CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 8 septembre 2015, n° 14/00880
CHAMBÉRY
Arrêt
Par acte sous seing privé fait le 1er mars 1990, la SCI Tougo a donné à bail commercial à la SA Brilime, devenue SAS Brilime des locaux ainsi désignés :
« Un ensemble immobilier situé [...], comprenant un bâtiment à usage commercial livré en brut de béton avec les arrivées d'eau et d'électricité. »
Cette location est adossée à un bail à construction consenti par la commune d'Hermillon à la SCI Tougo pour une durée de 50 ans, du 1er novembre 1989 au 31 octobre 2039, le preneur s'étant engagé à édifier ou à faire édifier à ses frais sur le terrain loué, un immeuble à usage commercial avec parking.
La Société Brilime exerce sous l'enseigne "Bricomarche" une activité de vente de matériaux de construction en rapport avec la maçonnerie, l'électricité, la plomberie, la vitrerie, l'installation sanitaire, la menuiserie, la peinture la décoration, le jardinage, la quincaillerie et d'une manière générale toutes activités manuelles de bricolage.
Le bail a été consenti pour une durée de 9 années à compter du 1 er mars 1990 jusqu'au 28 février 1999.
Le loyer initial a été fixé à la somme annuelle de 262 250 Francs HT comprenant la couverture du bail à construction, outre révision de plein droit pour chaque période annuelle, à la date anniversaire de prise d'effet du bail, en fonction de la variation de l'indice du coût de la construction publié par l'Insee.
Le bail a été renouvelé par accord amiable à compter du 1er avril 2000 jusqu'au 30 mars 2009, avec un loyer de 66 339,96 euros par an, en fin de bail.
Par congé signifié le 28 décembre 2009, la SCI Tougo a offert à la SAS Brilime le renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2010, sous réserve que le loyer soit porté à la somme de 121 760 euros.
A défaut d'accord sur le nouveau loyer, la SCI Tougo a notifié le 4 octobre 2011à la Société Brilime un mémoire aux fins de fixation judiciaire du loyer.
Le locataire a notifié son mémoire en réponse le 18 octobre 2011.
La société Tougo a eu recours aux services d'un expert amiable, à savoir M. B..
Par acte du 23 janvier 2012 la SCI Tougo a saisi le juge des loyers commerciaux d'Albertville.
Par jugement avant dire droit du 17 avril 2012, celui-ci a désigné M. Arnaud F. en qualité d'expert.
L'expert a déposé son rapport le 27 février 2013 pour conclure à une modification notable des éléments permettant de déterminer la valeur locative du bien considéré depuis la prise d'effet du bail à renouveler.
Il a évalué la valeur locative au 1 er juillet 2010 à 105 250 euros HT et hors charges par an.
Par ordonnance du 18 mars 2014, le juge des loyers commerciaux a fixé le nouveau loyer selon la valeur locative à 108 428 Euros par an, en principal.
La locataire a également été condamnée à payer à la SCI Tougo la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire.
La Société Brilime en a interjeté appel.
Vu les conclusions récapitulatives de la société appelante signifiées le 27 avril 2015 qui tendent à la réformation du jugement déféré pour voir :
- fixer le loyer du bail renouvelé sans déplafonnement à 69 370,02 euros au 1er juillet 2010
- subsidiairement, limiter le montant du bail renouvelé à 69 247 euros,
- débouter la société Tougo de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la condamner à payer une somme de 6 000 euros sur ce fondement ainsi que les entiers dépens comprenant les frais et honoraires de l'expert judiciaire
Vu les conclusions d'intimée comportant appel incident de la SCI Tougo signifiées le 29 juillet 2014 qui tendent à voir :
- confirmer les dispositions du jugement qui ont ordonné le déplafonnement du loyer et qui ont arrêté la surface des dits locaux à 2 163 m² outre 2 441 m² au titre de la surface du terrain libre de constructions,
- réformer pour le surplus,
- fixer à 121 760 euros par an le loyer du bail renouvelé du 1er juillet 2010 jusqu'au 17 mai 2013, et à 136 763 euros par an à compter du 17 mai 2013,
- condamner la Société Brilime aux intérêts de droit au taux légal sur l'arriéré résultant de cette fixation, à compter de chacune des échéances trimestrielles et ce depuis le 1er juillet 2010, outre capitalisation des dits intérêts,
- condamner la Société Brilime à payer une indemnité de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure
Civile,
- la condamner la même aux dépens comprenant les frais et honoraires d'expertise, avec distraction pour ceux d'Appel au profit de Maître France R., avocat, sur son affirmation de droit en vertu de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
1 - sur le principe du déplafonnement
Attendu que le bail est soumis à la règle du plafonnement prévu à l'article L 145-34 du code de commerce, qui ne peut être écartée que dans l'hypothèse d'une modification notable soit :
- des caractéristiques du local considéré
- de la destination des lieux
- des obligations respectives des parties
- des facteurs locaux de commercialité
- des prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Attendu que le bailleur invoque une modification notable des caractéristiques des lieux loués, des obligations respectives des parties et des facteurs locaux de commercialité ;
Attendu que la modification des caractéristiques des lieux loués résulterait de la circonstance que dans le cours du bail venu à échéance, le locataire a entrepris des travaux afin de doubler la surface de vente extérieure autorisée, qu'il a construit un auvent à ossature bois et a remplacé l'ancienne clôture par un bardage avec installation de racks de vente sur toute la longueur en limite du terrain pour permettre le rangement des marchandises, leur étiquetage et leur présentation à la vente, alors que cette extension de la surface de vente est intervenue sur une partie de la parcelle cadastrée n° 1500 qui était exclue du bail, et sur laquelle le locataire bénéficiait seulement d'un droit d'occupation précaire ;
Attendu que la société Brilime prétend qu'il n'y a eu aucune modification de la surface de vente extérieure mais admet cependant qu'en 2009, cette surface a été améliorée par l'aménagement de racks et d'un auvent ;
Attendu qu'il convient de retenir que les caractéristiques propres au local ont bien été modifiées, qu'au surplus, l'expert relève que les travaux auraient coûté 220 000 euros, circonstance qui caractérise l'importance des travaux ;
Attendu que selon l'article R 145-8 du code de commerce, les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge ;
Attendu que la société Tougo ne prétend pas avoir participé aux travaux litigieux, qu'elle admet en effet que les travaux d'amélioration ne pourraient être pris en compte qu'à l'occasion du second renouvellement consécutif à leur exécution, que toutefois, il s'agirait bien d'aménagements ayant permis un changement d'affectation d'une zone de stockage en une zone de vente ;
Attendu que le bail contient une clause selon laquelle les modifications apportées par le preneur au gros œuvre ainsi que toutes les améliorations et embellissements demeureront acquis aux preneurs sans indemnité à la fin du bail, qu'en présence d'une telle clause, la modification notable, au cours du bail à renouveler, des caractéristiques du local par la réalisation de travaux par le preneur à ses frais exclusifs entraîne le déplafonnement du prix du bail lors du premier renouvellement, à moins que ces travaux ne constituent des travaux d'amélioration ;
Attendu en effet que dans une telle hypothèse, le régime des améliorations doit prévaloir sur celui des simples modifications ;
Attendu par ailleurs qu'il résulte de l'expertise que la population de la zone de chalandise a augmentée au cours du bail venu à échéance, que la surface de vente et la fréquentation d'un supermarché voisin à l'enseigne Intermarché ont augmenté de façon significative, qu'un magasin à l'enseigne « Roady » vendant des articles pour l'automobile s'est également implanté à proximité, qu'il en est résulté une augmentation du nombre de clients présents dans la zone commerciale induisant une amélioration notable des facteurs locaux de commercialité, justifiant également le déplafonnement ;
Attendu qu'ainsi, les premiers juges ont retenu à juste titre que le prix du bail renouvelé devait être fixé selon la valeur locative ;
2 - sur la valeur locative
Attendu que la société Brilime fait valoir que la société Tougo serait liée par sa demande initiale qui était de 121 760 euros ;
Attendu cependant que les règles de la procédure suivie devant le juge des loyers commerciaux n'interdisent pas aux parties de modifier leur demande par des mémoires additionnels, que dans cette circonstance, le nouveau prix demandé, s'il était accordé, ne pourrait prendre effet qu'à compter de la notification de ce mémoire additionnel ;
Attendu que la demande de la société Tougo fait une application exacte de cette règle de droit ;
Attendu que les parties s'accordent pour reconnaître que la surface utile pondérée des locaux bâtis doit être chiffrée à 2163 m² ;
Attendu que M. B. a proposé de chiffrer de manière pertinente à 70 euros hors-taxes et hors charges le prix au mètre carré pondéré, qu'en effet son estimation se fonde sur les loyers de grande surface voisines, que pour l'un des commerces considérés, le loyer au mètre carré pondéré s'élevait à 65,61 euros le mètre carré étant précisé que le bailleur a la charge des grosses réparations, que pour l'autre, le loyer s'éleverait à 59,58 euros le mètre carré pondéré par an mais avec les grosses réparations à la charge du preneur, ce qui après application d'un abattement de 20 % pour tenir compte de cette clause, conduisait à un prix moyen de 70 euros hors-taxes et hors charges le mètre carré pondéré par an ;
Attendu qu'une telle méthode doit être préférée à toute autre, notamment en considération du faible écart entre les deux termes de comparaison ;
Attendu qu'il convient de retenir le prix de 69 euros le mètre carré proposé par la société bailleresse, pour parvenir un prix de 134 322 euros pour les locaux bâtis ;
Attendu que le bailleur voudrait voir confirmer les dispositions du jugement qui ont pris en considération en outre la portion de terrain mis à la disposition du locataire d'une surface de 2441 m², qui au surplus présente pour lui une utilité objective ;
Attendu que cette superficie se trouve en effet comprise dans le périmètre du bail, qu'il convient en conséquence de fixer le prix de la location de ce terrain à 2441 euros par an conformément à la demande ;
Attendu que l'instance en fixation du prix du bail renouvelé est utile à l'intérêt commun des parties, qu'il y a lieu en conséquence de partager les dépens par moitié et rejeter les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré statuant à nouveau,
Fixe à 121 760 euros par an prix du bail renouvelé du 1er juillet 2010 jusqu'au 17 mai 2013, et à 136 763 euros par an à compter du 17 mai 2013,
Condamne la Société Brilime aux intérêts de droit au taux légal sur l'arriéré, à compter de chacune des échéances trimestrielles, depuis le 1er juillet 2010, outre capitalisation des dits intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,
Déboute les parties de leurs demandes respectives d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,