90-100] % en 2016 (considérant 167 de la décision attaquée). Google ne conteste pas davantage l’exactitude des éléments repris dans le graphique 16 qui figure dans la Décision, dont il résulte que le nombre d’applications disponibles dans le Play Store a atteint 1 million en 2013 et 2,8 millions en 2017 (considérant 607 de la décision attaquée). Il ne saurait, certes, être exclu que la situation d’Android ait pu être rapprochée, lors de son lancement, de celle des SE préexistants distribués en « open source », tels Unix, Symbian et Linux. Cependant, la croissance extrêmement rapide de l’« écosystème Android » dès le début des années 2010 rend peu crédibles les allégations de Google quant au risque hypothétique que la menace qu’elle décrit pour la survie même de cet « écosystème » ait pu perdurer durant la période infractionnelle. Il s’ensuit que cette justification doit être écartée.
2) Sur la nécessité de protéger sa réputation
881 Google fait valoir que, si elles visaient essentiellement à répondre à des problématiques techniques dont l’incidence était bien plus sérieuse, les OAF étaient également nécessaires pour protéger sa réputation.
882 À cet égard, tout d’abord, il convient de rappeler que la Commission n’a pas estimé les OAF abusives en tant qu’elles s’appliquaient aux appareils sur lesquelles la suite SMG, c’est-à-dire les applications de Google, était installée. Les allégations de Google relatives à la protection de sa réputation doivent donc être examinées au seul regard de l’entrave que constituaient les AAF aux fourches Android non compatibles, sur lesquelles l’installation de ces applications était de toute manière exclue par Google. En effet, il est constant que Google réserve le droit d’installer ses applications aux FEO qui respectent les obligations techniques définies dans le DDC.
883 Ensuite, Google conteste l’appréciation figurant dans la décision attaquée selon laquelle elle pourrait mettre en place des mesures permettant d’éliminer toute confusion en ce qui concerne l’origine commerciale des appareils fonctionnant avec des fourches Android compatibles, au moyen, par exemple, de l’enregistrement de marques qui leur réserveraient l’appellation « Android » (considérants 1172 à 1176 de la décision attaquée). À cet égard, Google se borne à soutenir que de telles mesures ne seraient pas suffisantes, mais n’apporte aucun élément circonstancié à l’appui de cette allégation. L’inefficacité de la défense par Google de ses droits de propriété intellectuelle dans le but de protéger sa réputation en interdisant, par exemple, l’utilisation des dénominations « Google » et « Android » sur les appareils fonctionnant avec des fourches Android non compatibles, extérieurs à l’« écosystème Android », ne saurait, dès lors, être établie. Or, de telles mesures seraient assurément moins restrictives de la concurrence que l’éviction des fourches Android non compatibles qui découle des AAF, laquelle présente, dès lors, un caractère disproportionné au regard du but allégué.
884 Enfin, Google, pour étayer l’atteinte en cause, fait essentiellement état des risques qui, selon elle, découleraient de la « fragmentation », les dysfonctionnements éventuels imputables aux fourches Android non compatibles rejaillissant sur l’ensemble de l’« écosystème ». Or, il résulte de ce qui précède (voir points 879 et 880 ci-dessus) que le risque de propagation au détriment de l’écosystème Android n’est pas suffisamment établi en l’espèce.
3) Sur la nécessité d’éliminer les effets d’aubaine
885 Google fait valoir que les OAF sont nécessaires pour limiter les effets d’aubaine découlant de la mise à la disposition de tiers de sa technologie. S’agissant des externalités positives dont les fourches Android non compatibles bénéficieraient, il s’agit, d’une part, selon Google, d’effets d’aubaine financiers, provenant de l’allégement des coûts de développement tant en ce qui concerne le SE que les applications et, d’autre part, d’effets d’aubaine techniques, liés aux transferts de sa technologie (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C-209/10, EU:C:2012:172, points 41 et 42).
886 À cet égard, il convient de rappeler que la Commission ne conteste les AAF qu’en tant qu’elles comportent des obligations visant à priver les fourches Android non compatibles de débouchés commerciaux. Or, le droit d’une entreprise de bénéficier des retombées économiques liées aux services qu’elle développe ne saurait s’étendre jusqu’à lui reconnaître celui d’empêcher d’éventuels concurrents d’exister sur le marché. Par ailleurs, il convient d’observer, à l’instar de la Commission (considérants 1177 à 1181 de la décision attaquée), que la possibilité pour les tiers de bénéficier de la technologie développée par Google est inhérente au choix fait par cette entreprise de divulguer le code source d’Android par le biais de la licence AOSP. Dès lors, l’éventualité que des concurrents de Google puissent profiter d’effets d’aubaine ne saurait justifier le deuxième abus.
4) Sur l’antériorité par rapport à l’acquisition de la position dominante et l’absence de tromperie
887 D’une part, Google ne remet pas en cause la pertinence des observations figurant dans la décision attaquée, selon lesquelles la circonstance que le comportement litigieux a débuté avant qu’elle n’ait acquis une position dominante sur les marchés des boutiques d’applications Android et des services de recherche générale n’est pas de nature à justifier le deuxième abus. Il convient simplement d’observer, à cet égard, que la Commission n’a pas infligé de sanction à Google pour la période précédant l’acquisition de sa position dominante.
888 D’autre part, la Commission ne reproche pas à Google d’avoir tenté de tromper les parties aux AAF ou des tiers sur la portée des OAF, si bien que l’argument tiré par Google de l’absence de toute tromperie de sa part doit être écarté comme inopérant.
5) Sur la prise en considération des effets pro-concurrentiels des OAF
889 Google reproche à la Commission de ne pas avoir mis en balance les effets pro-concurrentiels des OAF avec leurs effets anticoncurrentiels. À cet égard, il convient de rappeler que la Commission ne conteste pas que les normes de compatibilité définies par Google ont contribué au développement de l’« écosystème Android ». La Commission ne conteste pas davantage que la compatibilité a produit des effets pro-concurrentiels, en favorisant le développement des participants à cet écosystème ainsi que leur concurrence réciproque. La Commission ne considère pas non plus que Google ne pouvait pas mettre en place des normes destinées à assurer la compatibilité au sein dudit « écosystème ». En revanche, la Commission a considéré que, Google n’ayant pas objectivement justifié les entraves aux fourches Android non compatibles découlant des AAF, elle n’était pas tenue de tenir compte des effets pro-concurrentiels des OAF (considérant 1183 de la décision attaquée).
890 À cet égard, tout d’abord, il convient de rappeler que la Commission ne considère comme abusives les stipulations des AAF qu’en tant qu’elles interdisent aux FEO d’offrir des débouchés commerciaux aux fourches Android non compatibles. Cette entrave doit, dès lors, être considérée, pour l’application de l’article 102 TFUE, comme distincte des obligations visant à assurer la compatibilité des fourches Android compatibles et l’interopérabilité au sein de l’« écosystème Android », dont les effets pro-concurrentiels ne sont pas contestés. En effet, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, l’entrave en cause produit ses effets en dehors de l’écosystème Android, puisqu’elle porte sur des fourches non compatibles sur lesquelles les applications propriétaires de Google, telle la suite SMG, ne sont pas destinées à être installées et sur lesquelles la compatibilité et l’interopérabilité ne sont pas nécessairement recherchées.
891 En effet, l’entrave au développement des fourches Android non compatibles ne saurait être considérée comme indispensable en soi à la définition des normes de compatibilité destinées à s’appliquer au sein de l’« écosystème Android ». Il résulte, en particulier, de ce que les justifications de Google relatives à la nécessité de lutter contre la « fragmentation » doivent être écartées que Google n’a pas établi qu’il lui était impossible d’assurer la survie de l’« écosystème Android » en l’absence des conditions litigieuses. Dès lors, en l’absence de tout rapport de nécessité entre l’exclusion des fourches Android non compatibles, d’une part, et la compatibilité au sein de l’écosystème Android, qui constitue, par ailleurs, l’objectif poursuivi par les OAF, d’autre part, Google n’est pas fondée à soutenir que la Commission aurait dû opérer une mise en balance entre les effets pro-concurrentiels des OAF au sein de l’écosystème Android, lesquels découlent, pour les participants audit écosystème, des avantages de la compatibilité, d’une part, et les restrictions de la concurrence, qui s’exercent en dehors de cet écosystème, identifiées comme constituant le deuxième abus, d’autre part.
4. Conclusion relative à l’appréciation du quatrième moyen
892 Il résulte de ce qui précède que le caractère anticoncurrentiel de l’éviction des fourches Android non compatibles par le biais des AAF doit être considéré comme établi. Ce comportement a privé de tout débouché des concurrents potentiels ou existants de Google, a renforcé la position dominante de Google sur les marchés des services de recherche générale et a constitué un frein à l’innovation. Google n’a par ailleurs ni démontré que l’exclusion des fourches Android non compatibles résultant des AAF répondait à un objectif légitime ni établi que cette exclusion entraînait des effets pro-concurrentiels qui soient imputables à cette entreprise.
893 Il résulte également de ce qui précède que la Commission, contrairement à ce que Google allègue, a dûment tenu compte du contexte économique et légal pertinent ainsi que des effets concrets produits par le deuxième abus. Dès lors, ayant suffisamment démontré l’existence des restrictions litigieuses et de leurs effets sur la concurrence, la Commission n’était pas tenue de se livrer, au surplus, contrairement à ce qu’estime Google et les parties intervenant à son soutien, à une analyse contrefactuelle destinée à évaluer les conséquences hypothétiques qui auraient pu être observées, en l’absence du deuxième abus, sur les marchés des boutiques d’applications Android, des services de recherche générale, sur lesquels ledit abus a été constaté, ainsi que celui des SE sous licence, sur lesquels Google détient également une position dominante.
894 Partant, le quatrième moyen doit être écarté.
F. Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des droits de la défense
895 Dans le cinquième moyen, divisé en deux branches, Google fait valoir que la Commission a enfreint ses droits de la défense en ne respectant pas, d’une part, son droit d’être entendue et, d’autre part, son droit d’accéder au dossier. Ces irrégularités procédurales invalideraient les conclusions de la décision attaquée et justifieraient son annulation. Il y a lieu de traiter d’abord la seconde branche du moyen.
1. Sur la seconde branche du cinquième moyen, visant la violation du droit d’accès au dossier
a) Arguments des parties
896 Google fait valoir que le contenu des notes relatives aux réunions que la Commission a eues avec les tiers en ce qui concerne l’objet de l’enquête est insuffisant et ne permet pas de garantir ses droits de la défense ou, à tout le moins, de respecter le principe de bonne administration. Ces notes auraient été préparées après coup, parfois de nombreuses années après la réunion en question. Seules 3 des 35 notes transmises à cet égard pourraient être considérées comme complètes. Les 32 autres seraient trop brèves et sommaires au regard de ce qui serait prescrit pour un entretien avec un tiers par l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, au vu notamment de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, EU:C:2017:632).
897 En particulier, Google critique l’insuffisance des informations transmises en ce qui concerne les réunions avec la membre de la Commission chargée des questions de concurrence ou un membre de son cabinet ainsi que l’anonymisation de certaines données nominatives.
898 En raison de la brièveté des notes transmises, Google ne pourrait pas déterminer le contenu des discussions intervenues entre la Commission et les tiers entendus ainsi que la nature des informations fournies dans ce cadre. Cette violation des droits de la défense serait substantielle, en particulier, en ce qui concerne les entretiens avec les développeurs d’applications, où il serait plausible que ceux-ci aient tenu des déclarations à décharge qui ne seraient pas rapportées dans les notes transmises par la Commission.
899 La Commission conteste le bien-fondé de cette argumentation.
900 À titre liminaire, elle soutient n’être tenue de rédiger un compte rendu complet d’une réunion avec un tiers que si celle-ci est un « entretien » au sens de l’article 19 du règlement n° 1/2003, c’est-à-dire une réunion dont l’objet est de recueillir des informations relatives à l’enquête. Pour les autres réunions, la Commission serait seulement tenue de prendre des notes succinctes en ce qui concerne, d’une part, tout élément de preuve fourni au cours de la réunion en cause qu’elle envisage d’utiliser dans la décision et, d’autre part, tout élément de preuve potentiellement favorable fourni à cette même occasion sur lequel l’entreprise faisant l’objet de l’enquête aurait pu s’appuyer pour contrer les conclusions de la Commission.
901 Dans ce contexte, la Commission fait valoir que les réunions avec la membre de la Commission chargée des questions de concurrence et un membre de son cabinet n’avaient pas pour objet de recueillir des informations relatives à l’objet de l’enquête.
902 Quant aux notes relatives aux autres réunions, la Commission soutient avoir fourni suffisamment d’informations sur le moment et la manière dont elle avait préparé ces notes, s’agissant notamment des raisons pour lesquelles certaines données nominatives étaient omises.
b) Appréciation du Tribunal
903 Par la seconde branche du cinquième moyen, Google reproche en substance à la Commission de lui avoir transmis des notes relatives aux réunions avec les tiers qui ne lui permettent pas de comprendre la teneur des discussions qui se sont tenues ainsi que la nature des renseignements fournis sur les sujets abordés pendant ces réunions et, dès lors, de faire correctement valoir ses droits de la défense à cet égard.
904 Il ressort effectivement de la décision attaquée que, le 15 septembre 2017, à la suite de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, EU:C:2017:632), Google a demandé à obtenir tous les documents pertinents relatifs aux réunions que la Commission avait pu avoir avec les tiers (voir considérant 30 de la décision attaquée). La Commission a répondu à cette demande le 28 février 2018 (voir considérants 33 et 63 de la décision attaquée).
905 Il ressort également de la décision attaquée que, à compter de la transmission de ces documents, la Commission a affirmé ne pas détenir d’autres documents se rapportant à ces réunions, qu’elles soient intervenues en présentiel ou par téléphone (voir considérant 64 de la décision attaquée). Cette affirmation n’est remise en cause par aucune des pièces du dossier de la présente affaire.
906 D’emblée, il doit être rappelé que les droits de la défense sont des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit dont le Tribunal et la Cour assurent le respect (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C 109/10 P, EU:C:2011:686, point 52).
907 Il appartient également à la Commission, en application du principe de bonne administration, de veiller à ce que ses règles internes respectent les droits de la défense.
908 Dans le contexte du droit de la concurrence, le respect des droits de la défense implique que tout destinataire d’une décision constatant qu’il a commis une infraction aux règles de la concurrence doit avoir été mis en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances qui lui sont reprochés ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une telle infraction (arrêts du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C 109/10 P, EU:C:2011:686, point 53, et du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission, C 152/19 P, EU:C:2021:238, point 106).
909 Corollaire du principe du respect des droits de la défense, le droit d’accès au dossier implique ainsi que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à conviction que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C 204/00 P, C-205/00 P, C 211/00 P, C-213/00 P, C 217/00 P et C 219/00 P, EU:C:2004:6, point 68, et du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission, T 113/07, EU:T:2011:343, point 41).
910 Par ailleurs, il y a également lieu de rappeler que l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, évoqué par Google, constitue une base juridique habilitant la Commission à procéder à un entretien avec une personne physique ou morale dans le cadre d’une enquête (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, point 86).
911 Il ressort du libellé même de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 que ce dernier a vocation à s’appliquer à tout entretien visant la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête. En effet, aucun élément tiré du libellé de cette disposition ou du but qu’elle poursuit ne permet d’inférer que le législateur ait entendu exclure du champ d’application de ladite disposition certains de ces entretiens (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 84 et 87).
912 Or, lorsqu’elle mène un entretien, au titre de l’article 19 du règlement n° 1/2003, aux fins de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête, la Commission a une obligation d’enregistrer, sous la forme de son choix, un tel entretien. À cet effet, il n’est pas suffisant que la Commission procède à un bref résumé des sujets abordés au cours de l’entretien. Elle doit être en mesure de fournir une indication de la teneur des discussions qui se sont tenues lors de l’entretien, en particulier de la nature des renseignements fournis pendant l’entretien sur les sujets abordés (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 91 et 92).
913 Enfin, il convient de relever que, selon une jurisprudence bien établie, il y a violation des droits de la défense lorsqu’il existe une possibilité que, en raison d’une irrégularité procédurale commise par la Commission, la procédure administrative menée par elle aurait pu aboutir à un résultat différent. Une entreprise requérante établit qu’une telle violation a eu lieu lorsqu’elle démontre à suffisance non que la décision de la Commission aurait eu un contenu différent, mais bien qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de l’irrégularité procédurale (arrêts du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C 194/99 P, EU:C:2003:527, point 31, et du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T 827/14, EU:T:2018:930, point 129). L’appréciation du respect par la Commission des droits de la défense doit être effectuée en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de chaque espèce (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C 831/18 P, EU:C:2020:481, point 107).
914 C’est au regard de ces principes qu’il y a lieu d’examiner les arguments des parties relatifs à la seconde branche du cinquième moyen.
915 En premier lieu, s’agissant de la question de savoir si toutes les notes relatives aux réunions avec des tiers concernent des entretiens au sens de l’article 19 du règlement n° 1/2003, il convient de relever que, en réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience de plaidoiries, la Commission a reconnu, ce dont il a été pris note au procès-verbal, que 33 des 35 notes transmises à Google concernaient des entretiens au sens de cette disposition.
916 Ce n’est donc que pour deux des 35 réunions visées par les notes transmises à Google, à savoir les deux réunions en présence de la membre de la Commission chargée des questions de concurrence ou d’un membre de son cabinet, que la Commission conteste la qualification d’entretien au sens de l’article 19 du règlement n° 1/2003. Cette objection est faite au motif que l’objet de ces réunions n’était pas de recueillir des informations relatives à l’objet de l’enquête.
917 Toutefois, contrairement à ce que soutient la Commission, ces deux réunions doivent également être considérées en l’espèce comme des entretiens au sens de l’article 19 du règlement n° 1/2003. En effet, à la lecture des notes transmises par la Commission à propos de ces réunions, il apparaît bien que celles-ci correspondent à des entretiens visant la collecte d’informations relatives à l’objet de l’enquête.
918 Ainsi, il ressort de la première de ces notes que, lors d’un entretien intervenu le 2 juillet 2015, une entreprise du secteur a pu présenter à la Commission ses vues sur les plateformes mobiles, y compris Android, ainsi que sur l’environnement concurrentiel dans lequel évoluaient ses applications et ses services.
919 De même, il ressort de la seconde de ces notes que, à l’occasion d’un entretien intervenu le 27 septembre 2017, l’ADA a pu présenter à la Commission ses vues sur l’enquête qui a donné lieu à la décision attaquée, en particulier en ce qui concerne les AAF ainsi que les solutions envisagées pour remédier aux problèmes de concurrence identifiés. Ladite note indique également que l’ADA a confirmé à la Commission que tous les propos tenus par l’ADA lors de cet entretien lui avaient déjà été exposés dans des documents qui lui avaient été transmis.
920 Par conséquent, la circonstance que les entretiens que la Commission a eus avec des tiers aient pu prendre la forme de réunions avec la membre de la Commission chargée des questions de concurrence ou un membre de son cabinet n’est pas susceptible de les extraire du champ d’application de l’article 19 du règlement n° 1/2003, dès lors que ces réunions visent à collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête.
921 En deuxième lieu, s’agissant de la régularité au regard de l’article 19 du règlement n° 1/2003 des notes relatives aux entretiens que la Commission a eus avec des tiers visant la collecte d’informations relatives à l’objet de l’enquête, il convient de relever que Google fait valoir en substance que ces notes sont à la fois tardives et incomplètes.
922 Quant au caractère tardif, il y a lieu d’observer que sur les 35 notes communiquées au Tribunal dans une annexe à la requête, seules trois portent sur des entretiens intervenus après le prononcé de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, EU:C:2017:632). Il s’agit de deux entretiens avec l’ADA intervenus les 18 et 27 septembre 2017 et d’un entretien avec le BEUC intervenu le 20 décembre 2017. Les 32 autres entretiens se sont déroulés entre le 30 mai 2013 et le 26 juillet 2017, dont notamment 21 entretiens entre 2013 et 2015.
923 Le retard dans la transmission de certaines de ces notes, en particulier celles ayant été finalisées de nombreuses années après l’entretien en question, s’explique, en l’espèce, par les circonstances particulières de la présente affaire.
924 En effet, il ressort tout d’abord du dossier que, le 2 septembre 2016, Google avait demandé à la Commission de lui communiquer des notes reprenant complètement le contenu de toutes les discussions intervenues entre la Commission et des tiers en ce qui concerne l’objet de l’enquête. Dans sa réponse du 22 septembre 2016, la Commission avait indiqué qu’elle rejetait une telle demande en se prévalant à cet égard de la jurisprudence du Tribunal antérieure à l’arrêt de la Cour du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, EU:C:2017:632), dont notamment l’arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (T 286/09, EU:T:2014:547, point 619 et la jurisprudence citée).
925 Il ressort également du dossier que, le 15 septembre 2017, Google a réitéré sa demande en se prévalant, à cette occasion, du prononcé de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, EU:C:2017:632), et des précisions apportées par cet arrêt sur la notion d’entretien visant la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête.
926 Pour répondre à cette demande, la Commission a indiqué, le 28 février 2018, avoir contacté tous les tiers avec lesquels elle avait eu des réunions afin d’obtenir leur accord sur le contenu des discussions qui étaient repris dans les notes les concernant. Lesdites notes ont donc bien été finalisées, pour les 32 notes qui concernent les entretiens intervenus avant le prononcé de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, EU:C:2017:632), à la suite de la demande de Google faite le 15 septembre 2017.
927 En l’absence d’enregistrements réalisés au moment opportun des déclarations faites par les tiers lors des entretiens, la Commission s’est donc efforcée, comme l’expose le conseiller-auditeur dans sa lettre du 30 avril 2018 en réponse à une saisine de Google sur le traitement de ses demandes d’accès au dossier, de préparer des notes plus détaillées, mentionnant quand cela était possible les documents pertinents du dossier qui avaient déjà été communiqués à Google, ou reprenant du mieux possible les souvenirs des personnes présentes quand de tels documents n’étaient pas identifiables.
928 Il n’en demeure pas moins, comme le fait valoir Google, que certaines des notes qui lui ont été transmises ont été préparées non pas immédiatement ou peu après, mais parfois de nombreuses années après la réunion en question. C’est en cela qu’il y a lieu de considérer que la transmission d’une bonne partie des notes relatives aux réunions avec des tiers a été tardive.
929 Quant au caractère incomplet, il convient de relever que Google considère que seules 3 des 35 notes transmises par la Commission satisfont à ce qui est prescrit par l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 pour un entretien visant la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête. Il s’agit des notes relatives à l’entretien du 26 janvier 2015 avec une entreprise du secteur, à l’entretien du 28 mai 2015 avec une entreprise dont le nom n’a pas été communiqué à Google et à l’entretien du 18 septembre 2017 avec l’ADA.
930 Pour ce qui concerne les 32 autres notes, il y a lieu de considérer comme le fait valoir Google que celles-ci restent trop sommaires pour constituer un enregistrement d’un entretien visant la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête conformément à ce qui est prescrit par l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003. En particulier, pour autant que ces notes permettent d’identifier la teneur générale des discussions qui se sont tenues lors de ces entretiens, celles-ci restent encore, à elles seules, trop vagues ou insuffisamment détaillées quant à la teneur précise de ces discussions et à la nature des renseignements que ces tiers ont fournis pendant ces entretiens.
931 Dès lors, compte tenu du caractère tardif déjà relevé ci-dessus, il y a lieu de considérer, comme le fait valoir Google, que les 32 notes transmises en février 2018 qu’elle conteste sont trop sommaires. La reconstitution a posteriori du contenu des entretiens que la Commission a eus avec les tiers visant la collecte d’informations relatives à l’objet de l’enquête ou les références faites par la suite aux documents antérieurs ou postérieurs figurant au dossier d’instruction en ce qui concerne ces entretiens ne sauraient ainsi suffire à pallier l’absence d’un enregistrement en bonne et due forme.
932 Il ressort de ce qui précède qu’une bonne partie des notes transmises par la Commission le 28 février 2018 sont trop tardives et trop sommaires pour pouvoir constituer l’enregistrement d’un entretien au sens prescrit par l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003.
933 À l’avenir, il serait utile et approprié que l’enregistrement de chaque entretien de la Commission avec un tiers aux fins de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête soit effectué ou validé à l’occasion de la tenue de cet entretien ou peu après afin de faire partie du dossier le plus rapidement possible pour permettre à l’accusée, le moment venu, d’en prendre connaissance aux fins de l’exercice des droits de la défense.
934 En troisième lieu, s’agissant des conséquences qu’il convient de tirer des irrégularités procédurales concernant l’enregistrement des entretiens avec des tiers au sens prescrit par l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, il y a lieu de déterminer si, compte tenu des circonstances de fait et de droit spécifiques à la présente affaire, Google a démontré à suffisance qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de ces irrégularités. En effet, en l’absence d’une telle démonstration, aucune violation de ses droits de la défense ne saurait être établie.
935 Une telle démonstration serait effectuée lorsque le contenu des éléments de preuve non divulgués ne peut être ni déterminé ni être déterminable. Dans cette hypothèse, il ne saurait être exigé de l’entreprise la preuve insurmontable du contenu du document, notamment l’existence d’éléments de preuve à charge ou à décharge non divulgués. L’entreprise peut ainsi se limiter à faire état de la simple possibilité que les informations non divulguées auraient pu être utiles à sa défense (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C 110/10 P, EU:C:2011:687, points 59 à 62).
936 En revanche, lorsque le contenu des éléments de preuve auxquels l’accès a été restreint est déterminé ou est déterminable a posteriori, l’entreprise ne saurait être dispensée de rapporter la preuve qu’elle n’a pas eu accès à des éléments de preuve à charge ou à décharge ainsi que les conséquences qu’il convient d’en tirer eu égard à l’exercice de ses droits de la défense. Il en va ainsi lorsque l’entreprise dispose d’indices probants quant aux auteurs ainsi qu’à la nature et au contenu des documents qui ne lui ont pas été divulgués (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Solvay/Commission, C 110/10 P, EU:C:2011:257, point 37).
937 En présence d’éléments de preuve à charge non divulgués, il importe pour l’entreprise concernée de démontrer que la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent à supposer que ces éléments de preuve à charge eussent été divulgués (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C 204/00 P, C 205/00 P, C 211/00 P, C 213/00 P, C 217/00 P et C 219/00 P, EU:C:2004:6, points 71 et 73, et du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission, T 113/07, EU:T:2011:343, point 46).
938 Pour ce qui est des éléments de preuve à décharge, l’entreprise concernée doit établir qu’elle aurait pu utiliser de tels éléments pour sa défense, en ce sens que, si elle avait pu s’en prévaloir lors de la procédure administrative, elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission et aurait donc pu influer, de quelque manière que ce soit, sur les appréciations portées par cette dernière dans sa décision. Il s’ensuit que l’entreprise concernée doit établir, d’une part, qu’elle n’a pas eu accès à certains éléments de preuve à décharge et, d’autre part, qu’elle aurait pu les utiliser pour sa défense (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 97 et 98).
939 Or, en l’espèce, force est de constater que Google reste en défaut d’établir que, en l’absence des irrégularités procédurales relevées ci-dessus en ce qui concerne le caractère tardif et incomplet des notes transmises qu’elle conteste, elle aurait pu mieux assurer sa défense.
940 À cet égard, Google se borne à affirmer d’une manière générale qu’une retranscription fidèle de la teneur des échanges intervenus avec les tiers entendus lui aurait fourni des explications et des éléments de contexte en ce qui concernait les documents figurant au dossier de l’enquête et sur lesquels la Commission se serait fondée.
941 Or, premièrement, quant à la possibilité de déterminer a posteriori si des éléments de preuve n’ont pas été divulgués, il y a lieu de rappeler que, en l’absence d’enregistrements des entretiens, la Commission s’est néanmoins efforcée d’en reconstituer le contenu afin de permettre à Google d’exercer ses droits de la défense.
942 Il importe ainsi de relever que, au nombre des observations faites le 28 février 2018 en réponse à la demande de Google, la Commission indiquait, d’une part, ne pas avoir utilisé la moindre des notes transmises en tant que preuve à charge, que ce soit dans la communication des griefs ou dans la première lettre d’exposé des faits et, d’autre part, avoir fourni à Google toutes les preuves potentiellement à décharge fournies lors de chacune de ces réunions afin qu’elles puissent être utiles à la défense de cette dernière.
943 Il ne ressort pas de l’examen de la décision attaquée et du dossier dont le Tribunal a connaissance au titre de la présente procédure que des éléments dudit dossier soient de nature à remettre en cause les assurances fournies à cet égard par la Commission.
944 Deuxièmement, il y a lieu de constater que, pour 26 des 32 notes dont Google conteste le caractère complet, il est indiqué que le contenu des discussions intervenues lors de ces entretiens se retrouvent entièrement dans des documents spécifiques figurant au dossier d’instruction, auxquels Google, en réponse à une question du Tribunal, a reconnu avoir eu accès. 24 de ces 26 notes indiquent également que la Commission a obtenu la validation du contenu de la note auprès du tiers entendu, ce qui confirme la pertinence et l’exhaustivité des références faites aux documents figurant au dossier. En ce qui concerne les deux notes dont le contenu n’a pas pu être validé auprès du tiers entendu, l’explication y est indiquée : le premier de ces tiers n’existait plus et le second n’a pas répondu aux demandes répétées d’approbation présentées par la Commission.
945 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que, malgré les irrégularités procédurales qui concernent les enregistrements des entretiens, Google a pu obtenir de la Commission des indications sur la teneur des discussions intervenues lors de ces entretiens, en particulier quant à la nature des renseignements fournis à ces occasions sur les sujets qui y ont été abordés.
946 Or, eu égard aux indications fournies par la Commission et à ce qu’il était possible d’en déduire pour apprécier le contenu des entretiens, Google n’avance aucun argument circonstancié permettant de comprendre à quel titre elle aurait pu mieux assurer sa défense, y compris en ce qui concerne les entretiens qui se sont tenus avec les deux tiers pour lesquels il n’a pas été possible d’obtenir la validation du contenu des notes correspondantes.
947 Troisièmement, s’agissant des six notes restantes, lesquelles reproduisent de manière sommaire la teneur des échanges et ne renvoient à aucun document du dossier de l’enquête permettant d’en compléter le contenu, il y a lieu de relever ce qui suit.
948 La première note par ordre chronologique concerne un entretien intervenu le 2 juillet 2015 avec une entreprise du secteur. À cette occasion, ladite entreprise a pu présenter à la Commission ses vues sur les plateformes mobiles, y compris Android, ainsi que sur l’environnement concurrentiel dans lequel évoluaient ses applications et ses services.
949 Si aucun document du dossier n’est référencé dans cette note, il a toutefois été possible pour Google de la mettre en perspective avec les informations transmises en ce qui concerne deux autres entretiens, intervenus avec la même entreprise les 10 décembre 2014 et 12 janvier 2016 sur le même sujet. Or, les notes transmises à Google en ce qui concerne ces entretiens, lesquelles ont été validées par l’entreprise en cause, font état de documents figurant au dossier de l’enquête reprenant le contenu des discussions qui ont eu lieu à ces occasions, c’est-à-dire tant avant qu’après l’entretien précité. La position de cette entreprise dans le cadre de l’enquête était donc connue de Google.
950 En de telles circonstances, Google n’avance néanmoins aucun argument circonstancié permettant de comprendre à quel titre elle aurait pu mieux assurer sa défense dans la présente affaire.
951 La deuxième note a trait à un entretien intervenu le 15 juillet 2015 avec un prestataire de sécurité dont le nom n’a pas été communiqué à Google. Cet entretien a été l’occasion, ainsi que le précise la Commission dans sa note, laquelle a été validée par l’entreprise en question, de discuter des dynamiques du marché en ce qui concerne le SE Android. Ainsi qu’il ressort toutefois du contenu de cette note, les préoccupations exposées à l’occasion de cet entretien concernaient essentiellement les solutions de sécurité, à savoir un aspect du dossier qui n’est pas abordé dans la décision attaquée, et non les restrictions litigieuses examinées au titre des différents abus envisagés par la Commission.
952 De même, la troisième note a trait à un entretien intervenu le 28 octobre 2015 avec un prestataire de service de paiements. À cette occasion, ce prestataire a pu présenter à la Commission ses vues sur les dynamiques du marché relatives aux appareils mobiles et à leurs applications en ce qui concerne les systèmes de paiements mobiles. Il s’agit ici aussi d’un aspect du dossier qui n’est pas envisagé dans la décision attaquée.
953 En tout état de cause, au-delà de l’absence d’évidence du lien entre ces entretiens et les abus reprochés dans la décision attaquée, force est de relever que Google n’avance aucun argument circonstancié permettant de comprendre à quel titre elle aurait pu mieux assurer sa défense dans la présente affaire en l’absence des irrégularités procédurales concernant l’enregistrement de ces deux réunions au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003.
954 Les quatrième et cinquième notes ont trait à deux entretiens avec le BEUC en date des 1er février et 20 décembre 2017. La finalité de ces réunions était, pour le BEUC, d’obtenir de la part de la Commission des informations quant à l’avancée de l’enquête. L’objet même de ces réunions et leur résumé validé par le BEUC permettent ainsi d’exclure l’hypothèse d’une rétention par la Commission d’éléments de preuve.
955 La sixième et dernière note concerne des déclarations faites par l’ADA, une entité qui est intervenue au soutien de Google durant la procédure administrative, à l’occasion d’un entretien qui s’est tenu le 27 septembre 2017. Tout en étant rédigée en des termes généraux, il ressort clairement de cette note que l’ADA ne voyait aucune raison d’exiger de Google qu’elle change son comportement. De plus, le représentant de l’ADA a confirmé dans ladite note que la discussion avait porté sur des informations que l’ADA avait déjà transmises à la Commission. Il importe à cet égard de relever que Google n’allègue pas ne pas avoir eu accès à l’ensemble des pièces du dossier d’instruction transmises par l’ADA lors de la procédure administrative. Ces circonstances, tout comme la présence de l’ADA qui intervient au soutien de Google au titre du présent recours et son absence de tout commentaire à cet égard, permettent au Tribunal d’exclure l’hypothèse d’une rétention par la Commission d’éléments de preuve.
956 À cet égard, l’argumentation de Google, présentée dans la requête, selon laquelle il serait plausible que, à l’occasion des différents entretiens avec les développeurs d’application avec la Commission, ceux-ci aient tenu des déclarations à décharge qui ne seraient pas rapportées dans les notes transmises, ne saurait convaincre. En effet, du fait de l’intervention de l’ADA au soutien de Google au titre du présent recours et des nombreuses occasions offertes à cette partie comme à Google de préciser quelles auraient pu être de telles déclarations qui n’auraient pas été rapportées par la Commission, il y a lieu de considérer qu’une telle hypothèse n’est pas avérée.
957 Il ressort de ce qui précède, que, eu égard aux éléments retenus dans la décision attaquée ainsi qu’aux indications fournies par la Commission à Google lors de la procédure administrative, il n’y a pas lieu de considérer que la rédaction sommaire et le plus souvent tardive des notes relatives aux entretiens avec des tiers ait privé Google de l’accès à des éléments de preuve, à charge ou à décharge, qui auraient pu lui permettre de mieux assurer sa défense.
958 Partant, les irrégularités procédurales consistant en l’absence de retranscription fidèle des entretiens menés par la Commission avec des tiers ne sauraient, dans les circonstances particulières de l’espèce, avoir emporté la violation des droits de la défense de Google.
959 Cette conclusion n’est, par ailleurs, pas remise en cause par l’anonymat accordé par la Commission à certains tiers. Il importe, en effet, de rappeler que, en application de l’article 27 du règlement n° 1/2003, le droit d’accès au dossier ne s’étend pas aux informations confidentielles, dont peuvent relever, selon les circonstances d’espèce, des données personnelles des représentants des sociétés entendues et le nom des sociétés elles-mêmes dans le but de prévenir d’éventuelles représailles. Dans le cas d’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’anonymat accordé par la Commission et débattu devant le conseiller-auditeur ne soit pas le résultat d’une mise en balance correcte de deux intérêts contradictoires, celui de l’entreprise (et/ou ses représentants) entendue d’apparaître de manière anonyme et celui de Google d’obtenir suffisamment d’informations concernant les échanges intervenus.
960 De même, les arguments tirés du non-respect par la Commission du principe de bonne administration, de son manuel des procédures internes ainsi que de sa communication du 20 octobre 2011 doivent être rejetés comme inopérants. En effet, le Tribunal ayant conclu ci-dessus que l’irrégularité procédurale liée au contenu des notes en question ne constituait pas, dans le cas d’espèce, une violation des droits de la défense de Google, le constat d’un vice procédural supplémentaire, même avéré, en ce qui concerne l’établissement desdites notes et leur communication à Google, demeurerait sans incidence sur la question de savoir si, en l’absence de ladite irrégularité procédurale, Google aurait été en mesure de mieux assurer sa défense.
961 Par conséquent, la seconde branche doit être rejetée comme étant non fondée.
2. Sur la première branche du cinquième moyen, visant le refus d’une audition sur le test AEC
a) Arguments des parties
962 Google soutient que, au lieu de lui adresser des lettres d’exposé des faits, la Commission aurait dû adopter une ou plusieurs communications des griefs complémentaires et lui accorder ainsi à nouveau le droit à une audition. Cette audition aurait dû porter sur des aspects essentiels de l’affaire en ce qui concernait les APR par portefeuille et le test AEC. À cet égard, il ne pourrait pas être considéré que Google a renoncé à une audition dès le stade de la communication des griefs ou que les lettres d’exposé des faits n’ont fait qu’affiner l’évaluation provisoire contenue dans la communication des griefs.
963 La Commission fait valoir que Google a renoncé à son droit à une audition à la suite de la communication des griefs et que, dans la mesure où les lettres d’exposé des faits ne contiennent pas de nouveau grief, elle n’avait pas à transmettre de communication des griefs complémentaire. Les lettres d’exposé des faits concerneraient un comportement à l’égard duquel Google avait déjà eu la possibilité de soumettre ses observations. Dès lors, la Commission n’était pas tenue d’accorder à nouveau à Google le droit à une audition.
b) Appréciation du Tribunal
964 À titre liminaire, il y a lieu de relever que, en réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience de plaidoiries, Google a expressément reconnu, ce dont il a été pris note au procès-verbal de l’audience, que tout constat de violation de ses droits de la défense au titre de la première branche du cinquième moyen ne pourrait entraîner que l’annulation de la partie de la décision attaquée relative à l’abus procédant des APR par portefeuille.
965 La première branche du cinquième moyen constitue en effet le volet procédural du troisième moyen du recours, par lequel Google conteste le bien-fondé des motifs de la décision attaquée relatifs à la nature abusive des APR par portefeuille. Google prétend ainsi que la Commission a, durant la procédure administrative, violé ses droits de la défense en ne lui donnant pas la possibilité de s’exprimer oralement en temps utile sur des éléments essentiels de l’analyse concurrentielle des APR par portefeuille, en particulier le test AEC.
966 Il importe de rappeler que le respect des droits de la défense constitue un principe général du droit de l’Union qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief (arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service, C 265/17 P, EU:C:2019:23, point 28).
967 Ce principe est notamment transcrit à l’article 10 du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission, en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18 à 24). Cet article exige de la Commission, d’une part, qu’elle informe par écrit l’entreprise concernée des griefs soulevés à son égard et, d’autre part, qu’elle donne à cette entreprise la possibilité de l’informer par écrit de son point de vue sur ces griefs.
968 L’article 12 du règlement n° 773/2004 précise également que, dans ses observations écrites, une entreprise destinataire d’une communication des griefs peut demander à la Commission la tenue d’une audition afin de pouvoir développer ses arguments à l’oral.
969 Or, en l’espèce, dans sa réponse à la communication des griefs en date du 23 décembre 2016, Google a indiqué décliner son droit à une audition (« We therefore declined our right to such a hearing »). Dans cette réponse, Google indiquait en substance, manquer de temps pour préparer utilement une audition dans les locaux de la Commission, et ce dans des délais contraints.
970 Plus précisément, Google a souligné que, en raison de la réception, moins de trois semaines avant la date butoir de l’envoi de ses observations en réponse à la communication des griefs fixée au 23 décembre 2016, de près de 60 documents du dossier d’enquête et, un jour avant la date butoir, de deux documents, dont l’un particulièrement important relatif à la préinstallation d’un service de recherche générale concurrent sur des appareils Android, elle n’avait pas été en mesure de débattre, en temps utile, de l’opportunité de recourir à une audition. La renonciation, selon Google, de son droit à une audition se serait d’autant plus imposée que le conseiller–auditeur lui avait indiqué qu’elle se déroulerait à la fin du mois de janvier 2017, ne laissant à Google et à ses conseils qu’un mois pour préparer l’audition, qui plus est durant une période d’activité intense.
971 Partant, indépendamment des difficultés évoquées par Google pour décider, dans ce contexte singulier et à ce stade de l’enquête, de l’utilité de la tenue d’une audition, Google ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir organisé d’audition à la suite de la communication des griefs.
972 La question se pose dès lors de savoir si, après avoir décliné son droit à une audition le 23 décembre 2016 dans la réponse à la communication des griefs, Google était en mesure de faire valoir la nécessité de respecter ses droits de la défense pour pouvoir obtenir de la Commission en mai 2018, soit seize mois plus tard, la tenue d’une audition.
973 En l’état des dispositions matérielles relatives à l’exercice des droits de la défense, il s’avère en effet qu’une entreprise peut, sur le fondement de l’article 12 du règlement n° 773/2004, obtenir le droit à une nouvelle audition, dans l’hypothèse où la Commission adopterait une communication des griefs complémentaire.
974 Il ressort effectivement de l’article 11 du règlement n° 773/2004 que, dans ses décisions, la Commission ne peut retenir que les griefs sur lesquels l’entreprise concernée a eu l’occasion de présenter des observations. Un nouveau grief nécessite donc d’octroyer à nouveau la possibilité pour l’entreprise concernée de faire part de ses observations écrites et de demander la tenue d’une audition pour pouvoir développer ses arguments.
975 En l’espèce, toutefois, entre la réponse à la communication des griefs du 23 décembre 2016 et la décision attaquée du 18 juillet 2018, la Commission n’a pas adopté de communication des griefs complémentaire. En dehors des différentes mesures adoptées par la Commission à la suite de la réponse à la communication des griefs pour permettre à Google d’avoir accès au dossier, et notamment aux éléments de preuve obtenus par la suite, la Commission a choisi d’adresser des lettres d’exposé des faits à Google.
976 Ainsi, la Commission a adressé deux lettres d’exposé des faits à Google, l’une le 31 août 2017, l’autre le 11 avril 2018, sur lesquelles Google a eu la possibilité de faire part de ses observations écrites, respectivement le 23 octobre 2017 et le 7 mai 2018. Cette procédure excluait, selon la Commission, tout droit pour Google à l’organisation d’une nouvelle audition et fondait le rejet par le conseiller-auditeur, le 18 mai 2018, de la demande introduite en ce sens par Google, le 7 mai 2018.
977 À cet égard, il convient de rappeler que la communication des griefs constitue un acte de procédure préparatoire quant à la décision qui constitue le terme ultime de la procédure administrative. En conséquence, jusqu’à ce qu’une décision finale soit adoptée, la Commission peut, au vu notamment des observations écrites ou orales des parties, soit abandonner certains ou même la totalité des griefs initialement articulés à leur égard et modifier ainsi sa position en leur faveur, soit, à l’inverse, décider d’ajouter de nouveaux griefs, pour autant qu’elle donne aux entreprises concernées l’occasion de faire valoir leur point de vue à ce sujet (arrêt du 27 juin 2012, Microsoft/Commission, T 167/08, EU:T:2012:323, point 184).
978 La communication aux intéressés d’un complément de griefs n’est nécessaire que dans le cas où le résultat des vérifications amène la Commission à mettre à la charge de l’entreprise concernée des actes nouveaux ou à modifier sensiblement les éléments de preuve des infractions contestées et non lorsque la Commission remplit son devoir d’abandonner des griefs qui, au vu des réponses à la communication de griefs, se sont révélés mal fondés (voir arrêt du 27 juin 2012, Microsoft/Commission, T 167/08, EU:T:2012:323, point 191 et jurisprudence citée).
979 En revanche, dans le prolongement du paragraphe 111 de la communication de la Commission, du 20 octobre 2011, concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE (JO 2011, C 308, p. 6), opposable à la Commission, l’adoption d’une simple lettre d’exposé des faits ne se justifie que dans l’hypothèse où la Commission souhaiterait s’appuyer sur de nouveaux éléments de preuve corroborant les griefs d’ores et déjà étayés dans la communication des griefs. Aux fins de respecter le principe du contradictoire, la Commission porte à la connaissance de l’entreprise dont les pratiques sont l’objet de l’enquête ces nouveaux éléments et recueille, dans un délai qu’elle fixe, ses observations écrites. Le paragraphe 111 de ladite communication de la Commission ne mentionne rien sur la possibilité de faire également valoir des observations orales.
980 Il importe ainsi pour le Tribunal de vérifier que le choix par la Commission d’utiliser des lettres d’exposés des faits et la décision subséquente du conseiller-auditeur de refuser à Google la tenue d’une audition pour lui permettre de développer à l’oral ses observations sur les nouveaux éléments de preuve invoqués par la Commission ne constitue pas une violation des droits de la défense de cette entreprise au titre d’une procédure répressive visant à sanctionner un abus de position dominante.
981 Or, en l’espèce, si les lettres d’exposé des faits n’ajoutent formellement aucun grief à ceux figurant dans la communication des griefs, en ce que demeurent visées les pratiques abusives identifiées par la Commission dans cette dernière, force est toutefois de constater que, en réalité, les lettres d’exposé des faits complètent de manière substantielle la teneur et la portée du grief relatif à la nature abusive des APR par portefeuille, laquelle n’était pas suffisamment étayée dans le cadre de la communication des griefs et modifient donc sensiblement les éléments de preuve des infractions contestées.
982 Cela concerne, en particulier, le test AEC, qui, en l’espèce, a revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité des APR par portefeuille de produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, EU:C:2017:632, point 143).
983 En effet, alors que les points 718 à 722 de la communication des griefs ne comportaient qu’une analyse sommaire de la capacité d’un concurrent à égaler les paiements effectués par Google au titre des APR par portefeuille, ce n’est qu’à compter des lettres d’exposé des faits, dont la dernière a été transmise trois mois avant l’adoption de la décision attaquée, que Google a pu prendre pleinement connaissance du test et du raisonnement privilégié, en l’espèce, par la Commission. L’analyse quantitative de la capacité de concurrents d’égaler les paiements de Google au titre des APR par portefeuille figurant dans la communication des griefs ne pouvait être comprise qu’à la lumière d’une lecture combinée des première et seconde lettres d’exposé des faits.
984 Adoptée huit mois après la communication des griefs, la première lettre d’exposé des faits étaye l’analyse quantitative en modifiant en profondeur l’approche provisoirement retenue dans la communication des griefs.
985 Dans cette dernière, la Commission articulait l’ensemble de son analyse autour de deux éléments, à savoir l’impossibilité pour un concurrent de se réserver plus de 5 % des parts de requêtes de recherche sur appareils mobiles eu égard au pourcentage de requêtes de recherche captées, durant la période 2012-2015, par Google et la prétendue obligation, au titre des ADAM, de ne pas définir par défaut un moteur de recherche concurrent sur un navigateur tiers.
986 Or, dans la première lettre d’exposé des faits, la Commission a relativisé l’obligation, au titre des ADAM de définir par défaut les services de recherche de Google sur les navigateurs tiers. La Commission a également formulé pour la première fois l’hypothèse, reprise au considérant 1234 de la décision attaquée, selon laquelle un concurrent au moins aussi efficace que Google ne pourrait pas contester sur les appareils mobiles plus de 12 % des requêtes de recherche générale. À partir de cette nouvelle prémisse, la Commission a considéré qu’une application concurrente de Google Search ne pourrait capter, au plus, que [0-10] % des requêtes de recherche effectuées par les utilisateurs par l’intermédiaire de Google Search.
987 La première lettre d’exposé des faits modifie d’autant plus en profondeur l’approche retenue provisoirement dans la communication des griefs, que la Commission parvient, au sujet de la capacité d’un concurrent à égaler les paiements de Google au titre des APR par portefeuille, à un résultat manifestement plus nuancé que celui qu’elle envisageait initialement.
988 Alors qu’aux termes de la communication des griefs, la Commission soulignait qu’un concurrent devait, en toutes hypothèses, partager la totalité de ses revenus publicitaires pour égaler, non pour excéder, les paiements de Google, la Commission a indiqué, dans la première lettre d’exposé des faits, qu’un concurrent pourrait, s’il était défini par défaut sur un navigateur tiers, égaler, voire excéder les paiements les plus répandus de Google sans devoir partager la totalité de ses revenus.
989 Adoptée huit mois après la première lettre d’exposé des faits et trois mois avant la décision attaquée, la seconde lettre d’exposé des faits a également apporté des correctifs importants à l’analyse figurant dans la première lettre d’exposé des faits et, à plus forte raison, dans la communication des griefs.
990 Premièrement, après avoir obtenu des informations de Google, au sujet d’aspects contemporains de la communication des griefs, la Commission a exclu qu’un concurrent puisse vouloir partager des revenus publicitaires tirés de requêtes de recherche effectuées à partir de la page d’accueil du moteur de recherche, en ce que Google, elle-même, ne partageait pas lesdits revenus.
991 Deuxièmement, la Commission a intégré deux nouvelles variables au test AEC, à savoir l’impossibilité pour un concurrent d’obtenir la préinstallation de son application de recherche générale sur l’ensemble des appareils mobiles du portefeuille d’un FEO ou d’un ORM et l’obligation pour un concurrent de compenser la perte subie par les FEO et les ORM concernés eu égard aux revenus associés aux appareils mobiles déjà en circulation et couverts par les APR par portefeuille. Ces deux points apparaissent déterminants, en ce qu’ils permettent, pour la Commission, de relativiser la capacité d’un concurrent à égaler les paiements de Google dans l’hypothèse où les services de recherche concurrents seraient également définis par défaut sur un navigateur tiers.
992 Troisièmement, la Commission a procédé à l’ajout de certaines données financières relatives à Google, acquises non auprès de cette dernière, mais auprès d’un FEO. Il en va ainsi des coûts dits « opérationnels », chiffrés à hauteur de [10 20] % que la Commission mentionne pour la première fois dans la seconde lettre d’exposé des faits et extrapole à un concurrent hypothétiquement au moins aussi efficace que Google. Cette donnée demeure toutefois débattue par Google devant le Tribunal tant pour ce qui est de son montant que de la catégorie des coûts pertinents applicable au test AEC.
993 La Commission ne saurait à cet égard prétendre que Google a, dans ses observations en réponse à la première lettre d’exposé des faits, acquiescé à la prise en compte de telles données. Google indique seulement, en ce qui concerne le raisonnement de la Commission au sujet des APR par appareils, non par portefeuille, que les pourcentages de revenus partagés ne sont exprimés qu’en termes bruts, ces pourcentages étant réduits à hauteur de [10-20] %, sans pour autant préciser la nature d’une telle réduction. En tout état de cause, la Commission, sur qui repose la charge de la preuve des effets d’éviction reprochés, n’a nullement cherché à comparer lesdites données avec celles qu’auraient pu transmettre directement Google.
994 De même, contrairement à ce que la Commission prétend dans le mémoire en défense, les déclarations d’un FEO ainsi que les données contenues dans des documents transmis par ce dernier n’ont pas seulement été exploitées au titre de l’analyse des APR par appareils. Ces données ont en effet servi à compléter l’analyse de la Commission au titre des APR par portefeuille, ce qu’une simple lecture de la seconde lettre d’exposé des faits permet d’illustrer.
995 Il découle de ce qui précède que, en ne communiquant qu’au stade de la seconde lettre d’exposé des faits les données qu’elle entendait retenir pour conduire le test AEC, la Commission doit être considérée comme ayant ainsi substantiellement modifié la teneur du grief relatif aux APR par portefeuille.
996 La communication des griefs ne saurait en effet être perçue comme suffisamment étayée sur ce point crucial de l’analyse concurrentielle des APR par portefeuille pour qu’une audition, qui aurait dû être organisée au début de l’année 2017, puisse avoir été utile à Google. Ce n’est qu’à partir de la seconde lettre d’exposé des faits, transmise en avril 2018, à savoir trois mois avant l’adoption de la décision attaquée, que la communication des griefs a pu être suffisamment étayée et permettre ainsi à Google de prendre connaissance des aspects principaux et déterminants du test AEC envisagé par la Commission. Aussi, dans ce contexte particulier, la Commission, qui n’était soumise à aucune pression temporelle, aurait dû adopter une communication des griefs complémentaire.
997 En ayant transmis, en lieu et place d’une communication des griefs complémentaire, deux lettres d’exposé des faits, et en n’accordant pas la tenue d’une audition sur les observations présentées en réponse à ces deux lettres d’exposé des faits, la Commission a ainsi contourné le droit de Google à pouvoir développer ses arguments à l’oral sur ces observations et violé les droits de la défense de cette entreprise.
998 En effet, compte tenu de l’importance, dans le cadre d’une procédure répressive visant à sanctionner un abus de position dominante, de la tenue d’une audition, l’omission d’une telle audition a nécessairement vicié cette procédure, et ce indépendamment de la démonstration par Google que cette omission a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision attaquée (voir en ce sens, arrêt du 21 septembre 2017, Feralpi/Commission, C 85/15 P, EU:C:2017:709, points 45 à 47).
999 De plus, en tout état de cause, force est de constater que, eu égard à la nature du test AEC ainsi qu’à l’importance donnée audit test par la Commission afin d’apprécier la capacité des APR par portefeuille de produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces, Google aurait pu développer plus aisément à l’oral ses observations sur la conception de ce test, dont elle fournit, en annexe à la requête, une version alternative élaborée postérieurement à la décision attaquée par un cabinet d’économistes et conduisant à un résultat différent.
1000 Ce constat ne saurait être remis en cause par le fait que la Commission a permis à Google de présenter, par écrit, ses observations sur les première et seconde lettres d’exposé des faits. Si le contradictoire a été satisfait par écrit, la Commission n’a nullement cherché à permettre à Google de développer ses observations à l’oral comme cela aurait été exigé en cas d’adoption d’une communication des griefs complémentaire.
1001 L’intérêt d’une telle discussion à l’oral peut être illustré, par exemple, par la question des coûts à retenir aux fins de l’élaboration du test AEC. Sur ce point, en effet, les coûts imputés par la Commission à Google ont été extraits de documents transmis par un FEO, non corroborés par le biais d’une demande d’information à destination de la principale intéressée. La Commission s’est écartée, en substance, de ses orientations sur les abus d’éviction, aux termes desquelles, « [l]orsqu[e] [des données fiables] seront disponibles, la Commission utilisera les informations sur les coûts de l’entreprise dominante elle-même ».
1002 Une audition aurait ainsi permis à Google d’apporter à la Commission des précisions permettant de lever, à un stade plus précoce, certaines des ambiguïtés entourant l’élaboration du test AEC et d’en discuter directement avec celle-ci. En effet, la tenue d’une audition aurait conduit la Commission à débattre pleinement avec Google aux fins de circonscrire utilement les points de controverse, en fait et en droit. L’intérêt d’une audition ressort d’autant plus de la présente affaire, dans la mesure où les objections formulées par Google dans le présent recours conduisent le Tribunal, en raison de leur bien-fondé, à accueillir le troisième moyen du recours.
1003 Aussi, eu égard aux difficultés inhérentes à l’élaboration d’un test AEC, en présence d’une audition, Google aurait pu avoir une chance de mieux assurer sa défense et de convaincre la Commission de la nécessité de réévaluer plusieurs points de son analyse.
1004 Au demeurant, permettre à Google de développer à l’oral ses arguments sur les modifications substantielles apportées par la Commission aux éléments de preuve utilisés pour établir la nature abusive des APR par portefeuille aurait pu permettre à la Commission d’affiner son analyse.
1005 En conséquence, il convient d’accueillir la première branche du cinquième moyen du recours et d’annuler, sur ce fondement également, la décision attaquée en tant qu’elle qualifie d’abusifs les APR par portefeuille.
G. Sur les conséquences de l’examen des cinq premiers moyens et sur le sixième moyen
1006 Google fait observer que la décision attaquée impose l’amende la plus importante jamais infligée en Europe par une autorité de concurrence, à savoir 4 342 865 000 euros.
1007 Quel que soit ce montant, la finalité répressive et dissuasive des amendes infligées par la Commission pour sanctionner une infraction à l’article 102 TFUE oblige le Tribunal à veiller, en tant que tribunal impartial et indépendant, à l’effectivité du droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux quand il se prononce sur un recours intenté à l’encontre d’une sanction imposée par une autorité administrative exerçant également les fonctions d’enquête.
1008 Au titre du présent recours, Google conclut, d’une part, à l’annulation de la décision attaquée et, d’autre part, à défaut, à la suppression ou à la réduction de l’amende au titre de la compétence de pleine juridiction dont le Tribunal est investi.
1009 À l’issue de l’examen des cinq premiers moyens, il y a lieu d’apprécier les conséquences sur la décision attaquée des conclusions précédemment exposées. Dans la mesure où ces conséquences affectent l’amende, il y a également lieu de préciser dans quelle mesure l’appréciation du Tribunal à cet égard au titre de sa compétence de pleine juridiction tiendra compte de l’argumentation évoquée au titre du sixième moyen, qui concerne différents éléments pris en compte pour le calcul de l’amende.
1. Articulation des cinq premiers moyens avec le sixième moyen portant sur l’amende
1010 Dans le sixième moyen, divisé en trois branches, Google fait observer que, même si, contrairement aux arguments invoqués dans les cinq premiers moyens, le Tribunal confirme les appréciations de la décision attaquée relatives à l’existence d’une violation de l’article 102 TFUE, trois erreurs requièrent néanmoins la suppression ou la réduction substantielle de l’amende. Ainsi, du fait de ces erreurs, l’amende devrait être supprimée ou, à défaut, le Tribunal devrait exercer sa compétence de pleine juridiction pour en réduire substantiellement le montant.
1011 Dans ce contexte, Google soutient, premièrement, qu’elle n’a commis l’infraction ni de propos délibéré ni par négligence, deuxièmement, que la décision attaquée viole le principe de proportionnalité et, troisièmement, qu’elle contient d’importantes erreurs de calcul au regard de la mise en œuvre par la Commission de ses lignes directrices. À cet égard, Google allègue que la Commission a fait un mauvais calcul de la valeur des ventes pertinente, a appliqué un coefficient multiplicateur de gravité incorrect, a ajouté un montant additionnel injustifié et n’a pas tenu compte de différentes circonstances atténuantes, dont la durée limitée de certains comportements.
1012 La Commission conteste cette argumentation. La décision attaquée fixerait le montant de l’amende conformément aux lignes directrices et ce montant correspondrait à la gravité et à la durée de l’infraction unique et continue.
1013 Il ressort de ce qui précède que, si l’argumentation développée au titre du sixième moyen repose sur la prémisse selon laquelle le Tribunal valide l’analyse de la Commission contestée au titre des cinq premiers moyens, cette argumentation comporte néanmoins un certain nombre de griefs susceptibles d’être examinés en l’espèce par le Tribunal quand il exerce, de manière autonome, sa compétence de pleine juridiction.
1014 Pour cette raison, dans la mesure où cela s’avère pertinent et approprié pour cet exercice, il sera répondu à ces griefs dans l’examen qui suit.
2. Conclusions relatives à l’infraction à l’issue de l’examen des cinq premiers moyens
1015 Il résulte de l’examen des premier, deuxième et quatrième moyens, pour les aspects substantiels, ainsi que de la seconde branche du cinquième moyen du recours, pour les aspects procéduraux, que la Commission a établi le caractère abusif des premiers et deuxième aspects de l’infraction unique et continue qualifiés de premier à troisième abus distincts dans la décision attaquée. Il résulte, en revanche, de l’examen du troisième moyen et de la première branche du cinquième moyen du recours que, en ce qu’elle a considéré que le troisième aspect de cette infraction qualifié de quatrième abus distinct dans la décision attaquée constituait un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE, elle a violé les droits de la défense et entaché la décision attaquée de plusieurs erreurs d’appréciation.
1016 Il s’ensuit que les articles 1er, 3 et 4 de la décision attaquée doivent être annulés, en tant seulement qu’il y est constaté, à l’article 1er, que Google a commis une infraction unique et continue à l’article 102 TFUE constituée de quatre abus distincts, dont le quatrième consiste à avoir conditionné, dans le cadre de certains APR un partage de revenus avec des FEO et ORM à la préinstallation exclusive de Google Search sur un portefeuille prédéfini d’appareils et en tant que ce même quatrième abus est visé aux articles 3 et 4. Il s’ensuit également qu’il y a lieu de réformer l’article 2 de la décision attaquée, en tant qu’il y est infligé une amende sanctionnant la participation des sociétés Google et Alphabet à une infraction unique et continue à l’article 102 TFUE comprenant le quatrième abus.
1017 En l’espèce, en effet, la Commission n’a pas satisfait à son obligation d’analyser la capacité d’éviction de concurrents au moins aussi efficaces inhérente au quatrième abus, celui relatif aux APR par portefeuille (troisième aspect de l’infraction unique et continue). Le Tribunal ne peut donc se départir d’un doute en ce qui concerne la capacité des paiements en cause à restreindre la concurrence et, en particulier, à produire les effets d’éviction reprochés.
1018 Pour autant, et ce indépendamment du bien-fondé de leur qualification au regard de l’article 102 TFUE, il convient de rappeler que les APR par portefeuille – tout comme d’ailleurs les APR par appareils – ont, à juste titre, été pris en considération dans la décision attaquée, en tant qu’éléments du contexte factuel, pour apprécier les effets d’éviction entraînés par les premier et deuxième aspects de l’infraction unique et continue (qualifiés de premier, deuxième et troisième abus distincts dans la décision attaquée), dont le caractère abusif a été confirmé lors de l’examen des deuxième et quatrième moyens.
1019 En particulier, il y a lieu de rappeler que, indépendamment de la qualification des APR au regard du droit de la concurrence, les effets combinés des pratiques mises en place par Google lui ont permis de bénéficier, en ce qui concernait Google Search, d’une préinstallation exclusive couvrant, au moins jusqu’en 2016, plus de la moitié des appareils commercialisés dans l’EEE fonctionnant avec un SE dérivé d’Android (considérant 822 et note en bas de page n° 908 de la décision attaquée).
1020 En outre, il convient de rappeler que les ADAM prévoyaient que les appareils SMG étaient tenus de satisfaire aux normes techniques de compatibilité contenues dans le DDC, lesquelles étaient par ailleurs applicables aux FEO, pour l’ensemble de leurs appareils dont le SE était une version dérivée d’Android, en vertu des AAF, dont la conclusion était imposée comme un prérequis à la conclusion des ADAM. Ce lien entre le DDC et les ADAM a facilité la mise en œuvre de la stratégie globale voulue par Google. C’est donc à juste titre que la Commission a pris en compte le DDC pour apprécier les effets des ADAM sur les marchés des services de recherche générale.
1021 Ces éléments, circonstances factuelles pertinentes pour l’appréciation du caractère abusif des comportements reprochés à Google, établissent ainsi l’existence d’un lien entre le premier aspect de l’infraction unique et continue et les APR qui ont été conclus par Google tout au long de la période infractionnelle d’une part et entre les premier et deuxième aspects de l’infraction unique et continue d’autre part.
1022 L’examen des premier, deuxième et quatrième moyens du recours démontre, en outre, que les première et deuxième restrictions litigieuses s’inscrivaient dans une stratégie d’ensemble. Sur la base de ce constat, la Commission était fondée à estimer que le comportement des requérantes, consistant à assortir de conditions particulières l’utilisation du SE Android, d’une part, ainsi que de certaines applications et de certains services, d’autre part, devait être qualifié d’infraction unique et continue à l’article 102 TFUE (considérant 2 et article 1er de la décision attaquée).
1023 En effet, les abus constatés s’inscrivaient dans le cadre d’une stratégie globale, visant à anticiper le développement de l’internet sur les appareils mobiles, tout en préservant le modèle commercial propre à Google, lequel repose sur les revenus qu’elle retire essentiellement de l’utilisation de son service de recherche générale.
1024 Il convient de rappeler, à cet égard, que Google ne contredit pas les appréciations figurant dans la décision attaquée selon lesquelles son modèle commercial repose sur l’interaction entre, d’une part, des produits et des services liés à Internet proposés le plus souvent sans frais aux utilisateurs et, d’autre part, des services de publicité en ligne, dont elle tire la grande majorité de ses revenus. Ainsi, les revenus de Google sont essentiellement liés à l’audience de ses services de recherche générale en ligne, lesquels lui permettent de vendre les services de publicité en ligne d’où elle tire sa rémunération (considérant 153 de la décision attaquée).
1025 Dans le cadre de cette stratégie d’ensemble poursuivie par Google, la préservation de la position dominante qu’elle détenait, durant la totalité de la période infractionnelle, sur les marchés nationaux des services de recherche générale revêtait donc une importance déterminante, à laquelle les première et deuxième restrictions litigieuses ont contribué. En effet, ainsi qu’il ressort de l’examen du quatrième moyen, l’éviction de SE concurrents susceptibles de permettre à des services de recherche générale concurrents de Google Search d’être préinstallés, voire de bénéficier d’une exclusivité d’installation, concourrait également à ce même objectif.
1026 Enfin, il y a lieu de tenir compte du fait que les effets entraînés par la mise en œuvre de cette stratégie d’ensemble se sont insérés dans une situation factuelle où Google Search bénéficiait de facto, en vertu des APR conclus par Google, et ce indépendamment de leur qualification au regard du droit de la concurrence, d’une préinstallation exclusive couvrant, au moins jusqu’en 2016, plus de la moitié des appareils commercialisés dans l’EEE fonctionnant avec un SE dérivé d’Android (considérant 822 et note en bas de page n° 908 de la décision attaquée).
1027 Plus largement, il doit aussi être fait référence, à titre d’élément factuel à prendre en compte dans l’appréciation de l’ensemble des circonstances pertinentes, au fait que, tout au long de la période infractionnelle, Google disposait d’un accord avec Apple lui permettant d’avoir son moteur de recherche réglé par défaut sur tous les iPhones de ce FEO (voir considérants 118 et 119 de la décision attaquée). La présence de l’écosystème Apple, qui coexistait avec l’écosystème Android, dans le marché global des appareils mobiles intelligents n’était donc pas une menace concurrentielle significative pour Google en ce qui concernait les revenus engendrés par la publicité afférente aux services de recherche générale (voir, par exemple, considérant 515 de la décision attaquée).
1028 Par ailleurs, les pratiques abusives de Google ont notamment eu pour effet de priver les concurrents de la possibilité d’offrir sans entrave aux utilisateurs qui le souhaitaient des solutions alternatives au service de recherche générale Google Search (considérants 862 et 1213 de la décision attaquée). Ainsi, de manière générale, ces pratiques ont porté atteinte à l’intérêt des consommateurs de disposer de plus d’une source pour obtenir des informations sur Internet. Aussi, plus concrètement, ces pratiques ont également restreint le développement de services de recherche dirigés vers les segments des consommateurs qui attachaient un intérêt particulier, notamment, à la protection de la vie privée ou aux particularités linguistiques au sein de l’EEE. De tels intérêts étaient non seulement conformes à la concurrence par les mérites en ce qu’ils encourageaient l’innovation pour le bénéfice des consommateurs, mais aussi nécessaires pour garantir la pluralité dans une société démocratique.
1029 Il résulte de ce qui précède que, si les articles 1er, 3 et 4 de la décision attaquée doivent être partiellement annulés et l’article 2 de la décision attaquée réformé, en ce que la Commission n’a pas démontré le caractère abusif des APR par portefeuille, le constat d’une infraction unique et continue, s’inscrivant dans une stratégie globale, à laquelle ont contribué les premier et deuxième aspects de l’infraction unique et continue n’est en revanche entaché d’aucune illégalité. En conséquence, il revient au Tribunal de fixer lui-même, compte tenu de ce qui précède et de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce, le montant approprié de l’amende en exerçant sa compétence de pleine juridiction, ainsi que Google l’y invite dans le cadre de sa demande de réformation.
1030 Les conséquences à tirer d’une annulation partielle de la décision attaquée en ce qui concerne la détermination du montant de l’amende ont été spécifiquement évoquées et largement débattues avec les parties lors de l’audience.
1031 Le Tribunal estime opportun de rappeler au préalable que, dès lors que, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, il procède à une appréciation autonome des critères pertinents pour la détermination du montant de l’amende, il n’y a pas lieu de tirer de conséquences automatiques de cette annulation partielle concernant la définition de l’infraction unique et de ses composantes sur le montant de l’amende. En revanche, le Tribunal tiendra compte de tous les éléments de fait établis et des appréciations légalement opérées dans la décision attaquée qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur le caractère approprié du montant de l’amende.
3. Sur la réformation de l’amende
1032 Compte tenu de ce qui précède et conformément à la demande présentée en ce sens, il y a lieu de statuer, en application de la compétence de pleine juridiction reconnue au Tribunal par l’article 261 TFUE et par l’article 31 du règlement n° 1/2003, sur le montant de l’amende.
1033 La compétence de pleine juridiction habilite le Tribunal, au delà du simple contrôle de légalité de la sanction, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, compte tenu de toutes les circonstances de fait, afin, par exemple, de modifier le montant de l’amende, tant pour réduire ce montant que pour l’augmenter (voir, en ce sens, arrêts du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C 3/06 P, EU:C:2007:88, points 61 et 62, et du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C 534/07 P, EU:C:2009:505, point 86). Dans ces conditions, le Tribunal peut, le cas échéant, porter des appréciations différentes de celles retenues par la Commission dans la décision attaquée pour ce qui concerne la sanction infligée à Google.
1034 Cet exercice ne requiert pas du Tribunal qu’il applique les lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2016, Trafilerie Meridionali/Commission, C 519/15 P, EU:C:2016:682, points 52 à 55), même si ces règles indicatives peuvent éventuellement le guider (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C 603/13 P, EU:C:2016:38, point 90 et jurisprudence citée).
1035 Dans le cadre de son obligation de motivation, il incombe également au Tribunal d’exposer de manière détaillée les facteurs dont il tient compte en fixant le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2016, Trafilerie Meridionali/Commission, C 519/15 P, EU:C:2016:682, point 52).
1036 En l’occurrence, pour déterminer le montant de l’amende destinée à sanctionner la participation de Google à l’infraction unique et continue, telle que celle-ci ressort de l’annulation partielle de l’article 1er de la décision attaquée à l’issue de l’examen des cinq premiers moyens du recours, il y a lieu pour le Tribunal de tenir compte des circonstances suivantes.
a) Infraction commise de propos délibéré ou par négligence
1037 Il importe de déterminer si l’infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence. Cette distinction, envisagée par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, est en effet susceptible d’avoir une incidence sur le montant de l’amende.
1038 Les parties se prononcent sur ce point au titre de la première branche du sixième moyen.
1039 À cet égard, Google fait valoir que l’amende ne tient pas compte de l’absence d’intention ou de négligence de sa part. En effet, la décision attaquée n’apporterait aucune preuve relative à l’intention, les pratiques contestées intervenant avant que Google n’ait prétendument acquis une position dominante. De même, Google ne pourrait pas, en l’état notamment de la pratique antérieure et concomitante à la décision attaquée, avoir été « consciente » de la nature anticoncurrentielle de son modèle commercial ouvert, gratuit et intrinsèquement pro concurrentiel. Rien ne permettrait de savoir quand la Commission a modifié son appréciation.
1040 Pour sa part, la Commission soutient ne pas avoir à démontrer une intention d’exclusion pour conclure que l’infraction a été commise de propos délibéré. Il suffirait que Google n’ait pas pu « ignorer la nature anticoncurrentielle de son comportement ». En l’espèce, l’infraction était bien « destinée à renforcer » la position dominante de Google sur les marchés des services de recherche générale (considérants 858 à 860, 972 à 977 et 1140 de la décision attaquée). En outre, l’infraction aurait été commise à tout le moins par négligence, car Google connaissait les « faits essentiels » justifiant les conclusions de la décision attaquée concernant la position dominante et les abus.
1041 Il convient de rappeler que, selon l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger une amende lorsque, de propos délibéré ou par négligence, une entreprise commet une infraction aux dispositions de l’article 102 TFUE.
1042 Pour ce qui est de la condition tenant à la commission d’une infraction de propos délibéré ou par négligence, il ressort de la jurisprudence que la première hypothèse est remplie lorsque l’entreprise en cause souscrit à une pratique et la met en œuvre en toute connaissance de ses effets anticoncurrentiels sur le marché, sans qu’il soit requis qu’il soit démontré qu’elle ait ou non conscience, ce faisant, d’enfreindre les règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, point 45).
1043 Or, en premier lieu, il ne fait aucun doute que Google a, ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, mis en œuvre les pratiques en cause de propos délibéré, à savoir en toute connaissance des effets que ces pratiques allaient produire sur les marchés pertinents.
1044 En effet, Google ne pouvait raisonnablement ignorer détenir une position dominante ou un fort pouvoir sur les marchés des boutiques Android et des services de recherche générale. Google ne conteste au demeurant pas, dans le cadre du présent recours, avoir occupé, durant la période infractionnelle, sur les marchés des services de recherche générale une position dominante.
1045 Au-delà de sa position sur les marchés pertinents, Google poursuivait sciemment une stratégie de la « carotte et du bâton », selon les termes mêmes employés dans une présentation interne de Google et reprise par la Commission dans la décision attaquée (considérant 1343). La finalité affichée était, grâce aux ADAM, aux AAF et aux APR, indépendamment de la démonstration insuffisante dans la décision attaquée du caractère abusif des APR par portefeuille, de prévenir l’utilisation de versions alternatives non approuvées d’Android et de promouvoir l’utilisation des seuls services de Google, et ce dans l’objectif clair de protéger et de renforcer la position de Google sur les marchés des services de recherche générale (considérants 1343, 1350 et 1351). Les effets ayant justifié l’intervention de la Commission et l’adoption de la décision attaquée étaient d’autant plus recherchés qu’ils résultaient de stipulations contractuelles contenues dans les accords en cause conçus et élaborés par Google. Les déclarations des représentants de Google reprises dans la décision attaquée corroborent cette lecture, l’un d’eux précisant clairement que l’objectif était de prévenir les versions d’Android intégrant des services de recherche concurrents de Google (considérants 1344 et 1347 de la décision attaquée).
1046 Plus particulièrement, l’intention de Google de faire obstacle à tout développement du code source d’Android en privant les développeurs de fourches Android alternatives de débouchés commerciaux est incontestable, ainsi qu’il ressort de l’examen du quatrième moyen du présent recours. La volonté d’entraver le développement des fourches Android alternatives est comprise dans les différents objectifs poursuivis par les AAF, et ce quand bien même Google ferait valoir qu’elle y était contrainte pour assurer la survie d’Android. Il ressort par ailleurs de courriels internes cités dans la décision attaquée que cette stratégie visant à entraver le développement des fourches Android alternatives a été délibérément mise en place dès l’origine, pour empêcher les partenaires et les concurrents de Google de développer des versions d’Android autonomes (considérants 159 et 160 de la décision attaquée).
1047 En second lieu, Google ne saurait prétendre avoir ignoré les effets anticoncurrentiels des accords en cause au seul motif que ces derniers ont été mis en œuvre avant qu’elle n’acquière une quelconque position dominante. En effet, premièrement, indépendamment de sa position sur les marchés pertinents, force est de relever que Google a sciemment recherché les effets des accords en cause. Deuxièmement, elle ne pouvait tout autant ignorer leur nature anticoncurrentielle au moment où son pouvoir de marché a crû de manière substantielle. C’est donc bien à compter du moment où elle est devenue dominante que, comme l’a fait la Commission dans la décision attaquée, Google pouvait être sanctionnée pour avoir commis de manière intentionnelle une infraction à l’article 102 TFUE.
1048 De même, le simple constat que Google entendait, selon elle, poursuivre d’autres objectifs prétendument pro-concurrentiels, tenant au développement et à la protection de la plateforme Android, ne saurait remettre en cause le fait qu’elle a également, par les accords en cause, poursuivi une stratégie de la « carotte et du bâton », pour préserver et renforcer sa position, notamment sur les marchés des services de recherche générale, et limiter la présence sur ces marchés de ses concurrents, voire prévenir le développement de toute concurrence.
1049 Partant, Google ne saurait prétendre avoir mis en œuvre les pratiques en cause ni de manière autre que délibérée, ni sans avoir recherché les effets que ces dernières étaient susceptibles d’avoir et qui ont justifié l’adoption par la Commission de la décision attaquée.
1050 Ce constat ne saurait être remis en cause par les arguments de Google relatifs à l’incertitude quant à la qualification des pratiques en cause d’abusives à la lumière des pratiques jurisprudentielle et décisionnelle antérieures à la décision attaquée. Conduire cette analyse reviendrait en effet à vérifier si Google pouvait avoir conscience que son comportement emportait la violation de l’article 102 TFUE, ce qui est, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, indifférent. Seule importe, dans l’hypothèse d’une infraction commise de manière intentionnelle, la preuve de la mise en œuvre d’une pratique en toute connaissance des effets anticoncurrentiels qui en résulteraient sur le marché.
1051 Partant, comme l’a d’ailleurs considéré à juste titre la Commission, Google a commis l’infraction de propos délibéré. Le Tribunal tiendra compte de cette circonstance au titre de la détermination du montant de l’amende.
b) Prise en considération de la gravité et de la durée de l’infraction
1052 Dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, il appartient au Tribunal de déterminer le montant de l’amende en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Cet exercice suppose, en application de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, de prendre en considération la gravité de l’infraction commise ainsi que la durée de celle-ci, dans le respect des principes, notamment, de proportionnalité et d’individualisation des sanctions (arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C 603/13 P, EU:C:2016:38, point 90 et jurisprudence citée).
1) Prise en compte de la valeur des ventes en tant que donnée initiale
1053 À titre liminaire, s’agissant de la valeur des ventes réalisées par Google en relation avec l’infraction, laquelle permet à la Commission de déterminer le montant de base de l’amende à infliger en application de ses lignes directrices, le Tribunal tient à relever que s’il est pour lui de jurisprudence constante que la fixation d’une amende n’est pas un exercice arithmétique précis (arrêts du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T 11/06, EU:T:2011:560, point 266, et du 15 juillet 2015, SLM et Ori Martin/Commission, T 389/10 et T 419/10, EU:T:2015:513, point 436), l’utilisation d’une telle valeur est susceptible en l’espèce de donner une base de départ appropriée pour déterminer le montant de l’amende.
1054 Il s’avère effectivement opportun pour définir le montant de l’amende d’utiliser une méthodologie qui, comme celle suivie par la Commission, identifie, dans un premier temps, un montant de base susceptible, dans un second temps, d’être ajusté en considération des circonstances propres à l’affaire. À cet égard, la valeur des ventes en relation avec l’infraction reflète en l’espèce l’impact économique de l’infraction ainsi que l’importance de l’entreprise qui y a participé.
1055 C’est dans ce contexte que le Tribunal examinera les arguments présentés à l’encontre du montant pris en considération par la Commission au titre de la troisième branche du sixième moyen.
1056 Premièrement, Google reproche à la Commission d’avoir pris en compte la valeur des ventes réalisée en 2017, dernière année complète de participation à l’infraction, alors qu’elle aurait dû, plutôt, prendre en considération la valeur moyenne des ventes réalisées sur l’ensemble de la période infractionnelle. Une telle prise en compte serait justifiée par la croissance exponentielle des revenus de Google entre 2011 et 2017 due au passage des téléphones numériques aux smartphones et à l’augmentation corrélative de l’internet sur les appareils mobiles.
1057 La Commission souligne au contraire qu’il incombait à Google de démontrer que les ventes réalisées durant l’année 2017 ne reflétaient pas la réalité économique de l’infraction ainsi que sa taille et son pouvoir de marché. Le simple constat de la croissance de ses revenus entre 2011 et 2017 ne serait pas suffisant à cette fin.
1058 Il convient de rappeler que la prise en compte de la valeur des ventes dans le calcul du montant de base de l’amende vise à refléter la réalité et l’ampleur économique de l’infraction sanctionnée. La dernière année de participation à l’infraction comme période de référence pour le calcul de la valeur des ventes ne doit toutefois pas toujours être retenue, en particulier lorsque les ventes de l’entreprise réalisées durant la dernière année de participation à l’infraction ne permettent pas de refléter l’ampleur économique de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T 540/08, EU:T:2014:630, point 95).
1059 Cependant, le simple constat de la croissance importante des revenus de Google entre 2011 et 2017 ne suffit pas à établir que les revenus qu’elle a engendrés en 2017 ne reflètent pas la réalité économique, l’ampleur de l’infraction, la taille de cette entreprise et son pouvoir de marché. Au contraire, la nature unilatérale des pratiques sanctionnées par la Commission, ayant permis à Google entre 2011 et 2017 de renforcer sa position dominante et son pouvoir de marché et de freiner l’expansion de ses concurrents, voire de les exclure du marché ou de faire obstacle à des concurrents potentiels, justifie la prise en compte des revenus engendrés en 2017, année durant laquelle Google a pu récolter économiquement l’ensemble des fruits de ses pratiques mises en œuvre depuis 2011.
1060 Partant, le Tribunal estime approprié, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de tenir compte de la valeur des ventes réalisées par Google lors de la dernière année de sa participation complète à l’infraction.
1061 Deuxièmement, Google reproche à la Commission d’avoir comptabilisé dans la valeur des ventes pertinente des revenus ne présentant aucun lien avec l’infraction. Il en irait ainsi des revenus engendrés par Google à l’occasion des clics effectués par les utilisateurs sur les liens publicitaires à la suite de requêtes de recherche générale effectuées, non par l’intermédiaire des applications Google préinstallées, mais par l’intermédiaire de la page d’accueil de Google. Ces revenus n’auraient pas été concernés par les APR par portefeuille et Google était en mesure d’isoler ces revenus de ceux engendrés par le biais de requêtes effectuées par l’intermédiaire de ses applications.
1062 La Commission souligne au contraire l’importance de tenir compte de tels revenus, en ce qu’ils concernent l’infraction.
1063 À cet égard, il y a lieu de considérer que la valeur des ventes retenue dans le calcul du montant de base de l’amende se doit de présenter un lien direct ou, à tout le moins, indirect avec l’infraction sanctionnée, sauf à dénaturer la réalité et l’ampleur économique de cette infraction au stade de la détermination de sa sanction.
1064 Or, en l’espèce, les revenus engendrés par Google à l’occasion des clics effectués par les utilisateurs sur les liens publicitaires à la suite de requêtes de recherche effectuées non par l’intermédiaire des applications Google préinstallées, mais par l’intermédiaire de la page d’accueil de Google, présentent un lien, à tout le moins indirect, avec l’infraction. En effet, ainsi qu’il ressort à juste titre de la décision attaquée, les pratiques sanctionnées par la Commission ont permis à Google de maintenir et de renforcer sa position dominante et son pouvoir de marché sur l’ensemble des marchés nationaux de services de recherche générale, et à ce que ces recherches soient effectuées par l’intermédiaire d’une application préinstallée ou par l’intermédiaire de la page d’accueil de Google (considérant 1439 de la décision attaquée).
1065 En rendant l’utilisation et l’accès aux services de recherche concurrents plus difficiles et en captant les utilisateurs de tels services, les pratiques mises en œuvre par Google lui ont indirectement permis de bénéficier de revenus substantiels également par l’intermédiaire de sa page d’accueil. Le fait que les APR par portefeuille ne tiennent pas compte de tels revenus est à cet égard indifférent.
1066 Partant, le Tribunal juge approprié de ne pas exclure de la valeur des ventes retenue dans le calcul du montant de base de l’amende les revenus engendrés par les requêtes de recherche générale effectuées sur la page d’accueil de Google.
1067 Troisièmement, Google reproche à la Commission d’avoir, au titre de la valeur des ventes, pris en compte des revenus engendrés, non par elle, mais par des tiers. Il en irait ainsi des coûts d’acquisition de trafic, à savoir des paiements effectués par Google pour faire figurer ses liens publicitaires sur des sites Internet tiers.
1068 La Commission soutient, au contraire, que les coûts d’acquisition de trafic sont une partie intégrante des recettes de Google issues des publicités contextuelles dont ils représenteraient une composante du prix facturé aux annonceurs pour les services de Google.
1069 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003 vise, dans son libellé, le chiffre d’affaires total de l’entreprise concernée, sans aucune déduction (arrêt du 12 décembre 2012, Almamet/Commission, T 410/09, non publié, EU:T:2012:676, point 225).
1070 Or, en l’espèce, ainsi que le souligne à juste titre la Commission dans la décision attaquée, si les coûts d’acquisition de trafic sont bel et bien des coûts supportés par Google, en ce qu’ils constituent des dépenses volontaires de Google pour faire figurer ses liens sur des sites Internet tiers, lesdits coûts sont, en substance, facturés aux annonceurs, de sorte qu’ils constituent une composante des revenus de Google (considérant 1442 de la décision attaquée).
1071 Partant, contrairement à ce que prétend Google, les coûts d’acquisition de trafic ne sauraient être retranchés de la valeur des ventes. En effet, ces coûts sont sans incidence sur le montant brut des revenus obtenus par Google et reflètent de manière adéquate la réalité et l’ampleur économique de l’infraction sanctionnée.
1072 Dès lors, le Tribunal décide de prendre en considération pour la détermination du montant de l’amende la même valeur des ventes que celle qui a été retenue par la Commission dans la décision attaquée.
2) Prise en considération de la gravité
1073 Quant à l’appréciation de la gravité de l’infraction, il a notamment été jugé que celle-ci devait faire l’objet d’une appréciation individuelle et qu’il y avait lieu de tenir compte de tous les éléments de nature à entrer dans cette appréciation, tels que, par exemple, le nombre et l’intensité des comportements anticoncurrentiels (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, points 196 et 197 et jurisprudence citée).
1074 En l’espèce, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal estime tout d’abord approprié de prendre en considération les éléments suivants, qui sont également évoqués par la Commission dans ses lignes directrices, à savoir la nature de l’infraction, la situation de Google sur les marchés pertinents, l’étendue géographique de cette infraction et la mise en œuvre ou non de l’infraction.
1075 S’agissant de la nature de l’infraction, il ressort de l’analyse qui précède que la Commission a caractérisé à suffisance de droit plusieurs pratiques d’évictions abusives de la part de Google, lesquelles entravaient le jeu de la concurrence en évinçant ses concurrents au détriment des consommateurs. Ces pratiques sont liées aux conditions de préinstallation de l’ADAM et aux effets d’éviction entraînés par l’AAF et s’analysent au regard du contexte factuel pertinent pendant la durée de l’infraction.
1076 S’agissant de la situation de Google sur les marchés pertinents et de l’étendue géographique de l’infraction, il n’est pas contesté que, pendant toute la durée de l’infraction, Google a détenu une position dominante sur les marchés nationaux des services de recherche générale au sein de l’EEE. Ces marchés étaient ceux qui faisaient l’objet de la stratégie globale de Google, laquelle entendait conserver le pouvoir de marché qu’elle détenait sur les requêtes de services de recherche générale effectuées à partir d’un PC et sur les requêtes de services de recherche générale effectuées à partir d’un appareil mobile intelligent. Un tel constat n’est pas remis en cause s’il est tenu compte non pas seulement des requêtes de services de recherche générale effectuées à partir d’un appareil Android, mais aussi des requêtes de services de recherche générale effectuées à partir d’un iPhone.
1077 S’agissant de la mise en œuvre ou non de l’infraction, le Tribunal estime particulièrement nécessaire à cet égard, pour satisfaire aux principes de proportionnalité et d’individualisation des sanctions, d’apprécier le nombre et l’intensité des comportements anticoncurrentiels de Google.
1078 Un tel exercice se trouve facilité par l’examen attentif des effets concrets qui a été effectué par la Commission dans la présente affaire afin d’évaluer l’impact sur la concurrence par les mérites de la stratégie globale de Google et des différents moyens utilisés pour la mettre en œuvre.
1079 Le Tribunal note à cet égard que si, dans la décision attaquée, la Commission s’est limitée initialement à considérer que « les marchés pertinents pour l’infraction [étaient] d’une importance économique significative », ce qui signifiait que « n’importe quel comportement anticoncurrentiel sur ces marchés [était] susceptible d’avoir eu un impact considérable » (considérant 1449), elle a pris soin toutefois de préciser par la suite qu’une telle appréciation reposait sur les conclusions qu’elle tirait de l’analyse des effets restrictifs de concurrence effectuée dans la décision attaquée en ce qui concernait chaque comportement en cause (considérant 1455).
1080 L’appréciation portée par le Tribunal à cet égard découle de l’analyse exposée ci-dessus au titre des moyens correspondants en ce qui concerne les première et deuxième restrictions litigieuses. Cette analyse tient non seulement compte des effets d’éviction constatés par la Commission dans la décision attaquée, mais aussi des différents arguments évoqués par les parties en ce qui concerne l’intérêt du développement et de la maintenance du SE Android et de son « écosystème », lequel doit être considéré comme établi, ainsi qu’il résulte notamment des points 889 et 890 ci-dessus.
1081 À cet égard, à la suite de la prise en considération de l’ensemble de ces éléments, le Tribunal estime opportun d’indiquer qu’il considère que l’application d’un coefficient de gravité fixe de 11 % de la valeur des ventes déterminé par la Commission (considérant 1447 de la décision attaquée) ne traduit pas suffisamment la réalité de la mise en œuvre de l’infraction et en particulier son intensité au cours de la période concernée, s’agissant notamment, comme cela sera examiné par la suite, des comportements anticoncurrentiels de Google au cours des années 2012 à 2014.
3) Prise en considération de la durée
1082 Quant à l’appréciation de la durée de l’infraction, il convient de tenir compte des circonstances suivantes, qui ne sont, au demeurant, pas contestées par Google au titre du présent recours.
1083 D’une part, Google LLC a participé sans interruption du 1er janvier 2011 au 18 juillet 2018, date d’adoption de la décision attaquée, aux deux aspects suivants de l’infraction unique et continue : celui relatif au groupement de l’application Google Search avec le Play Store et celui relatif à la soumission de l’octroi d’une licence pour le Play Store et l’application Google Search à la condition de conclure un AAF.
1084 D’autre part, Google LLC a participé sans interruption du 1er août 2012 au 18 juillet 2018, date d’adoption de la décision attaquée, à un autre aspect de l’infraction unique et continue, à savoir le groupement de Google Chrome avec le Play Store et l’application Google Search.
1085 À la différence toutefois de la Commission, qui a utilisé un coefficient multiplicateur unique et global pour tenir compte de la durée de la participation de Google à l’infraction (considérant 1461 de la décision attaquée), la valeur des ventes prise en considération étant multipliée par ce coefficient de durée, le Tribunal considère qu’il est plus approprié dans la présente affaire de tenir également compte d’autres paramètres pour mieux représenter certaines particularités propres au déroulement dans le temps de l’infraction en considération notamment de son intensité variable.
4) Appréciation combinée en considération de l’intensité
1086 Dans son appréciation du montant de l’amende en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, le Tribunal estime préférable d’utiliser une autre technique que celle, arithmétique et linéaire, définie par la Commission en application de la méthodologie générale qu’elle s’est donnée dans les lignes directrices. Un tel choix est plus à même d’assurer, conformément aux principes de proportionnalité et d’individualisation des sanctions, qu’il sera dûment tenu compte des particularités de la présente affaire, sans pour autant que cela porte atteinte à la nécessité de parvenir à un niveau dissuasif satisfaisant.
1087 D’une part, il est approprié en l’espèce de prendre en considération la complémentarité des premiers abus. Ainsi qu’il ressort de l’analyse effectuée à cet égard, il s’avère que les pratiques abusives de Google au titre de sa stratégie globale se sont trouvées renforcées à compter du moment où tant l’application Google Search que le navigateur Chrome faisaient l’objet des conditions de préinstallation de l’ADAM. Ce faisant, Google s’assurait un avantage concurrentiel significatif sur les deux principaux points d’entrée pour effectuer une requête sur Internet, avantage concurrentiel qu’il était très difficile de compenser pour les concurrents de Google.
1088 D’autre part, il apparaît également nécessaire pour le Tribunal de tenir spécialement compte de l’intensité des comportements anticoncurrentiels au fil du temps ainsi que des autres éléments factuels entourant ces comportements évoqués dans la décision attaquée, tels que les APR. Plusieurs périodes peuvent être distinguées à cet égard :
– une première période exploratoire allant du 1er janvier 2011 au 1er août 2012, marquée par le déploiement de la stratégie globale voulue par Google pour assurer la transition vers l’Internet sur les appareils mobiles ;
– une deuxième période allant du 1er août 2012 à la fin des APR par portefeuille, le 31 mars 2014, durant laquelle l’intensité de l’infraction a été maximale parce que ses effets combinaient les aspects restrictifs de l’ADAM (pour les deux groupements) et de l’AAF, dans un contexte où l’exclusivité conférée par les APR par portefeuille réduisait d’autant les possibilités théoriques d’une préinstallation conjointe sur les appareils SMG ;
– une troisième période allant du 31 mars 2014 à la date d’adoption de la décision attaquée, où il peut être considéré que les concurrents bénéficiaient d’une plus grande marge de liberté avec les APR par appareils qu’ils n’en avaient sous l’empire des APR par portefeuille, mais où, en parallèle, il y a également lieu de tenir compte du développement des IPA qui aggravaient les effets d’éviction des AAF.
1089 Cette segmentation amène le Tribunal à tenir compte, dans la détermination du montant de l’amende, des circonstances suivantes.
1090 Tout d’abord, il est vrai, ainsi que le fait valoir Google au titre de la deuxième branche du sixième moyen, qu’il doit être tenu compte du fait qu’elle a spontanément mis fin aux APR par portefeuille, à compter du 31 mars 2014, pour les remplacer par des APR par appareils et que cela a nécessairement eu pour effet de diminuer le verrouillage conféré par la préinstallation exclusive de l’application Google Search et de Chrome sur certains appareils SMG commercialisés au sein de l’EEE.
1091 Or, l’utilisation de deux coefficients multiplicateurs fixes et globaux – l’un pour la gravité et l’autre pour la durée – ne permet pas de tenir compte de cette circonstance, tout comme d’ailleurs elle ne permet pas de tenir compte du fait que les conditions de préinstallation de l’ADAM n’ont envisagé Chrome qu’à compter du 1er août 2012.
1092 Ensuite, il doit aussi être relevé que les effets des pratiques en cause au titre de la deuxième période ont été particulièrement significatifs, ce dont il faut également spécialement tenir compte, dès lors que ces effets sont intervenus à un moment critique tant pour Google que pour ses concurrents, celui du développement de l’internet sur les appareils mobiles.
1093 À cette époque, cruciale pour le développement des services de recherche en ligne effectués à partir d’un appareil mobile intelligent, les pratiques abusives de Google ont été dommageables pour ses concurrents, pour lesquels il était particulièrement important d’être présents, ne serait-ce que sur de faibles quantités d’appareils. Ce point de vue a été exposé lors de l’audience de manière convaincante par les différents concurrents de Google intervenant dans la procédure.
1094 Au titre de la détermination du montant de l’amende, le Tribunal tiendra donc compte aussi bien de la durée respective des différents volets de l’infraction unique et continue que des différences qui existent entre les différentes périodes, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, pour apprécier l’intensité variable des effets de cette infraction.
c) Circonstances atténuantes ou aggravantes
1095 Le Tribunal estime que le contexte factuel de la présente affaire ne justifie pas de reconnaître à Google le bénéfice de circonstances atténuantes ou, au contraire, de tenir compte de circonstances aggravantes.
1096 S’agissant des arguments invoqués à ce propos au titre de la troisième branche du sixième moyen, il convient de souligner, tout d’abord, que Google ne saurait prétendre au bénéfice d’une réduction de l’amende en tant qu’elle aurait commis l’infraction par négligence. Ainsi que la Commission l’a, à juste titre, établi dans la décision attaquée, et ainsi qu’il ressort des points qui précèdent, Google a commis l’infraction de propos délibéré en ayant sciemment recherché les effets que les accords en cause étaient susceptibles d’avoir.
1097 De même, Google ne saurait exiger une réduction du montant de l’amende en contrepartie de sa prétendue coopération active durant la procédure administrative. Certes, Google a spontanément proposé des engagements pour répondre aux préoccupations de concurrence de la Commission. Toutefois, une telle proposition ne saurait, à elle seule, aller au-delà des obligations juridiques pesant sur Google de coopérer durant la procédure administrative et ne saurait, pour ce seul motif, justifier une réduction d’amende au titre de sa coopération active.
1098 Par ailleurs, le Tribunal ne considère pas qu’il soit nécessaire d’envisager d’autres circonstances factuelles susceptibles d’influencer à la baisse ou à la hausse le montant de l’amende.
d) Montant de l’amende et solidarité d’Alphabet
1099 Sur la base des considérations qui précèdent, notamment la mise en œuvre de façon délibérée, lors d’une période significative, d’une stratégie globale dont l’existence n’est pas remise en cause par les erreurs commises par la Commission affectant le troisième type de comportements examiné dans la décision attaquée et qui a eu des effets d’intensité variable au cours de la période infractionnelle, le Tribunal estime qu’il est fait une juste appréciation de la gravité de l’infraction et de la durée de celle-ci, au regard notamment du principe d’individualisation de la sanction, en fixant le montant de l’amende infligée à Google LLC à 4 125 000 000 euros au lieu de 4 342 865 000 euros.
1100 Par ailleurs, Alphabet, Inc. doit être tenue conjointement et solidairement pour responsable en tant que société mère du comportement infractionnel de Google LLC du 2 octobre 2015 au 18 juillet 2018 pour les raisons exposées dans la décision attaquée et non contestées au titre du présent recours (considérants 1388 et 1389 de la décision attaquée). En l’espèce, étant donné qu’Alphabet, Inc. a contrôlé Google LLC pendant 1013 jours sur les 2748 jours de l’infraction unique et continue, elle est condamnée conjointement et solidairement à payer la somme de 1 520 605 895 euros.
e) Caractère approprié de la sanction
1101 Le Tribunal considère qu’une amende à concurrence de 4 125 000 000 euros est appropriée au regard de l’importance de l’infraction. S’agissant des arguments invoqués à ce propos par Google au titre de la deuxième branche du sixième moyen, premièrement, il convient de relever que, contrairement à ce que prétend Google, la Commission n’était pas tenue, dans le cadre de son pouvoir de sanction, de faire preuve de modération pour tenir compte de la prétendue nouveauté des pratiques en cause. Il en est de même pour le Tribunal en pleine juridiction.
1102 Certes, la Commission conduit pour la première fois une analyse concurrentielle de la plateforme Android. Toutefois, les appréciations relatives aux marchés, à la position dominante occupée par Google sur ces derniers et les abus identifiés par la Commission dans la décision attaquée reposent sur des analyses bien établies en droit de la concurrence. Dans la décision attaquée, la Commission souligne à juste titre qu’elle sanctionne plusieurs accords, dont l’analyse révèle des situations classiques de ventes liées ou d’exclusivité entre opérateurs (considérant 1432 de la décision attaquée).
1103 Aussi la présente affaire ne saurait ainsi, contrairement à ce que prétend Google, être assimilée à celle ayant donné lieu à l’arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C 62/86, EU:C:1991:286), dans lequel la Cour a tenu compte de la sanction inédite de prix prédateurs pour réduire le montant de l’amende sans que cet aspect soit au demeurant le seul retenu à cette fin.
1104 Une lecture identique s’impose au regard de la décision 93/82/CEE de la Commission, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] (IV/32.448 et IV/32.450 – Cewal, Cowac, Ukwal) et de l’article 102 [TFUE] (IV/32.448 et IV/32.450 – Cewal) (JO 1993, L 34, p. 20) et sur laquelle Google se fonde. Certes, au considérant 116 de cette décision, la Commission a tenu compte du fait que la circonstance suivant laquelle les entreprises en cause pouvaient ne pas avoir connaissance de leurs obligations au titre du droit de la concurrence ou pouvaient avoir sous-estimé la gravité de l’infraction sanctionnée aurait pu avoir une conséquence sur la détermination du montant de l’amende.
1105 Toutefois, d’une part, en l’espèce, force est de relever qu’une entreprise de la taille de Google et détenant un pouvoir de marché substantiel sur les marchés visés dans la décision attaquée ne saurait ignorer ses obligations au titre du droit de la concurrence. D’autre part, il ressort clairement des documents internes et des déclarations de Google sur lesquels la Commission se fonde que Google avait pleinement conscience des effets des pratiques mises en cause dans la décision attaquée (considérants 1343 à 1347).
1106 En l’espèce, le Tribunal considère également que les comportements en cause faisaient pour les uns et les autres déjà l’objet d’une pratique décisionnelle antérieure de la part de la Commission, laquelle avait également déjà été contrôlée par le juge de l’Union, qu’il s’agisse de l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T 201/04, EU:T:2007:289), ou de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, EU:C:2017:632), qui ont tous les deux apportés des précisions sur les critères d’analyse à utiliser pour apprécier ces différents comportements. Il n’y a donc pas lieu de considérer que l’amende infligée serait disproportionnée parce qu’elle ne tiendrait pas compte de la prétendue nouveauté des pratiques en cause.
1107 Deuxièmement, Google prétend que son comportement était d’une gravité relative et a produit des effets pro-concurrentiels. L’amende infligée devait ainsi, selon Google, correspondre à la gravité de son comportement, mais ne pas aller au-delà.
1108 Il s’avère, à cet égard, que, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a pleinement tenu compte, au titre de la détermination de la gravité de l’infraction, de l’ensemble des circonstances entourant celle-ci, y compris les arguments évoqués par les parties en ce qui concerne le développement et la maintenance du SE Android et de son « écosystème », et ce afin d’assurer la conformité de l’amende au principe de proportionnalité.
f) Caractère suffisamment dissuasif de la sanction en considération de la taille de l’entreprise
1109 À l’instar de la Commission (considérant 1479 de la décision attaquée), il n’y a pas lieu pour le Tribunal dans la présente affaire d’augmenter spécifiquement l’amende en vue de lui conférer un caractère dissuasif.
1110 Le montant de l’amende déterminé par le Tribunal tient dûment compte de la nécessité d’imposer à Google une amende d’un montant dissuasif.
g) Conformité au plafond de 10 % du chiffre d’affaires total
1111 Le montant de l’amende auquel le Tribunal arrive au titre de la compétence de pleine juridiction qui lui est conférée par l’article 31 du règlement n° 1/2003 n’excède pas le montant prévu à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, dudit règlement, à savoir 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par Alphabet au cours de l’exercice social précédent.
1112 Cela se vérifie aussi bien en ce qui concerne l’exercice social de 2017, exercice social précédent l’amende infligée par la Commission, (considérant 1481 de la décision attaquée) qu’en ce qui concerne l’exercice social de 2021, dernier exercice disponible, ce chiffre d’affaires total étant en constante augmentation depuis 2017.
h) Conclusion sur la réformation
1113 Il ressort de ce qui précède que l’article 2 de la décision attaquée doit être réformé en ce sens que le montant de l’amende imposée à Google LLC pour l’infraction unique et continue visée à l’article 1er de la décision attaquée, dont Alphabet, Inc. est solidairement et conjointement responsable pour la période allant du 2 octobre 2015 à la date d’adoption de la décision attaquée, doit être fixé à 4 125 000 000 euros.
1114 Compte tenu des circonstances prises en considération par le Tribunal dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, il n’apparaît pas nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé des arguments présentés par Google en ce qui concerne le montant additionnel équivalent à 11 % de la valeur des ventes pertinentes effectuées en 2017 (voir considérants 1467 et 1468 de la décision attaquée), un tel paramètre n’ayant pas été pris en compte par le Tribunal au titre de cet exercice.
IV. Sur les dépens
1115 Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens. En l’espèce, il y a lieu de décider que les parties principales supporteront chacune la charge de leurs propres dépens.
1116 Aux termes de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider qu’une partie intervenante autre que celles mentionnées aux paragraphes 1 et 2 de cet article supporte ses propres dépens. En l’espèce, il y a lieu de décider que l’ADA, la CCIA, Gigaset, HMD, Opera, le BEUC, la VDZ, la BDZV, Seznam, FairSearch et Qwant supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Les articles 1er, 3 et 4 de la décision C(2018) 4761 final de la Commission européenne, du 18 juillet 2018, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire AT.40099 – Google Android), sont annulés en tant qu’ils visent le quatrième abus de l’infraction unique et continue, consistant à avoir conditionné la conclusion d’accords de partage de revenus avec certains fabricants d’équipement d’origine et opérateurs de réseaux mobiles à la préinstallation exclusive de Google Search sur un portefeuille prédéfini d’appareils.
2) Le montant de l’amende imposée à Google LLC à l’article 2 de la décision C(2018) 4761 final est fixé, pour l’infraction unique qu’elle a commise telle qu’elle résulte du point 1 ci-dessus, à 4 125 000 000 euros, auquel Alphabet, Inc., est tenue à concurrence d’un montant de 1 520 605 895 euros au titre de sa responsabilité conjointe et solidaire.
3) Le recours est rejeté pour le surplus.
4) Google et Alphabet supportent leurs propres dépens.
5) La Commission supporte ses propres dépens.
6) Application Developers Alliance, BDZV – Bundesverband Digitalpublisher und Zeitungsverleger eV, Bureau européen des unions des consommateurs (BEUC), Computer & Communications Industry Association, FairSearch AISBL, Gigaset Communications GmbH, HMD global Oy, Opera Norway AS, Qwant, Seznam.cz, a.s., et Verband Deutscher Zeitschriftenverleger eV supportent leurs propres dépens.