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Décisions

Cass. 2e civ., 28 septembre 2000, n° 98-16.486

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Buffet

Rapporteur :

M. Guerder

Avocat général :

M. Kessous

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Bouzidi

Paris, du 13 mars 1998

13 mars 1998

 
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 13 mars 1998) et les productions, que le journal hebdomadaire X... a publié, dans son numéro 583 daté des 4 au 10 janvier 1996, un article intitulé " Influence et noyautage Les sectes recrutent dans les allées du pouvoir ", annoncé en première page de couverture par le titre " Ces sectes qui infiltrent la France " ; que M. C..., alors premier ministre de la République du D..., y était présenté comme membre de la secte du " Mandarom ", et " disciple du messie cosmoplanétaire Gilbert Bourdin " ; que s'estimant victime d'une offense envers un chef de gouvernement étranger, M. C... a fait assigner devant le tribunal de grande instance, en réparation de son préjudice, la société X... (la société), éditrice du journal, M. Y..., directeur de la publication, et les journalistes auteurs de l'article, MM. Z..., A..., Mme B... ;

 

 

Sur le premier moyen :

 

 

Attendu que la société, MM. Y..., Z..., A... et Mme B... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception de nullité de l'assignation fondée sur l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 et prise d'un défaut de notification de cet acte au ministère public, alors, selon le moyen, que la notification au ministère public prévue par l'article 53 précité implique une signification ayant pour objet de rendre le Parquet partie jointe à la procédure ; que la cour d'appel, en se contentant d'un simple avertissement informel, a violé l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, outre les articles 648, 651, 653 du nouveau Code de procédure civile ;

 

 

Mais attendu qu'il résulte des articles 53 de la loi du 29 juillet 1881, 73 et 74, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile que dans les instances civiles en réparation d'infractions de presse, l'exception de nullité de l'assignation doit être invoquée avant toute défense au fond ;

 

 

Et attendu qu'il ne ressort d'aucune énonciation ni d'aucunes conclusions que les défendeurs aient soulevé devant le Tribunal une exception de procédure fondée sur le défaut de notification de l'assignation au ministère public ; que dès lors, l'exception n'était pas recevable devant la cour d'appel, qui ne pouvait que l'écarter ; que par ce motif de pur droit, la décision se trouve justifiée ;

 

 

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

 

 

Sur le deuxième moyen :

 

 

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir admis la compatibilité de l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 avec l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'avoir condamné le directeur de la publication, l'éditeur du journal et les journalistes à des mesures de réparation du chef d'offense publique à un chef d'Etat étranger, alors, selon le moyen, 1° que l'instauration d'un délit supplémentaire, spécifique aux offenses aux chefs d'Etats étrangers, dans le cadre d'une loi qui réprime de manière générale et suffisante les diffamations et les injures, constitue, en interdisant certains débats de nature politique sur le rôle ou le comportement d'un chef d'Etat étranger en l'espèce sur ses liens avec une secte , une atteinte excessive au principe de la liberté d'expression, que ne justifie pas le souci de préserver les relations internationales de la France ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 2° que la possibilité de rapporter la preuve de la vérité d'allégations diffamatoires susceptibles d'une telle preuve est un élément essentiel de la liberté d'expression ; qu'en interdisant que cette preuve puisse être rapportée, s'agissant de diffamations et pas seulement d'injures, l'arrêt a consacré une atteinte grave à la liberté d'expression et ne pouvait qu'en déduire l'incompatibilité de l'article 36 avec les dispositions conventionnelles précitées ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 3° que cette interdiction place nécessairement le prévenu dans une situation inéquitable par rapport à l'accusation ou à la partie civile, en le privant de toute possibilité de débat sur le terrain de la vérité et en ne lui assurant pas l'égalité des armes que le maintien de la présomption de bonne foi ne suffit pas à garantir ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

 

 

Mais attendu que le principe de la liberté d'expression posé par le premier paragraphe de l'article 10 de la Convention susvisée peut comporter des restrictions et sanctions prévues par le paragraphe 2 dudit article, nécessaires dans une société démocratique pour préserver notamment l'ordre public et les droits ou la réputation des individus ; que tel est l'objet de l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 ;

 

 

Et attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le délit d'offense publique envers un chef d'Etat ou de gouvernement étranger répond au souci du législateur de faciliter les relations internationales de la France en accordant à des hauts responsables politiques étrangers une protection particulière contre certaines atteintes à leur honneur ou à leur dignité ; que ce délit tend à sanctionner un usage abusif de la liberté d'expression, mais ne fait pas obstacle aux critiques de nature politique ; que l'interdiction d'opposer l'exception de vérité est prévue par la loi dans d'autres cas, notamment par l'article 35 de la loi précitée ; que, contrairement au droit commun de la diffamation, la preuve de l'intention d'offenser doit être établie à l'encontre de l'auteur des propos poursuivis, qui n'est pas dépourvu de moyens de défense, la bonne foi exonératoire pouvant toujours être démontrée, de sorte que le procès n'a pas un caractère inéquitable ;

 

 

Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que l'article 36 précité n'était pas incompatible avec les dispositions conventionnelles visées au moyen ;

 

 

Sur le troisième moyen :

 

 

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné le directeur de la publication, l'éditeur du journal et les journalistes à des mesures de réparation du chef d'offense publique à un chef d'Etat étranger, alors, selon le moyen, 1° que l'allégation d'appartenance à une secte n'est pas en soi chargée d'opprobre et ne constitue pas une offense ; que la cour d'appel a violé l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 ; 2° que l'offense doit être caractérisée par un reproche personnel fait à l'encontre du chef de gouvernement concerné ; que, le rapprochement effectué entre M. C... à qui aucun fait répréhensible n'était reproché et les faits graves reprochés au gourou de la secte dont il s'était rapproché n'ayant pour but que d'attirer l'attention sur l'imprudence, pour certains hommes politiques, à fréquenter de tels milieux, et non à formuler contre lui la moindre allégation personnelle, aucune offense n'était caractérisée, que la cour d'appel a encore violé l'article 36 précité ; 3° que c'est à la faveur d'une dénaturation de l'écrit incriminé, et d'une violation de l'article 1134 du Code civil, que la cour d'appel a considéré que le texte aurait énoncé l'existence de liens personnels entre M. C... et le gourou de la secte à laquelle il appartenait ; 4° que la dénonciation des infiltrations opérées par les sectes dans des cercles politiques et la mise en évidence du danger d'un trop grand rapprochement avec certaines, précisément à raison de leurs agissements éventuellement pénaux, relèvent de la libre critique, indispensable à la liberté d'expression ; qu'en refusant aux journalistes le bénéfice de la bonne foi et en les condamnant à des dommages-intérêts, la cour d'appel a porté au principe de la liberté d'expression une atteinte excessive et violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

 

 

Mais attendu que l'arrêt retient qu'il est offensant pour le chef d'un gouvernement étranger d'être présenté comme le membre actif d'une secte, particulièrement proche du " gourou " de celle-ci désigné de plus comme poursuivi du chef de viols et d'agressions sexuelles ; que l'élément matériel du délit étant ainsi constitué, l'intention d'offenser résulte de l'insistance sur les liens personnels que M. C... aurait entretenus avec le chef spirituel du Mandarom, qui a défrayé la chronique, de l'illustration des propos par la photographie du " gourou " lors de son arrestation et par celle de M. C... assortie d'une légende le qualifiant de " chevalier du lotus d'or ", ce qui est révélateur d'une volonté d'attaquer la personne du premier ministre ... et non de critiquer sa politique ; que les documents versés aux débats, à les supposer authentiques, ne sont pas susceptibles de prouver l'existence de rapports privilégiés entre M. C... et M. Bourdin et ne peuvent caractériser l'enquête sérieuse à laquelle les auteurs de l'article devaient se livrer avant de publier des propos mettant en cause un chef de gouvernement ; que les journalistes ont manqué de prudence et d'objectivité en formulant leurs assertions sans réserve ni précaution, et sans qu'aient été au préalable recueillies les observations de M. C... ;

 

 

Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés, a déduit à bon droit et sans méconnaître aucune disposition légale ou conventionnelle, l'existence des éléments matériel et intentionnel de l'offense envers un chef de gouvernement étranger ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

 

 

REJETTE le pourvoi.