CA Toulouse, 2e ch., 19 juin 2019, n° 17/04677
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
M.G., SARL MAIA
Défendeur :
SCI LES RAMANOUX
FAITS ET PROCEDURE
Aux termes d'un bail commercial en date du 21 novembre 1996, les époux D. aux droits desquels se trouve la SCI LES RAMANOUX, ont donné en location à Monsieur Michel D., boucher, aux droits duquel se trouvait la SARL F., coiffeur, un local commercial situé [...].
A la suite d'un congé avec offre de renouvellement du bail à compter du 21 novembre 2005 délivré par la SCI LES RAMANOUX à la SARL F., un contentieux s'est élevé entre les parties concernant le montant du loyer du bail renouvelé, dont la SCI LES RAMANOUX sollicitait le déplafonnement, et par arrêt du 8 janvier 2013, cette cour a fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 6 805,33 euros par an hors charges et hors taxes.
Par acte notarié du 19 septembre 2014, la SARL F. a cédé son fonds de commerce de salon de coiffure à la SARL MAIA, laquelle a poursuivi l'exploitation du salon de coiffure.
Le bail commercial est venu à expiration le 20 novembre 2014 et par acte d'huissier en date du 21 novembre 2014, la SCI LES RAMANOUX a donné congé pour le 30 juin 2015 avec offre de renouvellement aux mêmes clauses et conditions que le bail antérieur, sauf en ce qui concerne le montant du loyer dont il était sollicité qu'il soit fixé à la somme de 16 600 euros hors charges et hors taxes par an à compter de la date d'effet du congé.
La SCI LES RAMANOUX a mandaté aux fins d'évaluation du loyer renouvelé Monsieur O., lequel a établi un rapport en date du 20 novembre 2015 fixant le prix du loyer renouvelé à la somme de 20 000 euros hors charges et hors taxes par an.
Elle a ensuite notifié son mémoire préalable à la SARL MAIA le 4 novembre 2016 puis l'a assignée devant le Juge des loyers commerciaux qui par jugement du 5 septembre 2017, a:
- Dit qu'il y a lieu à déplafonnement du loyer du bail renouvelé à compter du 30 juin 2015 ;
- Fixé pour la durée de l'instance le montant du loyer provisionnel selon la variation indiciaire prévue au contrat ;
- Ordonné avant dire droit une expertise sur le prix du bail renouvelé et commis pour y procéder Madame Myriam B., expert inscrit sur la liste des experts près la Cour d'Appel de Toulouse demeurant [...] ;
- Commis le Juge des loyers commerciaux pour suivre les opérations d'expertise ;
- Réservé les dépens en fin d'instance ;
- Ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
- Ordonné le renvoi du dossier .
La SARL MAIA a relevé appel de cette décision par déclaration électronique du 19 septembre 2017.
Madame B. a déposé son rapport le 17 mai 2018.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures du 21 novembre 2018 auxquelles il est expressément renvoyé pour le détail de l'argumentation , la SARL MAIA demande à la cour de rejeter toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées, et vu les articles L145-34, L145-38, R.145-3 et R.145-8 du Code de commerce, 455 et 480 du code de procédure civile, de réformer le jugement du 5 septembre 2017 en sa totalité, et statuant à nouveau, de:
- dire et juger que l'accession à la propriété de la SCI LES RAMANOUX des travaux réalisés ne pourra avoir lieu qu'en fin de jouissance,
- dire et juger que les travaux d'amélioration réalisés ne pourront donner lieu à déplafonnement qu'en fin de jouissance et non au jour de renouvellement du bail,
- fixer le loyer du bail renouvelé selon l'évolution de l'indice de référence,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement dans la désignation de l'expert et la définition de sa mission,
- dire et juger que le loyer du bail renouvelé devra être augmenté par paliers de 10% du loyer acquitté au cours de l'année précédente,
- condamner la SCI LES RAMANOUX au paiement d'une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, la condamner aux entiers dépens en ce compris l'intégralité des frais d'expertise.
Elle fait valoir pour l'essentiel:
- que les parties peuvent déroger à l'article L145-8 du code de commerce,
- que l'autorité de la chose jugée ne concerne que le dispositif des jugements sur le fond,
- que les travaux de mise en conformité des locaux à leur nouvelle destination contractuelle ne constituent pas des améliorations susceptibles de justifier le déplafonnement du loyer, et si la cour considérait qu'il y avait, outre ces travaux de mise en conformité, des travaux d'amélioration, elle devra constater que ces éventuels travaux d'amélioration ne pourront justifier un déplafonnement qu'après le départ du preneur et la signature d'un nouveau bail conformément à la clause d'accession du bail.
Aux termes de ses dernières écritures du 18 août 2018 auxquelles il est expressément renvoyé pour le détail de l'argumentation , la SCI LES RAMANOUX demande à la cour, vu les articles L145-3 , L145-38, L145-34 et R145-3 du Code de commerce, 555 du Code civil, de:
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, et débouter la SARL MAÏA de l'intégralité de ses demandes,
- à titre subsidiaire, de fixer le montant du loyer renouvelé à la somme de 16.960 € hors charges et hors taxes par an à compter de la date du renouvellement, soit le 30 juin 2015,
- de dire et juger n'y avoir lieu à application du lissage prévu par l'alinéa 4 de l'article L145-34 du Code de commerce, dont les conditions ne sont pas remplies.
- en toute hypothèse, condamner la SARL MAÏA aux entiers dépens de l'instance, outre la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir pour l'essentiel:
- que les travaux réalisés par la SARL F. ont une nature mixte, et que la cour dans son arrêt du 8 mars 2013, a dit que le bailleur pourrait s'en prévaloir lors du second renouvellement, que ce motif s'attache à ce qui fait l'objet du jugement soit le déplafonnement et a donc autorité de la chose jugée,
- qu'elle est en droit de solliciter le déplafonnement à raison des travaux sur le fondement de l'article R145-3 du code de commerce, s'agissant d'une modification des caractéristiques des locaux (mise en place d'un escalier, avec percement du sol, pour accéder à la cave et carrelage de la cave),
- que la clause d'accession au départ effectif est sans emport, car elle ne concerne que les travaux d'amélioration, et non les travaux de modification,
- que l'accession se produit en fin de bail à défaut de clause contraire.
Sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 8 janvier 2013
Cet arrêt rendu entre les mêmes parties, portait sur le loyer du bail renouvelé à compter du 21 novembre 2005.
Les motifs de cette décision, selon lesquels la société bailleresse ne pourra alléguer d'un motif de déplafonnement en raison des travaux effectués par le preneur en 1996 et 1997 que lors du second renouvellement, n'ont pas autorité de la chose jugée dans le cadre de l'instance de fixation du montant du loyer du bail renouvelé à compter du 30 juin 2015. La SARL MAÏA, qui obtenait gain de cause sur l'application du plafonnement sur le renouvellement du bail objet du litige, ne pouvait interjeter appel sur des motifs, dont dès lors la SCI LES RAMANOUX ne peut se prévaloir dans le cadre de la présente instance.
Sur le déplafonnement
Aux termes de l'article L 145-34 du Code de Commerce :
« A moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. (')
Les éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L 145-33 sont:
1 Les caractéristiques du local considéré ;
2 La destination des lieux ;
3 Les obligations respectives des parties ;
4 Les facteurs locaux de commercialité.
En l'espèce, la discussion porte sur les caractéristiques du local qui aux termes de l'article R 145-3 du Code de Commerce, s'apprécient en considération :
1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;
2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;
3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;
4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;
5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
L'article R145-8 du code de commerce dispose que les améliorations apportées aux lieux loués en cours de bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.
La SCI LES RAMANOUX fait état de travaux réalisés en 1996 et 1997 par le preneur, qui sont décrits comme suit par monsieur N. dans un projet de rapport établi le 23 novembre 2009 suite à sa désignation en qualité d'expert par le juge des loyers commerciaux:
- création d'un escalier de descente à la cave en remplacement de l'échelle meunière existante,
- création d'une chape et pose de carrelage au sol de la cave, divisée en 2 pièces et servant de lingerie-buanderie,
- réaménagement des locaux du rez de chaussée, antérieurement à usage de boucherie en salon de coiffure, avec suppression des chambres froides, doublage des murs et installation d'un WC.
Selon l'expert il ne pouvait être considéré que les travaux avaient été financés par le bailleur.
Selon la SARL MAÏA, l'ensemble des travaux réalisés à ses frais sont des travaux de mise en conformité avec la nouvelle destination du fonds, de sorte qu'ils ne peuvent donner lieu à déplafonnement.
Selon la SCI LES RAMANOUX, les travaux ont une nature mixte, à la fois de modification et d'amélioration, de sorte qu'ils peuvent donner lieu à déplafonnement lors du second renouvellement, sans qu'il soit nécessaire de débattre de leur financement.
Elle ajoute toutefois que selon le rapport déposé par madame B., la valeur locative doit être fixée à 16 960€ HT, ce qui confirmerait que le loyer du bail initial a été fixé en considération des travaux effectués par le preneur. Or ce constat n'est pas une démonstration, et c'est lors du premier renouvellement que devait être rapportée la preuve d'une participation directe ou indirecte au financement des travaux.
Monsieur N. considérait dans son rapport de 2009 que la mise en place de l'escalier avec le percement du sol, reliant la cave carrelée, permettait une exploitation beaucoup plus rationnelle du commerce et dépassait le cadre des travaux d'amélioration, et sorte qu'à ce titre une modification de la consistance des lieux loués pouvait être retenue. Toutefois, cette analyse n'a pas été suivie par la cour dans son arrêt du 8 janvier 2013, puisqu'elle a considéré qu'il n'y avait pas lieu à déplafonnement à l'occasion du premier renouvellement suivant la réalisation des travaux, et elle est sans incidence dans le cadre du second renouvellement, puisque les modifications doivent être intervenues durant le bail venu à expiration.
Outre les travaux de mise en conformité, les travaux de création d'un escalier et de carrelage du sous-sol sont de nature à faciliter l'exploitation du commerce quel qu'il soit, et constituent des travaux d'amélioration.
Se pose dès lors la question de savoir à quelle date intervient l'accession du propriétaire, l'article R145-8 du code de commerce supposant qu'elle intervienne à l'expiration du bail au cours duquel sont réalisés les travaux, mais les parties ayant la possibilité de déroger à cette disposition qui n'est pas d'ordre public.
Or le bail commercial du 21 novembre 1996 stipule que :
« Tous travaux, embellissements, améliorations, installations et décors, qui seraient faits dans les lieux loués, par le « Preneur », même avec autorisation du « Bailleur», resteront au départ effectif du preneur, de quelque manière et à quelque époque qu'elle arrive, la propriété du « Bailleur » sans aucune indemnité. »
En application de cette clause, l'accession est reportée à la sortie des lieux du locataire, et non en fin de bail, de sorte que les améliorations apportées aux lieux loués par la société F., aux droits de laquelle se trouve la SARL MAÏA, sont sans incidence sur la fixation du loyer, jusqu'à la sortie des lieux du preneur.
Dès lors la cour dira qu'il n'y a pas lieu à déplafonnement et fixera le loyer du bail renouvelé au montant résultant de l'évolution de l'indice de référence.
La décision déférée sera en conséquence infirmée.
Sur l'article 700 du CPC et les dépens
La SCI LES RAMANOUX supportera les dépens de première instance et d'appel, et sera condamnée à verser à la SARL MAÏA, à raison de l'équité, la somme de 2000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LA COUR,
INFIRME la décision déférée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à déplafonnement du loyer du bail renouvelé à compter du 30 juin 2015,
Fixe le loyer du bail renouvelé au montant résultant de l'évolution de l'indice de référence,
Condamne la SCI LES RAMANOUX à verser à la SARL MAÏA la somme de 2000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.