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Décisions

Cass. 1re civ., 29 septembre 2021, n° 19-19.769

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Cass. 1re civ. n° 19-19.769

28 septembre 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2019) et les productions, la société française Alstom transport et la société anglaise Alstom Network (Alstom) ont conclu plusieurs contrats de consultant avec la société chinoise de Hong Kong Alexander Brothers, dirigée par une de leurs anciennes salariées Mme [C] [R]. Alstom a remporté auprès du ministère chinois des chemins de fer tous les appels d'offres en vue desquels les contrats de consultant avaient été signés, mais elle a refusé de payer le solde des commissions dû pour deux de ces contrats et de verser tout paiement pour un troisième, prétextant un risque pénal pour des versements qui servaient peut-être à corrompre des agents publics.

2. La société Alexander Brothers a introduit une procédure d'arbitrage devant la Chambre de commerce internationale (CCI), organisme d'arbitrage désigné dans les clauses compromissoires des contrats. Une sentence condamnant Alstom à payer, au titre du droit suisse applicable, le solde des commissions dues au titre de deux contrats, a été rendue à Genève.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le même moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches

Enoncé du moyen

4. La société Alexander Brothers fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'exequatur de la sentence, alors :

« 3°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-1 Alstom, p. 182 de la version anglaise et p. 132 de la traduction française), visé par l'arrêt attaqué, qu'interrogée au cours de l'audience sur les conditions dans lesquelles elle s'était procurée le compte-rendu de la réunion entre le ministère des chemins de fer et Datong, tenue le 9 avril 2004, Mme [C] [R] a précisé qu'il lui avait été communiqué par M. [J] [U] ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris qu'« au cours de l'instance arbitrale, Mme~[C]~[R] a été interrogée à plusieurs reprises sur les conditions dans lesquelles elle s'était procurée ce document et a refusé de répondre (transcription d'audience, pièce Alstom, n° 58-1, pp. 97 et 98 de la traduction française) », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-1 Alstom, p. 177 à 179 de la version anglaise et p. 127 à 129 de la traduction française), visé par l'arrêt attaqué, qu'interrogée sur les conditions dans lesquelles elle avait obtenu la présentation Powerpoint de la société Siemens sur sa stratégie commerciale sur le marché chinois, de sa conception des transferts de technologie et des
caractéristiques techniques de ses trains à grande vitesse, Mme~[C]~[R] a précisé qu'elle lui avait été remise par M. [J] [Z], responsable des véhicules roulants au sein du ministère des chemins de fer ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que « Mme~[C]~[R] a confirmé lors de l'audience d'arbitrage qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur la façon dont elle avait obtenu ce document (transcription de l'audience, pièce 58-1, pp. 99-100) », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui était soumis ;

5°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-1 Alstom, p. 179 à 181 de la version anglaise et p. 130 à 131 de la traduction française), visé par l'arrêt attaqué, qu'interrogée sur ce point, Mme~[C]~[R] a précisé avoir obtenue la note d'Alstom par Mme [N] Luo et que la note technique d'Alstom avait été augmentée, d'une part parce qu'il avait été demandé au vice maire de Shanghai de donner une chance à la coentreprise de façon à ce qu'elle se développe et, d'autre part, en demandant à Alstom d'offrir un prix plus bas pour les pièces de rechange, ce qui avait permis d'obtenir 0,4 points supplémentaires sur la notation technique ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que « lors de son audition par les arbitres, Mme~[C]~[R] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom les moyens par lesquels cette décision avait été obtenue (transcription des débats, pièce Alstom 58-1, traduction française, p. 109 à 111) », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui était soumis ;

6°/ que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-1 Alstom, p. 133 à 138 de la version anglaise et p. 97 à 100 de la traduction française) qu'en réponse aux questions de l'un des arbitres, M. [B], qui l'interrogeait sur le point de savoir si elle avait répondu par la négative aux demandes du conseil juridique externe de Alstom, Fulcrum Chambers, quant aux conditions d'obtention par elle du compte-rendu de la réunion entre le ministère des chemins de fer et Datong, du rapport de la CNR et de la présentation à faite par Siemens au ministère chinois des chemins de fer, Mme~[C]~[R] a répondu que « quand Fulcrum Chambers m'a envoyé un e-mail, j'avais déjà déposé ma demande d'arbitrage » et qu'elle avait effectivement répondu par la négative à ces demandes ; qu'en se fondant sur ce procès-verbal de transcriptions de l'audience du 23 mars 2015, pour en déduire un « indice particulièrement grave de pratiques corruptrices » tenant à « la transmission par un consultant à un candidat à un appel d'offres d'informations confidentielles émanant de l'autorité adjudicatrice, sans précision sur les conditions de leur obtention », quand il en résulte uniquement que Mme~[C]~[R] a admis avoir refusé, après le début de l'arbitrage, de répondre aux questions du conseil externe de la société Alstom quant aux conditions d'obtention de ces documents, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui était soumis ;

7°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 24 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-2 Alstom, p. 11 et 12 de la version anglaise et p. 9 et 10 de la traduction française), que lors de son audition, M. [V] a expressément indiqué que l'affirmation du premier rapport d'audit d'Alstom, selon laquelle l'essentiel des dépenses opérationnelles d'ABL était uniquement justifié par des tickets de cartes de crédit, était inexacte, que les auditeurs n'avaient pris que deux jours pour vérifier tous les documents, alors qu'il leur avait été remis quatre ou cinq boites de documents, et que normalement, toutes les dépenses étaient justifiés par des reçus et que seule une petite partie de ces reçus ne leurs avaient pas été remis ; qu'en affirmant que « si M. [V] soutient que dépenses s'accompagnaient de justificatifs, il n'allègue pas que ceux-ci consisteraient en factures et non en simples reçus de cartes de crédit », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal de transcription de l'audience du 24 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

5. Pour rejeter la demande d'exequatur de la sentence formée par la société Alexander Brothers, après avoir considéré que la reconnaissance ou l'exécution de cette sentence qui condamne Alstom à payer des sommes destinées à financer ou à rémunérer des activités de corruption, est contraire à l'ordre public international, l'arrêt retient qu'il ressort de la transcription de l'audience arbitrale que la gérante, Mme~[C]~[R], interrogée à plusieurs reprises sur les conditions dans lesquelles elle s'était procurée le compte-rendu de la réunion entre le ministère des chemins de fer et Datong le 9 avril 2004, la présentation PowerPoint de la société Siemens portant notamment sur sa stratégie commerciale sur le marché chinois et les informations confidentielles émanant de l'autorité adjudicatrice transmises par ses soins à Alstom, ainsi que, par les conseils de celle-ci, sur les moyens par lesquels l'appel d'offres avait été remporté, a refusé de répondre. Il relève que si le comptable, M. [V], a soutenu que les dépenses opérationnelles faites par cartes bancaires depuis les comptes personnels des associés s'accompagnaient de justificatifs, il n'a pas allégué que ceux-ci consisteraient en des factures et non en de simples reçus de cartes de crédit, ni qu'il seraient exhaustifs. Il en déduit, d'une part, que les seules diligences de la société Alexander Brothers qui n'apparaissent pas disproportionnées à la rémunération contractuelle prévue ont consisté dans la communication de documents confidentiels dont les conditions d'obtention délibérément dissimulées font présumer l'origine illicite, d'autre part, que la société Alexander Brothers est essentiellement un véhicule de transfert de fonds vers ses associés pour des usages peu ou pas vérifiables.

6. En statuant ainsi, alors que la transcription de l'audience arbitrale mentionne, en premier lieu, les réponses de Mme~[C]~[R], lors de son interrogatoire par le tribunal arbitral, sur les conditions d'obtention des documents confidentiels auprès d'interlocuteurs chinois nommément identifiés, en deuxième lieu, que celle-ci a uniquement refusé de répondre aux demandes des conseils d'Alstom devant les services britanniques de lutte contre la corruption en raison de l'introduction de la procédure d'arbitrage, et, en dernier lieu, que M. [V], interrogé par le président du tribunal arbitral, a déclaré inexact l'affirmation selon laquelle les dépenses opérationnelles n'auraient été justifiées que par des tickets de carte bancaire et que l'objet et la nature de celles-ci ne seraient pas indiqués, la cour d'appel qui a dénaturé les termes clairs et précis de la dite transcription, a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne la société Alstom transport et la société Alstom Network aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alstom transport et la société Alstom Network et les condamne à payer à la société Alexander Brothers la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Alexander Brothers Ltd

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance du 30 mars 2016 par laquelle le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris a conféré l'exequatur à la sentence rendue le 29 janvier 2016 entre les parties, et rejeté la demande d'exequatur formée par la société ABL ;

AUX MOTIFS QUE la prohibition de la corruption d'agents publics étrangers est au nombre des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la violation même dans un contexte international. Elle relève par conséquent de l'ordre public international. La lutte contre la corruption est un objectif poursuivi, notamment, par la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997, entrée en vigueur le 15 février 1999, et par la Convention des Nations Unies contre la corruption faite à [Localité 2] le 9 décembre 2003, entrée en vigueur le 14 décembre 2005. Suivant le consensus international exprimé par ces textes, la corruption d'agent public étranger consiste à offrir à celui-ci, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, afin qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte dans l'exercice de ses fonctions officielles, en vue d'obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu en liaison avec des activités de commerce international. Si la République française et la République populaire de Chine sont toutes deux dotées d'incriminations pénales des faits de corruption, il n'entre pas dans la mission de cette cour, saisie de l'appel de l'ordonnance d'exequatur d'une sentence internationale, de rechercher si une partie à l'arbitrage peut être déclarée coupable d'un délit de corruption en application des dispositions pénales d'un ordre juridique national, mais seulement de rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence méconnaît l'objectif de lutte contre la corruption en ce que la condamnation prononcée par cette sentence aurait pour effet de financer ou de rémunérer une activité de corruption ou de trafic d'influence. A cet égard, l'éventuelle mauvaise foi de la partie débitrice est indifférente, dès lors qu'est seulement en cause le refus de l'ordre juridique français de prêter le secours des voies de droit au paiement de sommes pour une cause illicite. La présente instance n'ayant nullement pour objet le prononcé de sanctions pénales, la défenderesse ne peut utilement soutenir qu'elle n'aurait pas été mise en mesure de répondre à l'accusation d'avoir commis, en des lieux et à des dates déterminées, des faits de corruption d'un ou de plusieurs agents publics précisément identifiés.
L'examen par le juge de l'exequatur de l'allégation selon laquelle une sentence arbitrale allouerait des sommes destinées à financer une activité de corruption ne saurait porter, eu égard au caractère occulte des faits de corruption, que sur la réunion d'un faisceau d'indices. C'est sur l'admissibilité, au regard des règles de procédure civile, des preuves soumises par l'appelant, sur la réalité des indices, et sur leur caractère suffisamment grave, précis et concordant, et non sur des faits de corruption précisément identifiés, que porte, en l'espèce, l'exercice des droits de la défense. En l'espèce, les circonstances suivantes sont tenues pour établies par la sentence et ne sont pas contestées par les parties : - en 2003 un contact a été pris entre les dirigeants d'Alstom Transport et Mme [R] [C], directrice d'ABL et ancienne salariée d'Alstom Group en Chine (sentence, § 180), - ABL a été choisie, au terme d'une procédure d'audit décrite aux paragraphes 186 à 189 de la sentence, parce qu'Alstom a considéré "qu'elle était proche des décideurs et qu'elle était au courant du processus de prise de décisions au sein du Ministère chinois des chemins de fer" (sentence, § 181), - le contrat de consultant n° 1 du 26 août 2004 (locomotives de fret lourd) fixait une rémunération représentant 1% du montant total du marché, soit 3.731.200,00 euros, le contrat n° 2 du 22 décembre 2004 (rames de transport de passagers à grande vitesse) fixait une rémunération de 0,5% du montant total du marché, soit 3.122.000,00 euros et le contrat n° 3 du 2 décembre 2009 (ligne 2 du métro de Shanghai) fixait une rémunération de 2 % du montant total du marché soit 672.000,00 euros, - les trois contrats prévoyaient un paiement en quatre versements : le premier à la date d'entrée en vigueur du marché et à réception de l'acompte payé par le client, le deuxième au moment du paiement par le client de 40 % du montant du marché, le troisième lorsque 70 % du montant du marché ont été payés et le quatrième et dernier versement lorsque le client a intégralement payé le prix du marché et déchargé Alstom de l'ensemble de ses obligations contractuelles (sentence, § 193), - il n'est pas contesté que c'est grâce aux efforts et services d'ABL que les marchés ont été attribués à Alstom (sentence, § 191). Du reste, celle-ci a payé 55 % du montant du contrat n°1 et 80 % du contrat n° 2 en deux versements faits le 10 février 2006 et le 17 novembre 2008. - toutefois, le 26 novembre 2010, les sociétés Alstom ont annoncé qu'elles n'étaient pas actuellement en mesure de procéder à de nouveaux règlements, non pas parce qu'elles n'auraient pas été satisfaites des services fournis ou des justificatifs produits mais parce qu'une enquête était en cours au Royaume-Uni et qu'un paiement les exposerait à des sanctions pénales (sentence § 208). - en août 2012 et juin 2013, les sociétés Alstom ont procédé à des audits d'ABL et refusé de payer le solde des factures des contrats 1 et 2, ainsi que la totalité du contrat n° 3. Elles invoquaient le risque pénal qu'elles encouraient en payant des sommes qui servaient peut- être à corrompre des agents publics et se prévalaient de l'inobservation par ABL de ses obligations au titre des règles d'éthique et de conformité, et spécialement, de l'insuffisance de pièces matérielles justifiant des diligences du consultant. Saisi par ABL, le tribunal arbitral a condamné Alstom à lui payer les soldes des sommes dues au titre des contrats n° 1 et n° 2, et rejeté la demande de règlement au titre du contrat n° 3.

Le raisonnement du tribunal arbitral :Le tribunal arbitral a développé le raisonnement suivant : "Étant donné que les parties sont convenues que les trois contrats de consultant seront régis par le droit suisse, il convient de statuer sur la légalité générale de ces contrats au regard du droit suisse. Sur le plan du droit, les contrats conclus entre les parties ne sont pas en eux-mêmes illicites. Aucune des parties n'a prétendu que les parties avaient l'intention que la Demanderesse commette effectivement des actes de corruption ou exerce une autre forme d'influence abusive sur les clients potentiels afin d'obtenir les marchés. Les contrats de consultant n'ont donc pas été conclus à des fins illicites. Il n 'a pas été soutenu lors de cet arbitrage que les trois contrats de consultant aient été obtenus par la corruption. Dans le cas d'espèce, les Défenderesses soutiennent qu'elles s 'inquiètent de ce que la Demanderesse ait pu avoir recours à des pratiques de corruption dans le cadre de l 'exécution des contrats de consultant el qu'elles puissent donc s 'exposer à des poursuites pénales si elles devaient effectuer le paiement des versements non encore acquitté au titre de ces contrats." (Sentence, § 261 à 263) En premier lieu, sur l'allégation des sociétés Alstom selon laquelle un paiement serait susceptible d'être interprété par certaines autorités étatiques, comme une rémunération de pratiques de corruption, les arbitres relèvent que ABL "a été spécifiquement nominée en tant que consultant en raison de ses contacts avec des membres haut placés du gouvernement et les [sociétés Alstom] s'attendaient à ce qu'elle utilise ces contacts pour obtenir les projets. Alors que les contrats de ce type sont interdits en tant que tels dans certains pays dans lesquels il est estimé qu'ils sont généralement destinés à dissimuler des pratiques de corruption, d'autres pays comme la Suisse évitent d 'interdire de manière générale de tels contrats mais exigent qu'il soit démontré que les parties avaient réellement l'intention que l'agent ou le consultant verse des pots-de-vin ou exerce par ailleurs une influence abusive sur des fonctionnaires." (sentence, § 258). Le tribunal arbitral relève que cette preuve pèse sur les sociétés Alstom; qu'en l'occurrence, il n'est pas démontré que le Serious Fraud Office britannique ou toute autre autorité étatique ait enquêté sur les contrats en cause, ni même, sur les activités du groupe Alstom en Chine (sentence, § 265). Les arbitres ajoutent que si le niveau de preuve peut être abaissé en matière d'allégation de corruption, compte tenu de la difficulté d'établir de tels faits, il n'y avait pas lieu de faire bénéficier Alstom de ces facilités dans la mesure où ABL n'avait pas cherché à dissimuler ses activités et s'était prêtée aux deux audits qui auraient permis à Alstom de trouver des preuves éventuelles de corruption. Dans ces conditions, il n'y avait pas lieu d'alléger le fardeau de la preuve. Du reste les sociétés Alstom n'avaient pas allégué qu'ABL aurait effectivement versé des pots-de-vin. Elles s'étaient bornées à indiquer qu'elles ne comprenaient pas comment ABL était entrée en possession de documents contenant des informations potentiellement confidentielles, ni comment elle avait persuadé la municipalité de Shanghai de lui attribuer le marché de la ligne de métro n° 2 alors que son offre avait obtenu un score moindre que celle de ses concurrents. Les arbitres concluent qu' "il n'est cependant pas prétendu qu'il y ait eu des actes de corruption ou un autre comportement délictueux et [qu'il est encore moins prouvé de manière concluante l'existence d'une activité illicite." (sentence, § 266 à 275). En second lieu, sur l'allégation de violation par ABL de ses obligations contractuelles, les arbitres ont relevé que les preuves des prestations de services d'ABL avaient toujours été présentées sous la même forme et contenu les mêmes détails et que les sociétés Alstom s'en étaient contentées et avaient réglé les échéances sans exiger d'éléments supplémentaires jusqu'à ce qu'elles aient été exposées à des poursuites pénales sans rapport avec les activités d' ABL (sentence, § 281 à 283). Le tribunal arbitral a exposé qu'en droit suisse, "lorsque le comportement ultérieur des parties est contraire aux stipulations d'un contrat conclu entre elles, ce comportement doit être considéré comme une modification ultérieure implicite de ce contrat" (sentence, § 305); que les sociétés Alstom ne s'étaient pas contentées de ne faire aucune remarque sur les preuves de prestations de services au titre des contrats 1 et 2 mais qu'elles avaient fait des paiements sur la base de ces productions (sentence, § 306) ; que, par conséquent, les preuves fournies par le consultant devaient être regardées comme satisfaisant aux exigences des contrats 1 et 2, de sorte que les sociétés Alstom devaient être condamnées à régler le solde; qu'en revanche, ABL ne pouvait présumer que les pratiques communes adoptées à l'égard des deux premiers contrats valaient également à l'égard du troisième, alors que ce dernier était rédigé en des termes beaucoup plus exigeants et qu'avant sa conclusion, il lui avait été demandé de fournir des rapports sur son activité au stade de la préparation de la soumission pour le projet en cause (sentence, § 308 et 309). Les arbitres relèvent que les documents produits à titre de preuves de services pour le projet de ligne 2 du métro de [Localité 3] se composent, en tout et pour tout de huit lettres et de cinq courriels adressés par Mme [C] [R] à Alstom, qu'aucun autre document, procès-verbal de réunion ou véritable rapport d'activité n'avait été joint (sentence, § 310). Le tribunal arbitral en a déduit qu'ABL n'avait pas rempli ses obligations au titre du contrat n° 3 et qu'il n'y avait donc pas lieu de faire droit à sa demande de ce chef. Devant la cour, après réouverture des débats, Alstom ne se borne plus à alléguer des manquements aux stipulations contractuelles d'éthique et de conformité, ni le fait qu'elle craindrait de s'exposer à des sanctions pénales en payant ABL si, par extraordinaire, celle-ci avait eu recours à des procédés illicites. Elle affirme désormais qu'il y a eu en l'espèce "utilisation par Alexander Brothers de la rémunération payée par les sociétés Alstom ou attendue au titre des Contrats de Consultant, pour le versement ou la promesse de pots-de-vin à des fonctionnaires chinois, à l'insu des sociétés Alstom et dans le but de faciliter l'octroi des marchés dans le cadre des appels d'offres concernés" (concl. Alstom n° 4, p. 48). Elle soutient qu'il existe un faisceau d'indices de telles pratiques de la part d'Alexander Brothers.

Le contrat de consultant n° 1 : Le 26 août 2004, les deux sociétés Alstom ont conclu avec la société ABL un contrat de consultant afin de répondre à l'appel d'offres lancé par le ministère chinois des transports pour la fourniture de locomotives électriques de fret lourd. Ce contrat prévoyait qu'ABL devait fournir des informations et des avis sur tous les aspects concernant le projet, établir des contacts à tous niveaux, organiser des rendez-vous, procurer une assistance pour l'obtention d'éventuelles autorisations, aider Alstom dans la préparation des documents nécessaires à l'obtention du contrat, dans les domaines financiers, commerciaux et juridiques, fournir des avis sur d'éventuels sous- traitants, assister Alstom pendant la mise en oeuvre du projet. L'article 7.1 interdisait au consultant d'employer des responsables gouvernementaux ou des parlementaires, ou des membres de partis politiques ou des candidats à des élections, et l'article 7. 3 (iii) interdisait au consultant de promettre ou d'accorder des avantages à ces mêmes personnes en relation avec l'exécution de ses prestations. Le contrat prévoyait une rémunération totale de 1 % du marché, soit 3.731.200,00 euros. Il stipulait un premier paiement partiel (30 %) à la date d'entrée en vigueur du marché et réception du premier acompte de la part du client chinois. Alstom a réglé intégralement le premier versement de 1.119.360,00 euros (30 % du total) le 10 février 2006, au vu du dossier fourni par ABL à l'appui de sa facture. Alstom produit ce dossier en pièce n° 62-1 en faisant valoir : que ces pièces n'établissent pas la réalité des services rendus par ABL, que l'origine de certaines d'entre elles est douteuse, que la rémunération versée est disproportionnée par rapport aux diligences dont elles témoignent. ABL ne prétend pas que la pièce n° 62-1 d'Alstom ne correspondrait pas à l'intégralité du dossier qu'elle a fourni à l'appui de sa première facture, mais elle soutient que les documents en cause sont précis et probants, qu'ils évoquent des faits vérifiables et que leur origine peut être établie avec certitude. La pièce 62-1 d'Alstom contient 22 notes rédigées par Mme [C] [R] entre le 5 novembre 2003 et le 24 mai 2005, soit en un peu moins de 19 mois, adressées à M. [K] [E] (senior vice-président d'Alstom Transports en Chine au cours de cette période). Ces notes sont brèves : toujours moins d'une page et, pour douze d'entre elles, une à quatre phrases. Les notes du 5 novembre 2003 (pièce Alstom, n° 62-1, p. 1), du 16 avril 2004 (pièce 62-1, p. 18), du 6 mai 2004 (pièce 62-1, p. 23), du 9 mai 2004 (pièce 621, p. 33), du 24 août 2004 (pièce 62-1, p. 44), non datée, jointe à un document sur l'accord de transfert de technologie (pièce 62-1, p. 65, du 17 janvier 2005 (pièce 62-1, p. 72), du 27 janvier 2005 (pièce 62-1, p. 79) et du 29 janvier 2005 (pièce 62-1, p. 84) se bornent à accompagner des échanges de pièces entre le ministère chinois des chemins de fer, le partenaire local d'Alstom en Chine (Datong), et le groupe Alstom, sans aucun commentaire personnel de la part de Mme [C]. Il n'apparaît pas que des pièces jointes soient l'oeuvre d'ABL. En particulier, celle-ci ne démontre nullement qu'elle aurait rédigé le projet de protocole d'accord Alstom/Datong joint à la correspondance du 20 novembre 2003 (pièce Alstom n° 62-1, p. 4 à 6). Non seulement, en effet, cette origine ne résulte ni du document lui- même ni du courrier d'accompagnement, mais encore, comme le relève Alstom, elle n'a jamais été revendiquée par ABL au cours de l'arbitrage. Certains documents émanent d'Alstom elle-même, comme un courrier daté du 12 janvier 2005 adressé par M. [T], directeur de projet d'Alstom à M. [Y] [W] au ministère des transports, et ne présentent donc aucun intérêt pour Alstom (pièce Alstom n° 62-1, p. 63). Les courriers les plus substantiels se présentent comme des synthèses de réunions de Mme [C] [R] avec des représentants du ministère des chemins de fer (note du 9 janvier 2005, pièce Alstom n° 62-1, p. 55, note du 13 janvier 2005, pièce 62-1, p. 62, note du 3 février 2005, pièce 62-1, p. 97 et note du 21 mai 2005, pièce 62-1, p. 100). Ils ne sont, toutefois, accompagnés d'aucune documentation contemporaine -telle qu'échange de correspondances pour l'organisation des réunions, copies d'agendas, notes prises en cours de réunion, procès-verbaux -, permettant d' en vérifier la réalité. Il n'en est d'ailleurs pas davantage produit devant la cour. Comme le fait observer Alstom, ces seuls éléments - qui n'établissent rien d'autre qu'un rôle d'intermédiaire dans l'échange de correspondances entre Alstom et le ministère des chemins de fer apparaissent impropres à justifier de la réalité de diligences "substantielles et significatives pour l'obtention des projets" (concl. Alstom n° 4, p. 68). Ils sont, en toute hypothèse, disproportionnés au versement, le 10 février 2006, d'une somme de 1.119.360,00 euros. Toutefois, le dossier produit à l'appui de la facture contient également d'autres pièces qui démontrent davantage l'efficacité du rôle d'ABL. Ce sont des documents ou des informations sensibles ou confidentiels dont l'origine n'est pas établie: Le compte-rendu d'une réunion entre le ministère des chemins de fer et Datong, le partenaire local d'Alstom Transport, tenue le 9 avril 2004 à 20h dans le bureau du ministre des chemins de fer (pièce Alstom, n° 62-1, p. 12 à 17), transmis le 10 avril 2004 par Mme [C] [R] avec l'indication que "ce rapport provient du bureau de [J] [U]" [ministre des chemins de fer de 2003 à 2011]. Il contient des informations sensibles sur l'opinion du ministère concernant la coopération entre Alstom et Datong, ainsi que sur la nature et l'importance du transfert de technologie attendu d'Alstom. Dans ses conclusions n° 4 (p. 19), ABL se prévaut de cette transmission (qu'elle cite comme pièce ABL arbitrage C-15) comme d'une preuve de la réalité de ses prestations, en soulignant que le courrier d'accompagnement attire l'attention d'Alstom sur la proposition de Datong de commencer par la production de 20 unités. Cette présentation laisse supposer qu'ABL a participé à la réunion. Toutefois, le nom de Mme [C] [R] ne figure pas au nombre des participants énumérés par le procès-verbal et ABL n'indique pas que le nom d'un autre de ses représentants figurerait sur cette liste. Au cours de l'instance arbitrale, Mme [C] [R] a été interrogée à plusieurs reprises sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré ce document et a refusé de répondre (transcription d'audience, pièce Alstom, n° 58-1, p. 97 et 98 de la traduction française). Un rapport de la CNR [entreprise publique chinoise de fabrication de trains et de matériel ferroviaire, société-mère de Datong] concernant la proposition de coopération entre Alstom et Datong (pièce Alstom n° 62-1, p. 18 à 22), qui expose les objectifs poursuivis par Datong dans ses relations avec Alstom, spécialement en matière de transfert de technologie. Ce document est accompagné d'un courrier de Mme [C] du 16 avril 2004 précisant qu'il "provient du bureau de la CNR". Au cours de l'audience d'arbitrage, Mme [C] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré ce document (transcription de l'audience, pièce Alstom, n° 58-1, en traduction française, p. 98 et 99). Un rapport d'évaluation par le ministère des chemins de fer des offres techniques soumises par Alstom et par ses concurrents, Siemens et Bombardier (pièce Alstom n° 62-1, p. 33 à 42). Ce rapport, dont Alstom affirme, sans être contredite, qu'il a été émis avant le dépôt des offres par les différents soumissionnaires, précise les caractéristiques techniques ainsi que les conditions financières des offres des trois concurrents, et expose la politique de prix appliquée par le ministère des chemins de fer. Le courrier d'accompagnement de Mme [C] du 9 mai 2004 n'en indique pas l'origine. Au cours de l'audience d'arbitrage, Mme [C] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions du conseil d'Alstom sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré ce document (transcription de l'audience, pièce Alstom, n° 58-1, en traduction française, p. 97 et 99 ). Devant la cour, ABL avance l'explication suivante : "Dans la mesure où l'appel d'offres est un processus itératif en Chine et que le gouvernement n'hésite pas à communiquer des informations pour obtenir l'offre la plus pertinente et la meilleure, le MCCF [ministère chinois des chemins de fer] a transmis à ABL, comme il l'a fait pour les autres soumissionnaires, des informations nécessaires à l'élaboration des soumissions." ABL ajoute, sans expliciter les conséquences qu'elle tire de cette information : "De surcroît, dans la mesure où l'objectif contemporain des autorités chinoises était d'obtenir des transferts de technologie, les entreprises occidentales avaient l'obligation de s'associer à des partenaires locaux licenciés. Alstom, à défaut d'être licenciée était en tout état de cause contrainte de travailler avec des entreprises chinoises licenciées." (concl. n° 4, p. 21) Toutefois, comme le fait observer Alstom, bien que la question de l'origine des documents sensibles ait été débattue au cours de l'arbitrage, il n'apparaît pas qu'ABL ait alors soutenu qu'ils auraient été obtenus dans le cadre d'un dialogue ouvert et légitime entre le gouvernement et les soumissionnaires. ABL ne produit aucune correspondance officielle établissant l'existence de tels échanges, ni d'ailleurs aucune pièce démontrant que les concurrents d'Alstom auraient bénéficier des mêmes informations, cette dernière circonstance ne pouvant se déduire du fait que ces entreprises ont obtenu d'autres marchés. Plus généralement, ABL ne démontre par aucun document qu'un tel "processus itératif', comportant la divulgation des offres des concurrents, ferait partie des pratiques admises en Chine, alors qu'Alstom établit, au contraire, que la loi sur les appels et les soumissions d'offre de la République populaire de Chine du 30 août 1999 impose à l'autorité adjudicatrice une stricte confidentialité (art. 38, pièce Alstom, n° 86), et que ce principe s'applique y compris dans la procédure dite de "dialogue compétitif' prévue par la loi sur les marchés publics du 29 juin 2002, dont l'article 44 (4) dispose que "tous les membres de l'équipe de négociation négocient individuellement avec les fournisseurs. Au cours de la négociation, aucune des parties ne peut révéler des données techniques ou des prix d'autres fournisseurs, ou toute autre information concernant la négociation." (pièce Alstom, n° 87). La transmission par un consultant à un candidat à un appel d'offre d'informations confidentielles émanant de l'autorité adjudicatrice, sans précision sur les conditions de leur obtention, est un indice particulièrement grave de pratiques corruptrices. Le 17 novembre 2008, Alstom a fait un second versement de 932.800, euros (25 % de la rémunération totale du contrat n° 1), dont il n'est pas discuté qu'il correspond à la totalité de la facture n° 2. Elle produit sous la pièce 62-2 le dossier de preuves de service produit par ABL à l'appui de cette facture. Il comporte 53 notes, datées du 8 janvier 2006 au 9 septembre 2009, signées de Mme [C]. Elles sont généralement plus longues que les précédentes. Elles portent sur des difficultés techniques d'exécution du marché. Elles consistent en traductions ou résumés de documents ou de courriers émanant du ministère des chemins de fer du CNTIC (China National Technical Importe and Export Corporation), sans commentaire de Mme [C]. La traduction mise à part, ces pièces ne démontrent aucune valeur ajoutée d'ABL qui se contente de jouer le rôle de boîte aux lettres. Au surplus, mis à part les courriers datés du 8 janvier, 15 février, 9 septembre 2006 et 13 janvier 2007, les notes figurant dans le second dossier de preuves ne mentionnent, contrairement à celles du premier dossier, aucun nom de destinataire, de sorte qu'il est impossible de savoir si elles ont été effectivement envoyées aux dates qu'elles indiquent ou si, comme le prétend Alstom, elles auraient pu être produites par ABL posteriori afin d'étoffer son dossier de preuves documentaires (concl. Alstom, p. 59). ABL ne s'est pas expliquée sur ce point. En conclusions sur le contrat n° 1, il apparaît que les seules diligences d'ABL qui sont démontrées par des pièces incontestablement contemporaines des faits, qui correspondent - au-delà de simples prestations de traduction et de service de boîte-aux-lettres -, à sa mission de consultant, et qui n'apparaissent pas disproportionnées à la somme globale de 2.052.160,00 euros réglée par Alstom, ont consisté dans la communication de documents confidentiels, dont les conditions d'obtention délibérément dissimulées font présumer l'origine illicite.

Le contrat de consultant n°2 :Le 22 décembre 2004, les deux sociétés Alstom ont conclu avec la société ABL un contrat de consultant afin de répondre à l'appel d'offres lancé par le ministère chinois des transports pour la conception et la fourniture de rames automotrices électriques de transport de passagers pour des trains à grande vitesse. Il était conçu dans les mêmes termes que le premier contrat et contenait en particulier la même prohibition des paiements illicites aux agents publics étrangers. Le contrat prévoyait une rémunération totale de 0,5 % du marché, soit 3.122.000,00 euros. Il stipulait un premier paiement partiel (30 %) à la date d'entrée en vigueur du marché et réception du premier acompte de la part du client chinois. Alstom a réglé intégralement le premier versement de 936.660,00 euros (30 % du total) le 10 février 2006, au vu du dossier fourni par ABL à l'appui de sa facture. Alstom produit ce dossier en pièce n° 63-1 en faisant valoir des arguments identiques à ceux développés à l'égard du contrat n° 1. Ce dossier contient 16 notes rédigées par Mme [C] [R] datées du 5 septembre 2003 au 28 janvier 2005, soit une période de 17 mois environ, adressées à M. [K] [E]. Ces notes sont très brèves. Elles se bornent à transmettre des documents entre Alstom, son partenaire local, et le ministère des chemins de fer, sans commentaire de Mme [C]. Il n'est pas démontré que des documents joints - et, notamment, le projet de protocole d'accord avec Sifang - seraient l'oeuvre d'ABL. Certains documents versés au dossier sont des copies de courrier, des notes ou des présentation powerpoint d'Alstom et ne correspondent donc à aucun service rendu par ABL (pièce n° 63-1, p. 54 à 77, p. 84 à 93, p.96 à 105, p.116, p. 118-119). Les notes mentionnant des réunions qui auraient eu lieu entre Mme [C] et des membres du ministère des chemins de fer ne sont accompagnées d'aucune documentation contemporaine prouvant qu'elles se sont effectivement tenues (pièce n° 63-1, p. 83, 150 et 157). Alstom soutient que le dossier joint à la première facture contient un document confidentiel. Il s'agit d'une présentation powerpoint par un concurrent de sa stratégie commerciale sur le marché chinois, de sa conception des transferts de technologie et des caractéristiques techniques de ses trains à grande vitesse (pièce n° 63-1, p. 2 à 43). La note d'accompagnement de Mme [C] précise qu'il s'agit d'un document provenant du ministère des chemins de fer relatif à la présentation EMU [electrical multiple units, ou rames automotrices électriques] de Siemens. Alstom fait valoir que Mme [C] [R] a confirmé lors de l'audience d'arbitrage qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur la façon dont elle avait obtenu ce document (transcription de l'audience, pièce n° 58-1, p. 99- 100). Devant la cour, ABL soutient pour la première fois que ce document ne serait nullement confidentiel, qu'il aurait été divulgué lors d'une conférence ouverte au public et non à l'occasion d'un rendez-vous bilatéral, qu'il ne contiendrait que des informations générales et aurait été émis avant même le lancement de l'appel d'offres (concl. n° 4, p. 39). Toutefois, d'une part, il résulte de l'audition de Mme [C] au cours de l'instance arbitrale (pièce Alstom n° 58-1, p. 99, § 21 à 25) qu'il s'agit d'une présentation qui a été faite par Siemens "au ministère chinois des chemins de fer", de sorte que si plusieurs personnes y ont assisté - ce qui est le propre d'une présentation powerpoint - elles appartenaient à ce ministère où avaient été choisies par lui. D'autre part, si cette présentation revêtait un caractère commercial et non technique ni financier, elle exposait plusieurs stratégies de développement envisagées par Siemens en Chine, de sorte qu'il n'est pas vraisemblable qu'elle ait été rendue public, et qu'elle pouvait présenter un intérêt pour les entreprises qui aspiraient à s'implanter ou à se développer sur le marché chinois du matériel ferroviaire. Le 17 novembre 2008, Alstom a effectué, au titre du contrat n° 2, les deuxième et troisième versements de 624.400,00 euros et de 936.660,00 euros, représentants respectivement, 20 % et 30 % de la rémunération totale. Le dossier de preuves de services sur la base duquel ces paiements sont intervenus contient 56 notes datées du 25 avril 2006 au 8 août 2011. Il appelle les mêmes observations que le second dossier afférent au contrat n° 1. Il s'agit de traductions ou de résumés de documents émanant du ministère des chemins de fer, du CNTIC ou du CRC [China Railway Corporation] sans analyse ni recommandation de la part d'ABL. En outre, à partir d'octobre 2006, ces notes ne désignent aucun destinataire au sein d'Alstom, de sorte que la réalité de leur envoi est douteuse.

Le contrat de consultant n° 3 : Le 2 décembre 2009, les parties ont signé un contrat de consultant afin de soumissionner à un appel d'offres lancé par l'entreprise publique Shanghai Shentong Holding Group pour la fourniture de matériel roulant à l'occasion de l'extension de la ligne 2 du métro de Shanghai. Il stipulait une rémunération de 2 % du montant total du marché soit 672.000, 00 euros. Alstom n'a rien réglé à ce titre et le tribunal arbitral a rejeté la demande en paiement formée par ABL de ce chef. Toutefois, l'examen des conditions d'exécution de ce contrat conclu entre les mêmes parties apparaît pertinent dans le cadre d'une recherche d'indices de corruption. Le dossier de pièces justificatives de services rendus par ABL pour le contrat n°3 est produit par Alstom sous la cote n° 64. Il comporte une chronologie des actions menées par Mme [C] [R] (pièce n° 64, p. 4) selon laquelle : "Date. Contacts Sujets et messages. 28 janvier 2008 [G] [X]. Maire. Bien que CRC [partenaire chinois de Bombardier] ait obtenu quelques points en plus que le consortium Alstom/Puzhen/[O] dans l'évaluation de l'offre, il a été demandé au maire de Shanghai d'attribuer le projet à Satco pour tenir compte du futur de la coentreprise." Dans ce même dossier figurent :- un courriel envoyé le 30 janvier 2008 par Mme [C] à M. [Q] [A] [directeur de "business development" d'Alstom Transport en Chine] suivant lequel : "Shentong annoncera le résultat de l'évaluation technique de l'extension est de la ligne 2 et ouvrira les offres de prix le vendredi 1" février. La décision définitive sera annoncée le lundi 4 février." (Pièce Alstom n° 64, p. 8), - un courriel envoyé le 11 février 2008 par Mme [C] à M. [A] qui explique : "Pour l'extension est de la ligne 2 de Shanghai, le premier tour d'évaluation (partie technique) ne nous est pas favorable : le score de la CRC est de 93,08; Zhuzhou, 85,75; Puzhen, 90,96. Les prix ouverts sont les suivants : 823 de la CRC,- 817 de Zhuzhou et 815 de Puzhen. Sur la base de la méthode de calcul d'appel d'offres, CRC avait 0,6 points de plus que nous. Mais les autorités municipales ont décidé de nous accorder le projet. Ensuite, nous avons obtenu tous les points pour les pièces détachées. Finalement, nous avons gagné cet appel d'offres avec + 0,4 points." (pièce Alstom, n° 64, p. 10). Il en résulte, d'une part, qu'ABL a été informée le 28 janvier 2008 des résultats de l'évaluation technique des offres qui n'ont été officiellement annoncés que le 4 février 2008, d'autre part, que la coentreprise Alstom/Puzhen/[O] a remporté l'appel d'offres en dépit d'un score inférieur à celui de ses concurrents. Lors de son audition par les arbitres, Mme [C] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur les moyens par lesquels cette décision avait été obtenue (transcription des débats, pièce Alstom n° 58-1, traduction française, p. 109 à 111). Au cours de l'instance arbitrale, ABL a soutenu que la décision d'attribution du marché résultait, d'une part, de la prise en compte par le maire de Shanghai des arguments de Mme [C] relatifs aux risques de pertes importantes qui seraient éprouvées par le partenaire chinois d'Alstom en cas d'échec, d'autre part, des efforts faits par Alstom pour réduire ses prix sur les pièces détachées. En réalité, il résulte du courriel du 11 février 2008 que l'offre d'Alstom était moins bien notée que celle de ses concurrents au terme de la pondération opérée entre les critères techniques et financiers, et qu'elle a néanmoins été retenue, sur l'intervention des autorités municipales, avant toute prise en considération du prix des pièces détachées. Il apparaît, par conséquent, que la concurrence a été faussée, d'une part, parce qu'Alstom a été informée de l'évaluation des offres avant leur publication, d'autre part, parce que l'attribution du marché s'est faite sur des critères étrangers à ceux de l'appel d'offres, sans aucun commencement de démonstration de la nature de ces critères. Ainsi qu'il a déjà été dit, ABL n'établit pas davantage que les autorités chinoises pratiqueraient de manière ouverte et illicite un "processus itératif' d'attribution des marchés impliquant la divulgation des offres des concurrents et de leur évaluation par l'adjudicateur avant leur publication officielle.

Les audits : A la suite de l'enquête pénale engagée par les autorités américaines et britanniques, ABL a accepté de se prêter à deux audits comptables réalisés par Alstom en août 2012 et juin 2013. Le rapport établi à la suite du premier audit et portant sur les exercices clos au 31 décembre 2009, 2010 et 2011 (pièce Alstom n° 65), apparaît utile pour apprécier les indices de pratiques corruptrices, dès lors qu'il n'est pas contesté par ABL que la structure des comptes fait apparaître les éléments suivants : "3. Résumé [le rapport relève qu'il n'y a pas d'autres encaissements que ceux provenant d'Alstom et que les derniers paiements, faits notamment au titre du contrat de consultant n° 1, remontent à février 2009. Sur les sorties, il constate] : le total des sorties de trésorerie de décembre 2009 à 2011 s 'élevait à 4.665 k $ et était principalement lié à des dividendes payés aux actionnaires (1.886 k $), à des coûts opérationnels (1.597 k $) et au remboursement de "montants dus aux actionnaires " (742 k $) ; les coûts opérationnels ne sont pas payés via les comptes bancaires d 'ABL. Les actionnaires ont supporté les dépenses et payé les différents vendeurs à travers leurs propres cartes de crédit. Les dépenses sont ensuite groupées et enregistrées dans le compte "montant dû aux actionnaires" ; aucune transaction inhabituelle importante n'a été identifiée pendant notre revue et les principales transactions ont été identifiées. Cependant, plusieurs erreurs comptables et problèmes de contrôle interne ont été relevées (cf .§4) 4. Observations détaillées .? revue des dépenses opérationnelles d'ABL. Nous avons passé en revue plusieurs dépenses opérationnelles engagées pour des déplacements, divertissements, locations, frais de gestion et frais de consultants. Notre analyse a révélé plusieurs erreurs de comptabilité et des faiblesses de contrôle interne : le niveau de documentation n'est pas considéré comme approprié, étant donné que la plupart des coûts testés sont uniquement justifiés par des tickets de carte de crédit. Le but et la nature des coûts ne sont pas déclarés. Plusieurs reçus sont regroupés. Notre analyse a mis en évidence que les entrées comptables sont difficilement conciliables avec les reçus ; différentes erreurs ont été relevées concernant le remboursement et la déclaration des coûts (incohérence entre le reçu et le remboursement) ; certains reçus sont libellés au nom d'entreprises tierces, telle que Beijing Dacelue Business Consulting ; plusieurs achats d'articles d'importante valeur, tels que des peintures et des meubles, ne sont pas déclarés dans les actifs de la société. Selon le Conseiller en affaires, les actifs sont utilisés dans son bureau de Beijing. A noter que les dépenses opérationnelles d'ABL sont constituées de nombreuses transactions de faible montant." Suivant l'annexe 1 ("Récapitulatif des flux de trésorerie cumulés pour l'exercice clos au 31 décembre 2011") : - le total des encaissements pour 2009, 2010 et 2011 s'élevait à 4.212.000 USD dont 4.192. 000 USD reçus d'Alstom et 20.000 USD d'intérêts reçus pour l'acompte, - les dividendes versés s'élevaient à 1.886.000 USD, les dépenses opérationnelles à 1.597.000 USD, et les remboursements de prêts en compte courant d'associés à 742.000 USD. L'état des pertes et profits (annexe 2) faisait ressortir, sur trois années, des frais de location et de gestion de 555.000 USD, des frais de déplacement de 331.000 USD , des frais de consultant de 206.000 USD, des salaires de 177.000 USD, et des frais de "divertissement" de 125.000 USD. Le bilan faisait apparaître pour les trois années un passif courant de 1.607 USD (dont 1.605.000 USD de montants versés aux actionnaires et 2.000 USD de dépenses accumulées), un capital social de 1.000 USD et des bénéfices non distribués de 2.948.000 USD. Contre l'allégation par Alstom du caractère suspect de cette comptabilité, au regard, notamment, du paiement des dépenses opérationnelles sur les comptes personnels des associés et sans facture, ou du montant très élevé des frais de divertissement, ou encore de l'achat d'objets coûteux qui ne figurent pas à l'actif de la société, ABL fait valoir : qu'elle a été choisie comme consultant à la suite d'un audit approfondi, qu'elle a accepté de coopérer aux audits réalisés par Alstom en 2012 et 2013, que les résultats de ces audits, menés unilatéralement par Alstom, ne lui ont pas été communiqués avant l'arbitrage, que ses comptes ne révèlent aucun paiement injustifié ni aucune preuve de corruption, que les erreurs relevées dans sa comptabilité sont marginales, qu'elles n'entachent pas la régularité de ses comptes et qu'elles portent sur des sommes trop faibles pour constituer des pots de vin, que, du reste, les auditeurs n'ont nullement alerté Alstom sur l'existence de faits illicites et sur la nécessité de rompre toutes relations avec ABL, que ses comptes sont certifiés par un cabinet d'expertise comptable de [Localité 1] qui a attesté au cours de l'instance arbitrale que la plupart des dépenses des actionnaires étaient justifiées par des reçus. Sur les objections de l'intimée, il sera observé, en premier lieu, que la circonstance qu'ABL aurait été soumise, avant la conclusion des contrats, à un audit approfondi d'Alstom à la supposer démontrée, n'établit nullement qu'ABL n'aurait pu ultérieurement recourir à des pratiques illicites, étant au demeurant observé que selon une attestation établie le 21 juillet 2014 par M. [V], préposé de la société CCH Management Ltd, représentant fiscal et comptable d'ABL (pièce ABL, n° 26), cette société qui avait pour objet l'affrètement de conteneurs était en sommeil depuis le 31 décembre 2000, et n'a été réactivée à compter du 1er décembre 2004 que pour fournir les services de consultation qu'Alstom confiait à Mme [C] depuis janvier 2003 (pièce Alstom n° 58-2, audition de Mme [C], p. 66), de sorte qu'un audit portant sur une coquille vide ne pouvait fournir que peu d'informations pertinentes. En deuxième lieu, ABL s'est prêtée aux audits parce qu'Alstom, qui était sa seule source de revenus, en faisait la condition de ses paiements, et, qu'en outre, ABL pouvait présumer qu'Alstom ne se prévaudrait pas d'éléments susceptibles d'incriminer son propre comportement - ce qui s'est révélé partiellement exact puisqu'Alstom, en dépit de l'injonction qui lui a été faite par l'arrêt du 10 avril 2018, n'a pas produit les résultats du second audit portant sur la période 2004-2008. En troisième lieu, il résulte de l'audition de M. [V], qui a participé aux deux audits et rencontré les responsables internes de la conformité d'Alstom (pièce ABL, n° 26 et pièce Alstom 58-2, transcription de l'audience tenue le 24 mars 2015, audition de M. [V] p. 7), qu'au moins avant l'audience arbitrale le résultat du premier audit avait été communiqué à ABL (pièce 58-2, p. 18) qui avait été en mesure d'en débattre, notamment par l'audition de M. [V]. En quatrième lieu, la preuve de faits de corruption s'établit par des indices, l'habitude n'étant pas de faire apparaître explicitement dans la comptabilité les sommes employées à cette fin. En cinquième lieu, l'audit n'avait pas d'autre objet que de dresser un tableau de la situation comptable d'ABL en laissant aux dirigeants d'Alstom le soin d'en tirer les conséquences qui leur paraîtraient appropriées, ce qu'ils ont fait en refusant de régler le solde des contrats 1 et 2 et en s'abstenant de tout paiement au titre du troisième contrat de consultant. En dernier lieu, sur les dépenses opérationnelles de la société faites par cartes bancaires depuis les comptes personnels des associés, il résulte des déclarations de M. [V] et il n'est pas d'ailleurs contesté, qu'elles portaient sur des sommes individuellement modestes, quoique pour un total élevé, supérieur à 500.000 $ par an. Si M. [V] soutient que ces dépenses s'accompagnaient de justificatifs, il n'allègue pas que ceux-ci consisteraient en factures et non en simples reçus de cartes de crédit, ni qu'ils seraient exhaustifs. Alstom ne produit pas de compte rendu du second audit, portant sur les exercices 2004 à 2008, mais seulement le bordereau d'envoi de ce document par les auditeurs qui contient un résume très succinct. Il en ressort que les recettes sur l'ensemble de la période s'élèvent à 7.347.000 USD constitués de 4.192.000 USD de règlements d'Alstom et de 153.000 USD d'intérêts versés par les banques, que le total des décaissements a consisté en dividendes payés aux actionnaires (2.204.000 USD) et en dépenses opérationnelles (1.841.000 USD), celles-ci étant payées par les actionnaires et faisant l'objet d'un remboursement (pièce Alstom n° 66). ABL ne conteste pas que la structure de ses comptes corresponde à cette brève description qui est d'ailleurs cohérente avec celle observée sur la période suivante. En conclusion, il résulte du premier audit que les associés d'ABL (Mme [C] elle-même, ainsi que sa soeur et son beau-frère, directeur exécutif : concl. ABL, p. 21) ont reçu en trois ans 1.886.000 USD sous forme de dividendes, dont l'usage n'est pas contrôlable, 1.597.000 USD de remboursement de dépenses courantes sans factures, et 742.000 USD de remboursement de prêts en compte courant d'associés, soit environ 90 % des sommes versées par un donneur d'ordre unique, Alstom. Le second audit aboutit à un résultat analogue. Il s'en déduit qu'ABL était essentiellement un véhicule de transfert de fonds vers ses associés, pour des usages peu ou pas vérifiables. A cette circonstance s'ajoutent l'achat de biens coûteux (meubles, oeuvres d'art) qui n'ont pas été retrouvés à l'actif, ainsi que des dépenses de "divertissement" d'un montant élevé (plus de 40.000 USD par an en moyenne).

Les moyens matériels et humains d'ABL : Un autre indice du recours à des procédés illicites tient à la faiblesse des moyens matériels et humains d'ABL. Si celle-ci prétend qu'elle employait neuf salariés, elle ne produit à l'appui de cette allégation que des "fiches de renseignement du consultant" envoyées à Alstom à compter de 2008 ("Business Advisor Profile" de 2008, 2009, 2011 et 2012 : pièces ABL n° 20 à 23). Outre le fait que ces documents sont purement déclaratifs et ne précisent pas le nom et le rôle des personnes en cause, ils ne sont pas corroborés par la production de contrats de travail ou tout autre justificatif matériel. Dans ses écritures devant la cour ABL affirme que quatre salariés dont elle précise les noms et les diplômes auraient assisté Mme [R] pour l'exécution des missions confiées par Alstom. Elle verse aux débats la photocopie des cartes d'identité et des diplômes de M. [X] et de Mme [I], ainsi que la photocopie de la carte d'identité de M. [L] et du passeport de Mme [Z], mais pas d'attestation de leur part témoignant de ce qu'ils ont travaillé pour ABL (pièces n° 27 à 30). Les pièces produites par ABL ne rapportent donc pas la preuve de l'emploi de ces personnes quoique la cour, par son arrêt du 10 avril 2018, ait expressément invité les parties à s'expliquer sur l'existence d'indices de corruption, tenant notamment à l'insuffisance des moyens matériels et humains du consultant au regard de l'importance de la prestation revendiquée. Cette preuve ne résulte pas davantage des dossiers de pièces justificatives qui accompagnaient les factures, ni des témoignages des protagonistes recueil lis au cours de l'instance arbitrale, qui font apparaître Mme [R] comme l'unique interlocutrice d' Alstom et des autorités chinoises. En ce qui concerne les moyens matériels, Alstom fait valoir (concl., p. 66) qu'ABL n'avait pas de bureau en nom propre, ni à l'adresse de son siège social à Hong Kong, ni sur le reste du territoire chinois. Elle expose qu'à Hong Kong, elle utilisait les services d'une société de domiciliation, qu'à Pékin et Shanghai, ABL n'était pas enregistrée auprès des chambres de commerce et d'industrie et qu'aucun document officielle ne faisait référence à ces bureaux, enfin que l'adresse pékinoise communiquée par ABL correspondait à celle de Mme [R]. ABL réplique : "Le "Compliance officer" ou agent de conformité d 'A LSTOM avait visité les bureaux de Hong Kong et de Pékin avant la formalisation des accords entre les parties, il avait décliné le rendez-vous de visite des locaux de Shanghai. ABL dispose donc de locaux qu 'elle peut utiliser pour recevoir ses clients et interlocuteurs ainsi que d'un support technique, administratif et comptable." (concl. ABL n° 4, p. 22). L'allégation d'une visite des locaux avant la conclusion du premier contrat, qui est contestée par Alstom, n'est corroborée par aucune pièce versée aux débats. En revanche, il est établi que l'adresse du siège social d'ABL à [Adresse 4], est celle d'une société de domiciliation, CCH Secretarials Ltd (pièce Alstom, n° 85), qui est aussi celle du représentant fiscal et comptable d'ABL, la société CCH Management (pièce ABL n° 20 et n° 26). Quant au fait que l'adresse pékinoise d'ABL correspondrait à celle du domicile déclaré par Mme [R] [C] dans les documents d'enregistrement de la société ([Adresse 1], [Adresse 3]), il résulte d'un rapport établi le 15 novembre 2011 à la suite d'une enquête officieuse confiée par Alstom à une société ADIT (pièce Alstom, n° 85). ABL ne conteste pas cette pièce et, bien qu'invitée par l'arrêt du 10 avril 2018 à justifier de ses moyens matériels, ne produit aucun élément démontrant l'existence de locaux professionnels. En conclusion, il résulte de tout ce qui précède que des rémunérations de 3.731.200,00 euros et de 3.122.000,00 euros ont été stipulées par deux contrats de consultants conclus le 26 août 2004 et le 22 décembre 2004 avec une société qui n'avait aucune activité auparavant, et qui n'est pas en mesure de justifier de locaux professionnels ni de l'emploi de salariés; que ces rémunérations ont été réglées à concurrence respectivement de 2.052.160,00 euros et de 2.497.720,00 euros, en considération de services dont les seuls qui sont démontrés par des pièces incontestablement contemporaines des faits et qui ne sont pas disproportionnés à ces sommes, ont consisté dans la communication de documents confidentiels en violation des lois chinoises sur les appels d'offres, que ces rémunérations constituaient l'unique source de revenus d'ABL et qu'elles étaient reversées à concurrence de 90 % environ aux trois actionnaires, Mme [R] et des membres de sa famille, dans des conditions ne permettant pas de contrôle réel de leur utilisation, et que la comptabilité du consultant révélait en outre des dépenses suspectes telles que des objets d'art ou des meubles de prix ne figurant pas à l'actif. Au surplus, il est établi qu'un troisième contrat de consultant conclu avec ABL a abouti, grâce à l'intervention de Mme [R] auprès du maire de Shanghai, à l'attribution d'un marché à Alstom, quoique l'offre de cette dernière ait été moins bien notée que celle de ses concurrents, ce qu'elle avait d'ailleurs appris de Mme [R] avant la publication des résultats. Il résulte de l'ensemble de ces éléments des indices graves, précis et concordants de ce que les sommes versées par Alstom à ABL finançaient et rémunéraient des activités de corruption d'agents publics. Au surplus, si ni ABL ni Alstom n'ont été poursuivis pour ces faits - ce qui relève de la politique pénale des autorités chinoises -, il n'en reste pas moins que M. [J] [U], ministre des chemins de fer de 2003 à 2011 et interlocuteur de Mme [R], a été condamné en 2013 à la prison à vie pour avoir perçu environ 65 millions de yuans de pots-de-vin (environ 8,6 millions d'euros) entre 1986 et 2011 (pièce Alstom, n° 83), et que M. [X] [P], ingénieur en chef adjoint de ce ministère a été condamné à la même peine pour avoir reçu 47 millions de yuans de pots-de-vin (environ 6,2 millions d'euros) entre 2000 et 2011 (pièce Alstom n° 84). Alstom ajoute encore qu'elle était coutumière des pratiques de corruption d'agents publics étrangers, notamment par l'intermédiaire de prétendus consultants, ainsi qu'elle l'a reconnu aux termes d'accords de 2013 et 2014 avec le ministère américain de la Justice portant sur des faits commis en Indonésie, en Arabie saoudite, en Égypte et aux Bahamas (pièces Alstom n° 8 et 9). Cette circonstance doit être retenue, peu important qu'elle bénéficie à celui qui se prévaut de sa propre turpitude, dès lors que le refus de donner force à un contrat de corruption transcende les intérêts des parties. Il convient, par conséquent, de juger que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence qui condamne Alstom à payer des sommes destinées à financer ou à rémunérer des activités de corruption est contraire à l'ordre public international, d'infirmer l'ordonnance qui l'a revêtue de l'exequatur, de rejeter la demande d'exequatur d'ABL et de condamner celle-ci à restituer à Alstom Transport la somme de 1.828.850,88 euros correspondant aux fonds qui lui ont été transférés par voie de saisie-attribution ;

1°) ALORS QUE le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris notamment que « des rémunérations de 3.731.200,00 euros et 3.122.000,00 euros ont été stipulées par deux contrats de consultant, conclus le 26 août 2004 et le 22 décembre 2004, avec une société qui n'avait aucune activité auparavant, et qui n'est pas en mesure de justifier de locaux professionnels ni de l'emploi de salariés, que ces rémunérations étaient réglées à concurrence respectivement de 2.050.160,00 euros et de 2.497.720,00 euros, en considération de services dont les seuls qui sont démontrés par des pièces incontestablement contemporaines des faits et qui ne sont pas disproportionnés à ces sommes, ont consisté en la communication de documents confidentiels en violation des lois chinoises sur les appels d'offres, que ces rémunérations constituaient l'unique source de revenus d'ABL et qu'elles étaient reversées à concurrence de 90 % environ aux trois actionnaires, Madame [R] et des membres de sa famille, dans des conditions ne permettant pas de contrôle réel de leur utilisation, et que la comptabilité du consultant révélait en outre des dépenses suspectes telles que des objets d'art ou des meubles de prix, ne figurant pas à l'actif » et qu'« un troisième contrat de consultant conclu avec ABL a abouti, grâce à l'intervention de Madame [R] auprès du maire de Shanghai, à l'attribution d'un marché à Alstom, quoique l'offre de cette dernière ait été moins bien notée que celle de ses concurrents, ce qu'elle avait d'ailleurs appris de Madame [R] avant la publication des résultats » et « qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments des indices graves, précis et concordants de ce que les sommes versées par Alstom à ABL finançaient et rémunéraient des activités de corruption d'agents publics » (arrêt attaqué p. 18), après avoir pourtant constaté que le tribunal arbitral, dans sa sentence du 29 janvier 2016, a statué sur le moyen des sociétés Alstom qui soutenaient que la société ABL pouvait avoir eu recours à des pratiques de corruption dans l'exécution des contrats de consultant, en relevant qu'il n'y avait pas lieu, compte tenu de circonstances de l'espèce, de les faire bénéficier d'un abaissement du niveau de la preuve et qu'il n'était pas prouvé l'existence d'une activité illicite de la société ABL (arrêt attaqué, p. 7), la cour d'appel, qui a ainsi procédé à une nouvelle instruction au fond de l'affaire déjà soumise au tribunal arbitral, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en affirmant que « l'examen par le juge de l'exequatur de l'allégation selon laquelle une sentence arbitrale allouerait des sommes destinées à financer une activité de corruption ne saurait porter, eu égard au caractère occulte des faits de corruption, que sur la réunion d'un faisceau d'indices » et que « c'est sur l'admissibilité, au regard des règles de procédure civile, des preuves soumises par l'appelant, sur la réalité des indices, et sur leur caractère suffisamment grave, précis et concordant, et non sur des faits de corruption précisément identifiés, que porte, en l'espèce, l'exercice des droits de la défense » (arrêt attaqué, p. 6 § 2), pour se fonder ensuite sur des pièces qui n'ont pas été produites devant le tribunal arbitral (pièce Alstom n° 66, n° 84, n° 85 arrêt attaqué p. 16 in fine et 18 § 1, 2 et 5), la cour d'appel, qui a ainsi révisé la sentence arbitrale, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

3°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE s'agissant de la violation de l'ordre public international, seule la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est examinée par le juge de l'annulation au regard de la compatibilité de sa solution avec cet ordre public ; que la sentence ne peut être annulée, ou l'exequatur refusé, que lorsque la solution qu'elle consacre heurte de manière grave, effective et concrète les exigences de l'ordre public international ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, après avoir constaté que grâce aux efforts et services de la société ABL, les marchés ont été attribués à Alstom, que celle-ci a payé 55 % du montant du contrat n° 1 du 26 août 2004 et 80 % du contrat n° 2 du 22 décembre 2004 en deux versements des 10 février 2006 et 17 novembre 2008 (arrêt attaqué p. 6 § 3), que le tribunal arbitral a écarté les allégations des sociétés Alstom selon lesquelles les paiements étaient susceptibles d'être interprétés par certaines entités étatiques comme la rémunération de pratique de corruption (arrêt attaqué p. 7), que ni ABL, ni Alstom n'ont été poursuivies pour des activités de corruption d'agents publics par les autorités chinoises et que Alstom était coutumière de pratiques de corruption d'agents publics étrangers (arrêt attaqué p. 18), de sorte que la reconnaissance et l'exécution de la sentence condamnant la société Alstom à verser le solde des commissions dues au titre des contrats de consultants des 26 août et 22 décembre 2004, pour des marchés obtenus en Chine par Alstom en 2004 et 2005, ne heurtait pas de manière grave, effective et concrète les objectifs de lutte contre la corruption au moment où la cour d'appel statuait, celle-ci n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 1520.5° du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance du 30 mars 2016 par laquelle le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris a conféré l'exequatur à la sentence rendue le 29 janvier 2016 entre les parties, et rejeté la demande d'exequatur formée par la société ABL ;

AUX MOTIFS QUE la prohibition de la corruption d'agents publics étrangers est au nombre des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la violation même dans un contexte international. Elle relève par conséquent de l'ordre public international. La lutte contre la corruption est un objectif poursuivi, notamment, par la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997, entrée en vigueur le 15 février 1999, et par la Convention des Nations Unies contre la corruption faite à [Localité 2] le 9 décembre 2003, entrée en vigueur le 14 décembre 2005. Suivant le consensus international exprimé par ces textes, la corruption d'agent public étranger consiste à offrir à celui-ci, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, afin qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte dans l'exercice de ses fonctions officielles, en vue d'obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu en liaison avec des activités de commerce international. Si la République française et la République populaire de Chine sont toutes deux dotées d'incriminations pénales des faits de corruption, il n'entre pas dans la mission de cette cour, saisie de l'appel de l'ordonnance d'exequatur d'une sentence internationale, de rechercher si une partie à l'arbitrage peut être déclarée coupable d'un délit de corruption en application des dispositions pénales d'un ordre juridique national, mais seulement de rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence méconnaît l'objectif de lutte contre la corruption en ce que la condamnation prononcée par cette sentence aurait pour effet de financer ou de rémunérer une activité de corruption ou de trafic d'influence. A cet égard, l'éventuelle mauvaise foi de la partie débitrice est indifférente, dès lors qu'est seulement en cause le refus de l'ordre juridique français de prêter le secours des voies de droit au paiement de sommes pour une cause illicite. La présente instance n'ayant nullement pour objet le prononcé de sanctions pénales, la défenderesse ne peut utilement soutenir qu'elle n'aurait pas été mise en mesure de répondre à l'accusation d'avoir commis, en des lieux et à des dates déterminées, des faits de corruption d'un ou de plusieurs agents publics précisément identifiés.
L'examen par le juge de l'exequatur de l'allégation selon laquelle une sentence arbitrale allouerait des sommes destinées à financer une activité de corruption ne saurait porter, eu égard au caractère occulte des faits de corruption, que sur la réunion d'un faisceau d'indices. C'est sur l'admissibilité, au regard des règles de procédure civile, des preuves soumises par l'appelant, sur la réalité des indices, et sur leur caractère suffisamment grave, précis et concordant, et non sur des faits de corruption précisément identifiés, que porte, en l'espèce, l'exercice des droits de la défense. En l'espèce, les circonstances suivantes sont tenues pour établies par la sentence et ne sont pas contestées par les parties : - en 2003 un contact a été pris entre les dirigeants d'Alstom Transport et Mme [R] [C], directrice d'ABL et ancienne salariée d'Alstom Group en Chine (sentence, § 180), - ABL a été choisie, au terme d'une procédure d'audit décrite aux paragraphes 186 à 189 de la sentence, parce qu'Alstom a considéré "qu'elle était proche des décideurs et qu'elle était au courant du processus de prise de décisions au sein du Ministère chinois des chemins de fer" (sentence, § 181), - le contrat de consultant n° 1 du 26 août 2004 (locomotives de fret lourd) fixait une rémunération représentant 1% du montant total du marché, soit 3.731.200,00 euros, le contrat n° 2 du 22 décembre 2004 (rames de transport de passagers à grande vitesse) fixait une rémunération de 0,5% du montant total du marché, soit 3.122.000,00 euros et le contrat n° 3 du 2 décembre 2009 (ligne 2 du métro de Shanghai) fixait une rémunération de 2 % du montant total du marché soit 672.000,00 euros, - les trois contrats prévoyaient un paiement en quatre versements : le premier à la date d'entrée en vigueur du marché et à réception de l'acompte payé par le client, le deuxième au moment du paiement par le client de 40 % du montant du marché, le troisième lorsque 70 % du montant du marché ont été payés et le quatrième et dernier versement lorsque le client a intégralement payé le prix du marché et déchargé Alstom de l'ensemble de ses obligations contractuelles (sentence, § 193), - il n'est pas contesté que c'est grâce aux efforts et services d'ABL que les marchés ont été attribués à Alstom (sentence, § 191). Du reste, celle-ci a payé 55 % du montant du contrat n°1 et 80 % du contrat n° 2 en deux versements faits le 10 février 2006 et le 17 novembre 2008. - toutefois, le 26 novembre 2010, les sociétés Alstom ont annoncé qu'elles n'étaient pas actuellement en mesure de procéder à de nouveaux règlements, non pas parce qu'elles n'auraient pas été satisfaites des services fournis ou des justificatifs produits mais parce qu'une enquête était en cours au Royaume-Uni et qu'un paiement les exposerait à des sanctions pénales (sentence § 208). - en août 2012 et juin 2013, les sociétés Alstom ont procédé à des audits d'ABL et refusé de payer le solde des factures des contrats 1 et 2, ainsi que la totalité du contrat n° 3. Elles invoquaient le risque pénal qu'elles encouraient en payant des sommes qui servaient peut- être à corrompre des agents publics et se prévalaient de l'inobservation par ABL de ses obligations au titre des règles d'éthique et de conformité, et spécialement, de l'insuffisance de pièces matérielles justifiant des diligences du consultant. Saisi par ABL, le tribunal arbitral a condamné Alstom à lui payer le solde des sommes dues au titre des contrats n° 1 et n° 2, et rejeté la demande de règlement au titre du contrat n° 3.

Le raisonnement du tribunal arbitral :Le tribunal arbitral a développé le raisonnement suivant : "Étant donné que les parties sont convenues que les trois contrats de consultant seront régis par le droit suisse, il convient de statuer sur la légalité générale de ces contrats au regard du droit suisse. Sur le plan du droit, les contrats conclus entre les parties ne sont pas en eux-mêmes illicites. Aucune des parties n'a prétendu que les parties avaient l'intention que la Demanderesse commette effectivement des actes de corruption ou exerce une autre forme d'influence abusive sur les clients potentiels afin d'obtenir les marchés. Les contrats de consultant n'ont donc pas été conclus à des fins illicites. Il n 'a pas été soutenu lors de cet arbitrage que les trois contrats de consultant aient été obtenus par la corruption. Dans le cas d'espèce, les Défenderesses soutiennent qu'elles s'inquiètent de ce que la Demanderesse ait pu avoir recours à des pratiques de corruption dans le cadre de l 'exécution des contrats de consultant el qu'elles puissent donc s 'exposer à des poursuites pénales si elles devaient effectuer le paiement des versements non encore acquitté au titre de ces contrats." (Sentence, § 261 à 263) En premier lieu, sur l'allégation des sociétés Alstom selon laquelle un paiement serait susceptible d'être interprété par certaines autorités étatiques, comme une rémunération de pratiques de corruption, les arbitres relèvent que ABL "a été spécifiquement nominée en tant que consultant en raison de ses contacts avec des membres haut placés du gouvernement et les [sociétés Alstom] s'attendaient à ce qu'elle utilise ces contacts pour obtenir les projets. Alors que les contrats de ce type sont interdits en tant que tels dans certains pays dans lesquels il est estimé qu'ils sont généralement destinés à dissimuler des pratiques de corruption, d'autres pays comme la Suisse évitent d 'interdire de manière générale de tels contrats mais exigent qu'il soit démontré que les parties avaient réellement l'intention que l'agent ou le consultant verse des pots-de-vin ou exerce par ailleurs une influence abusive sur des fonctionnaires." (sentence, § 258). Le tribunal arbitral relève que cette preuve pèse sur les sociétés Alstom; qu'en l'occurrence, il n'est pas démontré que le Serious Fraud Office britannique ou toute autre autorité étatique ait enquêté sur les contrats en cause, ni même, sur les activités du groupe Alstom en Chine (sentence, § 265). Les arbitres ajoutent que si le niveau de preuve peut être abaissé en matière d'allégation de corruption, compte tenu de la difficulté d'établir de tels faits, il n'y avait pas lieu de faire bénéficier Alstom de ces facilités dans la mesure où ABL n'avait pas cherché à dissimuler ses activités et s'était prêtée aux deux audits qui auraient permis à Alstom de trouver des preuves éventuelles de corruption. Dans ces conditions, il n'y avait pas lieu d'alléger le fardeau de la preuve. Du reste les sociétés Alstom n'avaient pas allégué qu'ABL aurait effectivement versé des pots-de-vin. Elles s'étaient bornées à indiquer qu'elles ne comprenaient pas comment ABL était entrée en possession de documents contenant des informations potentiellement confidentielles, ni comment elle avait persuadé la municipalité de Shanghai de lui attribuer le marché de la ligne de métro n° 2 alors que son offre avait obtenu un score moindre que celle de ses concurrents. Les arbitres concluent qu' "il n'est cependant pas prétendu qu'il y ait eu des actes de corruption ou un autre comportement délictueux et [qu'il est encore moins prouvé de manière concluante l'existence d'une activité illicite." (sentence, § 266 à 275). En second lieu, sur l'allégation de violation par ABL de ses obligations contractuelles, les arbitres ont relevé que les preuves des prestations de services d'ABL avaient toujours été présentées sous la même forme et contenu les mêmes détails et que les sociétés Alstom s'en étaient contentées et avaient réglé les échéances sans exiger d'éléments supplémentaires jusqu'à ce qu'elles aient été exposées à des poursuites pénales sans rapport avec les activités d' ABL (sentence, § 281 à 283). Le tribunal arbitral a exposé qu'en droit suisse, "lorsque le comportement ultérieur des parties est contraire aux stipulations d'un contrat conclu entre elles, ce comportement doit être considéré comme une modification ultérieure implicite de ce contrat" (sentence, § 305); que les sociétés Alstom ne s'étaient pas contentées de ne faire aucune remarque sur les preuves de prestations de services au titre des contrats 1 et 2 mais qu'elles avaient fait des paiements sur la base de ces productions (sentence, § 306) ; que, par conséquent, les preuves fournies par le consultant devaient être regardées comme satisfaisant aux exigences des contrats 1 et 2, de sorte que les sociétés Alstom devaient être condamnées à régler le solde; qu'en revanche, ABL ne pouvait présumer que les pratiques communes adoptées à l'égard des deux premiers contrats valaient également à l'égard du troisième, alors que ce dernier était rédigé en des termes beaucoup plus exigeants et qu'avant sa conclusion, il lui avait été demandé de fournir des rapports sur son activité au stade de la préparation de la soumission pour le projet en cause (sentence, § 308 et 309). Les arbitres relèvent que les documents produits à titre de preuves de services pour le projet de ligne 2 du métro de Shanghai se composent, en tout et pour tout de huit lettres et de cinq courriels adressés par Mme [C] [R] à Alstom, qu'aucun autre document, procès-verbal de réunion ou véritable rapport d'activité n'avait été joint (sentence, § 310). Le tribunal arbitral en a déduit qu'ABL n'avait pas rempli ses obligations au titre du contrat n° 3 et qu'il n'y avait donc pas lieu de faire droit à sa demande de ce chef. Devant la cour, après réouverture des débats, Alstom ne se borne plus à alléguer des manquements aux stipulations contractuelles d'éthique et de conformité, ni le fait qu'elle craindrait de s'exposer à des sanctions pénales en payant ABL si, par extraordinaire, celle-ci avait eu recours à des procédés illicites. Elle affirme désormais qu'il y a eu en l'espèce "utilisation par Alexander Brothers de la rémunération payée par les sociétés Alstom ou attendue au titre des Contrats de Consultant, pour le versement ou la promesse de pots-de-vin à des fonctionnaires chinois, à l'insu des sociétés Alstom et dans le but de faciliter l'octroi des marchés dans le cadre des appels d'offres concernés" (concl. Alstom n° 4, p. 48). Elle soutient qu'il existe un faisceau d'indices de telles pratiques de la part d'Alexander Brothers.

Le contrat de consultant n° 1 : Le 26 août 2004, les deux sociétés Alstom ont conclu avec la société ABL un contrat de consultant afin de répondre à l'appel d'offres lancé par le ministère chinois des transports pour la fourniture de locomotives électriques de fret lourd. Ce contrat prévoyait qu'ABL devait fournir des informations et des avis sur tous les aspects concernant le projet, établir des contacts à tous niveaux, organiser des rendez-vous, procurer une assistance pour l'obtention d'éventuelles autorisations, aider Alstom dans la préparation des documents nécessaires à l'obtention du contrat, dans les domaines financiers, commerciaux et juridiques, fournir des avis sur d'éventuels sous- traitants, assister Alstom pendant la mise en oeuvre du projet. L'article 7.1 interdisait au consultant d'employer des responsables gouvernementaux ou des parlementaires, ou des membres de partis politiques ou des candidats à des élections, et l'article 7. 3 (iii) interdisait au consultant de promettre ou d'accorder des avantages à ces mêmes personnes en relation avec l'exécution de ses prestations. Le contrat prévoyait une rémunération totale de 1 % du marché, soit 3.731.200,00 euros. Il stipulait un premier paiement partiel (30 %) à la date d'entrée en vigueur du marché et réception du premier acompte de la part du client chinois. Alstom a réglé intégralement le premier versement de 1.119.360,00 euros (30 % du total) le 10 février 2006, au vu du dossier fourni par ABL à l'appui de sa facture. Alstom produit ce dossier en pièce n° 62-1 en faisant valoir : que ces pièces n'établissent pas la réalité des services rendus par ABL, que l'origine de certaines d'entre elles est douteuse, que la rémunération versée est disproportionnée par rapport aux diligences dont elles témoignent. ABL ne prétend pas que la pièce n° 62-1 d'Alstom ne correspondrait pas à l'intégralité du dossier qu'elle a fourni à l'appui de sa première facture, mais elle soutient que les documents en cause sont précis et probants, qu'ils évoquent des faits vérifiables et que leur origine peut être établie avec certitude. La pièce 62-1 d'Alstom contient 22 notes rédigées par Mme [C] [R] entre le 5 novembre 2003 et le 24 mai 2005, soit en un peu moins de 19 mois, adressées à M. [K] [E] (senior vice-président d'Alstom Transports en Chine au cours de cette période). Ces notes sont brèves : toujours moins d'une page et, pour douze d'entre elles, une à quatre phrases. Les notes du 5 novembre 2003 (pièce Alstom, n° 62-1, p. 1), du 16 avril 2004 (pièce 62-1, p. 18), du 6 mai 2004 (pièce 62-1, p. 23), du 9 mai 2004 (pièce 621, p. 33), du 24 août 2004 (pièce 62-1, p. 44), non datée, jointe à un document sur l'accord de transfert de technologie (pièce 62-1, p. 65, du 17 janvier 2005 (pièce 62-1, p. 72), du 27 janvier 2005 (pièce 62-1, p. 79) et du 29 janvier 2005 (pièce 62-1, p. 84) se bornent à accompagner des échanges de pièces entre le ministère chinois des chemins de fer, le partenaire local d'Alstom en Chine (Datong), et le groupe Alstom, sans aucun commentaire personnel de la part de Mme [C]. Il n'apparaît pas que des pièces jointes soient l'oeuvre d'ABL. En particulier, celle-ci ne démontre nullement qu'elle aurait rédigé le projet de protocole d'accord Alstom/Datong joint à la correspondance du 20 novembre 2003 (pièce Alstom n° 62-1, p. 4 à 6). Non seulement, en effet, cette origine ne résulte ni du document lui- même ni du courrier d'accompagnement, mais encore, comme le relève Alstom, elle n'a jamais été revendiquée par ABL au cours de l'arbitrage. Certains documents émanent d'Alstom elle-même, comme un courrier daté du 12 janvier 2005 adressé par M. [T], directeur de projet d'Alstom à M. [Y] [W] au ministère des transports, et ne présentent donc aucun intérêt pour Alstom (pièce Alstom n° 62-1, p. 63). Les courriers les plus substantiels se présentent comme des synthèses de réunions de Mme [C] [R] avec des représentants du ministère des chemins de fer (note du 9 janvier 2005, pièce Alstom n° 62-1, p. 55, note du 13 janvier 2005, pièce 62-1, p. 62, note du 3 février 2005, pièce 62-1, p. 97 et note du 21 mai 2005, pièce 62-1, p. 100). Ils ne sont, toutefois, accompagnés d'aucune documentation contemporaine -telle qu'échange de correspondances pour l'organisation des réunions, copies d'agendas, notes prises en cours de réunion, procès-verbaux -, permettant d' en vérifier la réalité. Il n'en est d'ailleurs pas davantage produit devant la cour. Comme le fait observer Alstom, ces seuls éléments - qui n'établissent rien d'autre qu'un rôle d'intermédiaire dans l'échange de correspondances entre Alstom et le ministère des chemins de fer apparaissent impropres à justifier de la réalité de diligences "substantielles et significatives pour l'obtention des projets" (concl. Alstom n° 4, p. 68). Ils sont, en toute hypothèse, disproportionnés au versement, le 10 février 2006, d'une somme de 1.119.360,00 euros. Toutefois, le dossier produit à l'appui de la facture contient également d'autres pièces qui démontrent davantage l'efficacité du rôle d'ABL. Ce sont des documents ou des informations sensibles ou confidentiels dont l'origine n'est pas établie: Le compte-rendu d'une réunion entre le ministère des chemins de fer et Datong, le partenaire local d'Alstom Transport, tenue le 9 avril 2004 à 20h dans le bureau du ministre des chemins de fer (pièce Alstom, n° 62-1, p. 12 à 17), transmis le 10 avril 2004 par Mme [C] [R] avec l'indication que "ce rapport provient du bureau de [J] [U]" [ministre des chemins de fer de 2003 à 2011]. Il contient des informations sensibles sur l'opinion du ministère concernant la coopération entre Alstom et Datong, ainsi que sur la nature et l'importance du transfert de technologie attendu d'Alstom. Dans ses conclusions n° 4 (p. 19), ABL se prévaut de cette transmission (qu'elle cite comme pièce ABL arbitrage C-15) comme d'une preuve de la réalité de ses prestations, en soulignant que le courrier d'accompagnement attire l'attention d'Alstom sur la proposition de Datong de commencer par la production de 20 unités. Cette présentation laisse supposer qu'ABL a participé à la réunion. Toutefois, le nom de Mme [C] [R] ne figure pas au nombre des participants énumérés par le procès-verbal et ABL n'indique pas que le nom d'un autre de ses représentants figurerait sur cette liste. Au cours de l'instance arbitrale, Mme [C] [R] a été interrogée à plusieurs reprises sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré ce document et a refusé de répondre (transcription d'audience, pièce Alstom, n° 58-1, p. 97 et 98 de la traduction française). Un rapport de la CNR [entreprise publique chinoise de fabrication de trains et de matériel ferroviaire, société-mère de Datong] concernant la proposition de coopération entre Alstom et Datong (pièce Alstom n° 62-1, p. 18 à 22), qui expose les objectifs poursuivis par Datong dans ses relations avec Alstom, spécialement en matière de transfert de technologie. Ce document est accompagné d'un courrier de Mme [C] du 16 avril 2004 précisant qu'il "provient du bureau de la CNR". Au cours de l'audience d'arbitrage, Mme [C] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré ce document (transcription de l'audience, pièce Alstom, n° 58-1, en traduction française, p. 98 et 99). Un rapport d'évaluation par le ministère des chemins de fer des offres techniques soumises par Alstom et par ses concurrents, Siemens et Bombardier (pièce Alstom n° 62-1, p. 33 à 42). Ce rapport, dont Alstom affirme, sans être contredite, qu'il a été émis avant le dépôt des offres par les différents soumissionnaires, précise les caractéristiques techniques ainsi que les conditions financières des offres des trois concurrents, et expose la politique de prix appliquée par le ministère des chemins de fer. Le courrier d'accompagnement de Mme [C] du 9 mai 2004 n'en indique pas l'origine. Au cours de l'audience d'arbitrage, Mme [C] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions du conseil d'Alstom sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré ce document (transcription de l'audience, pièce Alstom, n° 58-1, en traduction française, p. 97 et 99 ). Devant la cour, ABL avance l'explication suivante : "Dans la mesure où l'appel d'offres est un processus itératif en Chine et que le gouvernement n'hésite pas à communiquer des informations pour obtenir l'offre la plus pertinente et la meilleure, le MCCF [ministère chinois des chemins de fer] a transmis à ABL, comme il l'a fait pour les autres soumissionnaires, des informations nécessaires à l'élaboration des soumissions." ABL ajoute, sans expliciter les conséquences qu'elle tire de cette information : "De surcroît, dans la mesure où l'objectif contemporain des autorités chinoises était d'obtenir des transferts de technologie, les entreprises occidentales avaient l'obligation de s 'associer à des partenaires locaux licenciés. Alstom, à défaut d'être licenciée était en tout état de cause contrainte de travailler avec des entreprises chinoises licenciées."(concl. n° 4, p. 21) Toutefois, comme le fait observer Alstom, bien que la question de l'origine des documents sensibles ait été débattue au cours de l'arbitrage, il n'apparaît pas qu'ABL ait alors soutenu qu'ils auraient été obtenus dans le cadre d'un dialogue ouvert et légitime entre le gouvernement et les soumissionnaires. ABL ne produit aucune correspondance officielle établissant l'existence de tels échanges, ni d'ailleurs aucune pièce démontrant que les concurrents d'Alstom auraient bénéficier des mêmes informations, cette dernière circonstance ne pouvant se déduire du fait que ces entreprises ont obtenu d'autres marchés. Plus généralement, ABL ne démontre par aucun document qu'un tel "processus itératif', comportant la divulgation des offres des concurrents, ferait partie des pratiques admises en Chine, alors qu'Alstom établit, au contraire, que la loi sur les appels et les soumissions d'offre de la République populaire de Chine du 30 août 1999 impose à l'autorité adjudicatrice une stricte confidentialité (art. 38, 67. pièce Alstom, n° 86), et que ce principe s'applique y compris dans la procédure dite de "dialogue compétitif' prévue par la loi sur les marchés publics du 29 juin 2002, dont l'article 44 (4) dispose que "tous les membres de l'équipe de négociation négocient individuellement avec les fournisseurs. Au cours de la négociation, aucune des parties ne peut révéler des données techniques ou des prix d'autres fournisseurs, ou toute autre information concernant la négociation." (pièce Alstom, n° 87). La transmission par un consultant à un candidat à un appel d'offre d'informations confidentielles émanant de l'autorité adjudicatrice, sans précision sur les conditions de leur obtention, est un indice particulièrement grave de pratiques corruptrices. Le 17 novembre 2008, Alstom a fait un second versement de 932.800, euros (25 % de la rémunération totale du contrat n° 1), dont il n'est pas discuté qu'il correspond à la totalité de la facture n° 2. Elle produit sous la pièce 62-2 le dossier de preuves de service produit par ABL à l'appui de cette facture. Il comporte 53 notes, datées du 8 janvier 2006 au 9 septembre 2009, signées de Mme [C]. Elles sont généralement plus longues que les précédentes. Elles portent sur des difficultés techniques d'exécution du marché. Elles consistent en traductions ou résumés de documents ou de courriers émanant du ministère des chemins de fer du CNTIC (China National Technical Importe and Export Corporation), sans commentaire de Mme [C]. La traduction mise à part, ces pièces ne démontrent aucune valeur ajoutée d'ABL qui se contente de jouer le rôle de boîte aux lettres. Au surplus, mis à part les courriers datés du 8 janvier, 15 février, 9 septembre 2006 et 13 janvier 2007, les notes figurant dans le second dossier de preuves ne mentionnent, contrairement à celles du premier dossier, aucun nom de destinataire, de sorte qu'il est impossible de savoir si elles ont été effectivement envoyées aux dates qu'elles indiquent ou si, comme le prétend Alstom, elles auraient pu être produites par ABL posteriori afin d'étoffer son dossier de preuves documentaires (concl. Alstom, p. 59). ABL ne s'est pas expliquée sur ce point. En conclusions sur le contrat n° 1, il apparaît que les seules diligences d'ABL qui sont démontrées par des pièces incontestablement contemporaines des faits, qui correspondent - au-delà de simples prestations de traduction et de service de boîte-aux-lettres -, à sa mission de consultant, et qui n'apparaissent pas disproportionnées à la somme globale de 2.052.160,00 euros réglée par Alstom, ont consisté dans la communication de documents confidentiels, dont les conditions d'obtention délibérément dissimulées font présumer l'origine illicite.

Le contrat de consultant n°2 :Le 22 décembre 2004, les deux sociétés Alstom ont conclu avec la société ABL un contrat de consultant afin de répondre à l'appel d'offres lancé par le ministère chinois des transports pour la conception et la fourniture de rames automotrices électriques de transport de passagers pour des trains à grande vitesse. Il était conçu dans les mêmes termes que le premier contrat et contenait en particulier la même prohibition des paiements illicites aux agents publics étrangers. Le contrat prévoyait une rémunération totale de 0,5 % du marché, soit 3.122.000,00 euros. Il stipulait un premier paiement partiel (30 %) à la date d'entrée en vigueur du marché et réception du premier acompte de la part du client chinois. Alstom a réglé intégralement le premier versement de 936.660,00 euros (30 % du total) le 10 février 2006, au vu du dossier fourni par ABL à l'appui de sa facture. Alstom produit ce dossier en pièce n° 63-1 en faisant valoir des arguments identiques à ceux développés à l'égard du contrat n° 1. Ce dossier contient 16 notes rédigées par Mme [C] [R] datées du 5 septembre 2003 au 28 janvier 2005, soit une période de 17 mois environ, adressées à M. [K] [E]. Ces notes sont très brèves. Elles se bornent à transmettre des documents entre Alstom, son partenaire local, et le ministère des chemins de fer, sans commentaire de Mme [C]. Il n'est pas démontré que des documents joints - et, notamment, le projet de protocole d'accord avec Sifang - seraient l'oeuvre d'ABL. Certains documents versés au dossier sont des copies de courrier, des notes ou des présentations powerpoint d'Alstom et ne correspondent donc à aucun service rendu par ABL (pièce n° 63-1, p. 54 à 77, p. 84 à 93, p.96 à 105, p.116, p. 118-119). Les notes mentionnant des réunions qui auraient eu lieu entre Mme [C] et des membres du ministère des chemins de fer ne sont accompagnées d'aucune documentation contemporaine prouvant qu'elles se sont effectivement tenues (pièce n° 63-1, p. 83, 150 et 157). Alstom soutient que le dossier joint à la première facture contient un document confidentiel. Il s'agit d'une présentation powerpoint par un concurrent de sa stratégie commerciale sur le marché chinois, de sa conception des transferts de technologie et des caractéristiques techniques de ses trains à grande vitesse (pièce n° 63-1, p. 2 à 43). La note d'accompagnement de Mme [C] précise qu'il s'agit d'un document provenant du ministère des chemins de fer relatif à la présentation EMU [electrical multiple units, ou rames automotrices électriques] de Siemens. Alstom fait valoir que Mme [C] [R] a confirmé lors de l'audience d'arbitrage qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur la façon dont elle avait obtenu ce document (transcription de l'audience, pièce n° 58-1, p. 99- 100). Devant la cour, ABL soutient pour la première fois que ce document ne serait nullement confidentiel, qu'il aurait été divulgué lors d'une conférence ouverte au public et non à l'occasion d'un rendez-vous bilatéral, qu'il ne contiendrait que des informations générales et aurait été émis avant même le lancement de l'appel d'offres (concl. n° 4, p. 39). Toutefois, d'une part, il résulte de l'audition de Mme [C] au cours de l'instance arbitrale (pièce Alstom n° 58-1, p. 99, § 21 à 25) qu'il s'agit d'une présentation qui a été faite par Siemens "au ministère chinois des chemins de fer", de sorte que si plusieurs personnes y ont assisté - ce qui est le propre d'une présentation powerpoint - elles appartenaient à ce ministère où avaient été choisies par lui. D'autre part, si cette présentation revêtait un caractère commercial et non technique ni financier, elle exposait plusieurs stratégies de développement envisagées par Siemens en Chine, de sorte qu'il n'est pas vraisemblable qu'elle ait été rendue public, et qu'elle pouvait présenter un intérêt pour les entreprises qui aspiraient à s'implanter ou à se développer sur le marché chinois du matériel ferroviaire. Le 17 novembre 2008, Alstom a effectué, au titre du contrat n° 2, les deuxième et troisième versements de 624.400,00 euros et de 936.660,00 euros, représentants respectivement, 20 % et 30 % de la rémunération totale. Le dossier de preuves de services sur la base duquel ces paiements sont intervenus contient 56 notes datées du 25 avril 2006 au 8 août 2011. Il appelle les mêmes observations que le second dossier afférent au contrat n° 1. Il s'agit de traductions ou de résumés de documents émanant du ministère des chemins de fer, du CNTIC ou du CRC [China Railway Corporation] sans analyse ni recommandation de la part d'ABL. En outre, à partir d'octobre 2006, ces notes ne désignent aucun destinataire au sein d'Alstom, de sorte que la réalité de leur envoi est douteuse.

Le contrat de consultant n° 3 : Le 2 décembre 2009, les parties ont signé un contrat de consultant afin de soumissionner à un appel d'offres lancé par l'entreprise publique Shanghai Shentong Holding Group pour la fourniture de matériel roulant à l'occasion de l'extension de la ligne 2 du métro de [Localité 3]. Il stipulait une rémunération de 2 % du montant total du marché soit 672.000,00 euros. Alstom n'a rien réglé à ce titre et le tribunal arbitral a rejeté la demande en paiement formée par ABL de ce chef. Toutefois, l'examen des conditions d'exécution de ce contrat conclu entre les mêmes parties apparaît pertinent dans le cadre d'une recherche d'indices de corruption. Le dossier de pièces justificatives de services rendus par ABL pour le contrat n°3 est produit par Alstom sous la cote n° 64. Il comporte une chronologie des actions menées par Mme [C] [R] (pièce n° 64, p. 4) selon laquelle : "Date. ContactsSujets et messages. 28 janvier 2008 [G] [X]. Maire. Bien que CRC [partenaire chinois de Bombardier] ait obtenu quelques points en plus que le consortium Alstom/Puzhen/[O] dans l'évaluation de l'offre, il a été demandé au maire de Shanghai d'attribuer le projet à Satco pour tenir compte du futur de la coentreprise." Dans ce même dossier figurent :- un courriel envoyé le 30 janvier 2008 par Mme [C] à M. [Q] [A] [directeur de "business development" d'Alstom Transport en Chine] suivant lequel : "Shentong annoncera le résultat de l'évaluation technique de l'extension est de la ligne 2 et ouvrira les offres de prix le vendredi 1" février. La décision définitive sera annoncée le lundi 4 février." (Pièce Alstom n° 64, p. 8), - un courriel envoyé le 11 février 2008 par Mme [C] à M. [A] qui explique : "Pour l'extension est de la ligne 2 de Shanghai, le premier tour d'évaluation (partie technique) ne nous est pas favorable : le score de la CRC est de 93,08; Zhuzhou, 85,75; Puzhen, 90,96. Les prix ouverts sont les suivants : 823 de la CRC,- 817 de Zhuzhou et 815 de Puzhen. Sur la base de la méthode de calcul d'appel d'offres, CRC avait 0,6 points de plus que nous. Mais les autorités municipales ont décidé de nous accorder le projet. Ensuite, nous avons obtenu tous les points pour les pièces détachées. Finalement, nous avons gagné cet appel d'offres avec + 0,4 points." (pièce Alstom, n° 64, p. 10). Il en résulte, d'une part, qu'ABL a été informée le 28 janvier 2008 des résultats de l'évaluation technique des offres qui n'ont été officiellement annoncés que le 4 février 2008, d'autre part, que la coentreprise Alstom/Puzhen/[O] a remporté l'appel d'offres en dépit d'un score inférieur à celui de ses concurrents. Lors de son audition par les arbitres, Mme [C] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur les moyens par lesquels cette décision avait été obtenue (transcription des débats, pièce Alstom n° 58-1, traduction française, p. 109 à 111). Au cours de l'instance arbitrale, ABL a soutenu que la décision d'attribution du marché résultait, d'une part, de la prise en compte par le maire de Shanghai des arguments de Mme [C] relatifs aux risques de pertes importantes qui seraient éprouvées par le partenaire chinois d'Alstom en cas d'échec, d'autre part, des efforts faits par Alstom pour réduire ses prix sur les pièces détachées. En réalité, il résulte du courriel du 11 février 2008 que l'offre d'Alstom était moins bien notée que celle de ses concurrents au terme de la pondération opérée entre les critères techniques et financiers, et qu'elle a néanmoins été retenue, sur l'intervention des autorités municipales, avant toute prise en considération du prix des pièces détachées. Il apparaît, par conséquent, que la concurrence a été faussée, d'une part, parce qu'Alstom a été informée de l'évaluation des offres avant leur publication, d'autre part, parce que l'attribution du marché s'est faite sur des critères étrangers à ceux de l'appel d'offres, sans aucun commencement de démonstration de la nature de ces critères. Ainsi qu'il a déjà été dit, ABL n'établit pas davantage que les autorités chinoises pratiqueraient de manière ouverte et illicite un "processus itératif' d'attribution des marchés impliquant la divulgation des offres des concurrents et de leur évaluation par l'adjudicateur avant leur publication officielle.

Les audits : A la suite de l'enquête pénale engagée par les autorités américaines et britanniques, ABL a accepté de se prêter à deux audits comptables réalisés par Alstom en août 2012 et juin 2013. Le rapport établi à la suite du premier audit et portant sur les exercices clos au 31 décembre 2009, 2010 et 2011 (pièce Alstom n° 65), apparaît utile pour apprécier les indices de pratiques corruptrices, dès lors qu'il n'est pas contesté par ABL que la structure des comptes fait apparaître les éléments suivants : "3. Résumé [le rapport relève qu'il n'y a pas d'autres encaissements que ceux provenant d'Alstom et que les derniers paiements, faits notamment au titre du contrat de consultant n° 1, remontent à février 2009. Sur les sorties, il constate] : le total des sorties de trésorerie de décembre 2009 à 2011 s 'élevait à 4.665 k $ et était principalement lié à des dividendes payés aux actionnaires (1.886 k $), à des coûts opérationnels (1.597 k $) et au remboursement de "montants dus aux actionnaires " (742 k $) ; les coûts opérationnels ne sont pas payés via les comptes bancaires d 'ABL. Les actionnaires ont supporté les dépenses et payé les différents vendeurs à travers leurs propres cartes de crédit. Les dépenses sont ensuite groupées et enregistrées dans le compte "montant dû aux actionnaires" ; aucune transaction inhabituelle importante n'a été identifiée pendant notre revue et les principales transactions ont été identifiées. Cependant, plusieurs erreurs comptables et problèmes de contrôle interne ont été relevées (cf .§4) 4. Observations détaillées .? revue des dépenses opérationnelles d'ABL. Nous avons passé en revue plusieurs dépenses opérationnelles engagées pour des déplacements, divertissements, locations, frais de gestion et frais de consultants. Notre analyse a révélé plusieurs erreurs de comptabilité et des faiblesses de contrôle interne : le niveau de documentation n'est pas considéré comme approprié, étant donné que la plupart des coûts testés sont uniquement justifiés par des tickets de carte de crédit. Le but et la nature des coûts ne sont pas déclarés. Plusieurs reçus sont regroupés. Notre analyse a mis en évidence que les entrées comptables sont difficilement conciliables avec les reçus ; différentes erreurs ont été relevées concernant le remboursement et la déclaration des coûts (incohérence entre le reçu et le remboursement) ; certains reçus sont libellés au nom d'entreprises tierces, telle que Beijing Dacelue Business Consulting ; plusieurs achats d'articles d'importante valeur, tels que des peintures et des meubles, ne sont pas déclarés dans les actifs de la société. Selon le Conseiller en affaires, les actifs sont utilisés dans son bureau de Beijing. A noter que les dépenses opérationnelles d'ABL sont constituées de nombreuses transactions de faible montant." Suivant l'annexe 1 ("Récapitulatif des flux de trésorerie cumulés pour l'exercice clos au 31 décembre 2011") : - le total des encaissements pour 2009, 2010 et 2011 s'élevait à 4.212.000 USD dont 4.192. 000 USD reçus d'Alstom et 20.000 USD d'intérêts reçus pour l'acompte, - les dividendes versés s'élevaient à 1.886.000 USD, les dépenses opérationnelles à 1.597.000 USD, et les remboursements de prêts en compte courant d'associés à 742.000 USD. L'état des pertes et profits (annexe 2) faisait ressortir, sur trois années, des frais de location et de gestion de 555.000 USD, des frais de déplacement de 331.000 USD , des frais de consultant de 206.000 USD, des salaires de 177.000 USD, et des frais de "divertissement" de 125.000 USD. Le bilan faisait apparaître pour les trois années un passif courant de 1.607 USD (dont 1.605.000 USD de montants versés aux actionnaires et 2.000 USD de dépenses accumulées), un capital social de 1.000 USD et des bénéfices non distribués de 2.948.000 USD. Contre l'allégation par Alstom du caractère suspect de cette comptabilité, au regard, notamment, du paiement des dépenses opérationnelles sur les comptes personnels des associés et sans facture, ou du montant très élevé des frais de divertissement, ou encore de l'achat d'objets coûteux qui ne figurent pas à l'actif de la société, ABL fait valoir : qu'elle a été choisie comme consultant à la suite d'un audit approfondi, qu'elle a accepté de coopérer aux audits réalisés par Alstom en 2012 et 2013, que les résultats de ces audits, menés unilatéralement par Alstom, ne lui ont pas été communiqués avant l'arbitrage, que ses comptes ne révèlent aucun paiement injustifié ni aucune preuve de corruption, que les erreurs relevées dans sa comptabilité sont marginales, qu'elles n'entachent pas la régularité de ses comptes et qu'elles portent sur des sommes trop faibles pour constituer des pots de vin, que, du reste, les auditeurs n'ont nullement alerté Alstom sur l'existence de faits illicites et sur la nécessité de rompre toutes relations avec ABL, que ses comptes sont certifiés par un cabinet d'expertise comptable de [Localité 1] qui a attesté au cours de l'instance arbitrale que la plupart des dépenses des actionnaires étaient justifiées par des reçus. Sur les objections de l'intimée, il sera observé, en premier lieu, que la circonstance qu'ABL aurait été soumise, avant la conclusion des contrats, à un audit approfondi d'Alstom à la supposer démontrée, n'établit nullement qu'ABL n'aurait pu ultérieurement recourir à des pratiques illicites, étant au demeurant observé que selon une attestation établie le 21 juillet 2014 par M. [V], préposé de la société CCH Management Ltd, représentant fiscal et comptable d'ABL (pièce ABL, n° 26), cette société qui avait pour objet l'affrètement de conteneurs était en sommeil depuis le 31 décembre 2000, et n'a été réactivée à compter du 1" décembre 2004 que pour fournir les services de consultation qu'Alstom confiait à Mme [C] depuis janvier 2003 (pièce Alstom n° 58-2, audition de Mme [C], p. 66), de sorte qu'un audit portant sur une coquille vide ne pouvait fournir que peu d'informations pertinentes. En deuxième lieu, ABL s'est prêtée aux audits parce qu'Alstom, qui était sa seule source de revenus, en faisait la condition de ses paiements, et, qu'en outre, ABL pouvait présumer qu'Alstom ne se prévaudrait pas d'éléments susceptibles d'incriminer son propre comportement - ce qui s'est révélé partiellement exact puisqu'Alstom, en dépit de l'injonction qui lui a été faite par l'arrêt du 10 avril 2018, n'a pas produit les résultats du second audit portant sur la période 2004-2008. En troisième lieu, il résulte de l'audition de M. [V], qui a participé aux deux audits et rencontré les responsables internes de la conformité d'Alstom (pièce ABL, n° 26 et pièce Alstom 58-2, transcription de l'audience tenue le 24 mars 2015, audition de M. [V] p. 7), qu'au moins avant l'audience arbitrale le résultat du premier audit avait été communiqué à ABL (pièce 58-2, p. 18) qui avait été en mesure d'en débattre, notamment par l'audition de M. [V]. En quatrième lieu, la preuve de faits de corruption s'établit par des indices, l'habitude n'étant pas de faire apparaître explicitement dans la comptabilité les sommes employées à cette fin. En cinquième lieu, l'audit n'avait pas d'autre objet que de dresser un tableau de la situation comptable d'ABL en laissant aux dirigeants d'Alstom le soin d'en tirer les conséquences qui leur paraîtraient appropriées, ce qu'ils ont fait en refusant de régler le solde des contrats 1 et 2 et en s'abstenant de tout paiement au titre du troisième contrat de consultant. En dernier lieu, sur les dépenses opérationnelles de la société faites par cartes bancaires depuis les comptes personnels des associés, il résulte des déclarations de M. [V] et il n'est pas d'ailleurs contesté, qu'elles portaient sur des sommes individuellement modestes, quoique pour un total élevé, supérieur à 500.000 $ par an. Si M. [V] soutient que ces dépenses s'accompagnaient de justificatifs, il n'allègue pas que ceux-ci consisteraient en factures et non en simples reçus de cartes de crédit, ni qu'ils seraient exhaustifs. Alstom ne produit pas de compte rendu du second audit, portant sur les exercices 2004 à 2008, mais seulement le bordereau d'envoi de ce document par les auditeurs qui contient un résume très succinct. il en ressort que les recettes sur l'ensemble
de la période s'élèvent à 7.347.000 USD constitués de 4.192.000 USD de règlements d'Alstom et de 153.000 USD d'intérêts versés par les banques, que le total des décaissements a consisté en dividendes payés aux actionnaires (2.204.000 USD) et en dépenses opérationnelles (1.841.000 USD), celles-ci étant payées par les actionnaires et faisant l'objet d'un remboursement (pièce Alstom n° 66). ABL ne conteste pas que la structure de ses comptes corresponde à cette brève description qui est d'ailleurs cohérente avec celle observée sur la période suivante. En conclusion, il résulte du premier audit que les associés d'ABL (Mme [C] elle-même, ainsi que sa soeur et son beau-frère, directeur exécutif : concl. ABL, p. 21) ont reçu en trois ans 1.886.000 USD sous forme de dividendes, dont l'usage n'est pas contrôlable, 1.597.000 USD de remboursement de dépenses courantes sans factures, et 742.000 USD de remboursement de prêts en compte courant d'associés, soit environ 90 % des sommes versées par un donneur d'ordre unique, Alstom. Le second audit aboutit à un résultat analogue. Il s'en déduit qu'ABL était essentiellement un véhicule de transfert de fonds vers ses associés, pour des usages peu ou pas vérifiables. A cette circonstance s'ajoutent l'achat de biens coûteux (meubles, oeuvres d'art) qui n'ont pas été retrouvés à l'actif, ainsi que des dépenses de "divertissement" d'un montant élevé (plus de 40.000 USD par an en moyenne).

Les moyens matériels et humains d'ABL : Un autre indice du recours à des procédés illicites tient à la faiblesse des moyens matériels et humains d'ABL. Si celle-ci prétend qu'elle employait neuf salariés, elle ne produit à l'appui de cette allégation que des "fiches de renseignement du consultant" envoyées à Alstom à compter de 2008 ("Business Advisor Profile" de 2008, 2009, 2011 et 2012 : pièces ABL n° 20 à 23). Outre le fait que ces documents sont purement déclaratifs et ne précisent pas le nom et le rôle des personnes en cause, ils ne sont pas corroborés par la production de contrats de travail ou tout autre justificatif matériel. Dans ses écritures devant la cour ABL affirme que quatre salariés dont elle précise les noms et les diplômes auraient assisté Mme [R] pour l'exécution des missions confiées par Alstom. Elle verse aux débats la photocopie des cartes d'identité et des diplômes de M. [X] et de Mme [I], ainsi que la photocopie de la carte d'identité de M. [L] et du passeport de Mme [Z], mais pas d'attestation de leur part témoignant de ce qu'ils ont travaillé pour ABL (pièces n° 27 à 30). Les pièces produites par ABL ne rapportent donc pas la preuve de l'emploi de ces personnes quoique la cour, par son arrêt du 10 avril 2018, ait expressément invité les parties à s'expliquer sur l'existence d'indices de corruption, tenant notamment à l'insuffisance des moyens matériels et humains du consultant au regard de l'importance de la prestation revendiquée. Cette preuve ne résulte pas davantage des dossiers de pièces justificatives qui accompagnaient les factures, ni des témoignages des protagonistes recueil lis au cours de l'instance arbitrale, qui font apparaître Mme [R] comme l'unique interlocutrice d' Alstom et des autorités chinoises. En ce qui concerne les moyens matériels, Alstom fait valoir (concl., p. 66) qu'ABL n'avait pas de bureau en nom propre, ni à l'adresse de son siège social à Hong Kong, ni sur le reste du territoire chinois. Elle expose qu'à Hong Kong, elle utilisait les services d'une société de domiciliation, qu'à Pékin et Shanghai, ABL n'était pas enregistrée auprès des chambres de commerce et d'industrie et qu'aucun document officielle ne faisait référence à ces bureaux, enfin que l'adresse pékinoise communiquée par ABL correspondait à celle de Mme [R]. ABL réplique : "Le "Compliance officer" ou agent de conformité d 'ALSTOM avait visité les bureaux de Hong Kong et de Pékin avant la formalisation des accords entre les parties, il avait décliné le rendez-vous de visite des locaux de Shanghai. ABL dispose donc de locaux qu 'elle peut utiliser pour recevoir ses clients et interlocuteurs ainsi que d'un support technique, administratif et comptable." (concl. ABL n° 4, p. 22). L'allégation d'une visite des locaux avant la conclusion du premier contrat, qui est contestée par Alstom, n'est corroborée par aucune pièce versée aux débats. En revanche, il est établi que l'adresse du siège social d'ABL à [Adresse 4], est celle d'une société de domiciliation, CCH Secretarials Ltd (pièce Alstom, n° 85), qui est aussi celle du représentant fiscal et comptable d'ABL, la société CCH Management (pièce ABL n° 20 et n° 26). Quant au fait que l'adresse pékinoise d'ABL correspondrait à celle du domicile déclaré par Mme [R] [C] dans les documents d'enregistrement de la société ([Adresse 1], [Adresse 3]), il résulte d'un rapport établi le 15 novembre 2011 à la suite d'une enquête officieuse confiée par Alstom à une société ADIT (pièce Alstom, n° 85). ABL ne conteste pas cette pièce et, bien qu'invitée par l'arrêt du 10 avril 2018 à justifier de ses moyens matériels, ne produit aucun élément démontrant l'existence de locaux professionnels. En conclusion, il résulte de tout ce qui précède que des rémunérations de 3.731.200,00 euros et de 3.122.000,00 euros ont été stipulées par deux contrats de consultants conclus le 26 août 2004 et le 22 décembre 2004 avec une société qui n'avait aucune activité auparavant, et qui n'est pas en mesure de justifier de locaux professionnels ni de l'emploi de salariés; que ces rémunérations ont été réglées à concurrence respectivement de 2.052.160,00 euros et de 2.497.720,00 euros, en considération de services dont les seuls qui sont démontrés par des pièces incontestablement contemporaines des faits et qui ne sont pas disproportionnés à ces sommes, ont consisté dans la communication de documents confidentiels en violation des lois chinoises sur les appels d'offres, que ces rémunérations constituaient l'unique source de revenus d'ABL et qu'elles étaient reversées à concurrence de 90 % environ aux trois actionnaires, Mme [R] et des membres de sa famille, dans des conditions ne permettant pas de contrôle réel de leur utilisation, et que la comptabilité du consultant révélait en outre des dépenses suspectes telles que des objets d'art ou des meubles de prix ne figurant pas à l'actif. Au surplus, il est établi qu'un troisième contrat de consultant conclu avec ABL a abouti, grâce à l'intervention de Mme [R] auprès du maire de Shanghai, à l'attribution d'un marché à Alstom, quoique l'offre de cette dernière ait été moins bien notée que celle de ses concurrents, ce qu'elle avait d'ailleurs appris de Mme [R] avant la publication des résultats. Il résulte de l'ensemble de ces éléments des indices graves, précis et concordants de ce que les sommes versées par Alstom à ABL finançaient et rémunéraient des activités de corruption d'agents publics. Au surplus, si ni ABL ni Alstom n'ont été poursuivis pour ces faits - ce qui relève de la politique pénale des autorités chinoises -, il n'en reste pas moins que M. [J] [U], ministre des chemins de fer de 2003 à 2011 et interlocuteur de Mme [R], a été condamné en 2013 à la prison à vie pour avoir perçu environ 65 millions de yuans de pots-de-vin (environ 8,6 millions d'euros) entre 1986 et 2011 (pièce Alstom, n° 83), et que M. [X] [P], ingénieur en chef adjoint de ce ministère a été condamné à la même peine pour avoir reçu 47 millions de yuans de pots-de-vin (environ 6,2 millions d'euros) entre 2000 et 2011 (pièce Alstom n° 84). Alstom ajoute encore qu'elle était coutumière des pratiques de corruption d'agents publics étrangers, notamment par l'intermédiaire de prétendus consultants, ainsi qu'elle l'a reconnu aux termes d'accords de 2013 et 2014 avec le ministère américain de la Justice portant sur des faits commis en Indonésie, en Arabie saoudite, en Égypte et aux Bahamas (pièces Alstom n° 8 et 9). Cette circonstance doit être retenue, peu important qu'elle bénéficie à celui qui se prévaut de sa propre turpitude, dès lors que le refus de donner force à un contrat de corruption transcende les intérêts des parties. Il convient, par conséquent, de juger que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence qui condamne Alstom à payer des sommes destinées à financer ou à rémunérer des activités de corruption est contraire à l'ordre public international, d'infirmer l'ordonnance qui l'a revêtue de l'exequatur, de rejeter la demande d'exequatur d'ABL et de condamner celle-ci à restituer à Alstom Transport la somme de 1.828.850,88 euros correspondant aux fonds qui lui ont été transférés par voie de saisie-attribution ;

1°) ALORS QU'en statuant comme elle l'a fait, après avoir relevé que suivant un consensus international exprimé par la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997 et par la Convention des Nations-
Unies contre la corruption faite à [Localité 2] le 9 décembre 2003, « la corruption d'agent public étranger consiste à offrir à celui-ci, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, afin qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte dans l'exercice de ses fonctions officielles, en vue d'obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu en liaison avec des activités de commerce international » (arrêt attaqué, p. 5 § 6), la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs insusceptibles d'établir l'existence d'indices graves, précis et concordants de ce que la société ABL a offert à un agent public chinois un avantage indu afin qu'Alstom obtienne les marchés en cause, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE c'est à la partie qui soutient que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international, en ce qu'elle prononcerait une condamnation à payer de sommes d'argent destinées à financer ou rémunérer des activités de corruption, de rapporter la preuve d'indices graves, précis et concordants ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que « les courriers les plus substantiels se présentent comme les synthèses de réunions de Mme [C] [R] avec des représentants du ministère des chemins de fer », mais « ne sont toutefois accompagnés d'aucune documentation contemporaine - telle qu'échange de correspondances pour l'organisation ou des réunions, copie d'agenda, notes prises en cours de réunion, procès-verbaux, permettant d'en vérifier la réalité » et « il n'en est d'ailleurs pas davantage produit devant la cour » (arrêt attaqué, p. 9 § 8), que ABL ne produit « aucune correspondance officielle établissant l'existence » d'échanges entre le gouvernement et les sous-missionnaires « permettant d'établir l'origine des documents sensibles » (arrêt attaqué, p. 11 § 1) et ne produit « d'ailleurs aucune pièce démontrant que les concurrents d'Alstom auraient bénéficié des mêmes informations, cette dernière circonstance ne pouvant se déduire du fait que ces entreprises ont obtenu d'autres marches » (arrêt attaqué, p. 11 § 1), que « ABL ne s'est pas expliquée » sur le point de savoir si « les notes figurant dans le second dossier de preuves (?) ont été effectivement envoyées aux dates qu'elles indiquent » (arrêt attaqué p. 11 § 7), que, sur le contrat de consultant n° 2, « les notes mentionnant des réunions qui auraient eu lieu entre Mme [C] et des membres du ministères des chemins de fer ne sont accompagnées d'aucune documentation contemporaine prouvant qu'elles se sont effectivement tenues » (arrêt attaqué, p. 12 § 7), que, sur le contrat n° 3, « l'attribution des marchés s'est faite sur des critères étrangers à ceux de l'appel d'offres, sans aucun commencement de démonstration de la nature de ces critères » (arrêt attaqué, p. 14 § 5), que « ABL n'établit pas davantage que les autorités chinoises pratiqueraient de manière ouverte et licite un processus itératif d'attribution des marchés impliquant la divulgation des offres à des concurrents, et de leur évaluation par l'adjudicateur avant leur publication officielle » (arrêt attaqué p. 14 § 6), que si la ABL prétend qu'elle employait 9 salariés, les documents produits « ne sont pas corroborés par la production de contrats de travail ou de tout autre justificatif matériel » (arrêt attaqué p. 17 § 5), que ABL affirme que quatre salariés auraient assisté Mme [R] pour l'exécution des missions confiées par Alstom mais que « les pièces produites par ABL ne rapportent donc pas la preuve de l'emploi de ces personnes » et que « cette preuve ne résulte pas davantage des dossiers de pièces justificatives qui accompagnaient les factures, ni des témoignages des protagonistes recueillis au cours de l'instance arbitrale, qui font apparaître Mme [R] comme unique interlocutrice d'Alstom et des autorités chinoises » (arrêt attaqué, p. 17 § 6) et que ABL « ne produit aucun élément démontrant l'existence de locaux professionnels » (arrêt attaqué p. 18 § 2), la cour d'appel a inversé la charge de la preuve de l'existence d'indices graves, précis et concordants de ce que les sommes versées par Alstom à la société ABL finançaient et rémunéraient des activités de corruption d'agents publics, en violation de l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-1 Alstom, p. 182 de la version anglaise et p. 132 de la traduction française), visé par l'arrêt attaqué, qu'interrogée au cours de l'audience sur les conditions dans lesquelles elle s'était procurée le compte-rendu de la réunion entre le ministère des chemins de fer et Datong, tenue le 9 avril 2004, Mme [C] [R] a précisé qu'il lui avait été communiqué par M. [J] [U] ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris qu'« au cours de l'instance arbitrale, Mme [C] [R] a été interrogée à plusieurs reprises sur les conditions dans lesquelles elle s'était procurée ce document et a refusé de répondre (transcription d'audience, pièce Alstom, n° 58-1, pp. 97 et 98 de la traduction française) » (arrêt attaqué, p. 10 § 2), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-1 Alstom, p. 177 à 179 de la version anglaise et p. 127 à 129 de la traduction française), visé par l'arrêt attaqué, qu'interrogée sur les conditions dans lesquelles elle avait obtenu la présentation Powerpoint de la société Siemens sur sa stratégie commerciale sur le marché chinois, de sa conception des transferts de technologie et des caractéristiques techniques de ses trains à grande vitesse, Mme [C] [R] a précisé qu'elle lui avait été remise par M. [J] [Z], responsable des véhicules roulants au sein du ministère des chemins de fer ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que « Madame [C] [R] a confirmé lors de l'audience d'arbitrage qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur la façon dont elle avait obtenu ce document (transcription de l'audience, pièce 58-1, pp. 99-100) » (arrêt attaqué, p. 12 § 8), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui était soumis ;

5°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-1 Alstom, p. 179 à 181 de la version anglaise et p. 130 à 131 de la traduction française), visé par l'arrêt attaqué, qu'interrogée sur ce point, Mme [C] [R] a précisé avoir obtenue la note d'Alstom par Mme [N] Luo et que la note technique d'Alstom avait été augmentée, d'une part parce qu'il avait été demandé au vice maire de Shanghai de donner une chance à la coentreprise de façon à ce qu'elle se développe et, d'autre part, en demandant à Alstom d'offrir un prix plus bas pour les pièces de rechange, ce qui avait permis d'obtenir 0,4 points supplémentaires sur la notation technique ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que « lors de son audition par les arbitres, Madame [C] [R] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom les moyens par lesquels cette décision avait été obtenue (transcription des débats, pièce Alstom 58-1, traduction française, p. 109 à 111) » (arrêt attaqué, p. 14 § 2), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procèsverbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui était soumis ;

6°) ALORS QUE le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-1 Alstom, p.133 à 138 de la version anglaise et p. 97 à 100 de la traduction française) qu'en réponse aux questions de l'un des arbitres, M. [B], qui l'interrogeait sur le point de savoir si elle avait répondu par la négative aux demandes du conseil juridique externe de Alstom, Fulcrum Chambers, quant aux conditions d'obtention par elle du compte-rendu de la réunion entre le ministère des chemins de fer et Datong, du rapport de la CNR et de la présentation à faite par Siemens au ministère chinois des chemins de fer, Mme [C] [R] a répondu que « quand Fulcrum Chambers m'a envoyé un e-mail, j'avais déjà déposé ma demande d'arbitrage » et qu'elle avait effectivement répondu par la négative à ces demandes ; qu'en se fondant sur ce procès-verbal de transcriptions de l'audience du 23 mars 2015, pour en déduire un « indice particulièrement grave de pratiques corruptrices » tenant à « la transmission par un consultant à un candidat à un appel d'offres d'informations confidentielles émanant de l'autorité adjudicatrice, sans précision sur les conditions de leur obtention » (arrêt attaqué , p. 11 § 3), quand il en résulte uniquement que Mme [C] [R] a admis avoir refusé, après le début de l'arbitrage, de répondre aux questions du conseil externe de la société Alstom quant aux conditions d'obtention de ces documents, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui était soumis ;

7°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort du procès-verbal de transcription de l'audience du 24 mars 2015 (transcription d'audience, pièce n° 58-2 Alstom, p.11 et 12 de la version anglaise et p. 9 et 10 de la traduction française), que lors de son audition, M. [V] a expressément indiqué que l'affirmation du premier rapport d'audit d'Alstom, selon laquelle l'essentiel des dépenses opérationnelles d'ABL était uniquement justifié par des tickets de cartes de crédit, était inexacte, que les auditeurs n'avaient pris que deux jours pour vérifier tous les documents, alors qu'il leur avait été remis quatre ou cinq boites de documents, et que normalement, toutes les dépenses étaient justifiés par des reçus et que seule une petite partie de ces reçus ne leurs avaient pas été remis ; qu'en affirmant que « si M. [V] soutient que dépenses s'accompagnaient de justificatifs, il n'allègue pas que ceux-ci consisteraient en factures et non en simples reçus de cartes de crédit » (arrêt attaqué, p. 16 § 7), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal de transcription de l'audience du 24 mars 2015, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

8°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en indiquant que l'adresse pékinoise d'ABL correspondrait à celle du domicile déclaré de Mme [R] [C], quand il résulte d'un compte-rendu de réunion entre la société Alstom et la société ABL du 30 mai 2012 (pièce n°69 Alstom), que la société ABL partageait ses bureaux, à cette adresse, avec une société Beijing Global Strategy Consulting Co Ltd, la cour d'appel a dénaturé par omission le compte-rendu de réunion entre la société Alstom et la société ABL du 30 mai 2012, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Alexander Brothers Ltd à restituer à la société Alstom Transport Sa la somme de 1.828.850,88 euros ;

AUX MOTIFS QUE la prohibition de la corruption d'agents publics étrangers est au nombre des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la violation même dans un contexte international. Elle relève par conséquent de l'ordre public international. La lutte contre la corruption est un objectif poursuivi, notamment, par la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997, entrée en vigueur le 15 février 1999, et par la Convention des Nations Unies contre la corruption faite à [Localité 2] le 9 décembre 2003, entrée en vigueur le 14 décembre 2005. Suivant le consensus international exprimé par ces textes, la corruption d'agent public étranger consiste à offrir à celui-ci, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, afin qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte dans l'exercice de ses fonctions officielles, en vue d'obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu en liaison avec des activités de commerce international. Si la République française et la République populaire de Chine sont toutes deux dotées d'incriminations pénales des faits de corruption, il n'entre pas dans la mission de cette cour, saisie de l'appel de l'ordonnance d'exequatur d'une sentence internationale, de rechercher si une partie à l'arbitrage peut être déclarée coupable d'un délit de corruption en application des dispositions pénales d'un ordre juridique national, mais seulement de rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence méconnaît l'objectif de lutte contre la corruption en ce que la condamnation prononcée par cette sentence aurait pour effet de financer ou de rémunérer une activité de corruption ou de trafic d'influence. A cet égard, l'éventuelle mauvaise foi de la partie débitrice est indifférente, dès lors qu'est seulement en cause le refus de l'ordre juridique français de prêter le secours des voies de droit au paiement de sommes pour une cause illicite. La présente instance n'ayant nullement pour objet le prononcé de sanctions pénales, la défenderesse ne peut utilement soutenir qu'elle n'aurait pas été mise en mesure de répondre à l'accusation d'avoir commis, en des lieux et à des dates déterminées, des faits de corruption d'un ou de plusieurs agents publics précisément identifiés. L'examen par le juge de l'exequatur de l'allégation selon laquelle une sentence arbitrale allouerait des sommes destinées à financer une activité de corruption ne saurait porter, eu égard au caractère occulte des faits de corruption, que sur la réunion d'un faisceau d'indices. C'est sur l'admissibilité, au regard des règles de procédure civile, des preuves soumises par l'appelant, sur la réalité des indices, et sur leur caractère suffisamment grave, précis et concordant, et non sur des faits de corruption précisément identifiés, que porte, en l'espèce, l'exercice des droits de la défense. En l'espèce, les circonstances suivantes sont tenues pour établies par la sentence et ne sont pas contestées par les parties : - en 2003 un contact a été pris entre les dirigeants d'Alstom Transport et Mme [R] [C], directrice d'ABL et ancienne salariée d'Alstom Group en Chine (sentence, § 180), - ABL a été choisie, au terme d'une procédure d'audit décrite aux paragraphes 186 à 189 de la sentence, parce qu'Alstom a considéré "qu'elle était proche des décideurs et qu'elle était au courant du processus de prise de décisions au sein du Ministère chinois des chemins de fer" (sentence, § 181), - le contrat de consultant n° 1 du 26 août 2004 (locomotives de fret lourd) fixait une rémunération représentant 1% du montant total du marché, soit 3.731.200,00 euros, le contrat n° 2 du 22 décembre 2004 (rames de transport de passagers à grande vitesse) fixait une rémunération de 0,5% du montant total du marché, soit 3.122.000,00 euros et le contrat n° 3 du 2 décembre 2009 (ligne 2 du métro de Shanghai) fixait une rémunération de 2 % du montant total du marché soit 672.000,00 euros, - les trois contrats prévoyaient un paiement en quatre versements : le premier à la date d'entrée en vigueur du marché et à réception de l'acompte payé par le client, le deuxième au moment du paiement par le client de 40 % du montant du marché, le troisième lorsque 70 % du montant du marché ont été payés et le quatrième et dernier versement lorsque le client a intégralement payé le prix du marché et déchargé Alstom de l'ensemble de ses obligations contractuelles (sentence, § 193), - il n'est pas contesté que c'est grâce aux efforts et services d'ABL que les marchés ont été attribués à Alstom (sentence, § 191). Du reste, celle-ci a payé 55 % du montant du contrat n°1 et 80 % du contrat n° 2 en deux versements faits le 10 février 2006 et le 17 novembre 2008. - toutefois, le 26 novembre 2010, les sociétés Alstom ont annoncé qu'elles n'étaient pas actuellement en mesure de procéder à de nouveaux règlements, non pas parce qu'elles n'auraient pas été satisfaites des services fournis ou des justificatifs produits mais parce qu'une enquête était en cours au Royaume-Uni et qu'un paiement les exposerait à des sanctions pénales (sentence § 208). - en août 2012 et juin 2013, les sociétés Alstom ont procédé à des audits d'ABL et refusé de payer le solde des factures des contrats 1 et 2, ainsi que la totalité du contrat n° 3. Elles invoquaient le risque pénal qu'elles encouraient en payant des sommes qui servaient peut- être à corrompre des agents publics et se prévalaient de l'inobservation par ABL de ses obligations au titre des règles d'éthique et de conformité, et spécialement, de l'insuffisance de pièces matérielles justifiant des diligences du consultant.Saisi par ABL, le tribunal arbitral a condamné Alstom à lui payer les solde des sommes dues au titre des contrats n° 1 et n° 2, et rejeté la demande de règlement au titre du contrat n° 3.

Le raisonnement du tribunal arbitral :Le tribunal arbitral a développé le raisonnement suivant : "Étant donné que les parties sont convenues que les trois contrats de consultant seront régis par le droit suisse, il convient de statuer sur la légalité générale de ces contrats au regard du droit suisse. Sur le plan du droit, les contrats conclus entre les parties ne sont pas en eux-mêmes illicites. Aucune des parties n'a prétendu que les parties avaient l'intention que la Demanderesse commette effectivement des actes de corruption ou exerce une autre forme d'influence abusive sur les clients potentiels afin d'obtenir les marchés. Les contrats de consultant n'ont donc pas été conclus à des fins illicites. Il n 'a pas été soutenu lors de cet arbitrage que les trois contrats de consultant aient été obtenus par la corruption. Dans le cas d'espèce, les Défenderesses soutiennent qu'elles s'inquiètent de ce que la Demanderesse ait pu avoir recours à des pratiques de corruption dans le cadre de l 'exécution des contrats de consultant el qu'elles puissent donc s 'exposer à des poursuites pénales si elles devaient effectuer le paiement des versements non encore acquitté au titre de ces contrats." (Sentence, § 261 à 263) En premier lieu, sur l'allégation des sociétés Alstom selon laquelle un paiement serait susceptible d'être interprété par certaines autorités étatiques, comme une rémunération de pratiques de corruption, les arbitres relèvent que ABL "a été spécifiquement nominée en tant que consultant en raison de ses contacts avec des membres haut placés du gouvernement et les [sociétés Alstom] s'attendaient à ce qu'elle utilise ces contacts pour obtenir les projets. Alors que les contrats de ce type sont interdits en tant que tels dans certains pays dans lesquels il est estimé qu'ils sont généralement destinés à dissimuler des pratiques de corruption, d'autres pays comme la Suisse évitent d 'interdire de manière générale de tels contrats mais exigent qu'il soit démontré que les parties avaient réellement l'intention que l'agent ou le consultant verse des pots-de-vin ou exerce par ailleurs une influence abusive sur des fonctionnaires." (sentence, § 258). Le tribunal arbitral relève que cette preuve pèse sur les sociétés Alstom; qu'en l'occurrence, il n'est pas démontré que le Seriouss Fraud Office britannique ou toute autre autorité étatique ait enquêté sur les contrats en cause, ni même, sur les activités du groupe Alstom en Chine (sentence, § 265). Les arbitres ajoutent que si le niveau de preuve peut être abaissé en matière d'allégation de corruption, compte tenu de la difficulté d'établir de tels faits, il n'y avait pas lieu de faire bénéficier Alstom de ces facilités dans la mesure où ABL n'avait pas cherché à dissimuler ses activités et s'était prêtée aux deux audits qui auraient permis à Alstom de trouver des preuves éventuelles de corruption. Dans ces conditions, il n'y avait pas lieu d'alléger le fardeau de la preuve. Du reste les sociétés Alstom n'avaient pas allégué qu'ABL aurait effectivement versé des pots-de-vin. Elles s'étaient bornées à indiquer qu'elles ne comprenaient pas comment ABL était entrée en possession de documents contenant des informations potentiellement confidentielles, ni comment elle avait persuadé la municipalité de Shanghai de lui attribuer le marché de la ligne de métro n° 2 alors que son offre avait obtenu un score moindre que celle de ses concurrents. Les arbitres concluent qu' "il n'est cependant pas prétendu qu'il y ait eu des actes de corruption ou un autre comportement délictueux et [qu'il est encore moins prouvé de manière concluante l'existence d'une activité illicite." (sentence, § 266 à 275). En second lieu, sur l'allégation de violation par ABL de ses obligations contractuelles, les arbitres ont relevé que les preuves des prestations de services d'ABL avaient toujours été présentées sous la même forme et contenu les mêmes détails et que les sociétés Alstom s'en étaient contentées et avaient réglé les échéances sans exiger d'éléments supplémentaires jusqu'à ce qu'elles aient été exposées à des poursuites pénales sans rapport avec les activités d' ABL (sentence, § 281 à 283). Le tribunal arbitral a exposé qu'en droit suisse, "lorsque le comportement ultérieur des parties est contraire aux stipulations d'un contrat conclu entre elles, ce comportement doit être considéré comme une modification ultérieure implicite de ce contrat" (sentence, § 305); que les sociétés Alstom ne s'étaient pas contentées de ne faire aucune remarque sur les preuves de prestations de services au titre des contrats 1 et 2 mais qu'elles avaient fait des paiements sur la base de ces productions (sentence, § 306) ; que, par conséquent, les preuves fournies par le consultant devaient être regardées comme satisfaisant aux exigences des contrats 1 et 2, de sorte que les sociétés Alstom devaient être condamnées à régler le solde; qu'en revanche, ABL ne pouvait présumer que les pratiques communes adoptées à l'égard des deux premiers contrats valaient également à l'égard du troisième, alors que ce dernier était rédigé en des termes beaucoup plus exigeants et qu'avant sa conclusion, il lui avait été demandé de fournir des rapports sur son activité au stade de la préparation de la soumission pour le projet en cause (sentence, § 308 et 309). Les arbitres relèvent que les documents produits à titre de preuves de services pour le projet de ligne 2 du métro de Shanghai se composent, en tout et pour tout de huit lettres et de cinq courriels adressés par Mme [C] [R] à Alstom, qu'aucun autre document, procès-verbal de réunion ou véritable rapport d'activité n'avait été joint (sentence, § 310). Le tribunal arbitral en a déduit qu'ABL n'avait pas rempli ses obligations au titre du contrat n° 3 et qu'il n'y avait donc pas lieu de faire droit à sa demande de ce chef. Devant la cour, après réouverture des débats, Alstom ne se borne plus à alléguer des manquements aux stipulations contractuelles d'éthique et de conformité, ni le fait qu'elle craindrait de s'exposer à des sanctions pénales en payant ABL si, par extraordinaire, celle-ci avait eu recours à des procédés illicites. Elle affirme désormais qu'il y a eu en l'espèce "utilisation par Alexander Brothers de la rémunération payée par les sociétés Alstom ou attendue au titre des Contrats de Consultant, pour le versement ou la promesse de pots-de-vin à des fonctionnaires chinois, à l'insu des sociétés Alstom et dans le but de faciliter l'octroi des marchés dans le cadre des appels d'offres concernés" (concl. Alstom n° 4, p. 48). Elle soutient qu'il existe un faisceau d'indices de telles pratiques de la part d'Alexander Brothers.

Le contrat de consultant n° 1 : Le 26 août 2004, les deux sociétés Alstom ont conclu avec la société ABL un contrat de consultant afin de répondre à l'appel d'offres lancé par le ministère chinois des transports pour la fourniture de locomotives électriques de fret lourd. Ce contrat prévoyait qu'ABL devait fournir des informations et des avis sur tous les aspects concernant le projet,
établir des contacts à tous niveaux, organiser des rendez-vous, procurer une assistance pour l'obtention d'éventuelles autorisations, aider Alstom dans la préparation des documents nécessaires à l'obtention du contrat, dans les domaines financiers, commerciaux et juridiques, fournir des avis sur d'éventuels sous- traitants, assister Alstom pendant la mise en oeuvre du projet. L'article 7.1 interdisait au consultant d'employer des responsables gouvernementaux ou des parlementaires, ou des membres de partis politiques ou des candidats à des élections, et l'article 7. 3 (iii) interdisait au consultant de promettre ou d'accorder des avantages à ces mêmes personnes en relation avec l'exécution de ses prestations. Le contrat prévoyait une rémunération totale de 1 % du marché, soit 3.731.200,00 euros. Il stipulait un premier paiement partiel (30 %) à la date d'entrée en vigueur du marché et réception du premier acompte de la part du client chinois. Alstom a réglé intégralement le premier versement de 1.119.360,00 euros (30 % du total) le 10 février 2006, au vu du dossier fourni par ABL à l'appui de sa facture. Alstom produit ce dossier en pièce n° 62-1 en faisant valoir : que ces pièces n'établissent pas la réalité des services rendus par ABL, que l'origine de certaines d'entre elles est douteuse, que la rémunération versée est disproportionnée par rapport aux diligences dont elles témoignent. ABL ne prétend pas que la pièce n° 62-1 d'Alstom ne correspondrait pas à l'intégralité du dossier qu'elle a fourni à l'appui de sa première facture, mais elle soutient que les documents en cause sont précis et probants, qu'ils évoquent des faits vérifiables et que leur origine peut être établie avec certitude. La pièce 62-1 d'Alstom contient 22 notes rédigées par Mme [C] [R] entre le 5 novembre 2003 et le 24 mai 2005, soit en un peu moins de 19 mois, adressées à M. [K] [E] (senior vice-président d'Alstom Transports en Chine au cours de cette période). Ces notes sont brèves : toujours moins d'une page et, pour douze d'entre elles, une à quatre phrases. Les notes du 5 novembre 2003 (pièce Alstom, n° 62-1, p. 1), du 16 avril 2004 (pièce 62-1, p. 18), du 6 mai 2004 (pièce 62-1, p. 23), du 9 mai 2004 (pièce 621, p. 33), du 24 août 2004 (pièce 62-1, p. 44), non datée, jointe à un document sur l'accord de transfert de technologie (pièce 62-1, p. 65, du 17 janvier 2005 (pièce 62-1, p. 72), du 27 janvier 2005 (pièce 62-1, p. 79) et du 29 janvier 2005 (pièce 62-1, p. 84) se bornent à accompagner des échanges de pièces entre le ministère chinois des chemins de fer, le partenaire local d'Alstom en Chine (Datong), et le groupe Alstom, sans aucun commentaire personnel de la part de Mme [C]. Il n'apparaît pas que des pièces jointes soient l'oeuvre d'ABL. En particulier, celle-ci ne démontre nullement qu'elle aurait rédigé le projet de protocole d'accord Alstom/Datong joint à la correspondance du 20 novembre 2003 (pièce Alstom n° 62-1, p. 4 à 6). Non seulement, en effet, cette origine ne résulte ni du document lui- même ni du courrier d'accompagnement, mais encore, comme le relève Alstom, elle n'a jamais été revendiquée par ABL au cours de l'arbitrage. Certains documents émanent d'Alstom elle-même, comme un courrier daté du 12 janvier 2005 adressé par M. [T], directeur de projet d'Alstom à M. [Y] [W] au ministère des transports, et ne présentent donc aucun intérêt pour Alstom (pièce Alstom n° 62-1, p. 63). Les courriers les plus substantiels se présentent comme des synthèses de réunions de Mme [C] [R] avec des représentants du ministère des chemins de fer (note du 9 janvier 2005, pièce Alstom n° 62-1, p. 55, note du 13 janvier 2005, pièce 62-1, p. 62, note du 3 février 2005, pièce 62-1, p. 97 et note du 21 mai 2005, pièce 62-1, p. 100). Ils ne sont, toutefois, accompagnés d'aucune documentation contemporaine -telle qu'échange de correspondances pour l'organisation des réunions, copies d'agendas, notes prises en cours de réunion, procès-verbaux -, permettant d' en vérifier la réalité. Il n'en est d'ailleurs pas davantage produit devant la cour. Comme le fait observer Alstom, ces seuls éléments - qui n'établissent rien d'autre qu'un rôle d'intermédiaire dans l'échange de correspondances entre Alstom et le ministère des chemins de fer apparaissent impropres à justifier de la réalité de diligences "substantielles et significatives pour I 'obtention des projets" (concl. Alstom n° 4, p. 68). Ils sont, en toute hypothèse, disproportionnés au versement, le 10 février 2006, d'une somme de 1.119.360,00 euros. Toutefois, le dossier produit à l'appui de la facture contient également d'autres pièces qui démontrent davantage l'efficacité du rôle d'ABL. Ce sont des documents ou des informations sensibles ou confidentiels dont l'origine n'est pas établie: Le compte-rendu d'une réunion entre le ministère des chemins de fer et Datong, le partenaire local d'Alstom Transport, tenue le 9 avril 2004 à 20h dans le bureau du ministre des chemins de fer (pièce Alstom, n° 62-1, p. 12 à 17), transmis le 10 avril 2004 par Mme [C] [R] avec l'indication que "ce rapport provient du bureau de [J] [U]" [ministre des chemins de fer de 2003 à 2011]. Il contient des informations sensibles sur l'opinion du ministère concernant la coopération entre Alstom et Datong, ainsi que sur la nature et l'importance du transfert de technologie attendu d'Alstom. Dans ses conclusions n° 4 (p. 19), ABL se prévaut de cette transmission (qu'elle cite comme pièce ABL arbitrage C-15) comme d'une preuve de la réalité de ses prestations, en soulignant que le courrier d'accompagnement attire l'attention d'Alstom sur la proposition de Datong de commencer par la production de 20 unités. Cette présentation laisse supposer qu'ABL a participé à la réunion. Toutefois, le nom de Mme [C] [R] ne figure pas au nombre des participants énumérés par le procès-verbal et ABL n'indique pas que le nom d'un autre de ses représentants figurerait sur cette liste. Au cours de l'instance arbitrale, Mme [C] [R] a été interrogée à plusieurs reprises sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré ce document et a refusé de répondre (transcription d'audience, pièce Alstom, n° 58-1, p. 97 et 98 de la traduction française). Un rapport de la CNR [entreprise publique chinoise de fabrication de trains et de matériel ferroviaire, société-mère de Datong] concernant la proposition de coopération entre Alstom et Datong (pièce Alstom n° 62-1, p. 18 à 22), qui expose les objectifs poursuivis par Datong dans ses relations avec Alstom, spécialement en matière de transfert de technologie. Ce document est accompagné d'un courrier de Mme [C] du 16 avril 2004 précisant qu'il "provient du bureau de la CNR". Au cours de l'audience d'arbitrage, Mme [C] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré ce document (transcription de l'audience, pièce Alstom, n° 58-1, en traduction française, p. 98 et 99). Un rapport d'évaluation par le ministère des chemins de fer des offres techniques soumises par Alstom et par ses concurrents, Siemens et Bombardier (pièce Alstom n° 62-1, p. 33 à 42). Ce rapport, dont Alstom affirme, sans être contredite, qu'il a été émis avant le dépôt des offres par les différents soumissionnaires, précise les caractéristiques techniques ainsi que les conditions financières des offres des trois concurrents, et expose la politique de prix appliquée par le ministère des chemins de fer. Le courrier d'accompagnement de Mme [C] du 9 mai 2004 n'en indique pas l'origine. Au cours de l'audience d'arbitrage, Mme [C] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions du conseil d'Alstom sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré ce document (transcription de l'audience, pièce Alstom, n° 58-1, en traduction française, p. 97 et 99 ). Devant la cour, ABL avance l'explication suivante : "Dans la mesure où l'appel d'offres est un processus itératif en Chine et que le gouvernement n 'hésite pas à communiquer des informations pour obtenir l'offre la plus pertinente et la meilleure, le MCCF [ministère chinois des chemins de fer] a transmis à ABL, comme il l'a fait pour les autres soumissionnaires, des informations nécessaires à l'élaboration des soumissions." ABL ajoute, sans expliciter les conséquences qu'elle tire de cette information : "De surcroît, dans la mesure où l'objectif contemporain des autorités chinoises était d'obtenir des transferts de technologie, les entreprises occidentales avaient l'obligation de s 'associer à des partenaires locaux licenciés. Alstom, à défaut d'être licenciée était en tout état de cause contrainte de travailler avec des entreprises chinoises licenciées."(concl. n° 4, p. 21) Toutefois, comme le fait observer Alstom, bien que la question de l'origine des documents sensibles ait été débattue au cours de l'arbitrage, il n'apparaît pas qu'ABL ait alors soutenu qu'ils auraient été obtenus dans le cadre d'un dialogue ouvert et légitime entre le gouvernement et les soumissionnaires. ABL ne produit aucune correspondance officielle établissant l'existence de tels échanges, ni d'ailleurs aucune pièce démontrant que les concurrents d'Alstom auraient bénéficier des mêmes informations, cette dernière circonstance ne pouvant se déduire du fait que ces entreprises ont obtenu d'autres marchés. Plus généralement, ABL ne démontre par aucun document qu'un tel "processus itératif', comportant la divulgation des offres des concurrents, ferait partie des pratiques admises en Chine, alors qu'Alstom établit, au contraire, que la loi sur les appels et les soumissions d'offre de la République populaire de Chine du 30 août 1999 impose à l'autorité adjudicatrice une stricte confidentialité (art. 38, pièce Alstom, n° 86), et que ce principe s'applique y compris dans la procédure dite de "dialogue compétitif' prévue par la loi sur les marchés publics du 29 juin 2002, dont l'article 44 (4) dispose que "tous les membres de l'équipe de négociation négocient individuellement avec les fournisseurs. Au cours de la négociation, aucune des parties ne peut révéler des données techniques ou desprix d'autres fournisseurs, ou toute autre information concernant la négociation." (pièce Alstom, n° 87). La transmission par un consultant à un candidat à un appel d'offre d'informations confidentielles émanant de l'autorité adjudicatrice, sans précision sur les conditions de leur obtention, est un indice particulièrement grave de pratiques corruptrices. Le 17 novembre 2008, Alstom a fait un second versement de 932.800, euros (25 % de la rémunération totale du contrat n° 1), dont il n'est pas discuté qu'il correspond à la totalité de la facture n° 2. Elle produit sous la pièce 62-2 le dossier de preuves de service produit par ABL à l'appui de cette facture. Il comporte 53 notes, datées du 8 janvier 2006 au 9 septembre 2009, signées de Mme [C]. Elles sont généralement plus longues que les précédentes. Elles portent sur des difficultés techniques d'exécution du marché. Elles consistent en traductions ou résumés de documents ou de courriers émanant du ministère des chemins de fer du CNTIC (China National Technical Importe and Export Corporation), sans commentaire de Mme [C]. La traduction mise à part, ces pièces ne démontrent aucune valeur ajoutée d'ABL qui se contente de jouer le rôle de boîte aux lettres. Au surplus, mis à part les courriers datés du 8 janvier, 15 février, 9 septembre 2006 et 13 janvier 2007, les notes figurant dans le second dossier de preuves ne mentionnent, contrairement à celles du premier dossier, aucun nom de destinataire, de sorte qu'il est impossible de savoir si elles ont été effectivement envoyées aux dates qu'elles indiquent ou si, comme le prétend Alstom, elles auraient pu être produites par ABL posteriori afin d'étoffer son dossier de preuves documentaires (concl. Alstom, p. 59). ABL ne s'est pas expliquée sur ce point. En conclusions sur le contrat n° 1, il apparaît que les seules diligences d'ABL qui sont démontrées par des pièces incontestablement contemporaines des faits, qui correspondent - au-delà de simples prestations de traduction et de service de boîte-aux-lettres -, à sa mission de consultant, et qui n'apparaissent pas disproportionnées à la somme globale de 2.052.160,00 euros réglée par Alstom, ont consisté dans la communication de documents confidentiels, dont les conditions d'obtention délibérément dissimulées font présumer l'origine illicite.

Le contrat de consultant n°2 :Le 22 décembre 2004, les deux sociétés Alstom ont conclu avec la société ABL un contrat de consultant afin de répondre à l'appel d'offres lancé par le ministère chinois des transports pour la conception et la fourniture de rames automotrices électriques de transport de passagers pour des trains à grande vitesse. Il était conçu dans les mêmes termes que le premier contrat et contenait en particulier la même prohibition des paiements illicites aux agents publics étrangers. Le contrat prévoyait une rémunération totale de 0,5 % du marché, soit 3.122.000,00 euros. Il stipulait un premier paiement partiel (30 %) à la date d'entrée en vigueur du marché et réception du premier acompte de la part du client chinois. Alstom a réglé intégralement le premier versement de 936.660,00 euros (30 % du total) le 10 février 2006, au vu du dossier fourni par ABL à l'appui de sa facture. Alstom produit ce dossier en pièce n° 63-1 en faisant valoir des arguments identiques à ceux développés à l'égard du contrat n° 1. Ce dossier contient 16 notes rédigées par Mme [C] [R] datées du 5 septembre 2003 au 28 janvier 2005, soit une période de 17 mois environ, adressées à M. [K] [E]. Ces notes sont très brèves. Elles se bornent à transmettre des documents entre Alstom, son partenaire local, et le ministère des chemins de fer, sans commentaire de Mme [C]. Il n'est pas démontré que des documents joints - et, notamment, le projet de protocole d'accord avec Sifang - seraient l'oeuvre d'ABL. Certains documents versés au dossier sont des copies de courrier, des notes ou des présentation powerpoint d'Alstom et ne correspondent donc à aucun service rendu par ABL (pièce n° 63-1, p. 54 à 77, p. 84 à 93, p.96 à 105, p.116, p. 118-119). Les notes mentionnant des réunions qui auraient eu lieu entre Mme [C] et des membres du ministère des chemins de fer ne sont accompagnées d'aucune documentation contemporaine prouvant qu'elles se sont effectivement tenues (pièce n° 63-1, p. 83, 150 et 157). Alstom soutient que le dossier joint à la première facture contient un document confidentiel. Il s'agit d'une présentation powerpoint par un concurrent de sa stratégie commerciale sur le marché chinois, de sa conception des transferts de technologie et des caractéristiques techniques de ses trains à grande vitesse (pièce n° 63-1, p. 2 à 43). La note d'accompagnement de Mme [C] précise qu'il s'agit d'un document provenant du ministère des chemins de fer relatif à la présentation EMU [electrical multiple units, ou rames automotrices électriques] de Siemens. Alstom fait valoir que Mme [C] [R] a confirmé lors de l'audience d'arbitrage qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur la façon dont elle avait obtenu ce document (transcription de l'audience, pièce n° 58-1, p. 99- 100). Devant la cour, ABL soutient pour la première fois que ce document ne serait nullement confidentiel, qu'il aurait été divulgué lors d'une conférence ouverte au public et non à l'occasion d'un rendez-vous bilatéral, qu'il ne contiendrait que des informations générales et aurait été émis avant même le lancement de l'appel d'offres (concl. n° 4, p. 39). Toutefois, d'une part, il résulte de l'audition de Mme [C] au cours de l'instance arbitrale (pièce Alstom n° 58-1, p. 99, § 21 à 25) qu'il s'agit d'une présentation qui a été faite par Siemens "au ministère chinois des chemins de fer", de sorte que si plusieurs personnes y ont assisté - ce qui est le propre d'une présentation powerpoint - elles appartenaient à ce ministère où avaient été choisies par lui. D'autre part, si cette présentation revêtait un caractère commercial et non technique ni financier, elle exposait plusieurs stratégies de développement envisagées par Siemens en Chine, de sorte qu'il n'est pas vraisemblable qu'elle ait été rendue public, et qu'elle pouvait présenter un intérêt pour les entreprises qui aspiraient à s'implanter ou à se développer sur le marché chinois du matériel ferroviaire. Le 17 novembre 2008, Alstom a effectué, au titre du contrat n° 2, les deuxième et troisième versements de 624.400,00 euros et de 936.660,00 euros, représentants respectivement, 20 % et 30 % de la rémunération totale. Le dossier de preuves de services sur la base duquel ces paiements sont intervenus contient 56 notes datées du 25 avril 2006 au 8 août 2011. Il appelle les mêmes observations que le second dossier afférent au contrat n° 1. Il s'agit de traductions ou de résumés de documents émanant du ministère des chemins de fer, du CNTIC ou du CRC [China Railway Corporation] sans analyse ni recommandation de la part d'ABL. En outre, à partir d'octobre 2006, ces notes ne désignent aucun destinataire au sein d'Alstom, de sorte que la réalité de leur envoi est douteuse.

Le contrat de consultant n° 3 : Le 2 décembre 2009, les parties ont signé un contrat de consultant afin de soumissionner à un appel d'offres lancé par l'entreprise publique Shanghai Shentong Holding Group pour la fourniture de matériel roulant à l'occasion de l'extension de la ligne 2 du métro de Shanghai. Il stipulait une rémunération de 2 % du montant total du marché soit 672.000, 00 euros. Alstom n'a rien réglé à ce titre et le tribunal arbitral a rejeté la demande en paiement formée par ABL de ce chef. Toutefois, l'examen des conditions d'exécution de ce contrat conclu entre les mêmes parties apparaît pertinent dans le cadre d'une recherche d'indices de corruption. Le dossier de pièces justificatives de services rendus par ABL pour le contrat n°3 est produit par Alstom sous la cote n° 64. Il comporte une chronologie des actions menées par Mme [C] [R] (pièce n° 64, p. 4) selon laquelle : "Date. Contacts Sujets et messages. 28 janvier 2008 [G] [X]. Maire. Bien que CRC [partenaire chinois de Bombardier] ait obtenu quelques points en plus que le consortium Alstom/Puzhen/[O] dans l'évaluation de l'offre, il a été demandé au maire de Shanghai d'attribuer le projet à Satco pour tenir compte du futur de la coentreprise." Dans ce même dossier figurent :- un courriel envoyé le 30 janvier 2008 par Mme [C] à M. [Q] [A] [directeur de "business development" d'Alstom Transport en Chine] suivant lequel : "Shentong annoncera le résultat de l'évaluation technique de l'extension est de la ligne 2 et ouvrira les offres de prix le vendredi 1" février. La décision définitive sera annoncée le lundi 4 février." (Pièce Alstom n° 64, p. 8), - un courriel envoyé le 11 février 2008 par Mme [C] à M. [A] qui explique : "Pour l'extension est de la ligne 2 de Shanghai, le premier tour d'évaluation (partie technique) ne nous est pas favorable : le score de la CRC est de 93,08; Zhuzhou, 85,75; Puzhen, 90,96. Les prix ouverts sont les suivants : 823 de la CRC,- 817 de Zhuzhou et 815 de Puzhen. Sur la base de la méthode de calcul d'appel d'offres, CRC avait 0,6 points de plus que nous. Mais les autorités municipales ont décidé de nous accorder le projet. Ensuite, nous avons obtenu tous les points pour les pièces détachées. Finalement, nous avons gagné cet appel d'offres avec + 0,4 points." (pièce Alstom, n° 64, p. 10). Il en résulte, d'une part, qu'ABL a été informée le 28 janvier 2008 des résultats de l'évaluation technique des offres qui n'ont été officiellement annoncés que le 4 février 2008, d'autre part, que la coentreprise Alstom/Puzhen/[O] a remporté l'appel d'offres en dépit d'un score inférieur à celui de ses concurrents. Lors de son audition par les arbitres, Mme [C] a confirmé qu'elle avait refusé de répondre aux questions des conseils d'Alstom sur les moyens par lesquels cette décision avait été obtenue (transcription des débats, pièce Alstom n° 58-1, traduction française, p. 109 à 111). Au cours de l'instance arbitrale, ABL a soutenu que la décision d'attribution du marché résultait, d'une part, de la prise en compte par le maire de Shanghai des arguments de Mme [C] relatifs aux risques de pertes importantes qui seraient éprouvées par le partenaire chinois d'Alstom en cas d'échec, d'autre part, des efforts faits par Alstom pour réduire ses prix sur les pièces détachées. En réalité, il résulte du courriel du 11 février 2008 que l'offre d'Alstom était moins bien notée que celle de ses concurrents au terme de la pondération opérée entre les critères techniques et financiers, et qu'elle a néanmoins été retenue, sur l'intervention des autorités municipales, avant toute prise en considération du prix des pièces détachées. Il apparaît, par conséquent, que la concurrence a été faussée, d'une part, parce qu'Alstom a été informée de l'évaluation des offres avant leur publication, d'autre part, parce que l'attribution du marché s'est faite sur des critères étrangers à ceux de l'appel d'offres, sans aucun commencement de démonstration de la nature de ces critères. Ainsi qu'il a déjà été dit, ABL n'établit pas davantage que les autorités chinoises pratiqueraient de manière ouverte et illicite un "processus itératif' d'attribution des marchés impliquant la divulgation des offres des concurrents et de leur évaluation par l'adjudicateur avant leur publication officielle.

Les audits : A la suite de l'enquête pénale engagée par les autorités américaines et britanniques, ABL a accepté de se prêter à deux audits comptables réalisés par Alstom en août 2012 et juin 2013. Le rapport établi à la suite du premier audit et portant sur les exercices clos au 31 décembre 2009, 2010 et 2011 (pièce Alstom n° 65), apparaît utile pour apprécier les indices de pratiques corruptrices, dès lors qu'il n'est pas contesté par ABL que la structure des comptes fait apparaître les éléments suivants : "3. Résumé [le rapport relève qu'il n'y a pas d'autres encaissements que ceux provenant d'Alstom et que les derniers paiements, faits notamment au titre du contrat de consultant n° 1, remontent à février 2009. Sur les sorties, il constate] : le total des sorties de trésorerie de décembre 2009 à 2011 s'élevait à 4.665 k $ et était principalement lié à des dividendes payés aux actionnaires (1.886 k $), à des coûts opérationnels (1.597 k $) et au remboursement de "montants dus aux actionnaires " (742 k $) ; les coûts opérationnels ne sont pas payés via les comptes bancaires d 'ABL. Les actionnaires ont supporté les dépenses et payé les différents vendeurs à travers leurs propres cartes de crédit. Les dépenses sont ensuite groupées et enregistrées dans le compte "montant dû aux actionnaires" ; aucune transaction inhabituelle importante n'a été identifiée pendant notre revue et les principales transactions ont été identifiées. Cependant, plusieurs erreurs comptables et problèmes de contrôle interne ont été relevées (cf .§4) 4. Observations détaillées .? revue des dépenses opérationnelles d'ABL. Nous avons passé en revue plusieurs dépenses opérationnelles engagées pour des déplacements, divertissements, locations, frais de gestion et frais de consultants. Notre analyse a révélé plusieurs erreurs de comptabilité et des faiblesses de contrôle interne : le niveau de documentation n'est pas considéré comme approprié, étant donné que la plupart des coûts testés sont uniquement justifiés par des tickets de carte de crédit. Le but et la nature des coûts ne sont pas déclarés. Plusieurs reçus sont regroupés. Notre analyse a mis en évidence que les entrées comptables sont difficilement conciliables avec les reçus ; différentes erreurs ont été relevées concernant le remboursement et la déclaration des coûts (incohérence entre le reçu et le remboursement) ; certains reçus sont libellés au nom d'entreprises tierces, telle que Beijing Dacelue Business Consulting ; plusieurs achats d'articles d'importante valeur, tels que des peintures et des meubles, ne sont pas déclarés dans les actifs de la société. Selon le Conseiller en affaires, les actifs sont utilisés dans son bureau de Beijing. A noter que les dépenses opérationnelles d'ABL sont constituées de nombreuses transactions de faible montant." Suivant l'annexe 1 ("Récapitulatif des flux de trésorerie cumulés pour l'exercice clos au 31 décembre 2011") : - le total des encaissements pour 2009, 2010 et 2011 s'élevait à 4.212.000 USD dont 4.192. 000 USD reçus d'Alstom et 20.000 USD d'intérêts reçus pour l'acompte, - les dividendes versés s'élevaient à 1.886.000 USD, les dépenses opérationnelles à 1.597.000 USD, et les remboursements de prêts en compte courant d'associés à 742.000 USD. L'état des pertes et profits (annexe 2) faisait ressortir, sur trois années, des frais de location et de gestion de 555.000 USD, des frais de déplacement de 331.000 USD , des frais de consultant de 206.000 USD, des salaires de 177.000 USD, et des frais de "divertissement" de 125.000 USD. Le bilan faisait apparaître pour les trois années un passif courant de 1.607 USD (dont 1.605.000 USD de montants versés aux actionnaires et 2.000 USD de dépenses accumulées), un capital social de 1.000 USD et des bénéfices non distribués de 2.948.000 USD. Contre l'allégation par Alstom du caractère suspect de cette comptabilité, au regard, notamment, du paiement des dépenses opérationnelles sur les comptes personnels des associés et sans facture, ou du montant très élevé des frais de divertissement, ou encore de l'achat d'objets coûteux qui ne figurent pas à l'actif de la société, ABL fait valoir : qu'elle a été choisie comme consultant à la suite d'un audit approfondi, qu'elle a accepté de coopérer aux audits réalisés par Alstom en 2012 et 2013, que les résultats de ces audits, menés unilatéralement par Alstom, ne lui ont pas été communiqués avant l'arbitrage, que ses comptes ne révèlent aucun paiement injustifié ni aucune preuve de corruption, que les erreurs relevées dans sa comptabilité sont marginales, qu'elles n'entachent pas la régularité de ses comptes et qu'elles portent sur des sommes trop faibles pour constituer des pots de vin, que, du reste, les auditeurs n'ont nullement alerté Alstom sur l'existence de faits illicites et sur la nécessité de rompre toutes relations avec ABL, que ses comptes sont certifiés par un cabinet d'expertise comptable de [Localité 1] qui a attesté au cours de l'instance arbitrale que la plupart des dépenses des actionnaires étaient justifiées par des reçus. Sur les objections de l'intimée, il sera observé, en premier lieu, que la circonstance qu'ABL aurait été soumise, avant la conclusion des contrats, à un audit approfondi d'Alstom à la supposer démontrée, n'établit nullement qu'ABL n'aurait pu ultérieurement recourir à des pratiques illicites, étant au demeurant observé que selon une attestation établie le 21 juillet 2014 par M. [V], préposé de la société CCH Management Ltd, représentant fiscal et comptable d'ABL (pièce ABL, n° 26), cette société qui avait pour objet l'affrètement de conteneurs était en sommeil depuis le 31 décembre 2000, et n'a été réactivée à compter du 1er décembre 2004 que pour fournir les services de consultation qu'Alstom confiait à Mme [C] depuis janvier 2003 (pièce Alstom n° 58-2, audition de Mme [C], p. 66), de sorte qu'un audit portant sur une coquille vide ne pouvait fournir que peu d'informations pertinentes. En deuxième lieu, ABL s'est prêtée aux audits parce qu'Alstom, qui était sa seule source de revenus, en faisait la condition de ses paiements, et, qu'en outre, ABL pouvait présumer qu'Alstom ne se prévaudrait pas d'éléments susceptibles d'incriminer son propre comportement - ce qui s'est révélé partiellement exact puisqu'Alstom, en dépit de l'injonction qui lui a été faite par l'arrêt du 10 avril 2018, n'a pas produit les résultats du second audit portant sur la période 2004-2008. En troisième lieu, il résulte de l'audition de M. [V], qui a participé aux deux audits et rencontré les responsables internes de la conformité d'Alstom (pièce ABL, n° 26 et pièce Alstom 58-2, transcription de l'audience tenue le 24 mars 2015, audition de M. [V] p. 7), qu'au moins avant l'audience arbitrale le résultat du premier audit avait été communiqué à ABL (pièce 58-2, p. 18) qui avait été en mesure d'en débattre, notamment par l'audition de M. [V]. En quatrième lieu, la preuve de faits de corruption s'établit par des indices, l'habitude n'étant pas de faire apparaître explicitement dans la comptabilité les sommes employées à cette fin. En cinquième lieu, l'audit n'avait pas d'autre objet que de dresser un tableau de la situation comptable d'ABL en laissant aux dirigeants d'Alstom le soin d'en tirer les conséquences qui leur paraîtraient appropriées, ce qu'ils ont fait en refusant de régler le solde des contrats 1 et 2 et en s'abstenant de tout paiement au titre du troisième contrat de consultant. En dernier lieu, sur les dépenses opérationnelles de la société faites par cartes bancaires depuis les comptes personnels des associés, il résulte des déclarations de M. [V] et il n'est pas d'ailleurs contesté, qu'elles portaient sur des sommes individuellement modestes, quoique pour un total élevé, supérieur à 500.000 $ par an. Si M. [V] soutient que ces dépenses s'accompagnaient de justificatifs, il n'allègue pas que ceux-ci consisteraient en factures et non en simples reçus de cartes de crédit, ni qu'ils seraient exhaustifs. Alstom ne produit pas de compte rendu du second audit, portant sur les exercices 2004 à 2008, mais seulement le bordereau d'envoi de ce document par les auditeurs qui contient un résume très succinct. Il en ressort que les recettes sur l'ensemble de la période s'élèvent à 7.347.000 USD constitués de 4.192.000 USD de règlements d'Alstom et de 153.000 USD d'intérêts versés par les banques, que le total des décaissements a consisté en dividendes payés aux actionnaires (2.204.000 USD) et en dépenses opérationnelles (1.841.000 USD), celles-ci étant payées par les actionnaires et faisant l'objet d'un remboursement (pièce Alstom n° 66). ABL ne conteste pas que la structure de ses comptes corresponde à cette brève description qui est d'ailleurs cohérente avec celle observée sur la période suivante. En conclusion, il résulte du premier audit que les associés d'ABL (Mme [C] elle-même, ainsi que sa soeur et son beau-frère, directeur exécutif : concl. ABL, p. 21) ont reçu en trois ans 1.886.000 USD sous forme de dividendes, dont l'usage n'est pas contrôlable, 1.597.000 USD de remboursement de dépenses courantes sans factures, et 742.000 USD de remboursement de prêts en compte courant d'associés, soit environ 90 % des sommes versées par un donneur d'ordre unique, Alstom. Le second audit aboutit à un résultat analogue. Il s'en déduit qu'ABL était essentiellement un véhicule de transfert de fonds vers ses associés, pour des usages peu ou pas vérifiables. A cette circonstance s'ajoutent l'achat de biens coûteux (meubles, oeuvres d'art) qui n'ont pas été retrouvés à l'actif, ainsi que des dépenses de "divertissement" d'un montant élevé (plus de 40.000 USD par an en moyenne).

Les moyens matériels et humains d'ABL : Un autre indice du recours à des procédés illicites tient à la faiblesse des moyens matériels et humains d'ABL. Si celle-ci prétend qu'elle employait neuf salariés, elle ne produit à l'appui de cette allégation que des "fiches de renseignement du consultant" envoyées à Alstom à compter de 2008 ("Business Advisor Profile" de 2008, 2009, 2011 et 2012 : pièces ABL n° 20 à 23). Outre le fait que ces documents sont purement déclaratifs et ne précisent pas le nom et le rôle des personnes en cause, ils ne sont pas corroborés par la production de contrats de travail ou tout autre justificatif matériel. Dans ses écritures devant la cour ABL affirme que quatre salariés dont elle précise les noms et les diplômes auraient assisté Mme [R] pour l'exécution des missions confiées par Alstom. Elle verse aux débats la photocopie des cartes d'identité et des diplômes de M. [X] et de Mme [I], ainsi que la photocopie de la carte d'identité de M.[L] et du passeport de Mme[Z], mais pas d'attestation de leur part témoignant de ce qu'ils ont travaillé pour ABL (pièces n° 27 à 30). Les pièces produites par ABL ne rapportent donc pas la preuve de l'emploi de ces personnes quoique la cour, par son arrêt du 10 avril 2018, ait expressément invité les parties à s'expliquer sur l'existence d'indices de corruption, tenant notamment à l'insuffisance des moyens matériels et humains du consultant au regard de l'importance de la prestation revendiquée. Cette preuve ne résulte pas davantage des dossiers de pièces justificatives qui accompagnaient les factures, ni des témoignages des protagonistes recueil lis au cours de l'instance arbitrale, qui font apparaître Mme [R] comme l'unique interlocutrice d' Alstom et des autorités chinoises. En ce qui concerne les moyens matériels, Alstom fait valoir (concl., p. 66) qu'ABL n'avait pas de bureau en nom propre, ni à l'adresse de son siège social à Hong Kong, ni sur le reste du territoire chinois. Elle expose qu'à Hong Kong, elle utilisait les services d'une société de domiciliation, qu'à Pékin et Shanghai, ABL n'était pas enregistrée auprès des chambres de commerce et d'industrie et qu'aucun document officielle ne faisait référence à ces bureaux, enfin que l'adresse pékinoise communiquée par ABL correspondait à celle de Mme [R]. ABL réplique : "Le "Compliance officer" ou agent de conformité d 'A LSTOM avait visité les bureaux de Hong Kong et de Pékin avant la formalisation des accords entre les parties, il avait décliné le rendez-vous de visite des locaux de Shanghai. ABL dispose donc de locaux qu 'elle peut utiliser pour recevoir ses clients et interlocuteurs ainsi que d'un support technique, administratif et comptable." (concl. ABL n° 4, p. 22). L'allégation d'une visite des locaux avant la conclusion du premier contrat, qui est contestée par Alstom, n'est corroborée pas aucune pièce versée aux débats. En revanche, il est établi que l'adresse du siège social d'ABL à [Adresse 4], est celle d'une société de domiciliation, CCH Secretarials Ltd (pièce Alstom, n° 85), qui est aussi celle du représentant fiscal et comptable d'ABL, la société CCH Management (pièce ABL n° 20 et n° 26). Quant au fait que l'adresse pékinoise d'ABL correspondrait à celle du domicile déclaré par Mme [R] [C] dans les documents d'enregistrement de la société ([Adresse 1], [Adresse 3]), il résulte d'un rapport établi le 15 novembre 2011 à la suite d'une enquête officieuse confiée par Alstom à une société ADIT (pièce Alstom, n° 85). ABL ne conteste pas cette pièce et, bien qu'invitée par l'arrêt du 10 avril 2018 à justifier de ses moyens matériels, ne produit aucun élément démontrant l'existence de locaux professionnels. En conclusion, il résulte de tout ce qui précède que des rémunérations de 3.731.200,00 euros et de 3.122.000,00 euros ont été stipulées par deux contrats de consultants conclus le 26 août 2004 et le 22 décembre 2004 avec une société qui n'avait aucune activité auparavant, et qui n'est pas en mesure de justifier de locaux professionnels ni de l'emploi de salariés; que ces rémunérations ont été réglées à concurrence respectivement de 2.052.160,00 euros et de 2.497.720,00 euros, en considération de services dont les seuls qui sont démontrés par des pièces incontestablement contemporaines des faits et qui ne sont pas disproportionnés à ces sommes, ont consisté dans la communication de documents confidentiels en violation des lois chinoises sur les appels d'offres, que ces rémunérations constituaient l'unique source de revenus d'ABL et qu'elles étaient reversées à concurrence de 90 % environ aux trois actionnaires, Mme [R] et des membres de sa famille, dans des conditions ne permettant pas de contrôle réel de leur utilisation, et que la comptabilité du consultant révélait en outre des dépenses suspectes telles que des objets d'art ou des meubles de prix ne figurant pas à l'actif. Au surplus, il est établi qu'un troisième contrat de consultant conclu avec ABL a abouti, grâce à l'intervention de Mme [R] auprès du maire de Shanghai, à l'attribution d'un marché à Alstom, quoique l'offre de cette dernière ait été moins bien notée que celle de ses concurrents, ce qu'elle avait d'ailleurs appris de Mme [R] avant la publication des résultats. Il résulte de l'ensemble de ces éléments des indices graves, précis et concordants de ce que les sommes versées par Alstom à ABL finançaient et rémunéraient des activités de corruption d'agents publics. Au surplus, si ni ABL ni Alstom n'ont été poursuivis pour ces faits - ce qui relève de la politique pénale des autorités chinoises -, il n'en reste pas moins que M. [J] [U], ministre des chemins de fer de 2003 à 2011 et interlocuteur de Mme [R], a été condamné en 2013 à la prison à vie pour avoir perçu environ 65 millions de yuans de pots-de-vin (environ 8,6 millions d'euros) entre 1986 et 2011 (pièce Alstom, n° 83), et que M. [X] [P], ingénieur en chef adjoint de ce ministère a été condamné à la même peine pour avoir reçu 47 millions de yuans de pots-de-vin (environ 6,2 millions d'euros) entre 2000 et 2011 (pièce Alstom n° 84). Alstom ajoute encore qu'elle était coutumière des pratiques de corruption d'agents publics étrangers, notamment par l'intermédiaire de prétendus consultants, ainsi qu'elle l'a reconnu aux termes d'accords de 2013 et 2014 avec le ministère américain de la Justice portant sur des faits commis en Indonésie, en Arabie saoudite, en Égypte et aux Bahamas (pièces Alstom n° 8 et 9). Cette circonstance doit être retenue, peu important qu'elle bénéficie à celui qui se prévaut de sa propre turpitude, dès lors que le refus de donner force à un contrat de corruption transcende les intérêts des parties. Il convient, par conséquent, de juger que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence qui condamne Alstom à payer des sommes destinées à financer ou à rémunérer des activités de corruption est contraire à l'ordre public international, d'infirmer l'ordonnance qui l'a revêtue de l'exequatur, de rejeter la demande d'exequatur d'ABL et de condamner celle-ci à restituer à Alstom Transport la somme de 1.828.850,88 euros correspondant aux fonds qui lui ont été transférés par voie de saisie-attribution ;

ALORS QUE le juge de l'exequatur est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français ; qu'en condamnant la société ABL à restituer à la société Alstom Transport la somme de 1.828.850,88 euros, correspondant aux fonds transférés par voie de saisie-attribution, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs au regard des articles 1514, 1516, 1520 et 1525 du code de procédure civile.