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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 14 mai 2008, n° 07/06879

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société DUARTE & CA LTD, S.A. KARINE

Défendeur :

S.A.R.L. FISO

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur Alain CARRE-PIERRAT

Conseillers :

Madame Dominique ROSENTHAL-ROLLAND, Madame Brigitte CHOKRON

Avoués :

SCP BASKAL - CHALUT-NATAL, SCP HARDOUIN

Avocats :

Me Anne-Judith LEVY,, Me Michel-Paul ESCANDE

Paris, du 30 Mars 2007

30 mars 2007

ARRET : - CONTRADICTOIRE

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Alain CARRE-PIERRAT, président et par Mme Jacqueline VIGNAL, greffier à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu l'appel interjeté le 17 avril 2007 par la société DUARTE & CA et par la société KARINE, d'un jugement rendu le 30 mars 2007 par le tribunal de commerce de Paris qui a :

- dit original et protégé par les droits d'auteur, le modèle FIFI de la société FISO exploitant sous l'enseigne PAUL & JOE,

- dit que la société DUARTE & CA et la société KARINE exerçant sous l'enseigne JONAK, en commercialisant un modèle contrefaisant, se sont rendues coupables de contrefaçon,

- condamné la société DUARTE & CA et la société KARINE à payer in solidum à la société FISO, la somme de 100 000 euros de dommages-intérêts au titre des préjudices subis du fait de la contrefaçon,

- prononcé l'interdiction à la société DUARTE & CA et à la société KARINE de l'importation, l'offre à la vente et la vente en France des produits contrefaisants et ce, sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée postérieurement à la signification du jugement, déboutant pour le surplus,

- ordonné la publication du dispositif du jugement, à charge in solidum de la société DUARTE & CA et de la société KARINE, dans cinq journaux, sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 4000 euros, déboutant pour le surplus,

- ordonné l'inscription par extraits du jugement sur la page d'accueil du site internet [...] et ce, pendant une durée de trois mois à compter de la signification du jugement, déboutant pour le surplus,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement sauf en ce qui concerne les publications et les destructions de stocks de produits contrefaits (sic),

- condamné la société DUARTE & CA et la société KARINE à payer in solidum à la société FISO la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens ;

Vu les ultimes conclusions, signifiées le 3 mars 2008, par lesquelles les sociétés DUARTE & CA et KARINE, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demandent à la Cour, statuant à nouveau, de :

- dire et juger que le modèle FIFI est dépourvu d'originalité,

en conséquence,

- dire et juger que la société FISO ne peut se prévaloir d'aucun droit d'auteur sur le modèle FIFI,

- dire et juger que la demande de cette dernière en réparation du préjudice commercial est irrecevable à tout le moins mal fondée en droit d'auteur,

- dire et juger qu'elles ne se sont rendues coupables d'aucun acte de contrefaçon,

- rejeter l'intégralité des prétentions de la société FISO,

subsidiairement,

- dire et juger que la société FISO n'a subi aucun préjudice commercial,

- réduire le quantum des dommages-intérêts à de justes proportions,

dans tous les cas,

- condamner la société FISO à payer à chaque concluante la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont le recouvrement pourra être poursuivi conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code ;

Vu les uniques conclusions signifiées le 11 novembre 2007, aux termes desquelles la société FISO, prie la Cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles concernant les dommages-intérêts alloués et les mesures de publication et, statuant à nouveau, de :

- condamner in solidum les sociétés DUARTE & CA et KARINE à lui payer les sommes de :

' 100 000 euros en réparation de l'atteinte portée à la valeur patrimoniale de ses droits d'auteur,

' 200 000 euros en réparation du préjudice commercial qui en découle,

- ordonner la publication de l'arrêt dans cinq journaux ou revues, français ou étrangers, de son choix et aux frais des appelantes condamnées in solidum à concurrence de 5000 euros par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages-intérêts complémentaires,

- ordonner l'inscription par extraits de l'arrêt sur la page d'accueil du site internet [...] et ce, pendant une durée de 6 mois à compter de la signification de l'arrêt,

- condamner in solidum les sociétés DUARTE & CA et KARINE à lui payer la somme complémentaire de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens qui comprendront les frais de constat et de saisie-contrefaçon dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code ;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

- la société FISO, qui déploie sous l'enseigne PAUL & JOE une activité de création, de fabrication et de commercialisation de chaussures de luxe, se prétend investie des droits d'auteur sur le modèle de sandale FIFI, créé pour sa collection automne-hiver 2004-2005,

- elle expose avoir découvert en mai 2005 l'offre à la vente, dans les boutiques à l'enseigne JONAK de la société KARINE, d'une paire de chaussures qui reproduirait les caractéristiques originales de son modèle,

- après avoir fait dresser procès-verbal de constat dans la boutique de la [...] le 27 mai 2005, elle a fait procéder le 13 juin suivant, dûment autorisée par ordonnance présidentielle, à une saisie-contrefaçon au siège de la société incriminée,

- au terme de ses opérations, l'huissier instrumentaire a pu constater que le modèle argué de contrefaçon, référencé 5209, avait été fourni par la société de droit portugais DUARTE & CA,

- dans ces circonstances, la société FISO a fait délivrer le 1er septembre 2005 assignation aux sociétés KARINE et DUARTE & CA devant le tribunal de commerce de Paris au grief de contrefaçon de droits d'auteur et en réparation des préjudices en résultant, tant au plan patrimonial qu'au plan commercial ;

Sur la protection au titre du droit d'auteur :

Considérant qu'en vertu de l'article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ;

Que ce droit est conféré, selon l'article L 112-1 du même Code, à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, que sont notamment considérées comme oeuvres de l'esprit, en vertu de l'article L 112-2-14°, les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits ;

Qu'il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale ;

Considérant en l'espèce, que les sociétés appelantes ne contestent aucunement à la société FISO la qualité d'auteur, condition de sa recevabilité à agir, du modèle de chaussures FIFI dont elle revendique la protection ; que cette qualité est en tout état de cause établie, en vertu de l'article L 113-1 de Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui, l'oeuvre est divulguée de sorte que, en l'absence de revendication de la ou des personnes physiques qui ont créé l'oeuvre, les actes d'exploitation font présumer à l'égard des tiers contrefacteurs, que celui qui exploite l'oeuvre est titulaire des droits de propriété incorporelle sur cette oeuvre ;

Qu'elles ne discutent pas davantage la date certaine de la création revendiquée, que la société FISO fixe au 21 juin 2004, date à laquelle elle l'a présentée à la vente auprès des professionnels ;

Qu'elles réfutent, par contre, au modèle en cause qui se réduit selon elles à la reprise d'éléments communément observés dans nombre de modèles antérieurs, toute prétention à accéder à la protection au titre du droit d'auteur ;

Qu'il importe dès lors de se livrer à la recherche nécessaire de l'originalité de ce modèle, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que l'oeuvre, objet de cette action, soit une oeuvre de l'esprit protégeable au sens de la loi, c'est à dire originale ;

Considérant que la société FISO caractérise sa création par la combinaison des éléments suivants :

- sandales à hauts talons compensés fendues sur le devant et comportant un contrefort au niveau du talon,

- l'avant de la tige est constitué par deux empiècements en forme de demi-cercle raccrochés l'un à l'autre dans leur deux-tiers inférieur par une petite pièce,

- chacun des empiècements présente sur son bord extérieur une succession de pointillés d'une couleur distincte de celle du corps de la chaussure, ainsi qu'en son centre, quatre larmes de taille croissante en partant de la pointe de la chaussure, celles-ci reprenant un contraste de couleur identique aux pointillés,

- le talon est de la même couleur que le reste de la chaussure,

- le contrefort comporte également sur son pourtour extérieur des pointillés selon un même effet de contraste de couleur et un passant permettant de faire coulisser une lanière destinée à entourer la cheville ;

Considérant que les sociétés appelantes lui opposent que la sandale à hauts talons compensés, ouverte sur le devant, munie d'une lanière date des années 30, que les deux empiècements en forme de demi-cercle se retrouvent à l'identique sur un modèle Christian Dior de 1978, que la superposition des deux couleurs est le propre de la chaussure de golf depuis que ce sport existe ;

Qu'elles produisent au soutien de leurs allégations :

- en date des années 1950, les modèles Joli Jeu, L'infernale, Le séducteur de Royal Marque, un modèle de Carlo Provasi outre divers modèles de l'espagnol de C. Cenna qui présentent certes, un talon compensé et une ouverture sur le devant mais pas de lanière pour ceinturer la cheville, ni empiècement en forme de demi-cercle, ni coloris juxtaposés,

- en date des années 1970, un soulier Christian Dior complètement fermé aux deux extrémités ainsi que des sandales Charles Jourdan et Bally qui donnent à voir un talon compensé, une lanière destinée à entourer la cheville, une ouverture sur le devant mais pas d'empiècement en forme de demi-cercle faisant apparaître une succession de pointillés et quatre larmes d'une couleur distincte,

- en date des années 1980 et 1990, des modèles Giuseppe Rotelli, Melluso,Plus, Kélian, dotés d'un talon aiguille, des modèles Lino Angelini sans talon, un modèle Visconti de couleur uniforme qui ne laisse apparaître ni pointillé ni découpage en forme de larme ;

Qu'elles produisent encore divers modèles dont elles ne communiquent ni la date de création ni l'identité de leur auteur et qui, en tout état de cause, à l'instar des précédents, ne comportent que l'un ou l'autre des éléments de la chaussure opposée ;

Qu'il s'ensuit de ces observations que les appelantes ne sont pas en mesure de présenter un modèle alliant les caractéristiques revendiquées tenant au talon, au contrefort, à la lanière, aux empiècements, au contraste des couleurs, à la succession de pointillés et de quatre larmes de sorte que, force est de constater qu'elles n'apportent aucunement la preuve de leur affirmation selon laquelle la création de la société FISO serait antériorisée de longue date ;

Or considérant que si certains des éléments qui composent le modèle de chaussure en cause sont effectivement connus et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l'univers de la chaussure, en revanche, leur combinaison telle que revendiquée, dès lors que l'appréciation de la Cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments propres à ce modèle et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, confère au modèle litigieux une physionomie propre le distinguant des autres modèles du même genre qui traduit un effort créatif et un parti-pris esthétique portant l'empreinte de la personnalité de leur auteur ;

Que le jugement déféré mérite confirmation pour avoir jugé le modèle de chaussure FIFI digne d'être protégé au titre du droit d'auteur ;

Sur la contrefaçon :

Considérant qu'il résulte de l'examen comparatif des modèles opposés, auquel la Cour a procédé, que la chaussure commercialisée par la société KARINE sous la référence 5209 reproduit à l'identique le modèle FIFI et en constitue la copie servile ;

Que la contrefaçon, définie en droit par la reproduction de l'oeuvre faite sans le consentement de l'auteur est en l'espèce caractérisée, ainsi que l'a relevé avec raison le tribunal, tant à la charge de la société DUARTE & CA que de la société KARINE qui ont respectivement fabriqué et commercialisé le produit contrefaisant ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que la société FISO fait grief aux sociétés contrefactrices d'avoir atteint à ses droits patrimoniaux d'auteur et de lui avoir causé un préjudice commercial résultant des ventes manquées ;

Considérant que la société KARINE, qui fait valoir qu'elle n'a offert à la vente les articles incriminés qu'à compter du mois de mai 2005 pour la saison printemps-été 2005, conteste le préjudice allégué par la société FISO au motif que les modèles opposés n'auraient pas été commercialisés en même temps ;

Or considérant que le catalogue PAUL & JOE de la collection automne-hiver 2004-2005 confère une place privilégiée au modèle FIFI qu'il expose à de multiples reprises, que les publications dans la presse féminine justifient tant des investissements promotionnels consacrés à ce produit que du succès qui lui a été réservé par la clientèle, que les opérations de saisie-contrefaçon ont établi, au vu de quatre factures communiquées à l'huissier, que la société KARINE, qui dispose à Paris d'un réseau de 13 boutiques à l'enseigne JONAK, a commandé à son fournisseur, la société DUARTE & CA, un minimum de 500 paires de chaussures contrefaisantes , déclinées en trois coloris, pour un coût total de 11 750 euros, qu'il est constant que chacune de ces paires a été proposée à la vente au prix de 75 euros, contre le prix de 350 euros pour le modèle FIFI, qu'aucun élément du dossier ne permet d'affirmer avec les sociétés appelantes que la commercialisation du modèle contrefait devait cesser en février 2005, au terme de la saison d'hiver ;

Qu'il s'ensuit que l'offre à la vente massive d'articles de contrefaçon à un moindre prix a, en banalisant le modèle original dont le succès auprès de la clientèle est avéré, porté atteinte à sa valeur patrimoniale, que de surcroît, le caractère servile des copies réalisées a nécessairement contribué à avilir ce modèle et à le déprécier aux yeux de la clientèle dont une partie s'est inéluctablement détournée ;

Considérant qu' en l'état des ces éléments d'appréciation le tribunal a raisonnablement évalué à 100 000 euros l'indemnisation du préjudice résultant pour la société FISO tant de l'atteinte portée à la valeur patrimoniale de son modèle que des ventes manquées à raison des actes de contrefaçon commis par les sociétés appelantes ;

Considérant que la mesure d'interdiction prononcée par les premiers juges, justifiée pour mettre un terme aux agissements illicites doit être confirmée, de même que la mesure de publication sur Internet sauf à préciser qu'elle fera mention du présent arrêt ; qu'il y a lieu, s'agissant des publications dans la presse écrite, de réformer et de compléter les dispositions du jugement entrepris en ordonnant qu'elles seront effectuées dans trois revues au choix de la société FISO et à la charge in solidum des sociétés appelantes dans la limite de 3500 euros H.T.par insertion ;

Considérant que le sens de l'arrêt commande de rejeter la demande des sociétés appelantes formée au fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que ces dispositions doivent par contre, en équité, bénéficier à la société intimée à laquelle sera allouée une indemnité complémentaire de 10 000 euros ;

Que les dépens de première instance et d'appel en ce compris le coût des procès-verbaux de constat et de saisie-contrefaçon seront, sous le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code précité, supportés in solidum par les sociétés KARINE et DUARTE & CA qui succombent à l'instance ;

PAR CES MOTIFS

Réformant le jugement déféré du seul chef de la mesure de publication dans la presse écrite et le confirmant pour le surplus sauf à préciser que la mesure de publication sur Internet fera mention du présent arrêt,

Statuant à nouveau,

Ordonne la publication du présent arrêt dans trois revues au choix de la société FISO et aux frais, in solidum, des sociétés KARINE et DUARTE & CA, dans la limite d'un coût de 3500 euros H.T.par insertion,

Y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés KARINE et DUARTE & CA à payer à la société FISO une indemnité complémentaire de 10 000 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Les condamne in solidum aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront le coût des procès-verbaux de constat et de saisie-contrefaçon et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code précité.