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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 20 octobre 2021, n° 19/21668

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SA CONFORAMA FRANCE

Défendeur :

SCI [...]

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur Gilles BALA

Conseillers :

Madame Sandrine GIL, Madame Elisabeth GOURY

Avocats :

Me Arnaud G., Me Amélie P. , Me Frédéric L. , Me Sophie C.

Paris, du 17 Oct. 2019

17 octobre 2019

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte du 16 février 1999, la SCI [...]) et la société Altarea Immobilier (la société Altarea) ont donné à bail commercial à la société Conforama France (la société Conforama) les lots n° 17, 18, 20, 21, 23 et 24 de l'ensemble immobilier situé [...] 12ème, pour 9 ans à compter du 1er mars 1999 et pour l'exercice d'une activité de « dépôt et enlèvement de marchandises, atelier-réparation (...) sous l'enseigne Conforama ».

La SCI, devenue seule propriétaire des lieux loués, et la société Conforama ont décidé par plusieurs avenants successifs de résilier le bail sans indemnité de part et d'autre à des dates deux fois reportées, puis, par acte du 10 décembre 2010, elles ont décidé de renouveler le bail pour 9 ans à compter du 1er janvier 2011 moyennant un loyer annuel de 450.000 euros en principal, hors taxes et hors charges.

Par acte extrajudiciaire du 29 juin 2016, la société Conforama a délivré congé pour le 31 décembre 2016, date d'expiration de la deuxième période triennale. Un procès-verbal d'état des lieux de sortie a été dressé le 23 décembre 2016 par Me C., Huissier de justice, à la demande de la SCI et en présence d'un représentant de la société Conforama.

La société Conforama, par acte du 21 mars 2017, a saisi le tribunal de grande instance de Paris pour demander la condamnation de la SCI à lui payer la somme de 119.693,34 euros outre intérêts à compter du 23 février 2017.

Par jugement en date du 17 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a condamné la SCI [...] à payer à la société Conforama France la somme de 13.343,34 euros, au titre du solde dû sur le dépôt de garantie, avec intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2017 et capitalisation annuelle ; il a condamné la SCI [...] aux dépens, et à payer à la société Conforama France la somme de 2.000 euros sur le fondement de l' ;

L'exécution provisoire a été ordonnée ;

Par déclaration en date du 25 novembre 2019, la société Conforama France a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par le RPVA le 18 mai 2020, la SCI [...] a formé un appel incident.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 septembre 2021.

MOYENS ET PRETENTIONS

Vu les dernières conclusions notifiées par le RPVA le 09 août 2021, par lesquelles la société Conforama France demande notamment à la Cour d'infirmer le jugement du 17 octobre 2019, et à titre principal de débouter la SCI [...] de toutes ses demandes, fins et conclusions, de la condamner à lui payer la somme de 106.350 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 23 février 2017, et capitalisation annuelle des intérêts ;

À titre subsidiaire, si la Cour jugeait qu'elle aurait dû déposer les aménagements litigieux, de condamner la SCI [...] à lui payer la somme de 87.675 euros correspondant à la différence entre le solde du dépôt de garantie entre les mains de la SCI [...] et le montant des travaux de dépose des aménagements litigieux, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 23 février 2017, et capitalisation annuelle ;

En tout état de cause, elle demande à la Cour de condamner la SCI [...] à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l', ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de la SCP AFG, avocat au barreau de Paris.

La société Conforama soutient à titre principal que le bailleur ne rapporte pas la preuve de la réalisation d'aménagements litigieux , critiquant la force probante d'un procès-verbal de constat imprécis, ou la comparaison avec un plan établi par le bailleur postérieurement à sa sortie des lieux.

Elle soutient subsidiairement n'être pas tenue d'une obligation de remise en état en raison de l'accession qui s'est réalisée à l'expiration du bail du fait de la résiliation amiable intervenue, avant le renouvellement de bail par acte du10 décembre 2010.

A titre subsidiaire, elle demande à la Cour de réduire le montant de son obligation correspondant aux travaux de remise en état . Elle s'oppose, dans ce cas, au paiement d'une indemnité pour perte de jouissance à défaut de preuve d'un réel préjudice.

Vu les dernières conclusions notifiées par le RPVA le 24 août 2021, par lesquelles la SCI [...] demande à la Cour notamment d'infirmer le jugement sur le quantum des condamnations relatives à l'indemnité réparant le préjudice du bailleur qui n'a pu relouer ses locaux, sur la capitalisation des intérêts et l'indemnité au titre de l' ; et de débouter la société Conforama France de toutes ses prétentions, de la condamner à lui payer la somme de 68.350,00 euros au titre des réparations locatives et 39.897,78 euros au titre de l'indemnité pour perte de jouissance, soit 108.247,78 euros ; elle demande l'autorisation de conserver le dépôt de garantie qu'elle détient à hauteur de 119.693,34 euros et à ne restituer à Conforama France que la somme de 11.445,56 euros ; Tenant compte des paiements intervenus au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris, elle demande à la Cour de condamner la société Conforama France à lui rembourser la somme de 4.277,90 euros (15.723,46 '11.445,56) trop payée ;

Elle demande aussi sa condamnation à lui payer la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l' ainsi qu'aux dépens et d'autoriser la société BDL Avocats ' Maître Frédéric L. à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu de provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La SCI prétend rapporter la preuve de la réalisation par la société Conforama de divers travaux d'aménagement, par la comparaison entre l'état des lieux d'entrée du 10 mars 1999 et l'état des lieux de sortie suivant procès-verbal de constat contradictoire du 23 décembre 2016. Elle prétend aussi que la preuve des aménagements résulte aussi de la comparaison des plans qui ont été réalisés lors de l'entrée dans les lieux, en annexe au bail, et à la sortie des lieux. Elle ajoute que les correspondances échangées entre les parties de novembre 2016 à février 2017 démontrent que la société Conforama n'a jamais contesté la réalisation de ces travaux d'aménagement. Elle se réfère également aux constatations de Monsieur F. qui avait dressé un rapport de constatations le 20 mai 2010, en prévision d'une restitution des lieux loués qui devait intervenir le 31 décembre 2010.

La SCI s'oppose au moyen tiré de l'accession, en faisant valoir que le contrat prévoit la faculté pour le bailleur d'exiger la remise en état du local dans son état initial, et elle invoque la clause de nivellement qui lui permet de solliciter la remise des lieux dans leur état primitif lors de la restitution des lieux.

Elle soutient que le montant des réparations résulte des devis produits dont il n'y a rien à retrancher ; et elle maintient sa demande d'indemnisation d'un préjudice pour perte de jouissance pendant la durée de réalisation des travaux.

MOTIFS DE L'ARRET

1) sur le sort du dépôt de garantie

Il est constant que la SCI détient entre ses mains ,au titre du dépôt de garantie, une somme de 119'693,34 euros.

La SCI demande la condamnation de la société Conforama à lui payer la somme de 68'350 euros hors taxes au titre des réparations locatives, et celle de 39'897,78 euros hors taxes au titre de l'indemnité pour perte de jouissance, soit au total une somme de 108'693,78 euros.

Comme l'a relevé le tribunal, un état des lieux a été dressé le 10 mars 1999, avant la réalisation par la société Conforama de ses travaux d'aménagements puisque cet état des lieux mentionne notamment des éclairages hors service, des stores détériorés, des murs de cloisonnement non jointifs avec la structure béton, des éléments corrodés et du matériel électrique à jeter. Est annexé à cet état des lieux un plan des "entrepôts de Reuilly" sur lequel sont représentées des cloisons permettant de distinguer les divers locaux numérotés 1 à 15 dont l'état précis, en termes d'équipements et de propreté notamment est décrit dans l'état des lieux, lequel ne fait pas mention d'un mur de recoupement CF, d'espace ERP ou de façade vitrée.

Lorsque les parties ont entendu résilier le bail au 31 décembre 2010, la SCI a sollicité du cabinet F. Architectes un rapport estimatif prévisionnel des travaux de remise en état du local, à usage effectif de dépôt, rapport rédigé le 20 mai 2010 (pièce défenderesse n° 21). Ce rapport, qui comprend diverses photographies et un plan détaillé, fait état exactement des mêmes aménagements notamment en termes de cloisons et de revêtements des sols que ceux relevés dans le rapport dressé par le même cabinet le 10 octobre 2016, aux mêmes fins que le précédent, suite à la délivrance par la société Conforama de son congé.

Il ressort des éléments susvisés, et notamment de l'état des lieux d'entrée du 10 mars 1999, du plan annexé à cet état des lieux, de la réalisation sans contestation par la société Conforama de travaux d'aménagements et de décoration intérieure, s'entendant notamment de la pose de revêtements de murs et de sol lors de son entrée dans les locaux en mars 1999 pour les adapter à son activité, et du plan et des photographies figurant dans le rapport du cabinet F. du 20 mai 2010, que l'ensemble des aménagements dont la SCI sollicite la dépose ont bien été réalisés par la société Conforama.

Il en résulte aussi que ces aménagements sont antérieurs au 20 mai 2010.

Il convient donc d'examiner si le bail permet au bailleur de solliciter une restitution des locaux en leur état initial. Cela suppose d'analyser l'évolution des relations contractuelles, dès lors que pour s'opposer à la demande, la société Conforama se prévaut des règles de l'accession.

Un bail a été consenti le 16 février 1999. Il stipule en page 6, dans son article 7.10, que le preneur prend l'engagement "de laisser en bon état d'entretien, en cas de départ du Preneur en cours de Bail ou en fin de Bail y compris en cas de liquidation judiciaire tout aménagement, soit de finition effectué notamment à la prise de possession, soit d'amélioration, de modification ou de réparation, le tout devant bénéficier au Bailleur par voie d'accession en fin de bail, sans indemnité d'aucune sorte à moins que le Bailleur n'exige la remise en état du Local dans son état initial. Il est entendu par aménagement tout équipement tel que : faux-plafonds, sprinklers, éclairage lorsqu'il est intégré, grille, sol et revêtement de sol, sanitaires, climatisation dans son ensemble, tableau de comptage, etc". Il précise en page 11, dans son article 12 relatif à la restitution des locaux, que le preneur "devra rendre le local conformément aux dispositions de l'article 7.10 du présent bail et en bon état de toutes réparations à sa charge aux termes des présentes et, à défaut, payer au bailleur le coût des travaux nécessaires pour effectuer ces réparations (...) Le preneur devant payer outre le coût desdites réparations, une indemnité pour perte de jouissance, calculée sur la base de son dernier loyer pendant la période où ces travaux auront empêché le bailleur de louer le local". Le bail comprend enfin en page 12 un article 16 relatif à la fin du bail selon lequel "il ne sera dû au preneur aucune indemnité pour les travaux qu'il aurait réalisés ou fait réaliser, ni, plus généralement, pour les dépenses qu'il aurait effectuées pour l'aménagement, l'entretien et l'exploitation de son fonds. Les aménagements effectués par le Preneur en cours de bail feront accession au Bailleur en fin de bail que ce dernier soit ou non renouvelé".

Il résulte de ces clauses que l'intention des parties, claire et non équivoque, a été de poser le principe d'une accession au bailleur sans indemnité des aménagements du preneur à la fin de chaque bail, et non en fin de jouissance, que le bail soit ou non renouvelé. Si l'article 12 relatif à la restitution des lieux renvoie aux dispositions de l'article 7. 10, cela n'a pas pour effet de déroger à la règle de l'accession en fin de chaque bail, de sorte que la possibilité d'exiger la remise en état des lieux, lors de la sortie du locataire, existe bien, mais seulement pour les aménagements réalisés au cours du dernier bail expiré.

Le bail du 16 février 1999 a été consenti pour une durée de neuf années ayant commencé à courir le 1er mars 1999 pour se terminer le 28 février 2008. Cependant, il a fait l'objet d'une résiliation amiable anticipée par un avenant sous seing privé du 27 août 2007, sans indemnité de part et d'autres, à effet du 31 décembre 2008. Par un avenant du 30 juin 2008, qui remplace et annule le précédent avenant, les parties sont convenues d'une résiliation amiable à la date du 31 décembre 2009. Par un avenant du 12 juin 2009, qui remplace et annule les avenants précédents, les parties sont convenues d'une résiliation amiable au 31 décembre 2010.

Par l'accord de résiliation amiable, dont la date d'effet a été deux fois reportée jusqu'au 31 décembre 2010, le bail initial a donc pris fin le 31 décembre 2010, date à laquelle les parties, par acte sous seing privé du 10 décembre 2010, sont convenues d'un nouveau bail d'une durée de neuf ans avec période incompressible de six ans, stipulation d'un nouveau loyer, d'un nouveau dépôt de garantie. Ce nouveau contrat reprend les clauses 7. 10 et 12 dans des termes identiques à ceux du bail initial.

Il résulte des constatations qui précèdent que le bailleur est devenu propriétaire des agencements réalisés avant le 31 décembre 2010, à cette date.

Son droit d'exiger la remise en état des lieux conformes à leur état d'origine ne peut s'appliquer qu'aux agencements réalisés à compter du 1er janvier 2011.

Or, la SCI [...] ne prétend pas obtenir la remise en état des lieux d'aménagements réalisés postérieurement à cette date. Dans sa lettre de réclamation du 24 février 2017, la SCI se réfère à son précédent courrier du 9 décembre 2016 et au procès-verbal de constat contradictoire dressé par Maître C., huissier de justice, en date du 23 décembre 2016. Elle limite sa réclamation aux frais de dépose des éléments dont elle donne la liste, correspondant exclusivement à des travaux de remise en état des aménagements réalisés par la société locataire avant le 31 décembre 2010. Elle ne formule donc aucune réclamation pour d'autres réparations locatives.

Sa demande n'est donc pas fondée. À l'inverse, la société Conforama est fondée à obtenir le remboursement du dépôt de garantie, sans qu'il y ait lieu de déduire un quelconque montant correspondant à des travaux de réparation, ou pour indemniser une perte de jouissance pendant la durée de ces travaux.

La société Conforama limite sa demande de condamnation, au titre du remboursement du dépôt de garantie, au montant de 106.350 euros compte tenu de la somme de 13.343,34 euros déjà payée au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris ; il y a lieu de faire droit à cette demande, ainsi que la demande relative aux intérêts capitalisés annuellement.

2) sur les autres demandes

La SCI qui succombe devra supporter les dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de la SCP AFG, sur son affirmation de droit en application de l'article 699 du code de procédure civile.

En équité, elle doit être condamnée à payer à la société Conforama une indemnité de 10'000 euros, par application de l', en indemnisation des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 17 octobre 2019 par le tribunal judiciaire de Paris,

Le confirme en ce qu'il a condamné la SCI [...] à restituer le dépôt de garantie avec intérêts capitalisés à compter du 23 février 2017, mais le réforme en ce qu'il a limité la condamnation à ce titre, après déduction du coût de réparations locatives et de remise en état, à la somme de 13'343,34 euros et en toutes ses autres dispositions, et, statuant à nouveau,

Condamne la SCI [...] à payer à la société Conforama France la somme complémentaire de 106'350 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 février 2017, et capitalisation annuelle des intérêts;

La condamne à lui payer la somme de 10'000 euros pour frais irrépétibles d'instance ;

La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et autorise la SCP AFG à recouvrer directement auprès de la partie condamnée aux dépens, ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir de provision.