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Décisions

Cass. com., 7 septembre 2022, n° 21-12.704

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Pierre Frey (SAS)

Défendeur :

Bissate (SARL), Poétique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Comte

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Gadiou et Chevallier, SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier

Cass. com. n° 21-12.704

7 septembre 2022

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Pierre Frey du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Poétique.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 décembre 2020), la société Bissate, qui exploite deux boutiques de vente de tissus de luxe au Maroc, comptait parmi ses fournisseurs, dans les années 1990, la société Boussac-Fadini. La société Pierre Frey, qui a pour activité l'édition, la fabrication, la vente et le commerce de tous tissus, tapis et tapisserie, après avoir racheté des actifs de la société Boussac-Fadini le 6 avril 2004, a entretenu avec la société Bissate des relations commerciales à partir de la même année, sans contrat.

3. Par lettre du 22 février 2012, la société Pierre Frey a notifié à la société Bissate la rupture de leur relation commerciale à compter du 1er septembre 2012.

4. Reprochant à la société Pierre Frey une rupture brutale de la relation commerciale établie au moins depuis 1993 et le non-respect du délai de préavis qui lui avait été accordé, la société Bissate l'a assignée en réparation de ses préjudices.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Pierre Frey fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la société Bissate la somme de 51 294 euros en réparation de son préjudice, alors « qu'en matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties ; que de tels éléments ne sauraient simplement découler du caractère identique de la relation nouvelle à celle qui n'a pas été poursuivie ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement de cession du 6 avril 2004 que la société Financière Pierre Frey n'a pas acquis la société Boussac-Fadini dans sa totalité, mais simplement certains des actifs de celle-ci, expressément listés dans l'offre de reprise et le jugement, parmi lesquels ne figuraient pas les engagements contractuels antérieurement pris par la société Boussac-Fadini, et notamment le contrat de fourniture conclu par cette dernière avec la société Bissate ; que par courrier du 20 avril 2004, la société Financière Pierre Frey a indiqué au mandataire judiciaire de la société Boussac-Fadini la liste des contrats non repris, correspondant à ceux exclus de son offre de reprise et non visés par le jugement de cession, dont le contrat conclu avec la société Bissate ; que par lettre recommandée du 5 mai 2004, ainsi que la cour d'appel l'a elle-même relevé, "la société Financière Pierre Frey a informé la société Bissate que son contrat avec la société Boussac-Fadini n'avait pas été cédé ou transmis à la société Boussac par le jugement du tribunal de commerce du 6 avril 2004 arrêtant le plan de redressement par voie de cession des éléments d'actifs de la société Bousac-Fadini" ; qu'en retenant néanmoins, pour décider que la société Bissate justifiait "de relations commerciales établies avec la société Pierre Frey de 19 années au jour de la lettre de rupture du 22 février 2012", que "cette volonté de ne pas poursuivre la relation commerciale est démentie par la continuité de celle-ci sans interruption entre la société Bissate et la société Boussac-Fadini, puis entre la société Bissate et la société Boussac, pour les mêmes produits et aux mêmes conditions", cependant que la société Pierre Frey avait expressément indiqué, aussi bien aux organes de la procédure collective qu'à la société Bissate elle-même, sa volonté de ne pas poursuivre la relation commerciale établie avec la société Boussac-Fadini et qu'il était dès lors indifférent que la relation nouée ensuite avec la société Bissate ait été identique à celle ayant pris fin, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

6. Il résulte de ce texte qu'en matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties.

7. Pour considérer que la relation commerciale établie avait débuté en 1993, l'arrêt retient que si le 5 mai 2004, la société Pierre Frey a informé la société Bissate que son contrat avec la société Boussac-Fadini n'avait pas été cédé ou transmis à la société Boussac par le jugement du tribunal de commerce du 6 avril 2004 arrêtant le plan de redressement par voie de cession des éléments d'actifs de la société Boussac-Fadini, les parties ont eu l'intention de poursuivre la relation commerciale antérieure, dès lors qu'elle portait sur les mêmes produits et aux mêmes conditions.

8. En statuant ainsi, alors que la société Pierre Frey avait expressément fait savoir à la société Bissate que le contrat la liant à la société Boussac-Fadini n'avait pas été repris dans le cadre de la procédure collective, ce dont il se déduisait que les parties n'avaient pas la volonté de poursuivre la relation commerciale initiée avec la société Boussac-Fadini, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. La société Pierre Frey fait le même grief à l'arrêt, alors « que seule une modification substantielle des conditions d'exécution du préavis est susceptible de remettre en cause le caractère effectif de celui-ci ; que n'est pas substantielle une modification qui est fondée sur l'inexécution par le bénéficiaire du préavis de ses propres obligations contractuelles ; qu'en l'espèce, ainsi que la société Pierre Frey le démontrait, pièces à l'appui, dans ses conclusions d'appel, la réduction du crédit fournisseur accordé à la société Bissate était la conséquence des retards récurrents de celle-ci dans le paiement de ses factures et de l'absence de respect des engagements pris en 2011 en contrepartie de l'augmentation de ce crédit fournisseur ; qu'une telle modification du crédit fournisseur en cours de préavis n'était par conséquent pas substantielle, ayant pour cause l'inexécution par la société Bissate de ses engagements contractuels ; qu'en retenant néanmoins, pour décider que "le préavis accordé n'a pas été totalement effectif", que la société Pierre Frey n'était pas "fondée à en justifier par les retards récurrents de la société Bissate dans le paiement de ses factures et l'absence de respect de ses engagements en 2011, dès lors que le préavis doit s'effectuer aux conditions antérieures", la cour d'appel a derechef violé l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

10. Il résulte de ce texte que le préavis accordé à la suite de la rupture de la relation commerciale établie doit être effectif, de sorte que pendant cette période, la relation commerciale doit se poursuivre aux conditions antérieures, ce qui implique que les modifications qui peuvent lui être apportées pendant l'exécution du préavis ne doivent pas être substantielles.

11. Pour considérer que le préavis n'a pas été totalement effectif, l'arrêt retient que le crédit fournisseur au bénéfice de la société Bissate avait été réduit de 40 000 euros à 10 000 euros par la société Pierre Frey et que celle-ci n'était pas fondée à justifier cette réduction par les retards récurrents de la société Bissate dans le paiement de ses factures et l'absence de respect de ses engagements en 2011, dès lors que le préavis devait s'effectuer aux conditions antérieures.

12. En statuant ainsi, alors que l'obligation d'exécution du préavis aux conditions antérieures ne faisait pas obstacle à ce que la société Pierre Frey opposât à la société Bissate des retards récurrents de paiement, à les supposer démontrés, pour réduire le crédit fournisseur, sans priver le préavis de son effectivité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il condamne la société Pierre Frey à verser à la société Bissate la somme de 51 294 euros en réparation de son préjudice et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 2 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée