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Décisions

Cass. crim., 12 décembre 2006, n° 05-86.796

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Beyer

Avocat général :

M. BOCCON-GIBOD

Avocats :

SCP DEFRENOIS et LEVIS, SCP TIFFREAU

T. corr. Paris, du 16 févr. 2005

16 février 2005

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 312-10, 312-12 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale et violation de la loi ;

"en ce que la cour d'appel a constaté que les éléments constitutifs de l'infraction de tentative de chantage ne sont pas caractérisés à l'encontre de la société Trenkwalder et de Peter Z... et, en conséquence, a débouté les parties civiles de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnées solidairement à payer à la société Trenkwalder la somme de 150 000 euros et à Peter Z... la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

"aux motifs propres que l'absence de créance des prévenus à l'encontre de la société Synergie SA ne constitue pas une circonstance particulière rendant illégitime la démarche des prévenus vis-à-vis des autorités de marché dès lors qu'il résulte de l'exposé même des faits que le comportement agressif de Synergie Italie n'était que le résultat d'une stratégie de groupe définie par Daniel X... et Yvon Y..., par ailleurs véritables décideurs au niveau de la filiale et de la sous-filiale italienne des moyens à utiliser pour y parvenir au regard même du risque d'image et de réputation pris par l'utilisation de ces procédés, ainsi que cela est avéré par la publication de l'ordonnance de référé du 24 février 2003 et que Daniel X... et Yvon Y..., seuls individus apparaissant comme administrateurs ou dirigeants de l'ensemble des entités du groupe, s'étaient présentés eux-mêmes comme les interlocuteurs du groupe dans le litige avec Trenkwalder ;

"et aux motifs adoptés, qu'une procédure civile est en cours devant les tribunaux italiens entre la société Trenkwalder et Synergie Italia ; que la SA Synergie (France) présente des comptes consolidés, qu'elle ne conteste pas ne pas avoir provisionné de sommes en vue du litige en cours, ni avoir négligé d'informer ses actionnaires de ce litige ; qu'en l'espèce, Peter Z..., dans sa lettre du 15 mars 2004 ne cherchait à obtenir ni une signature ni un engagement ni une renonciation ni la révélation d'un secret ni la remise de fonds, valeurs ou biens quelconques ; que la lettre litigieuse incite simplement les destinataires à chercher une transaction à un litige en cours ; que la "menace" de révélation à l'autorité des marchés financiers des lacunes du bilan et de ses annexes ne peut s'analyser en une tentative de chantage ;

"1 ) alors que peut être constitutive de chantage la menace d'utiliser des voies de droit dès lors que les faits dénoncés sont étrangers à la cause de la dette alléguée ; qu'en l'espèce, la cause de la prétendue créance de la société Trenkwalder serait constituée par les actes de concurrence déloyale qu'aurait commis la société Synergie Italia à son préjudice ; que, pour obtenir de la société Synergie SA -société tierce- "une transaction", la société Trenkwalder l'a menacée de dénoncer à l'AMF et aux autorités judiciaires de prétendues irrégularités affectant ses comptes, lesquelles auraient causé un préjudice aux seuls actionnaires de cette société, faits sans lien avec la créance alléguée ; qu'en considérant qu'une telle menace n'était pas susceptible de constituer une tentative de chantage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"2 ) alors que le chantage est défini comme le fait d'obtenir, en menaçant de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, "une signature, un engagement ou une renonciation" ; que la cour d'appel a constaté que la lettre litigieuse incitait les destinataires à chercher "une transaction" ; qu'en considérant, néanmoins, que Peter Z... ne cherchait pas à obtenir un engagement des destinataires, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes susvisés ;

"3 ) alors que le délit de chantage est constitué, que le fait susceptible d'être révélé soit vrai ou faux ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que la société Synergie SA n'aurait pas contesté ne pas avoir provisionné de sommes en vue du litige en cours, ni négligé d'informer ses actionnaires de ce litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"4 ) alors qu'en toute hypothèse, les demandeurs avaient fait valoir qu'une note relative à la procédure pendante devant les juridictions italiennes apparaissait dans le bilan consolidé du groupe sous le chapitre passif éventuel, ce dont il ressortait que les actionnaires étaient parfaitement informés du litige (cf. conclusions, pages 13 et 14) ; qu'en considérant, néanmoins, que la société Synergie SA ne contestait pas avoir négligé d'informer ses actionnaires du litige en cours, la cour d'appel a dénaturé lesdites conclusions" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 312-1, 312-9 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale et violation de la loi ;

"en ce que la cour d'appel a constaté que les éléments constitutifs de l'infraction de tentative d'extorsion de fonds ou d'engagement ne sont pas caractérisés à l'encontre de la société Trenkwalder et de Peter Z... et, en conséquence, a débouté les parties civiles de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnées solidairement à payer à la société Trenkwalder la somme de 150 000 euros et à Peter Z... la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

"aux motifs propres que l'absence de créance des prévenus à l'encontre de la société Synergie SA ne constitue pas une circonstance particulière rendant illégitime la démarche des prévenus vis-à-vis des autorités de marché dès lors qu'il résulte de l'exposé même des faits que le comportement agressif de Synergie Italie n'était que le résultat d'une stratégie de groupe définie par Daniel X... et Yvon Y..., par ailleurs véritables décideurs au niveau de la filiale et de la sous-filiale italienne des moyens à utiliser pour y parvenir au regard même du risque d'image et de réputation pris par l'utilisation de ces procédés, ainsi que cela est avéré par la publication de l'ordonnance de référé du 24 février 2003 et que Daniel X... et Yvon Y..., seuls individus apparaissant comme administrateurs ou dirigeants de l'ensemble des entités du groupe, s'étaient présentés eux-mêmes comme les interlocuteurs du groupe dans le litige avec Trenkwalder ;

"et aux motifs adoptés, que, le 26 novembre 2003, Peter Z... a fait parvenir à Yvon Y..., une lettre dans laquelle il reprochait à la société Synergie SA de ne pas avoir mentionné, dans les documents destinés à ses actionnaires, la procédure en cours en Italie qui, selon lui, aurait dû apparaître au bilan, la SA Synergie présentant des comptes consolidés ; qu'une lettre dans le même sens était adressée le 15 décembre 2003 à M. A..., président du conseil d'administration de Synergie Italia ; qu'une lettre, datée du 15 mars 2004, était envoyée à la SA Synergie à l'attention de Daniel X... et Yvon Y... ; que, dans cette lettre, Peter Z... résumait la procédure en cours en Italie, en indiquant que le dommage prévisible s'élevait à 3 487 000 euros et en ajoutant : "votre responsabilité en tant que société mère consolidante pourrait être engagée" ; qu'il était indiqué plus loin "eu égard au principe selon lequel l'information donnée au public par les sociétés cotées en bourse doit être exacte précise et sincère ( ) nous estimons que l'autorité des marchés financiers serait sans doute intéressée par la révélation de ces faits, ce qui pourrait, le cas échéant, vous exposer ainsi que votre société à des sanctions financières importantes ; en outre, ces mêmes faits pourraient être constitutifs du délit de diffusion d'informations inexactes ou trompeuses, prévu par l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, et faire l'objet d'une plainte pénale ; avant d'entamer de telles poursuites judiciaires et administratives, il serait peut être dans votre intérêt de vous pencher attentivement sur ce dossier afin que nous puissions encore parvenir à un accord amiable" ; que les poursuivants estiment que les lettres visées, en particulier celle du 15 mars 2004, tendent à obtenir par la contrainte morale, un engagement de la société Synergie à remettre à la société Trenkwalder des fonds que la société Synergie ne remettrait pas par un accord librement consenti ; que la simple menace d'user de voies de droit ne constitue pas, en l'absence de circonstances particulières, une violence illégitime ; que, dans la lettre du 15 mars 2004, Peter Z..., qui s'estime créancier de la société Synergie Italia, en fonction des premières décisions des tribunaux italiens et qui s'adresse à des hommes d'affaires chevronnés, ne fait pas usage d'une contrainte morale excédant la stratégie de négociation acceptable, alors surtout qu'il n'exige aucun engagement précis de Synergie SA ;

"1 ) alors que peut constituer une contrainte au sens de l'article 312-1 du code pénal la menace d'utiliser des voies de droit dès lors que les faits dénoncés sont étrangers à la cause de la dette alléguée ; qu'en l'espèce, la cause de la prétendue créance de la société Trenkwalder serait constituée par les actes de concurrence déloyale qu'aurait commis la société Synergie Italia à son préjudice ; que, pour obtenir de la société Synergie SA -société tierce-, "un accord amiable", la société Trenkwalder l'a menacée de dénoncer à l'AMF et aux autorités judiciaires de prétendues irrégularités affectant ses comptes, lesquelles auraient causé un préjudice aux actionnaires de cette société, faits sans lien avec la créance alléguée ; qu'en considérant qu'une telle menace n'était pas susceptible de constituer une contrainte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"2 ) alors qu'en statuant comme elle l'a fait, sans répondre aux conclusions par lesquelles les demandeurs faisaient valoir que les faits allégués au soutien de la menace de dénonciation à l'encontre de la société Synergie SA étaient sans lien avec le litige pendant en Italie et donc avec la prétendue créance dont la société Trenkwalder aurait été titulaire sur la société Synergie Italia, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation des textes susvisés ;

"3 ) alors que l'extorsion est définie comme le fait d'obtenir par divers moyens "une signature, un engagement ou une renonciation" ; que la cour d'appel a constaté que la société Trenkwalder sollicitait un "accord amiable", ce qui constitue un engagement ; qu'en considérant que le délit n'était pas constitué, la société Trenkwalder n'ayant exigé aucun engagement précis de Synergie SA, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, s'estimant victime d'actes de concurrence déloyale, la société Trenkwalter Italia a engagé une instance civile devant le tribunal de Turin contre la société Synergie Italie, filiale de Synergie France SA ; qu'alors que cette procédure était pendante, Peter Z..., administrateur unique de la société Trenkwalter, a adressé à Daniel X..., président de la société Synergie France, et à Yvon Y..., directeur financier, deux lettres attirant leur attention sur le fait que ce litige n'avait pas donné lieu à l'établissement d'une provision pour risque dans le bilan consolidé du groupe alors que les intérêts en jeu étaient hors de proportion avec sa capacité d'y faire face ; que, par la seconde lettre, il informait ses correspondants que l'autorité des marchés financiers pourrait être "intéressée" par la révélation de ces faits susceptibles de constituer le délit de diffusion d'informations inexactes ou trompeuses, et d'entraîner des sanctions financières et des poursuites ; qu'il incitait les dirigeants de Synergie à "se pencher attentivement sur ce dossier" afin de permettre de "parvenir à un accord amiable" ;

Attendu qu'à la suite de ces faits, la société Synergie, Daniel X... et Yvon Y... ont cité devant le tribunal correctionnel la société Trenkwalder et Peter Z... des chefs de tentative de chantage et de tentative d'extorsion ;

Attendu que, pour confirmer la décision de relaxe entreprise sur le seul appel des parties civiles, les juges du second degré énoncent, par motifs propres et adoptés, que la menace de l'usage d'une voie de droit ne constitue pas une contrainte morale illégitime ; que les juges ajoutent que l'absence de créance des prévenus à l'encontre de la société Synergie ne rend pas illégitime leur démarche à l'égard de l'autorité des marchés financiers dès lors que le comportement agressif de la société Synergie Italie est le résultat d'une stratégie de groupe définie par Daniel X... et Yvon Y..., véritables décideurs des moyens à utiliser par la filiale italienne et que les actes de concurrence déloyale sont avérés ;

Mais attendu qu'en prononçant par des motifs pour partie inopérants et sans répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties civiles faisant valoir que les faits allégués au soutien de la menace de dénonciation à l'encontre de la société Synergie SA étaient sans lien avec le litige pendant en Italie et donc avec la prétendue créance dont la société Trenkwalder aurait été titulaire sur la société Synergie Italia, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre moyen proposé, devenu sans objet :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 octobre 2005,

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;