CA Paris, Pôle 4 ch. 3, 24 janvier 2019, n° 15/10530
PARIS
Arrêt
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Daniel FARINA, Président et par Viviane REA, Greffière présente lors de la mise à disposition.
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FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par acte sous seing privé du 16 mai 2013, M. Alain K. a donné à bail à Mme Sophie R. un appartement de deux pièces dépendant d'un parvillon sis [...].
Un acte séparé du même jour indiquait que M. Bruno N., père de la locataire, se portait caution solidaire.
Les échéances de loyer n'étant pas régulièrement acquittées, M. K., après avoir fait délivrer un commandement de payer demeuré infructueux à Mme R. et à M. N., les a fait assigner, par acte d'huissier de justice du 5 septembre 2014, devant le tribunal d'instance de Saint Maur des Fossés en résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire, expulsion et paiement d'un arriéré locatif de 12474 euros.
Le tribunal d'instance, par jugement réputé contradictoire, M. N. n'ayant pas comparu après avoir fait connaître au tribunal qu'il ne s'était jamais porté caution de sa fille, et assorti de l'exécution provisoire du 30 mars 2015, a principalement :
- condamné solidairement Mme R. et M. N. à payer à M. K., au titre de l'arriéré locatif une somme de 17 464 euros,
- constaté le désistement de M. K. de ses prétentions relatives à l'expulsion et ses conséquences du fait du départ des lieux de la locataire,
- débouté M. K. du surplus de ses demandes,
- condamné Mme R. aux dépens comprenant le coût du commandement de payer et de l'assignation.
Mme R. et M. N. ont relevé appel de cette décision le 22 mai 2015.
Par arrêt avant dire droit du 9 février 2017, la cour d'appel de Paris a désigné un expert graphologue avec mission de donner son avis sur la question de savoir si M. N. était bien signataire de l'acte de caution solidaire.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 29 juin 2018 en concluant que :
- M. N. n'était vraisemblablement pas l'auteur du texte de la mention manuscrite portée sur l'acte de caution,
- M. N. n'était pas l'auteur de la signature portée sur l'acte de caution.
Dans le dispositif de leurs conclusions n°2, notifiées après dépôt du rapport d'expertise le 6 décembre 2018 par la voie électronique, M. R., appelant, demande à la Cour de:
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. N. à payer à M. K. une somme de 17 464 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation,
- dire et juger que le compte produit par M. K. est erroné et le débouté de toute demande en paiement formée sur le fondement de ce décompte,
- débouter M. K. de toute demande formée à l'encontre de M. N., et notamment de sa demande de dommages et intérêts,
- condamner M. K. aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. N. une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. Alain K., Mme Jacqueline B., épouse K., M. Régis K. et Mme Jennyfer K., intimés, dans le dispositif de leurs conclusions d'intimés n°1, notifiées après dépôt du rapport d'expertise le 12 octobre 2018 par la voie électronique, demandent à la Cour de :
à titre principal
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
à titre subsidiaire
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme R. en sa qualité de locataire à payer l'arriéré de loyers et de charges arrêté au 9 février 2015, à la somme de 17 464 euros,
- condamner M. N. à payer aux consorts K. une indemnité de 17 464 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
en tout état de cause
- condamner in solidum Mme R. et M. N. à payer aux consorts K. une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner les mêmes in solidum aux dépens de la procédure d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 13 décembre 2018.
II) Sur la validité de l'acte de cautionnement prétendument signé par M. Bruno N.
M. N. fait grief au jugement entrepris de l'avoir condamné en qualité de caution solidaire de Mme R., sa fille. Il demande à la Cour de déclarer l'acte de cautionnement nul et non avenu au motif qu'il n'en est pas le signataire et que Mme R. a usurpé sa signature.
Les consorts K. se bornent à reprendre, sans les contester, les affirmations de l'expert judicaire ayant conclu que M. N. ne serait pas l'auteur de la signature de l'acte de cautionement.
Sur ce
Il résulte des dispositions des articles 1322, 1323 et 1324 ancien du Code civil et 1373 nouveau de ce même code que, lorsque la signature en est déniée ou méconnue, il appartient à celui que se prévaut de l'acte de prouver sa sincérité et s'il subsiste un doute ou des incertitudes sur la sincérité de l'acte, la partie qui fonde sa prétention sur cet acte doit être déboutée.
En l'espèce, les consorts K. ne versent aux débats aucun élément de nature a rapporter la preuve de la sincérité de l'acte de cautionnement argué de faux.
En revanche, l'expertise judiciaire fait apparaître que M. N. n'est vraisemblablement pas l'auteur du texte de la mention manuscrite portée sur l'acte de caution solidaire du 16 mai 2013 et que M. N. n'est pas l'auteur de la signature apposée au bas de cet acte de cautionement.
Il s'ensuit que le jugement déféré doit être infirmé dans sa disposition ayant condamné solidairement M. N. au paiement de l'arriéré locatif.
II) Sur la demande de dommages et intérêts formée par les consorts K. à l'encontre de M. N.
Les consorts K. exposent que :
- ils avaient conditionné la conclusion d'un bail au profit de Mme R. à la production d'un engagement de caution par le père de cette dernière,
- M. N., à qui les consorts K. ont soumis l'engagement de caution à renseigner et à signer, a prétexté que la reproduction manuscrite des mentions obligatoires sur l'acte de cautionement allait prendre du temps et a proposé de le renseigner à son domicile avant de le transmettre par l'intermédiaire de sa fille aux consorts K.,
- M. N. et sa fille ont agi ensemble et de concert afin de tromper les consorts K. et de permettre la prise de possession par Mme R.,
- de ce fait, M. N. a engagé sa responsabilité et doit être condamné à des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par les consorts K..
M. N. réplique que :
- les allégations des consorts K. ne reposent que sur des spéculations,
- les agissements de Mme R. ont nuit à M. N. puisque celle-ci a à nouveau imité la signature de son père et que, par suite, M. N. a été convoqué par la police consécutivement à une plainte déposée par le nouveau bailleur.
Sur ce
Il incombe aux consorts K., dès lors qu'ils souhaitent engager la responsabilité de M. N., de démontrer l'existence d'une faute commise par ce dernier, le préjudice qui en est résulté pour eux et le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice.
Or les allégations des consorts K. selon lesquelles M. N. aurait agi de concert avec sa fille aux fins de tromper les bailleurs et de les amener à conclure un bail, ne sont pas démontrées et sont démenties par le fait que M. N. justifie du dépôt d'une plainte contre X avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux et escroquerie au jugement, auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Créteil (pièce n°2).
La faute imputée à M. N. n'étant pas démontrée, les consorts K. seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts.
III) Sur le montant de la dette locative
M. N. conteste le montant de la dette locative mise à la charge de sa fille en faisant valoir que M. K. a arrêté son décompte au 9 février 2015 alors que Mme R. avait quitté les lieux antérieurement à cette date, au mois de novembre 2014.
Les consorts K. exposent que :
- Mme R. n'a pas notifié congé au bailleur,
- Mme R. n'a remis les clefs au bailleur qu'à l'audience du tribunal d'instance du 9 février 2015 et, par suite, elle demeure redevable des indemnités d'occupation jusqu'à cette date.
Sur ce
Les consorts K. produisent un décompte locatif faisant apparaître un solde débiteur de 17 464 euros au 9 février 2015.
Il est acquis aux débats que le commandement de payer visant la clause résolutoire insérée dans le bail, délivré à Mme R. le 6 décembre 2013 s'étant révélé infructueux, le bail s'est trouvé résilié à compter du 7 février 2014 et que Mme R. est redevable à compter de cette date d'une indemnité d'occupation jusqu'à la libération effective des lieux.
Cette libération effective se matérialise par la remise des clés et le bailleur a droit à une indemnité d'occupation tant que les clefs ne lui ont pas été réstituées (Cass. 3eme civ. 15 juin 2004).
Il ressort du courrier adressé, le 25 novembre 2014, par M. K. à Mme R., dont la teneur n'est pas contesté par l'appelante, que, lors d'un rendez-vous sur place en présence de son conseil, Mme R. a conditionné la remise des clefs à son bailleur à un désistement par ce dernier de la procédure qu'il avait engagée et que, devant le refus opposé par M. K., qui n'est nullement abusif compte tenu des exigences formulées par Mme R., cette dernière a conservé les clefs en disant qu'elle se considérait toujours comme locataire.
Le jugement déféré permet de constater que les clefs n'ont été effectivement restituées que le 9 février 2015, d'où il s'ensuit que les consorts K. sont bien fondés à réclamer le paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'à cette date.
Par suite, le jugement entrepris sera confirmé s'agissant du montant de l'arriéré locatif mis à la charge de Mme R..
IV) Sur les demandes accessoires
Les intimés, qui succombent pour l'essentiel, seront condamnés aux dépens de la procédure d'appel, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire.
Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens de première instance, dès lors que ces dépens ont été mis à la charge exclusive de Mme R., seront confirmées.
La Cour statuant publiquement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant condamné solidairement M. Bruno N. au paiement de la somme de 17 464 euros;
Statuant à nouveau du chef infirmé
Déboute M. Alain K., Mme Jacqueline B., épouse K., M. Régis K. et Mme Jennyfer K. de leurs demandes à l'encontre de M. Bruno N.;
Vu l'article 700 du Code de procédure civile, déboute M. Bruno N. de sa demande en paiement ;
Condamne M. Alain K., Mme Jacqueline B., épouse K., M. Régis K. et Mme Jennyfer K. aux dépens de la procédure d'appel, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire, confiée à Mme S..