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Décisions

Cass. crim., 19 janvier 2000, n° 98-87.690

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. GOMEZ

Paris, du 08 oct. 1998

8 octobre 1998

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 et 10 du Code de procédure pénale, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué, tout en constatant que la plainte avec constitution de partie civile de M. A... ayant été déposée le 28 septembre 1993, il convenait de ne retenir dans la prévention que les faits commis à compter du 28 septembre 1990 jusqu'au décès de Mme Z..., a néanmoins visé dans sa décision des faits antérieurs au 28 septembre 1990, et des faits non datés, de sorte qu'il est impossible à la chambre criminelle de s'assurer que la déclaration de culpabilité s'appuie uniquement sur des faits intervenus entre le 28 septembre 1990 et le décès de Mme Z... " ;

Attendu que l'arrêt attaqué, s'il mentionne des faits commis par le prévenu antérieurement au 28 septembre 1990, énonce, d'une part, que " la période non couverte par la prescription et visée à la prévention, se situe entre le 28 septembre 1990 et le 18 juin 1992 ", d'autre part, que " les sommes d'argent indûment obtenues pendant cette période ne sauraient être inférieures à 1 800 814 francs, sommes exactement visées à la prévention " ;

Qu'en l'état de ces énonciations, l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 400 du Code pénal applicable au moment des faits et 312-1 du nouveau Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande du demandeur tendant à ce que les faits soient examinés au regard des dispositions de l'article 400 ancien du Code pénal ;

" aux motifs que (...) le prévenu demande que les faits soient examinés au regard des dispositions de l'article 400 du Code pénal ancien ; que la Cour relève que l'article 312-1 du Code pénal immédiatement applicable ne contient pas des dispositions plus sévères que celles de l'article 400 de l'ancien Code pénal, de sorte que l'article 312-1 est donc d'application immédiate ;

" alors qu'ainsi que le soulignait le demandeur dans ses conclusions, s'il est exact que les dispositions de l'article 312-1 du nouveau Code pénal applicable depuis 1994, contient des dispositions répressives plus douces en ce qui concerne la peine d'emprisonnement prévue, mais des dispositions plus sévères, en revanche en ce qui concerne la peine d'amende, il est patent que ce nouvel article prévoit une incrimination plus large que l'article 400 applicable au moment des faits puisqu'il sanctionne non seulement l'extorsion d'une signature, d'un engagement, d'une renonciation, d'une remise de fonds ou de valeur, tout comme l'article 400 mais également l'extorsion de " la révélation d'un secret " et, plus encore d'un " bien quelconque ", incrimination tellement générale qu'elle dépasse largement les divers engagements prévus à l'ancien article 400, de sorte que l'arrêt attaqué ne pouvait, sans à tout le moins répondre aux conclusions du demandeur sur ce point, se contenter d'affirmer, pour justifier l'application de l'article 312-1 du nouveau Code pénal, qu'il contenait des dispositions moins sévères que l'ancien article 400 " ;

Attendu que le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel a rejeté la demande présentée par le prévenu tendant à l'examen des faits sur le fondement de l'article 400 ancien du Code pénal, dès lors que les faits reprochés et la peine prononcée entrent dans les prévisions tant de l'article 400, alors en vigueur, que de l'article 312-1 du Code pénal applicable à compter du 1er mars 1994 ;

Que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 312-1 du nouveau Code pénal, de l'article 400 de l'ancien Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain X...coupable d'extorsion de fonds au préjudice de Mme Z... ;

" aux motifs qu'il convient d'une part d'observer qu'à aucun moment de la procédure Alain X...n'a établi l'existence du remboursement du prétendu prêt de 800 000 francs ; que, d'autre part, il n'a été retrouvé, ni dans le train de vie de Mme Z..., ni dans d'autres écritures, bancaires ou autres traces, l'utilisation des retraits atteignant 13 565 000 francs effectués par Alain X...pour le compte de Mme Z... ; qu'il convient, par ailleurs, de relever que les assertions d'Alain X...selon lesquelles Mme Z... aurait reçu de la part de lui et de sa famille des soins attentifs sont en contradiction avec les constatations opérées par les services médicaux qui se sont occupés de Mme Z... ; qu'en effet, lors de son hospitalisation en urgence à l'hôpital de Montreuil le 31 mai 1992, il est noté que Mme Z... vivait dans son appartement dans un état précaire pseudo grabataire, qu'elle criait constamment, l'entourage devant appeler fréquemment les pompiers, venus 3 fois cette nuit là ; que depuis plusieurs jours, personne ne venait la voir et l'appartement était dans un état repoussant ; que ces éléments témoignent ainsi à l'évidence d'une grande solitude et d'un grand dénuement physique, matériel et moral, en tout cas dans la dernière période de sa vie à Vincennes ; qu'il est également inexact de prétendre que Mme Z... était abandonnée de sa famille, puisque Alain X...a lui-même reconnu avoir été en rapport avec le neveu de la victime, M. A..., plus particulièrement pendant l'année qui a précédé la mort de Mme Z... ; qu'il précisait même l'avoir appelé par téléphone lorsqu'il y avait un problème ; qu'il est enfin incontestable que l'état de santé de Mme Z... était très déficient depuis plusieurs années ; que non seulement les docteurs D...et E... ont affirmé que Mme Z... n'avait plus aucune lucidité et n'était plus en état de gérer sa fortune pendant les deux dernières années de sa vie, mais le docteur B..., qui a examiné la patiente au centre hospitalier Berthélémy Durand à Etampes, a conclu qu'elle était atteinte de démence sénile évoluant depuis probablement plusieurs années et que cet état altérait ses facultés mentales et l'expression de sa volonté ; que le docteur C... qui a soigné cette patiente à la résidence d'Angivilliers, certifie également que l'état de Mme Z... nécessitait son placement sous protection judiciaire ; qu'enfin, le docteur Y..., qui a hospitalisé Mme Z... le 31 mai 1992, indique que cette personne très âgée était dans un état physique d'incurie évoluant " probablement " depuis plusieurs mois ou plusieurs années ; qu'Alain X...devait lui-même admettre dans une déposition faite aux services de police le 4 janvier 1994, avoir bien eu conscience de la nécessité de Mme Z... de partir en maison de retraite ; qu'il précisait que cette dernière avait même causé un début d'incendie à son appartement, un rideau s'étant enflammé alors qu'elle avait laissé le gaz allumé ; qu'il ne pouvait, dès lors, ignorer l'état pathologique et de dépendance certain de Mme Z... et il ne peut sérieusement soutenir que les sommes considérables obtenues de Mme Z... pendant cette même période avaient été consenties par une personne lucide et en possession de toutes ses facultés ;

" que la Cour considère au contraire que ces sommes ont été obtenues sous la contrainte morale exercée par le prévenu à l'égard d'une personne dont l'âge très avancé, entre 89 et 91 ans au moment des faits, et la condition physique et intellectuelle très déficiente, plaçait dans un état de dépendance manifeste ne lui permettant plus d'exercer sa volonté librement ; que c'est en toute connaissance de cause qu'Alain X...a exploité pendant plusieurs années l'esprit affaibli de Mme Z... pour déterminer son consentement à la signature de chèques et attestations et se faire remettre des sommes d'argent considérables, commettant ainsi le délit d'extorsion de fonds sous la contrainte ; qu'en conséquence, la Cour infirmant la décision de relaxe des premiers juges, l'en déclarera coupable, précisant que la période non couverte par la prescription et visée à la prévention, se situe entre le 28 septembre 1990 et le 18 juin 1992 ; que les sommes d'argent indûment obtenues pendant cette période ne sauraient être inférieures à 1 800 814 francs, sommes exactement retenues à la prévention ; que s'agissant de la peine, la Cour considère que la situation sociale des personnes âgées impose, en raison même de leur fragilité et de leur fréquent isolement, une protection plus exigeante de l'ordre public ; qu'ainsi, l'infraction dont s'est rendu coupable Alain X...au détriment de Mme Z..., dont la vulnérabilité a été établie, impose une sanction sévère appropriée à la gravité des faits commis ;

" alors que, d'une part, s'il est constant que Mme Z..., à la fin de sa vie, a largement gratifié la famille X...pour l'aide affective et matérielle qu'elle lui apportait, l'arrêt attaqué ne caractérise nullement la contrainte qui aurait été exercée par Alain X...sur Mme Z... pour obtenir les libéralités qu'elle a consenties ;

" qu'en particulier, le rappel par la Cour d'un prétendu prêt de 800 000 francs dont Alain X...n'aurait pas justifié le remboursement est inexact, le prêt consenti au demandeur, totalement remboursé, ayant été de 80 000 francs, ainsi qu'il en a été justifié tant devant les premiers juges que devant la Cour ;

" que la déclaration d'Alain X..., selon laquelle il avait " conscience de la nécessité de Mme Z... de partir en maison de retraite ", qui témoignait de l'intérêt porté par le demandeur à Mme Z..., était exclusif de son propre intérêt, lequel, à suivre l'accusation aurait été que cette dernière soit maintenue à son domicile, ne saurait justifier l'élément intentionnel de l'infraction reprochée ;

" que de même, l'affirmation qu'Alain X...aurait " en toute connaissance de cause exploité Mme Z... pour déterminer son consentement... " ne justifie pas davantage l'élément intentionnel, pas plus qu'il ne démontre l'existence d'un lien entre la prétendue contrainte morale exercée et la remise des fonds et l'exigence de la constatation que les libéralités n'auraient pas eu lieu en dehors de cette contrainte ;

" et alors que, d'autre part, la Cour qui, pour justifier l'état de santé de Mme Z... et partant la prétendue contrainte morale dont elle a été victime, s'est fondée uniquement sur des rapports d'expertises médicales et notamment sur une expertise effectuée, ainsi que le soulignait le demandeur dans ses conclusions, plusieurs mois après le décès de Mme Z..., par un médecin ne l'ayant jamais rencontrée, à partir d'un dossier médical dont l'information avait démontré qu'il avait curieusement disparu, n'a pas caractérisé l'état de faiblesse de Mme Z... au moment des gratifications qu'elle a accordées aux X..., outre qu'elle a manifestement omis de répondre à des arguments des conclusions du demandeur, essentiels puisque de nature à faire disparaître un des éléments constitutif de l'infraction, privant ainsi sa décision de base légale " ;

Attendu que, pour déclarer Alain X...coupable d'extorsion de fonds par force, violence ou contrainte, les juges énoncent que les sommes ont été obtenues sous la contrainte morale exercée par le prévenu à l'égard d'une personne que son âge très avancé, entre 89 et 91 ans au moment des faits, et sa condition physique et intellectuelle, très déficiente, plaçaient dans un état de dépendance manifeste ne lui permettant plus d'exercer sa volonté librement ; qu'ils ajoutent que c'est en toute connaissance de cause qu'Alain X...a exploité pendant plusieurs années l'esprit affaibli de Mme Z..., pour déterminer son consentement à la signature de chèques et attestations et se faire remettre des sommes d'argent considérables, commettant ainsi le délit d'extorsion de fonds sous la contrainte ;

Attendu qu'en statuant ainsi, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant concernant le montant d'un prêt conclu entre le prévenu et la victime, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs l'infraction reprochée, dès lors que la contrainte visée tant par l'article 400, alinéa 1er, ancien que par l'article 312-1 du Code pénal, doit être appréciée compte tenu notamment de l'âge et de la condition physique ou intellectuelle de la personne sur laquelle elle s'exerce ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation du principe de non-rétroactivité des lois plus sévères, des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, violation des droits de la défense, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a assorti la peine d'emprisonnement avec sursis d'une période de mise à l'épreuve pendant 3 ans, avec les obligations fixées aux articles 132-44 et 132-45, alinéas 1er, 2ème et 5ème du Code pénal ;

" alors que les obligations de mise à l'épreuve édictées par les articles visés dans la décision attaquée, issus de la loi de 1993, étant globalement plus sévères que les obligations applicables au moment des faits, la Cour ne pouvait, sans méconnaître le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, se référer à des textes inapplicables au moment des faits " ;

Attendu qu'il ne saurait être reproché à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé une peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, assortie des obligations prévues par l'article 132-45, 1, 2 et 5 du Code pénal, dès lors que ces obligations étaient prévues par l'article R. 58 du Code de procédure pénale auquel renvoyait l'article 739 du même Code, applicable à l'époque des faits ;

Que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;