CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 1 juin 2017, n° 16/16478
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mirko P.
Défendeur :
SELARL A.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. François FRANCHI
Conseiller :
Mme Michèle PICARD
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. François FRANCHI, président et par Mme Mariam ELGARNI-BESSA, greffier.
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La sarl Mirko effectue des travaux de maçonnerie générale et gros oeuvre du bâtiment. Elle est cogérée par monsieur Mirko P. et par madame Dusanka M.
Par jugement du 23 octobre 2012, le tribunal de commerce de Sens a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl Mirko, fixé la date de cessation des paiements au 15 juillet 2011 et désigné la Selarl A., prise en la personne de maître Virginie L., en qualité de liquidateur judiciaire.
Il est apparu lors des opérations de liquidation que monsieur P. avait effectué des prélèvements entre les mois de mai et d'octobre 2012, soit postérieurement à la date de cessation des paiements, pour un montant total de 99.985,41 euros.
Maître Virginie L., après avoir sollicité les justificatifs des paiements et prélèvements par courrier, auquel monsieur P. a répondu, a assigné ce dernier devant le tribunal de commerce de Sens.
Par jugement du 13 juillet 2016, le tribunal de commerce de Sens a reconnu la justification des prélèvements réalisés par monsieur P. sur le compte de la Sarl Mirko à hauteur de 23.976,78 euros, dit que les prélèvements réalisés pour le surplus étaient non causés, condamné monsieur P. à régler à la Selarl A., ès-qualités, la somme de 76.008,63 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2014, débouté les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions et condamné monsieur Mirko P. aux entiers dépens.
Monsieur Mirko P. a relevé appel de ce jugement par déclaration du 27 juillet 2016.
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Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 15 février 2017, monsieur Mirko P. demande à la cour d'appel de':
-Débouter purement et simplement la Selarl A. de l'intégralité de ses demandes,
-Condamner la Selarl A. à payer à monsieur Mirko P. la somme de 3.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la selarl Société A. en tous les dépens.
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Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 20 mars 2017, la Selarl A., prise en la personne de maître Virginie L., ès-qualités de mandataire liquidateur de la sarl Mirko, demande à la cour d'appel, au visa de l'article L.223-21 du code de commerce, et de l'article L.632-2 alinéa 1 du code de commerce, de':
-Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné monsieur Mirko P. à payer à la société A., prise en la personne de maître Virginie L., ès-qualités de mandataire liquidateur de la sarl Mirko, la somme de 76.008,63 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2014.
-L'infirmer en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes à hauteur de la somme de 23.976,78'€,
Statuant à nouveau de ce chef,
-Condamner monsieur P. à payer à la Selarl A., ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Mirko, la somme totale de 99.985,41 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2014.
-Ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil.
-Condamner monsieur P. à payer à la société A., prise en la personne de maître Virginie L., ès-qualités de mandataire liquidateur de la sarl Mirko, la somme de 3.000 €, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
-Le condamner aux dépens, dont distraction au profit de la scp H. & Associés, Avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE
La Selard A. fait valoir qu'en vertu de l'article L 223-21 du code de commerce il est interdit aux dirigeants sociaux de contracter des emprunts auprès de la société et en vertu de l'article L 632-2 alinéa 1 du code de commerce peuvent être annulés les paiements de dettes échues effectués après la date de cessation des paiements ainsi que les actes à titre onéreux si ceux qui ont traités avec le débiteur avaient connaissance de l'état de cessation des paiements.
La Selarl A. fait valoir qu'au cours de la période suspecte, le dirigeant a pour obligation de déclarer l'état de cessation des paiements et ne peut faire acquitter des dettes de l'entreprise par un tiers et les lui rembourser, sans violer la règle de l'égalité des créanciers et l'ordre des privilèges de paiements.
Elle conclut que la cour ne pourra que prononcer la nullité des paiements réalisés au profit personnel de monsieur P. ou de fournisseurs ou de salariés de la Sarl Mirko, qu'en sa qualité de dirigeant de la Sarl Mirko, monsieur P. ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la société à la date des prélèvements litigieux et que la cour le condamnera au paiement de la somme de 99.985,41 €.
Monsieur P. soutient qu'il a payé les nouveaux fournisseurs pour de nouveaux chantiers.
Il fait valoir qu'en raison des difficultés de la société, cette dernière a été interdite de chéquier, et qu'il a donc fait le choix de prélèvements sur le compte bancaire afin de régler lui-même les fournisseurs en espèces, de payer certaines factures sur ses propres fonds et se rembourser par les prélèvements en espèces quand la trésorerie de la société le permettait et de rembourser certains de ses salariés qui avaient fait eux-mêmes l'avance de certains frais, notamment le paiement de petites factures de fournisseurs, de factures d'essence et d' autoroute.
Il explique que faute d'avoir été payé le comptable n'a pas dressé la comptabilité de l'année 2012 qui lui avait été remise, ce qui aurait permis de rapprocher au fur et à mesure les différents prélèvements sur le compte avec les factures remises.
Monsieur P. soutient que le liquidateur ne rapporte pas la preuve de l'utilisation des prélèvements personnels qu'il a effectués et qu'il lui appartient d'établir que les sommes prélevées auraient servi à une autre cause.
Sur les virements personnels monsieur P. fait valoir que les virements de 14.700 euros, effectués du 4 juin 2012 au 15 octobre 2012, correspondent aux salaires de son épouse et aux siens, en leur qualité de gérants, dont le montant a été réduit au minimum pour pouvoir vivre.
Sur les chèques monsieur P. soutient que les quatre chèques d'un montant total de 7.600 euros avaient été acceptés à l'origine par la société A., que les quatre chèques d'un montant total de 2.500 euros, non acceptés par la société A., correspondent à sa cotisation RSI que la société avait pris la décision de régler lors des assemblées générales.
Sur les paiements divers, monsieur P. soutient que ces paiements s'élevant à la somme de 5.516,54 euros avaient été acceptés par la société A., que les paiements divers pour un total de 10.968,87 euros, non acceptés par la société A., correspondent à des remboursements à monsieur P. de sommes qu'il avait avancées, ou à des remboursements à monsieur Pop, salarié, de sommes qu'il avait avancées, ou encore à un remboursement à la Sarl Alu Mirko de sommes qu'elle avait avancées.
Il conclut que le tribunal a pris acte de la justification de 23.876,78 euros, qui correspondent aux chèques acceptés, et aux paiements divers acceptés et non acceptés.
Sur les retraits par carte bancaire pour un total de 58.000 euros monsieur P. apporte les mêmes justifications, à savoir des remboursements de sommes payées par ses soins ou par des tiers. Il fait valoir qu'il verse la totalité des factures au débat, et déclare que certaines factures qu'il avait payées sur ses fonds propres ne lui ont pas été remboursées.
Il soutient que les factures éditées au nom de la Sarl Mirko par de grosses entreprises ne peuvent être des faux, qu'elles ont été réglées par carte bancaire, qu'il n'y a pas eu de déclaration de créances et que la selarl A. ne soutient pas que ces factures ait été réglées par d'autres moyens.
Monsieur P. fait valoir qu'il verse un grand nombre de justificatifs de paiement des frais d'essence ou d'autoroute nécessaires pour se rendre sur les chantiers, qui expliquent les remboursements.
Il ajoute que la totalité des factures de juin à septembre 2012 pour un montant d'environ 65.033,89 €, ont été remboursées à hauteur de 58.800,00'€. Il soutient que la Selarl A. ne peut se contenter de demander le remboursement des sommes prélevées sur le compte, sans s'interroger sur les modalités de règlement des factures produites. Il conclut qu'il justifie de la totalité des prélèvements effectués sur le compte.
Aux termes de l'article L 632-2 alinéa 1 du code de commerce 'Les paiements pour dettes échues effectués après la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis après cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.'
En l'espèce la société Mirko a été placée en liquidation judiciaire sur assignation de l'Urssaf par jugement du 23 octobre 2012 et la date de cessation des paiements a été fixée au 15 juillet 2011. Les paiements dont le mandataire liquidateur demande l'annulation ont tous été effectués après la date de cessation des paiements pendant la période suspecte. Il s'agit de retraits par carte bancaire, de virements du compte de la société sur le compte personnel de monsieur P., de paiements par chèques et de paiements divers.
Monsieur P. explique ces pratiques par le fait que la société a été interdite de chéquier à compter du mois de juillet 2011 et qu'elle n'avait alors d'autre choix que de payer directement les fournisseurs par carte bancaire ou en espèces. Parfois il réglait les factures et se remboursait en espèces. Il est également arrivé que l'un des employés, monsieur Pop règle de petites factures que monsieur P. lui remboursait alors en espèces. De même la société Mirko Alu Mirko a fait l'avance de sommes qu'il a ensuite remboursées en prélevant sur le compte bancaire de la société.
Enfin, monsieur P. qui expose qu'il n'a pas la comptabilité pour l'exercice 2012 qui permettrait de faire les rapprochements entre les factures et les prélèvements car l'expert comptable n'a pas été payé, produit 545 pièces dans un désordre complet qui sont des relevés bancaires, des facturettes de carte bancaire, des factures d'entreprises et autres. Certaines pièces mentionnées dans les concluions sont introuvables et certaines côtes sont difficilement lisibles.
La cour relève que la Selarl A. se limite à solliciter le remboursement de tous les paiements effectués pendant la période suspecte sans aucune distinction et sans en préciser le détail
Il apparaît en effet qu'en l'absence d'un rapprochement comptable qui préciserait la cause de tous ces paiements effectués indirectement à des fournisseurs par prélèvements sur des comptes bancaires ou en utilisant des tiers remboursés par la suite en espèces, monsieur P. n'établit pas que les paiements qu'il a effectués pendant la période suspecte étaient justifiés.
La cour relève également que monsieur P. ne pouvait ignorer la cessation des paiements de la société Mirko puisqu'il a été contraint d'user de ces pratiques irrégulières pour continuer à exploiter sa société pendant plus de seize mois et qu'il n'a pas estimé utile de déposer son bilan.
La cour va examiner les paiements litigieux afin de déterminer s'ils sont soumis aux nullités de l'article L 632 -2-1 précité du code de commerce.
-Sur les virements personnels
Monsieur P. fait valoir que les virements de 14.700 euros, effectués du 4 juin 2012 au 15 octobre 2012, correspondent aux salaires de son épouse et aux siens, en leur qualité de gérants, dont le montant a été réduit au minimum pour pouvoir vivre.
La Selarl A., intimée, oppose que monsieur P. ne justifie pas que lesdits salaires aient été autorisés aux termes d'une assemblée générale.
La cour constate que monsieur P. ne produit aucune décision d'une assemblée générale l'autorisant à percevoir ces salaires.
Ces paiements devront donc être annulés.
-Sur les chèques
Monsieur P. soutient que les quatre chèques d'un montant total de 7.600 euros avaient été acceptés par la société A., que les quatre chèques d'un montant total de 2.500 euros, non acceptés par la société A., correspondent à sa cotisation RSI que la société avait pris la décision de régler, lors des assemblées générales.
La Selarl A. ne répond pas sur ces points.
La cour constate que monsieur P. ne produit aucune délibération d'assemblées générales où aurait été prise la décision de faire régler par la société les cotisations RSI de monsieur P.. La cour confirmera donc le tribunal de commerce sur ce point.
Quant aux quatre chèques qui avaient été acceptés par la Selarl A., la cour note que ces paiements avaient été justifiés devant le tribunal de commerce qui les a acceptés et que les mêmes pièces ont été produites devant la cour qui confirmera ainsi le jugement entrepris sur ce point.
-Sur les paiements divers
Monsieur P. soutient que les paiements divers s'élevant à la somme de 5.516,54 euros avaient été acceptés par la société A., que les paiements divers pour un total de 10.968,87 euros, non acceptés par la société A., correspondent à des remboursements à monsieur P. de sommes qu'il avait avancées, ou à des remboursements à monsieur Pop, salarié, de sommes qu'il avait avancées, ou encore à un remboursement à la Sarl Alu Mirko de sommes qu'elle avait avancées.
Il conclut que le tribunal a pris acte de la justification de 23.876,78 euros, qui correspondent aux chèques acceptés, et aux paiements divers acceptés et non acceptés.
La Selarl A. ne répond pas sur ce point.
La cour, de même que pour les chèques acceptés en première instance, note que monsieur P. produit aux débats les mêmes pièces et qu'il n'est pas justifié que ces paiements doivent devant la cour être annulés. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Pour les autres paiements, la cour constate qu'à défaut pour monsieur P. de produire un rapprochement comptable entre les avances faites par monsieur P. et par monsieur Pop avec ces paiements, il convient de confirmer le jugement entrepris sur ce point également.
-Sur les retraits carte pour un total de 58.000 euros
La cour considère qu'à défaut de rapprochement comptable entre les retraits par carte bancaires et les 545 pièces qui justifieraient que ces retraits auraient été utilisés pour des paiements réguliers il convient de confirmer le jugement entrepris.
La cour confirmera en conséquence le jugement attaqué en ce qu'il a constaté que les paiements étaient irréguliers et qu'il a condamné monsieur P. à les rembourser.
La Selarl A., ès qualités, sollicite le paiement de la somme d e 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'elle a engagés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il convient en conséquence de faire droit à la demande.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Sens le 13 juillet 2016,
Y ajoutant,
Ordonne la capitalisation des intérêts,
Condamne monsieur Mirko P. à payer à la Selarl A., ès qualités de mandataire liquidateur de la société Mirko la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne monsieur Mirko P. aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.