Cass. crim., 12 octobre 2004, n° 04-80.813
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. COTTE
Rapporteur :
Mme Palisse
Avocat général :
M. Di Guardia
Avocats :
SCP Baraduc et Duhamel, SCP TIFFREAU
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 121-5 et 312-10 du Code pénal, 2, 497.3 et 593 du Code de procédure pénale, omission de statuer, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir déclaré l'appel de Maurice Y... irrecevable comme fait par courrier, a reçu l'appel de la société Caisse Centrale de Réassurance venant aux droits de la société Rochefort Finances, partie civile, contre Maurice Y... et Martin X..., puis, après avoir constaté le caractère définitif des dispositions pénales du jugement relatives à Maurice Y..., a confirmé à son propos les dispositions civiles du jugement ;
"aux motifs que la Caisse Centrale de Réassurance, qui sollicite en cause d'appel la condamnation de Maurice Y... à lui verser en réparation de son préjudice une indemnité de 22 870 euros, ne produit aucun élément à l'appui de sa demande ; que les premiers juges ont fait une appréciation adéquate et équitable du préjudice résultant de la tentative de chantage dont à fait l'objet la partie civile en fixant à la somme de 7 500 euros le montant des dommages-intérêts ;
"alors que si la juridiction du second degré, statuant sur le seul appel de la partie civile, d'un jugement partiel de relaxe, ne peut prononcer aucune peine contre le prévenu, la décision des premiers juges ayant force de chose jugée, elle est néanmoins tenue d'apprécier tous les faits objets de sa saisine, de les qualifier et, si besoin, de condamner le prévenu à des dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi par la partie civile, à raison de ces mêmes faits ; qu'ainsi la cour d'appel, après avoir constaté le caractère définitif des dispositions pénales du jugement concernant Maurice Y..., a méconnu son obligation de se prononcer sur tous les faits dont elle était saisie, au regard de l'action civile, en se bornant à confirmer la condamnation du prévenu à verser une indemnité de 7 500 euros du seul chef de la tentative de chantage réalisée le 29 août 1995, sans examiner la complicité de tentative chantage reprochée et réalisée le 9 février 1995" ;
Attendu qu'en évaluant comme elle l'a fait, la réparation du préjudice subi par la demanderesse, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-5, 121-7, 312-10 du Code pénal, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement de relaxe prononcé au bénéfice de Martin X... pour les courriers adressés les 29 août et 22 novembre 1995 du chef de tentative de chantage et a infirmé la déclaration de culpabilité visant les faits du 3 janvier 1996 ;
"aux motifs adoptés que la correspondance datée du 29 août 1995 adressée au secrétariat du Premier ministre a été rédigée par Maurice Y..., sans instruction de la part de Martin X..., en sorte qu'elle ne lui est pas imputable ; que si le courrier adressé par Martin X... le 22 novembre 1995 au ministre des Finances, contient une menace de révélation portant sur les manipulations de la société Rochefort Finances, en l'absence de fourniture des renseignements sur le Fonds de Réévaluation des Rentes, celle-ci n'est pas liée au versement de l'indemnisation, même s'il est fait état de celle-ci dans un autre paragraphe, en sorte que le délit de tentative de chantage n'est pas caractérisé ;
"et aux motifs que, s'agissant de la lettre du 3 janvier 1996, si Martin X... évoque la tenue d'une conférence de presse et produit le dossier destiné à la presse française et internationale ainsi qu'aux divers organismes de contrôle des bourses et associations de contribuables et consommateurs, le prévenu ne présente pas cette conférence comme une menace à l'exécution de laquelle il est prêt à renoncer si la société Rochefort Finances accepte de l'indemniser, mais uniquement comme une décision qu'il a arrêtée à la suite du refus du président de cette société de le dédommager de sa perte de clientèle ; que par ailleurs, ayant déjà révélé à des journalistes, en décembre 1995, les manoeuvres imputées à la société Rochefort Finances, qui seraient de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de la personne morale, la lettre du 3 janvier 1996, dépourvue de toute demande d'intervention, ne caractérise pas le délit de tentative de chantage ;
"alors que, d'une part, la provocation, indépendante de la fourniture d'instructions, consomme l'instigation constitutive de complicité lorsqu'elle est qualifiée par l'un des comportements prévus à l'article 121-7 du Code pénal ; qu'un abus de pouvoir destiné à commettre un fait délictueux, réalisé dans le cadre d'une relation de subordination, caractérise alors un acte de complicité ; que le fait d'embaucher un ancien expert judiciaire et de le rémunérer pour ses conseils et son aide apportés - de quelque manière que ce soit - dans ses démêlés avec une maison de titres, consomme la complicité du délit de tentative de chantage définitivement prononcée à l'encontre de ce salarié, si la contrainte exercée sur ce salarié l'a conduit à un tel comportement ; qu'en l'espèce, Maurice Y..., salarié de Martin X..., a adressé, le 29 août 1995, un courrier au secrétariat du Premier ministre, contenant des menaces précises si l'indemnisation sollicitée par son employeur, Martin X..., ne lui était pas versée ; qu'en se bornant à énoncer que Maurice Y..., employé par Martin X..., avait rédigé ce courrier sans instruction de son patron, sans s'interroger sur la nature précise de la tâche confiée à ce subordonné et sur la relation de pouvoir qui existait entre ces deux personnes, la cour d'appel n'a pas tiré des éléments de fait les conséquences légales qui s'imposaient ;
"alors que, d'autre part, en toute hypothèse, la complicité par fourniture d'instructions était en l'occurrence caractérisée notamment par la qualité de salarié de Maurice Y..., avec la subordination qu'elle impliquait à l'égard de son employeur, ce salarié ayant été choisi et embauché par Martin X... en raison de son "expérience" et précisément pour l'aider dans ses démêlés avec Rochefort Finances, ainsi que par l'objet des demandes adressées par Maurice Y..., qui étaient strictement personnelles à Martin X... et se situaient dans l'exacte exécution de son contrat de travail pour le compte de son employeur, et ce malgré l'absence d'instruction de l'employeur prétendue par le salarié ; en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;
"alors que, en outre, subsidiairement, celui qui assiste l'auteur dans les faits de consommation coopère nécessairement à la perpétration de l'infraction en qualité de coauteur ; qu'en l'espèce, la simultanéité d'action et l'assistance réciproque entre Martin X... et Maurice Y..., pour la rédaction et l'envoi des quatre lettres litigieuses, ainsi que pour la mise à exécution des menaces et la tenue de la conférence de presse, caractérisaient la coaction ; qu'en ne répondant pas aux conclusions dont elle était saisie sur ce point, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs ;
"alors que, au surplus, si le délit de tentative de chantage suppose une corrélation entre la menace diffamatoire et l'objet de la remise, il n'exige pas que la chose convoitée, précisée dans l'écrit, figure sur le même paragraphe que celui sur lequel sont énoncées les modalités de la menace ; qu'en l'espèce, le délit de tentative de chantage était consommé dès lors que la demande d'obtention de renseignements sur le Fonds de Réévaluation des Rentes, sous peine de révélations diffamatoires à l'encontre de la maison de titres qui avait antérieurement refusé d'indemniser l'auteur du courrier du 22 novembre 1995, pour les préjudices prétendument subis à la suite d'anomalies financières, était associée à une menace indirecte, figurant sur le même écrit mais dans un paragraphe distinct, aux termes de laquelle les révélations diffamatoires auraient lieu en l'absence de règlement rapide d'un litige qui était bloqué ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas ;
"alors qu'enfin, le délit de tentative de chantage est consommé même si les termes de la menace sont ambigus ou voilés, nonobstant une divulgation partielle de certains faits diffamatoires objets de la menace ; qu'en infirmant la déclaration de culpabilité précédemment prononcée, aux motifs que certains faits avaient déjà été révélés à différents journalistes et organismes professionnels en mai et décembre 1995 et en affirmant que la conférence n'était pas, dans le courrier du 3 janvier 1996, présentée comme une menace mais comme une certitude, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 311-1 et 321-1 du Code pénal, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement de relaxe prononcée au bénéfice du doute quant au délit de recel de vol reproché à Martin X... pour la détention de compte-rendus de comités financiers dérobés à la partie civile ;
"aux motifs adoptés que Jean-François Z..., directeur général de Rochefort Finances jusqu'en janvier 1991, puis licencié pour faute grave avait - en contradiction avec les termes du règlement intérieur - conservé par vers lui des compte-rendus de comités financiers, portant des annotations manuscrites du directeur financier, dont il avait été destinataire lorsqu'il était en fonction, puis les avait remis à Martin X... sur demande de celui-ci, venu personnellement les chercher à son domicile ; que le prévenu, qui n'était pas salarié de la société Rochefort Finances, a cependant légitimement pu croire que Jean-François Z... pouvait disposer de ces documents, d'autant que ceux-ci ne portaient pas la mention "confidentiel " ;
"alors que, si les juges apprécient librement la valeur probante des éléments qui leur sont soumis, ils ne peuvent, après avoir relevé de lourdes charges de culpabilité, prononcer une décision de relaxe fondée sur l'existence d'un doute insuffisamment caractérisé ; que la cour d'appel a constaté que Martin X... détenait des comptes-rendus de comités financiers de la société de portefeuille qui l'avait poursuivi devant les juridictions pénales à plusieurs reprises, et que ces documents avaient été soustraits par l'ancien directeur général de cette société licencié pour faute lourde, Martin X... étant venu à son domicile les chercher pour les annexer au dossier remis aux journalistes lors de la conférence de presse du 26 janvier 1996 ; qu'en affirmant cependant que l'absence de mention "confidentiel" sur lesdits documents excluait la connaissance de l'origine frauduleuse, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des faits reprochés n'était pas rapportée à la charge des prévenus, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;