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Décisions

CA Orléans, 16 septembre 2008, n°  07/00096

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

T. corr. Paris, du 16 févr. 2005

16 février 2005

Dans leurs conclusions, les parties civiles appelantes font valoir que la société SYNERGIE SA est la société mère d'un groupe multinational français spécialisé dans le travail temporaire qui a réalisé un chiffre d'affaires de plus d'un milliard d'euros en 2007 et qui est coté à la Bourse de Paris ; qu'elle a plusieurs filiales et sous-filiales européennes, dont la filiale italienne SYNERGIE HOLDING SRL, qui contrôle la société SYNERGIE ITALIA SpA, laquelle a démarré son activité au mois de juillet 1999, avec l'ouverture de filiales en Italie ; que Messieurs Daniel Y... et Yvon A... sont tous deux administrateurs de la société mère française et occupent respectivement les fonctions de président-directeur général et de directeur financier de celle-ci ;

que M. A... a été destinataire d'une correspondance signée le 25 novembre 2003 par M. Peter X..., administrateur unique d'une société TRENKWALDER Italia Srl, cette société étant elle-même contrôlée par une société autrichienne du même nom, laquelle œuvre également dans le domaine du travail temporaire et dispose d'établissements dans plusieurs villes italiennes ; que dans cette lettre, Monsieur Peter X... se référait à l'existence d'un procès en concurrence déloyale opposant la société TRENKWALDER à la société sous-filiale italienne de SYNERGIE SA, ceci devant le tribunal de Turin ; qu'après avoir analysé, dans cette lettre les détails de la procédure, le signataire a reproché à la société SYNERGIE SA de ne pas avoir clairement expliqué dans ses comptes et de manière appropriée, l'existence du litige en cours ; qu'il a notamment écrit : « le cas d'espèce n'a pas été expliqué de manière appropriée ; il ne l'a pas été dans le rapport du conseil de vérification du bilan 2002 aux actionnaires et encore moins dans le rapport sur la gestion relative au bilan clos. Au niveau des chiffres, on ne trouve pas non plus de mesures adéquates selon les règles générales du bilan. Quant au patrimoine décrit, nous pensons que ceci insoutenable commercialement (sic). Sans le soutien des associés, SYNERGIE ITALIA n'est nullement en état de représenter le préjudice au bilan.

De toute façon nous voyons dans cette prise d'attitude une violation grave des intérêts des créanciers. De plus à notre avis, les intérêts de la propriété sont eux aussi négligés, notamment si l'on tient compte du fait que les parts que vous détenez influencent aussi le résultat de la maison-mère cotée en Bourse, une attitude incompréhensible. Nous avons donc invité nos avocats en Italie à examiner toutes les possibilités légales, aussi bien en Italie qu'en France, et, s'il y a lieu, à étendre aussi la cause aux organes concernés de la société » ; que ne comprenant pas cette lettre, M. Yvon A... n'a pas pu y répondre ; que ceci a certainement provoqué l'envoi d'une seconde lettre en date du 15 mars 2004 écrite dans les termes suivants : « comme vous le savez, un procès à l'encontre de votre sous-filiale italienne, SYNERGIE ITALIA, est actuellement en cours en Italie, après obtention de deux ordonnances de référé rendues par le tribunal de grande instance de Turin : par ordonnance du 24 février 2003 (confirmée en appel pour sa plus grande partie par arrêt en date du 4 avril 2003), le tribunal a pris acte des manœuvres de concurrence déloyale et de débauchage émanant de la société SYNERGIE ITALIA et a prononcé des mesures conservatoires, par ordonnance en date du 3 février 2004, la société italienne a été condamnée à consigner la somme de 900 000 €, dans l'attente de la fixation du préjudice définitif.

La procédure au fond, diligentée par acte en date du 24 mars 2003 et faisant état d'un dommage prévisible de 3 487 000 € est actuellement pendante à Turin » ; que grande a été la stupéfaction des destinataires devant ces affirmations, puisque la décision du 4 avril 2003 prise en urgence dans le cadre d'un référé ne tranchait rien au fond et que la société SYNERGIE SA n'a jamais été mise en cause judiciairement par la société TRENKWALDER ; que, plus encore, l'auteur de la lettre reprochait au destinataire de ne pas avoir provisionné dans les comptes sociaux de la société SYNERGIE ITALIA et ceux consolidés de la société SYNERGIE SA, le risque afférent à la procédure pendante en Italie ; qu'il écrivait à ce sujet : « selon l'article L. 123-20 du code de commerce français, il doit être tenu compte des risques et pertes intervenus au cours de l'exercice, même s'ils sont connus entre la date de la clôture et celle de l'établissement des comptes.

En l'espèce, entre la date du 31 décembre 2002 et celle du 19 juin 2003, le litige en Italie a été non seulement introduit au fond, par acte en date du 24 mars 2003, mais il avait déjà donné lieu à deux décisions de justice en référé en date du 24 février et 4 avril 2003 ; un rapport détaillé produit par le cabinet Deloitte & Touche avait été déposé le 6 juin 2003 et faisait état d'un dommage prévisible de 3 487 000 €.

Dans ces conditions, on comprend mal que ce litige n'ait fait l'objet d'aucune provision comptable, ou à tout le moins d'une mention en annexe du bilan et dans le rapport de gestion de votre société. Eu égard au principe selon lequel l'information donnée au public par les sociétés cotées en bourse doit être exacte, précise et sincère (article 2 du règlement COB-AMF no 98-07), nous estimons que l'Autorité des Marchés Financiers serait sans doute intéressée par la révélation de ces faits, ce qui pourrait, le cas échéant, vous exposer ainsi que votre société à des sanctions financières importantes. En outre, ces mêmes faits pourraient être constitutifs du délit de diffusion d'informations inexactes ou trompeuses, prévu par l'article L. 465-1 du code monétaire et financier et faire l'objet d'une plainte pénale. Avant d'entamer de telles poursuites judiciaires et administratives, il serait peut-être dans votre intérêt de vous pencher attentivement sur ce dossier afin que nous puissions encore parvenir à un accord amiable. Une réponse sous huitaine de votre part nous obligerait. En l'absence de réaction de votre part, nous avons déjà donné instruction à notre avocat français d'entamer les poursuites nécessaires précitées » ;

qu'en réalité, cette lettre méconnaissait manifestement le fait que les prétendus agissements n'avaient fait l'objet d'aucune décision au fond, qu'elle s'appuyait sur un rapport d'audit établi non contradictoirement par le cabinet Deloitte & Touche, alors surtout que les administrateurs de la société SYNERGIE SA sont totalement étrangers aux procédures diligentées par TRENKWALDER à l'encontre de SYNERGIE ITALIA ; qu'au surplus, sur un recours engagé le 23 avril 2004 devant le tribunal de Turin à l'encontre de décisions concernant les mesures conservatoires, la mesure de saisie ordonnée précédemment était révoquée, le juge retenant que la situation de SYNERGIE ITALIA ne répondait pas à la condition de péril en la demeure notamment ; que du fait de cette invitation pressante à payer sous la menace de révélations à l'AMF, la société SYNERGIE SA a décidé de déposer plainte pénalement pour chantage et tentative d'extorsion de fonds.

Il est rappelé que par jugement rendu le 16 février 2005, le tribunal correctionnel de Paris a décidé que l'infraction de tentative d'extorsion de fonds n'était pas constituée, ni celle de tentative de chantage ; que la cour d'appel, à laquelle cette décision a été déférée, a confirmé ce jugement mais que par arrêt rendu le 12 décembre 2006 la Cour de Cassation a cassé cet arrêt ; qu'en conséquence de cet arrêt de cassation, la cour d'appel d'Orléans se trouve saisie des intérêts civils seulement, le ministère public n'ayant pas relevé appel du jugement du tribunal.

Il est fait valoir que le délit de tentative d'extorsion de fonds est constitué, dès lors qu'en s'adressant à la société SYNERGIE SA, dans ses courriers du 26 novembre 2003 et du 15 mars 2004, la société TRENKWALDER a cherché à obtenir la remise de versements, sans motif légitime, puisque la société SYNERGIE SA n'a accompli aucun acte nuisible aux intérêts de la société TRENKWALDER ; que plus spécialement la lettre du 15 mars 2004 a fortement invité SYNERGIE SA à l'acceptation de l'accord amiable, c'est-à-dire d'un engagement ou d'une signature ; que ceci s'est accompagné de la menace de révéler les faits à l'Autorité des Marchés Financiers, alors que TRENKWALDER n'avait aucun droit à faire valoir contre SYNERGIE SA, puisque les agissements prétendument fautifs émanaient d'une société de plein exercice et de droit italien ; que le droit français consacre d'ailleurs le principe de la non-responsabilité de la société mère concernant les actes de sa filiale ; qu'au surplus TRENKWALDER n'est pas titulaire d'actions de la société SYNERGIE SA en sorte qu'elle ne peut se plaindre d'un déficit d'informations dans le bilan ;

qu'au total TRENKWALDER a fait usage de contrainte morale, alors que les arguments opposés par les prévenus sont sans valeur, dès lors que l'on ne voit pas en quoi l'attitude de la société SYNERGIE SA permettrait à la société SYNERGIE ITALIA d'avoir une situation comptable optimiste et d'être de ce fait plus concurrentielle sur le marché italien de travail temporaire ; qu'en toute hypothèse la saisine postérieure de l'AMF par les avocats français de TRENKWALDER ne permet pas d'exonérer les prévenus de leur responsabilité, puisque la tentative de chantage a été commise antérieurement à cette saisine et alors que l'AMF n'a jamais sanctionné la société SYNERGIE SA pour les irrégularités prétendument commises ; qu'au surplus tant la société SYNERGIE SA que sa sous-filiale italienne ont bien inséré depuis 2003 une note dans leur bilan faisant état du litige avec TRENKWALDER.

Sur les éléments constitutifs du délit de tentative de chantage il est fait valoir qu'au cœur du chantage est la menace de révélations de faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, peu important que ces faits soient vrais ou faux ; que les premiers juges se sont bornés à constater que la lettre du 15 mars 2004 n'avait d'autre objet que d'inciter à la recherche d'une transaction ; que ces motifs sont inopérants dès lors, en effet, que TRENKWALDER n'avait aucun droit à faire valoir contre la société SYNERGIE SA ; qu'en l'espèce, dénoncer à l'Autorité des Marchés Financiers des manquements éventuels à la transparence financière des sociétés admises à un marché réglementé est totalement étranger à l'objet de la demande de TRENKWALDER qui est celle d'obtenir la réparation qu'elle estimait lui être due du fait d'actes de concurrence déloyale qu'elle imputait à une société italienne indépendante de sa société mère ; que contrairement à ce qui est soutenu, il s'est bien agi d'obtenir des fonds, ainsi qu'en témoigne la mention d'un « dommage prévisible à hauteur de 3 487 000 € » ;

qu'au surplus la demande de TRENKWALDER, essentiellement fondée sur un rapport non contradictoire du cabinet DELOITTE et TOUCHE n'a pas été accueillie par la juridiction italienne, dans son jugement du 23 avril 2004 ; que, d'autre part il n'existe aucune preuve de confusion des intérêts et des patrimoines entre la société mère et la société SYNERGIE ITALIA.

Faisant valoir que la somme de 200 000 € réclamée par les parties adverses sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale, est manifestement disproportionnée et de nature à dissuader un justiciable de recourir à la citation directe lorsqu'il s'estime victime d'une infraction, les parties civiles sollicitent le rejet de cette demande.

Elles sollicitent en réparation de leurs propres dommages, 50 000 € pour M. Daniel Y..., la même somme pour M. Yvon A... et 75 000 € pour la société SYNERGIE SA, outre la condamnation de chacune des parties adverses au paiement de la somme de 10 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

La société TRENKWALDER et M. Peter X... font valoir que la société TRENKWALDER ITALIA S. r. l (TRENKWALDER) est une société italienne ayant pour activité les prestations de service aux entreprises dans les domaines du travail temporaire et de la gestion des ressources humaines ; qu'elle est la filiale de la Société Anonyme autrichienne TRENKWALDER Personaldienste AG ; que sur le marché italien du travail temporaire et intérimaire, elle est en concurrence avec la société italienne SYNERGIE ITALIA S. p. a, ayant son siège social à Turin et filiale de la société SYNERGIE HOLDING, elle-même filiale de la société SYNERGIE SA ; que les comptes de la société SYNERGIE SA sont consolidés suivant la méthode de l'intégration globale et reprennent les comptes de ses différentes filiales, et notamment de la société SYNERGIE ITALIA ; que les sociétés SYNERGIE SA et SYNERGIE ITALIA ont un certain nombre de dirigeants en commun et notamment M. Daniel Y... et M. Yvon A... ; que M. Y... est ainsi Président de la société SYNERGIE SA et Directeur Général et Vice-président du Conseil d'Administration de la société SYNERGIE ITALIA avec des pouvoirs étendus et notamment de représentation générale de la société ;

que M. Yvon A... est quant à lui Directeur Financier de la société SYNERGIE SA et Directeur Général de la société SYNERGIE ITALIA ; que les liens entre la société SYNERGIE ITALIA et sa société mère n'en sont donc que plus étroits compte tenu de cette composition de leurs organes de direction ; que dans le cadre de son activité, la société TRENKWALDER a été amenée à constater un certain nombre d'agissements frauduleux à son encontre consistant notamment en des actes de concurrence déloyale commis par la société SYNERGIE ITALIA ; que cette dernière s'est en effet livrée à un débauchage massif de salariés occupant des postes essentiels ; que, dans le même temps, 375 salariés intérimaires de la société TRENKWALDER ont dénoncé leur contrat avec cette dernière ; qu'en outre, de nombreux clients de la société TRENKWALDER n'ont pas prolongé leur contrat et ont conclu immédiatement de nouveaux contrats avec la société SYNERGIE ITALIA ;

que ces faits ont causé un grave préjudice à la société TRENKWALDER, le préjudice ayant été estimé à la somme de 3. 487. 000 € par le cabinet d'expertise comptable DELOITTE & TOUCHE dans un rapport en date du 6 juin 2003 ; que compte tenu des agissements frauduleux commis à son encontre, la société TRENKWALDER a assigné la société SYNERGIE ITALIA 24 janvier 2003 devant le juge des référés du Tribunal de Turin au motif d'une concurrence déloyale et parasitaire pour faire cesser les troubles dont elle était victime ; que dans une ordonnance en date 24 février 2003 le Tribunal a fait intégralement droit aux demandes de la société TRENKWALDER et a décidé d'interdire à la société SYNERGIE ITALIA d'exploiter les bases de données sur les clients et les CV des salariés intérimaires établis par les ex-employés de la société TRENKWALDER, de lui interdire de contracter ou d'embaucher du personnel de la société TRENKWALDER, jusqu'en septembre 2003, de lui interdire aussi d'employer les 14 salariés débauchés aux mêmes postes et dans les mêmes villes que celles où ils travaillaient pour la société TRENKWALDER ;

qu'il a été fait appel de cette ordonnance, laquelle a été confirmée dans sa majeure partie le 4 avril 2003 ; que, parallèlement, le 24 mars 2003, la société TRENKWALDER a assigné au fond devant le Tribunal de Grande Instance de Turin la société SYNERGIE ITALIA ; que dans le cadre de cette procédure, la société TRENKWALDER, reprenant les mêmes arguments, a estimé le préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale de la société SYNERGIE ITALIA à la somme de 3. 487. 000 euros ; qu'à l'heure actuelle, la procédure au fond est toujours pendante devant le Tribunal de Grande Instance de Turin ;

que les sociétés SYNERGIE SA et SYNERGIE HOLDING sont intervenues volontairement dans ce litige par des conclusions déposées le 4 novembre 2004 ; qu'au cours de l'été 2003, une négociation s'est engagée à l'initiative de M. Yvon A... entre les groupes SYNERGIE et TRENKWALDER aux fins d'essayer de trouver un accord amiable au différend existant entre les deux sociétés ; que le 18 août 2003, une réunion de négociation a eu lieu à Vienne entre les directions européennes des groupes SYNERGIE et TRENKWALDER, le groupe SYNERGIE étant représenté par Monsieur Yvon A... ; qu'à la suite de l'échec de ces négociations et de l'absence de réponse de la part du groupe SYNERGIE, la société TRENKWALDER a adressé le 26 novembre 2003 une lettre à la société SYNERGIE SA relative à la présentation inexacte du bilan de la société SYNERGIE ITALIA ;

que cette correspondance était adressée à M. Yvon A... en qualité de Directeur Général de la société SYNERGIE ITALIA et de Directeur Financier de la société SYNERGIE SA ; que dans sa correspondance, M. Peter X..., Administrateur unique de la société TRENKWALDER, s'est interrogé sur les raisons qui ont poussé les organes de la société SYNERGIE ITALIA à approuver les comptes 2002 sans même faire mention des procédures en cours et des risques encourus, ni provisionner une quelconque somme en application des dispositions légales et réglementaires ; que M. Yvon A... n'a pas daigné répondre ; que le 1er décembre 2003, la société TRENKWALDER a ainsi assigné en référé la société SYNERGIE ITALIA devant le Tribunal de Grande Instance de Turin pour présentation inexacte de bilan et atteinte aux intérêts des créanciers et actionnaires de la société ;

que par une Ordonnance de référé en date du 3 février 2004, le Tribunal de Grande Instance de Turin a ordonné le séquestre conservatoire de tous les biens meubles, immeubles et créances à l'égard des tiers de la société SYNERGIE ITALIA pour un montant de 900. 000 €, somme correspondant à l'évaluation du préjudice déjà causé à la société TRENKWALDER selon le rapport d'expertise du cabinet DELOITTE & TOUCHE ; que la société SYNERGIE ITALIA a alors interjeté appel de l'ordonnance tout en consignant la somme de 900. 000 € sur un compte bancaire en exécution de celle-ci ;

que le 23 avril 2004, le Tribunal de Grande Instance de Turin s'est prononcé en appel et a révoqué la première décision ; qu'il a notamment considéré qu'il n'y avait pas besoin de la constitution d'une garantie puisque la société SYNERGIE SA, dont il a relevé l'intervention, s'était portée garante de sa filiale, une telle attitude confirmant la confusion existant entre les sociétés SYNERGIE SA et SYNERGIE Italia ; que ces procédures italiennes font apparaître un principe de créance au profit de TRENKWALDER qui ne peut être sérieusement contesté ; que la société TRENKWALDER, confrontée a une attitude résolument déloyale de la part de la société SYNERGIE ITALIA a alors adressé une lettre en date du 15 mars 2004 à MM. Y... et A... au siège social de la société SYNERGIE SA ; que dans sa correspondance du 15 mars 2004, M. Peter X... a exprimé les craintes de sa société quant à la présentation inexacte des comptes des sociétés SYNERGIE SA et SYNERGIE ITALIA ;

que cette lettre fait l'objet de la procédure pénale en cause ; que la société TRENKWALDER a bien saisi l'Autorité des Marchés Financiers en date du 15 juin 2004 pour faire état des agissements de la société SYNERGIE SA ; que, contrairement à ce qui est soutenu, aucune infraction pénale n'a été commise ; que, sur le terrain de la qualification d'extorsion, la contrainte alléguée doit se concevoir comme une pression sur la volonté d'un individu pour le conduire à une remise forcée ; que si, par extraordinaire, la Cour considérait que la lettre de la société TRENKWALDER est bien constitutive d'une contrainte morale, elle devra constater qu'une telle contrainte ne peut être punissable puisqu'il s'agit d'une puisqu'il s'agit de la menace de l'exercice d'un droit ;

qu'en l'espèce, les groupes SYNERGIE et TRENKWALDER sont des acteurs européens du marché du travail temporaire et sont en concurrence dans un certain nombre de pays ; que, dans un tel contexte, des actes comptables irréguliers de la société mère consolidante du groupe SYNERGIE peuvent tout à fait causer un préjudice à une filiale du groupe TRENKWALDER si elle est elle-même en concurrence sur son marché national avec une filiale du groupe SYNERGIE ; que la société TRENKWALDER, concurrente de la société SYNERGIE ITALIA, est donc fondée à considérer que l'attitude de la société mère de sa concurrente lui est préjudiciable puisqu'elle couvre des irrégularités comptables de sa filiale en ne mentionnant pas dans ses comptes consolidés l'existence d'un litige pendant en Italie ayant un enjeu financier très important ;

qu'en outre, l'attitude de la société SYNERGIE SA permet à la société SYNERGIE ITALIA d'avoir une situation comptable « optimiste » et d'être de ce fait plus concurrentielle sur le marché italien du travail temporaire ; qu'en conséquence, le fait pour la société TRENWALDER d'envisager des poursuites judiciaires et administratives ne peut être en l'espèce punissable ; que c'est précisément ce qui a été décidé par le Tribunal Correctionnel de Paris dans son jugement du 16 février 2005 ; que l'élément intentionnel de l'extorsion fait également défaut puisque la société TRENKWALDER n'a fait que suivre les conseils d'un cabinet d'avocats ;

qu'on ne saurait considérer que la société TRENKWALDER a fait preuve d'une intention frauduleuse puisqu'elle avait seulement l'intention de proposer une dernière possibilité de transaction avant poursuites ; que la tentative d'extorsion n'est donc pas constituée ; que s'agissant du chantage, l'infraction n'est pas davantage constituée ; que la correspondance du 15 mars 2004 ne peut être considérée comme une tentative de chantage ; qu'il a été écrit : « Eu égard au principe selon lequel l'information donnée au public par les sociétés cotées en bourse doit être exacte, précise et sincère (article 2 du règlement (COB) AMF no 9807), nous estimons que l'Autorité des Marchés Financiers serait sans doute intéressée par la révélation de ces faits, ce qui pourrait, le cas échéant, vous exposer ainsi que votre société à des sanctions financières importantes. (…)

Avant d'entamer de telles poursuites judiciaires et administratives, il serait peut-être dans votre intérêt de vous pencher attentivement sur ce dossier afin que nous puissions encore parvenir à un accord amiable » ; que la « menace » de révéler à l'Autorité des Marchés Financiers des lacunes du bilan et de ses annexes, ne peut s'analyser en une tentative de chantage ; qu'il ne s'est pas agi de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou la considération des destinataires, mais de viser des faits constants ainsi que le risque de saisine d'une autorité boursière ; que l'élément moral de l'infraction fait également défaut, faute d'intention frauduleuse ou de mauvaise foi, la lettre ayant été rédigée par un cabinet de conseils spécialisés ;

qu'en outre, comme en matière d'extorsion, la menace d'exercer des voies de droit n'est pas constitutive d'un chantage lorsque l'auteur de la menace est titulaire de l'action civile ; que la société SYNERGIE SA, pour être la société mère consolidante de SYNERGIE ITALIA et pour contrôler directement sa filiale par le biais de dirigeants communs cause directement préjudice à la société TRENKWALDER puisqu'elle permet à sa société Italienne de réaliser des actes de concurrence déloyale sans pour autant en tirer les conséquences ;

qu'il est important de rappeler que les sociétés SYNERGIE SA et SYNERGIE HOLDING sont intervenus volontairement dans la procédure au fond pendante devant le Tribunal de Grande Instance de Turin ; que les actions envisagées par la société TRENKWALDER en France ont bien un rapport direct avec la créance de celle-ci à l'encontre de la société SYNERGIE ITALIA ; que l'élément moral de l'infraction de tentative de chantage fait ainsi défaut tant à l'égard de la société TRENKWALDER que de Peter X....

D'autre part, il est fait valoir que les parties civiles ont saisi le Tribunal Correctionnel dans le seul but de « contrer » l'action engagée en Italie par la société TRENKWALDER à l'encontre de la société SYNERGIE Italie et que d'ailleurs lors du procès au fond devant le Tribunal de Grande Instance de Turin, la société SYNERGIE SA, partie intervenante, a fait état de la procédure pénale pour ralentir la procédure italienne.

Par application des articles 392-1 et 472 du Code de Procédure Pénale, il est demandé à la cour de condamner solidairement la société SYNERGIE SA, M. Daniel Y... et M. Yvon A... à payer respectivement à la société TRENKWALDER et à Monsieur Peter X... les sommes de 150. 000 € et de 50. 000 C. en réparation du caractère dilatoire et abusif de la procédure diligentée.

 

SUR CE, LA COUR,

L'extorsion est définie par le code pénal comme le fait d'obtenir par violence, menace de violence ou contrainte une signature, la révélation d'un secret ou un bien quelconque.

Le chantage est le fait d'obtenir l'une des choses visées précédemment, en menaçant la victime de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à son honneur ou sa considération.

Au titre de la tentative d'extorsion, la partie civile vise seulement la circonstance de contrainte, aucune violence ni menace de cette sorte n'ayant été exercée par les personnes visées par la plainte, le fait matériel incriminé étant seulement l'envoi d'une lettre. Pour être punissable, la contrainte doit avoir déterminé la remise par l'extorqué, le juge devant apprécier la force avec laquelle elle est exprimée et la crainte qu'elle a inspiré à la victime, ceci en tenant compte du caractère impressionnable de cette dernière, de son état de santé physique ou mental, de sa condition intellectuelle, de son état psychique, de son âge, de sa vulnérabilité (Cass. crim. 3 oct. 1991).

En d'autres termes, la crainte doit être de nature à faire impression sur une personne raisonnable et susceptible de lui faire redouter d'exposer sa personne ou ses biens à un danger imminent.

Selon la jurisprudence, le fait qu'un débiteur ne se soit exécuté qu'après une discussion violente avec le créancier, ne caractérise pas la contrainte, s'agissant d'une personne rompue aux négociations difficiles (Cass. crim. 23 mai 2002, no 01-86. 979).

En matière de chantage, un créancier civil qui se borne à réclamer ce qui lui est dû en menaçant seulement de recourir aux voies de droit et actions en justice que la loi met à sa disposition ne commet pas de chantage (Cass. crim. 12 mars 1985).

De même manière, la menace d'user d'une voie de droit ne constitue pas l'extorsion.

Tel est bien le cas en l'espèce.

En effet, il ne peut être sérieusement soutenu que M. Y... et M. A..., ont été impressionnés par la lettre reçue, étant en effet, l'un et l'autre, les dirigeants d'une société qu'ils présentent comme étant « la société mère d'un groupe multinational français spécialisé dans le travail temporaire qui a réalisé un chiffre d'affaires de plus d'un milliard d'euros en 2007 et qui est cotée à la Bourse de Paris », étant observé que cette position leur procure les moyens d'être assistés par des conseils spécialisés et que, faisant preuve d'une parfaite maîtrise de la gestion de leurs affaires, ils ont conservé le calme après une première lettre du 25 novembre 2003, laissant celle-ci sans réponse, alors pourtant qu'elle faisait référence à des éléments substantiels et qu'elle contenait déjà la menace d'une poursuite en rapport avec une présentation des comptes considérée comme insincère.

Ainsi, si la loi pénale protège ceux qui se voient réclamer la remise de choses par violence ou contrainte, elle ne peut raisonnablement être invoquée à propos d'une lettre écrite dans le cadre d'une relation d'affaires complexe où les propos incriminés sont adossés sur une analyse argumentée des manquements comptables imputés à la société mère de SYNERGIE Italia, alors que le prévenu, avait au préalable saisi la justice, pour obtenir des indemnités qu'il estimait lui être dues et avait offert une voie de conciliation non saisie par les plaignants.

En second lieu, il est prétendu par les parties civiles que l'exigence de sincérité des comptes ne peut concerner la société SYNERGIE France, puisque le litige concernait une société italienne.

Or, cette affirmation est contestable dès lors que la société SYNERGIE France présente des comptes consolidés, en sorte que les comptes de sa filiale ont des répercussions sur ses propres résultats.

Cela est si vrai que la société SYNERGIE SA a inséré depuis 2003 une note dans son bilan faisant état du litige avec TRENKWALDER.

De plus, la position des parties civiles n'aurait de valeur que si la société-mère et ses dirigeants étaient toujours demeurés à distance du litige opposant TRENKWALDER à SYNERGIE ITALIA.

Or, tel n'a pas été le cas, puisqu'intervenant dans le procès en Italie, la société-mère a permis que soit rendue une décision favorable aux intérêts de sa sous-filiale après que celle-ci ait fait valoir devant le juge italien « qu'elle appartenait au groupe multinational SYNERGIE, très florissant », et que « la société-mère SYNERGIE SA (…) avait toujours financé la filiale », étant également observé que la société mère et sa filiale ont des dirigeants communs.

Au total, les faits se sont inscrits dans un contexte où dominent le risque d'une lourde perte inhérente aux procès en cours, pour les sociétés du groupe SYNERGIE, l'imbrication des intérêts de la société mère et de sa sous-filiale italienne et l'existence d'un bilan consolidé publié par la société SYNERGIE SA.

Il en résulte que les prévenus étaient fondés à considérer comme étant de nature à donner une force indue à SYNERGIE SA, permettant à sa sous-filiale de résister plus longtemps à leurs demandes de dédommagement, le fait par elle d'occulter comptablement un risque de perte, afin d'apparaître dans une situation financière meilleure que ce qu'elle était en réalité, ceci au regard d'une lecture, certes subjective mais non dénaturée des textes régissant les obligations comptables des sociétés.

En menaçant d'user d'une voie de droit, par la saisine de l'Autorité des Marchés Financiers, dans le but de parvenir à un règlement, ils n'ont donc pas commis les infractions poursuivies.

Dans ces conditions, la décision des premiers juges sera confirmée dans les limites de l'appel, en ce qu'elle a rejeté les demandes civiles.

Le caractère abusif de la plainte déposée par les parties civiles étant insuffisamment démontré, les demandes indemnitaires des prévenus ont été rejetées à juste titre.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement,

Vu l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 12 Décembre 2006,

CONFIRME le jugement entrepris dans les limites de l'appel,

REJETTE toute autre demande.