CA Chambéry, ch. soc., 8 septembre 2022, n° 21/00170
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Yves Rocher France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Paris
Conseillers :
M. Guyat, Mme Lavergne
Avocats :
Selarl Lexavoue Grenoble - Chambery, Me Content , SCP Cabinet Denarie Buttin Perrier Gaudin, SCP Bourgeon Meresse Guillin Bellet & Associes
Faits et procédure
Mme [F] [D] a été embauchée à compter de l'année 1995 sous contrat à durée indéterminée par la société Yves Rocher.
Elle a d'abord été employée en qualité d'assistante comptable au siège de la société.
Elle a occupé successivement, en 1997 le poste d'assistante logistique de distribution puis en 2000 le poste de responsable de logistique à [Localité 5].
Elle est devenue locataire gérante d'un centre de beauté situé à [Localité 8] à compter du 8 novembre 2006.
La société Yves Rocher reprochant à Mme [D] des manquements quant à la tenue du magasin, les normes liées à l'image de marque, les ratios, la propreté, la maintenance du magasin a résilié le contrat de location gérance par lettre du 10 février 2016.
Par lettre du 8 avril 2016 Mme [D] a contesté les reproches qui lui étaient fait, mais la société Yves Rocher a maintenu sa décision de résiliation.
Mme [D] contestant la rupture a saisi le 21 juin 2016 le conseil des prud'hommes d'Annemasse.
Par jugement du 22 janvier 2021, le conseil des prud'hommes présidé par le juge départiteur a :
- dit que Mme [D] est gérante de succursale et que le conseil des prud'hommes est compétent,
- dit que la rupture du contrat intervenue le 10 février 2016 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- fixé la rémunération moyenne de Mme [D] à la somme de 2687 € bruts,
- condamné la société Yves Rocher à payer à Mme [D] les sommes suivantes :
* 10 106 € bruts à titre d'indemnité de licenciement,
* 32 244 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- débouté Mme [D] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires,
- ordonné à la société Yves Rocher de remettre à Mme [D] le certificat de travail, l'attestation pôle emploi,
- condamné la société Yves Rocher à payer la somme de 3500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la société Yves Rocher aux dépens.
La société Yves Rocher a interjeté appel par déclaration du 29 janvier 2021 effectuée au réseau privé virtuel des avocats. Mme [D] a formé appel incident sur le montant de l'indemnité de licenciement et les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par conclusions notifiées le 21 décembre 2021 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens la société Yves Rocher demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel,
- infirmer le jugement,
Statuant à nouveau,
- juger que Mme [D] ne remplissait pas les conditions prévues par l'article L. 7321-2 du code du travail pour bénéficier du statut de gérant de succursale,
- débouter Mme [D] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [D] à lui payer la somme de 8000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient en substance avoir alerté Mme [D] à plusieurs reprises sur des difficultés de respect des normes et des manquements liés à la tenue du magasin.
Mme [D] ne prouve pas qu'elle remplît les conditions pour bénéficier du statut de gérant de succursale prévu par les articles L. 7321-1 et suivants du code du travail.
La plupart des pièces qu'elle produit sont étrangères au litige.
Elle ne peut se prévaloir d'une jurisprudence de la cour de cassation jugeant que les dispositions de l'article L. 7321-1 sont applicables lorsque le gérant d'une société a un lien direct avec le fournisseur propriétaire du fonds de commerce et que les ventes provenaient presque exclusivement du fournisseur à des conditions et prix qu'il imposait, Mme [D] n'ayant pas de lien direct, la société Dounet gérant le fonds et gérant par ailleurs un autre fonds de commerce situé dans la galerie commerciale de Super U de [Localité 9].
Elle était dirigeante d'une société qui employait entre sept et neuf salariés.
Le Centre de beauté était donc exploité par la société Dounet et ses salariés.
Le Centre de beauté n'avait pas pour unique activité la vente de produits Yves Rocher, la société délivrait de soins esthétiques représentant une part de son activité et de son taux de marge.
La cour de cassation a jugé par arrêt du 23 juin 2016 n° 15-18.254 que la cour d'appel qui a relevé qu'une activité de soins sur dix-huit mois représentant 17,8 % du chiffre d'affaires et 40,38 % de marge brute, et que 79,9 % des prestations n'avait pas donné lieu à la vente de produits, de sorte qu'il y avait lieu de considérer que la vente de produits Yves Rocher ne représentait pas l'activité essentielle de la société, avait justifié sa décision en constatant que l'une des conditions cumulatives à l'application du statut de gérant de succursale n'était pas remplie.
Près de la moitié de la marge était réalisée sur autre activité que la vente.
L'activité de soins constitue une activité distincte et les produits Yves Rocher utilisés pour les soins ne représentent qu'une faible part du chiffre d'affaires.
La société n'a pas imposé à Mme [D] les conditions d'exercice de son activité comme le prévoit l'article L. 7321-2 du code du travail.
Mme [D] était autonome et avait l'entière responsabilité du recrutement du personnel et le dirigeait.
Elle déterminait librement sa rémunération et fixait librement les horaires d'ouverture.
Elle constituait aussi librement son stock de marchandises.
Elle pouvait organiser des promotions ou des actions commerciales en fonction de ses stocks.
Elle gérait seule les flux financiers de la société.
Mme [D] a choisi de rejoindre un réseau, où la tête du réseau de franchise a un devoir d'assistance à l'égard de ses membres, ce qui en contrepartie justifie que la société édicte des normes en qualité de franchisseur. Elle ne peut donc affirmer que la société Yves Rocher lui a imposé des conditions d'exercice de son activité, l'assistance étant une obligation du contrat de franchise.
Par ailleurs l'article L. 7321-2 du code du travail réserve le statut de gérant de surccursale aux franchisés se voyant imposer des prix de vente de marchandises.
Cette condition n'est pas remplie en l'espèce.
La société ne fait que conseiller des prix.
De plus, Mme [D] a pratiqué des prix en ne suivant pas les conseils de la société Yves Rocher.
Sur les prix promotionnels la société indique des prix maxima que le franchisé peut diminuer, la société ne conseille aucun prix sur les soins.
Ces pratiques de la société Yves Rocher sont conformes au droit de la concurrence.
A titre subsidiaire, la cessation des relations contractuelles est justifiée par l'inexécution des obligations de Mme [D].
Par conclusions notifiées le 5 novembre 2021auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, Mme [D] demande à la cour de :
- infirmer le jugement sur les montants alloués,
- le confirmer pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les montants des indemnités,
- condamner la société Yves Rocher à lui payer la somme de 14 330 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, et celle de 81 820 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Yves Rocher à lui payer la somme de 8000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que la société Yves Rocher détourne le système de location gérance en organisant un système déguisé de gérance de succursale à son seul profit.
Plusieurs décisions judiciaires ont sanctionné ce système.
La société Yves Rocher pollue le débat en prétextant que la locataire gérante ne verse aucune pièce qui lui serait propre.
Elle est incapable de démontrer la différence de traitement qu'elle réserverait à une directrice de succursale et à une locataire gérante.
Les manquements que lui impute la société Yves Rocher ne sont pas établis, et la rupture du contrat s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle soutient qu'une soixantaine de conseil de prud'hommes et une quarantaine de cours d'appel et la Cour de cassation à vingt-cinq reprises ont jugé que les locataires gérantes remplissaient les conditions posées par l'article L. 7321-2 du code du travail.
En l'espèce, elle remplit toutes les conditions prévues par le code du travail.
Elle vendait essentiellement des produits Yves Rocher, et ce n'est qu'à titre marginal qu'elle gérait les plannings ou les remises en banque.
Il importe peu que des salariés aient été employés.
Le tableau indiquant les chiffres d'affaires des produits et soins et le taux de marge montre que l'activité essentielle est la vente de produits Yves Rocher.
Le chiffre d’affaires est un critère pertinent permettant d'apprécier l'activité de vente alors que le taux de marge ne concerne que la rentabilité.
L'arrêt du 23 juin 2016 invoqué sur ce point par la société Yves Rocher est un arrêt d'espèce se bornant à renvoyer à l'appréciation souveraine des juges du fond.
Il n'existait pas d'activités annexes non prévues au contrat, l'activité de soins n'était pas une activité autonome, elle est liée aux produits vendus exclusivement par Yves Rocher.
La société Yves Rocher a été le fournisseur exclusif du centre géré par Mme [D].
La société Yves Rocher a fourni ou agrée le local d'exploitation, la deuxième condition du texte légal est donc respectée.
Elle imposait les conditions d'exploitation du fonds de commerce.
La société ne peut se prévaloir de son devoir d'assistance pour s'immiscer dans la gestion d'un point de vente. Elle exerce un contrôle allant au-delà de l'animation d'un réseau de distribution.
Elle imposait également les prix des produits et ne lui laissait aucune liberté pour fixer les prix.
Les prix sont indiqués sur les supports publicitaires et les catalogues, les clients par la diffusion des prix sont parfaitement informés et les gérants n'ont aucune marge de manœuvre, même si les prix sont simplement conseillés.
Elle est donc fondée à demander l'application des dispositions du code du travail sur les gérants de succursale.
L'indemnité de licenciement doit prendre en compte ses vingt années d'ancienneté.
Elle subit un préjudice important résultant de la rupture de son contrat de travail.
L'instruction de l'affaire a été clôturée le 4 février 2022.
Motifs de la décision
L'article L. 7321-2 du code du travail dispose :
Est gérant de succursale toute personne :
1° Chargée par le chef d'entreprise ou avec son accord, de mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l'entreprise, en vue de recevoir d'eux des dépôts de vêtements ou d'autres objets ou de leur rendre des services de toute nature ;
2° Dont la profession consiste essentiellement :
a) soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agrée par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;
b) soit à recueillir les commandes ou à recevoir les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agrée par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise.
Ces conditions doivent être cumulées, et l'application de ces dispositions n'est pas conditionnée à l'existence d'un lien de subordination entre le gérant et la société mère.
Il a déjà été jugé par la chambre sociale de la cour de cassation dans un arrêt du 9 mars 2011 n° 09-42.901 que : « Attendu ensuite que la cour d'appel, qui a retenu que Mme...exploitait un centre de beauté sous l'enseigne "Yves Rocher", qui consistait essentiellement à vendre des produits de beauté que la société Yves Rocher lui fournissait exclusivement, que les conditions d'exercice de cette activité étaient définies par le fournisseur et que sa contractante ne pouvait disposer de la liberté de fixer le prix de vente des marchandises déposées, a exactement décidé que les conditions requises par l'article L. 781-1 2°, devenu l'article L. 7321-2 du code du travail étaient remplies ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; ».
La chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà jugé en ce sens selon arrêt du 13 janvier 2010 n° 09-41.644, elle a récemment rendu un autre arrêt dans le même sens en date du 27 mars 2019 n° 17-22.588 en retenant que les moyens de cassation invoqués n'étaient manifestement pas de nature à invoquer la cassation.
Il convient de rechercher en l'espèce si les critères de l'article L. 7321-2 du code du travail sont réunis.
Le contrat de gérance libre du 23 octobre 2006 stipule que la société Yves Rocher donne en gérance libre à la Sarl Dounet susnommée qui accepte, le fonds de commerce de vente de produits de beauté, d'hygiène et de soins esthétiques, constituant un Centre de Beauté.
Il précise que « la gérante libre déterminera librement le prix de commercialisation des produits qu'elle revend et des soins esthétiques qu'elle effectue. Dans le cadre de son assistance, Yves Rocher communiquera régulièrement à la gérante libre des prix maxima conseillés pour les produits et soins esthétiques afin d'assurer l'homogénéité de la politique commerciale du réseau et le positionnement de l'image de marque ».
La gérante libre doit utiliser dans les cabines de soins esthétiques les produits expressément autorisés par la société Yves Rocher et les traitements et méthodes de soins préconisés par la société Yves Rocher et la gérante libre s'engage à ne pas pratiquer des soins qui n'auraient pas été préalablement approuvés par écrit par la société.
Le contrat au titre de l'approvisionnement des produits prévoit à la charge de la gérante libre « l'engagement de s'approvisionner exclusivement auprès de la société. En conséquence, la gérante libre s'engage à ne pas vendre des produits qui n'auraient pas été approuvés expressément par Yves Rocher sans avoir informé préalablement par écrit la société de son intention de le faire, et donnant à celle-ci la possibilité de déterminer si les caractéristiques et les qualités de ces produits sont comparables avec l'image de marque des Centres de Beauté du réseau Yves Rocher. »
La gérante libre maintiendra dans le centre de beauté et ce dès l'ouverture un stock de produits suffisants (soit au minimum un mois de chiffre d'affaires moyen HT tant en quantité qu'en nombre de références pour satisfaire la clientèle en produits et soins Yves Rocher.
L'existence d'une personne morale ne prive pas la gérante du bénéfice des dispositions de l'article L 7321-2 du code du travail à partir du moment où elle en assure elle-même la gérance effective sans qu'il soit besoin de démontrer le caractère fictif de la personne morale (Cass soc 4 avril 2007 n° 06-42.932).
En l'espèce Mme [D] gère elle-même la société dont l'activité principale est l'exploitation d'un Institut Yves Rocher ; si sa société gérait dans le même temps une cabine de soins dont l'activité était purement secondaire, cette circonstance est indifférente au fait que la société Yves Rocher a choisi Mme [D] comme gérante pour exploiter un fonds dont l'activité principale était la vente de produits Yves Rocher.
L'activité était exploitée dans un local appartenant à la société Yves Rocher France ainsi que cela ressort du contrat de gérance libre, la condition du local est donc remplie.
Comme toute gérante, elle accueillait les clients, donnait des conseils, établissait les plannings du personnel, gérait les stocks, effectuait la gestion administrative du centre, et les remises en banque.
Si la gérante a employé des salariés dont les fonctions étaient de participer à l'exploitation du centre (vente, soins, accueil des clients...), nonobstant que l'essentiel des contrats de travail en cours lors de la reprise du centre de beauté par Mme [D] ont été transférés à la société Dounet, ce pouvoir de gestion ne constitue qu'un seul élément dans le cadre des conditions d'exploitation du fonds de commerce et n'exclut pas que la gérante puisse bénéficier du statut de gérante de succursale.
Pour apprécier l'activité, l'article L. 7321-2 du code du travail ne définit pas de critères.
Il s'agit d'une notion de pure fait pouvant être établie par tous moyens de preuve.
Sur ce point, le chiffre d'affaires d'un centre de beauté est un indicateur pertinent de l'activité, il était en l'espèce sur les deux derniers exercices de 889 986 € pour la vente des produits, et de 179 728 € pour l'activité soins soient 83 % du chiffre d'affaires au titre de la vente des produits et 17 % du chiffre d'affaires au titre de l'activité soins.
Même si on prend en compte le taux de marge, le taux de marge des ventes est de 59 % de la marge totale du centre, et le taux de marge des soins est de 41 % de ce même total, l'activité essentielle reste la vente nonobstant une rentabilité meilleure pour les soins.
L'activité soins n'est pas indépendante ou annexe à la vente des produits. Dans le cadre du contrat de gestion libre, ces deux activités sont interdépendantes et se complètent, l'objet de l'exploitation étant de vendre des produits et des soins ; de plus les clients se voient proposés la vente de produits Yves Rocher pour effectuer les soins, même si le contrat prévoit la possibilité d'avoir recours à d'autres produits, mais qui devront être expressément approuvés par la société Yves Rocher après information écrite et préalable du gérant.
Dès lors ainsi que l'a jugé le conseil des prud'hommes, l'activité essentielle de Mme [D] était la vente de produits Yves Rocher.
Sur la fourniture exclusive ou quasi-exclusive de produits Yves Rocher, le conseil des prud'hommes a aussi relevé à juste titre que le contrat de gérance stipule que :
- la gérance libre ne pourra exercer dans les locaux d'autre commerce que celui de la vente des produits de beauté Yves Rocher et la pratique des soins Yves Rocher,
- la gérante libre prend « l'engagement de s'approvisionner exclusivement auprès de la société Yves Rocher. Qu'elle s'oblige à ne pas vendre des produits qui n'auraient pas été approuvés expressément par la société Yves Rocher sans l'avoir informée préalablement et par écrit de son intention de le faire ».
- la gérante libre devra avoir un stock de produits suffisants à maintenir dans le centre de beauté soit au minimum un mois de chiffre d'affaires moyen HT, tant en quantité qu'en nombre de références pour satisfaire efficacement la clientèle en produits et soins Yves Rocher.
Il résulte de ces obligations contractuelles que la gérante devait se fournir quasi exclusivement auprès de la société Yves Rocher, la possibilité d'acheter des produits ne relevant pas de la marque Yves Rocher étant marginale et subordonnée à l'accord express et préalable de la société Yves Rocher.
Pour caractériser que le gérant s'approvisionnait auprès de la société mère, il suffit que le gérant de succursale s'approvisionne exclusivement ou presque exclusivement auprès d'une seule entreprise, ce qui est le cas en l'espèce.
Concernant les conditions d'exploitation, le contrat de location-gérance stipule que :
- la gérante libre doit exploiter le centre de beauté en conformité avec les normes mises au point par la société Yves Rocher, ces normes portant sur la décoration des centres de beauté, leur éclairage, leur agencement, leur mobilier, l'aménagement et l'équipement des cabines de soins, la présentation des produits, les techniques de vente et de conseil, les méthodes de soins, la nature et la qualité des services ; la gérante libre s'engage à utiliser le système informatique Terminal Centre Beauté essentiel à la mise en œuvre du savoir-faire Yves Rocher et au maintien de l'identité propre et de l'uniformité du réseau.
- la société Yves Rocher prendra en charge des campagnes promotionnelles et publicitaires, et met à la disposition de la gérante libre des catalogues, documents publicitaires et échantillons que celle-ci devra remettre aux clientes, la gérante devant participer financièrement aux opérations promotionnelles initiées par Yves Rocher.
- la société Yves Rocher communiquera à la gérante libre chaque trimestre un tableau de bord présentant les résultats du Centre de Beauté comparées à ceux de sa région et à ceux de l'ensemble du réseau des Centres de Beauté et qu'à cette fin la gérante transmettra à Yves Rocher les informations nécessaires à la constitution de ce document et qu'elle adressera par ailleurs chaque année à Yves Rocher et dans les trois mois suivants la clôture des comptes les bilans et comptes de résultat du centre de beauté.
- la société Yves Rocher s'engage à vendre à la gérante les produits Yves Rocher avec remise de 32 % sur les prix de vente unitaire hors taxes tels qu'ils ressortent des Livres Verts de la Beauté diffusés dans les centres et des tarifs de mis à jour édités par la société et dans le cadre des opérations promotionnelles éditées par Yves Rocher consentira à la gérante une ristourne.
- dans le cadre d'opérations promotionnelles particulièrement attractives, Yves Rocher proposera à la gérante libre afin que cette dernière puisse réaliser lesdites opérations, des objets divers à vendre (trousses, peluches, stylo, parapluie…) dénommés OAV et destinés aux clients, à des prix qui seront déterminés à l'occasion de chacune de ces promotions dans les conditions fixées à l'annexe 7.
Ces dispositions contractuelles obligent la gérante à respecter les conditions d'exploitation édictées par Yves Rocher. En cas de non-respect la gérante s'expose une résiliation du contrat.
Par des motifs pertinents que la cour adopte le conseil des prud'hommes a relevé que la société Yves Rocher afin de mettre en œuvre ces conditions d'exploitation adresse aux locataires gérants des catalogues mensuels Scénario précisant les actions à mener en fonction du calendrier ou d'évènements précis, des catalogues de prix pour chaque produit, et des catalogues de promotion.
La société Yves Rocher envoie aussi chaque jour au gérant des messages concernant l'activité de vente, les objectifs à atteindre, les plans d'actions à mettre en œuvre. Elle envoie aux gérants une enveloppe de publicité sur le lieu de vente contenant tous les supports à mettre en place dans le centre, et les étiquettes de prix des produits.
La société Yves Rocher adresse aussi aux gérants un guide des normes location gérance, un guide des bonnes pratiques, un guide de recrutement d'une conseillère esthéticienne ; ces guides détaillent les normes, les instructions à suivre qui constituent un corpus de règles devant être suivies par les gérants.
Elle contrôle le respect de ces normes notamment par des visites mensuelles ou bi- mensuelles du responsable de secteur ou du responsable régional, au moyen de l'établissement d'un rapport Qualimétrie réalisé par une entreprise extérieure, des réunions de secteur toutes les six semaines où les locataires gérants doivent être présents, des relevés d'écart de prix, de l'analyse annuelle du bilan.
Elle adresse régulièrement à chaque gérant des messages concernant les promotions, des recommandations, des prévisions et objectifs mensuels pour chaque centre, des comptes rendus de visite, des indicateurs de satisfaction de la clientèle, des planogramme (photos type des linéaires et des vitrines), le gérant doit établir chaque année un carnet de bord.
Si un franchisé est tenu d'appliquer notamment les normes promotionnelles du franchiseur, des normes d'approvisionnement, des normes de vente et de mettre en place des agencements spécifiques propres à l'enseigne et d'utiliser les signes distinctifs du réseau, il reste que les prix ne peuvent être imposés, et les contraintes ou sujétions ne doivent pas être trop lourdes et laisser une marge d'autonomie au franchisé.
Or les contrôles suscités sont étroits, les informations données au gérant le contraignent de fait à suivre les recommandations de la société mère, et vont au-delà de la transmission du savoir-faire de la société Yves Rocher et des obligations d'un contrat de franchise.
Le fait que la gérante ait le pouvoir de recruter le personnel ne change rien au fait qu'elle était soumise à des procédures précises, et des comptes rendus réguliers sur son activité et disposait de fait de peu d'autonomie dans le fonctionnement du centre de beauté.
Le procès-verbal d'huissier de justice du 9 septembre 2021 établi dans un centre Yves Rocher à [Localité 6] a notamment relevé que tous les produits vendus dans le centre étaient de la marque Yves Rocher, que des livrets Vert de la Beauté indiquant les prix et édités par Yves Rocher sont disponibles en caisse, que la gérante déclare ne jamais avoir modifié les prix, que les produits ne comportent pas de prix mais seulement un code barre.
L'huissier de justice décrit le système informatique "Flow" (pages 89 à 119 du constat) où est mentionné le lancement de la semaine avec des informations sur les chiffres par région, au niveau national et par secteur, les recommandations de la semaine ; ce logiciel contient la messagerie par laquelle la gérante reçoit tous les messages de la société Yves Rocher ; un fichier ou rubrique porte sur les prévisions et objectifs mensuels, un historique des carnets de bord est accessible où sont consignées les informations sur les objectifs atteints et le respect des directives. Une rubrique « indicateurs de qualité et satisfactions des clients » est aussi accessible, les réclamations faites sur le magasin concerné sont listées, ainsi que les réponses apportées par le siège d'Yves Rocher et les dédommagements proposés ; l'officier public a procédé à des photographies de la rubrique "mes campagnes" qui détaille l'agencement du magasin et la liste des dotations pour le magasin.
Il constate aussi l'existence d'une fonction "My report" 'permettant de visualiser les rapports financiers, les chiffres d'affaires du magasin avec les objectifs à réaliser, les performances....
Si ce constat concerne un seul centre de beauté, la société Yves Rocher a cependant arrêté des procédures commerciales et de gestion des centres de beauté, et des contrôles pour l'ensemble des centres vendant les produits Yves Rocher ; la société Yves Rocher utilise le même logiciel que celui du centre de beauté sise à [Localité 6] pour tous ses points de vente. Il montre que la société Yves Rocher impose ses conditions de fonctionnement aux gérants des centres de beauté', et contrôle précisément l'activité de ces centres.
Bien que ce constat d'huissier est postérieur à la résiliation du contrat de gérance de Mme [D], il n'est pas soutenu que la société Yves Rocher ait changé sa façon de fonctionner avec les gérants de fonds de commerce depuis la dite résiliation.
S'agissant des prix, le fait que la société Yves Rocher respecte en pratiquant des prix maxima les règles de la concurrence édictées par le règlement UE n° 330/2010 du 20 avril 2010 n'implique pas qu'elle n'imposait pas les prix aux locataires-gérants ou aux franchisés.
A cet égard, s'il ressort du constat d'huissier de justice susexposé et du constat d'huissier du 18 février 2021 ayant été réalisé au magasin Yves Rocher de [Localité 7] produit par la société Yves Rocher que si les prix peuvent être modifiés informatiquement en respectant une procédure de modification, même si celle-ci de par les manipulations nécessaires est quelque peu dissuasive, il convient de relever que les prix conseillés figurent sur le Livre Vert de la Beauté, le catalogue Scénario, le catalogue mensuel de promotions, sur le site internet de la marque, sur les mails adressés chaque semaine aux clients Yves Rocher, de sorte que les clients sont informés des prix et s'attendent à retrouver ces prix en boutique. Le locataire-gérant ou le franchisé d'un centre de beauté n'a donc quasiment aucune marge de manœuvre.
De plus, la société Yves Rocher procède régulièrement à des promotions, les prix maximums sont indiqués ainsi qu'il ressort du catalogue Scénario produit aux débats ; si le locataire-gérant a la possibilité de diminuer le prix, il reste que ce dernier doit rendre compte régulièrement de son activité à la société mère, et que la baisse du chiffre d'affaires peut amener la société Yves Rocher à reconsidérer le contrat de location-gérance.
Le gérant n'a là encore que très peu de marge de fixation de prix, sauf à ne réaliser aucun profit sur les ventes et risquer de voir son statut de locataire gérant remis en cause.
La société Yves Rocher par son organisation, sa politique commerciale, ses contrôles imposent en réalité les prix aux gérants des centres de beauté.
Les conditions d'application de l'article L. 7321-2 du code du travail sont dès lors remplies et Mme [D] est fondée à demander l'application du statut de gérant de succursale.
Le jugement sera confirmé.
La lettre de résiliation du contrat de gérance doit s'analyser en un licenciement.
Les articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du Code du travail disposent que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse et que l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement.
L'énoncé d'un motif imprécis équivaut à une absence de motif.
L'article L. 1235-1 du Code du travail dispose qu'en cas de litige sur le licenciement, le juge, auquel il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et, au besoin, après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de rupture du 10 février 2016. Expose : Nous vous avons alerté à plusieurs reprises concernant la tenue du magasin dans lequel vous exploitez un fonds de commerce à l'enseigne Yves Rocher et la violation des normes liées à l'image de marque au sein du réseau YVES ROCHER FRANCE.
Vous n'êtes pas sans savoir que les derniers rapports qualimétrie et image révèlent que le magasin que vous exploitez est bien en dessous des ratios moyens du réseau YVES ROCHER FRANCE concernant la tenue, la propreté et la maintenance de ce dernier.
Ces éléments associés à vos choix de gestion sont à l'origine des difficultés financières que vous évoquez dans votre courrier...
Si en votre qualité de commerçant indépendant, vous disposez de toute l'autonomie nécessaire et la pleine et entière responsabilité quant à la direction, la gestion du fonds de commerce...Yves Rocher se doit de veiller à protéger son image de marque vis à vis de la clientèle, afin de promouvoir une réussite commune entre Franchisseur et Franchisés...
L'employeur n'est pas fondé à reprocher à la salariée de ne pas réitérer le savoir-faire de la société Yves Rocher, et de ne pas avoir maintenu un stock suffisant de marchandises, ces griefs n'étant pas mentionnés dans la lettre de rupture fixant les limites du litige.
Les choix de gestion aux termes de la lettre de licenciement ne sont pas clairement reprochés à la salariée. Il n'est en tout cas établi par aucune pièce que Mme [D] ait défailli dans la gestion du centre de beauté.
Le licenciement ne repose donc que sur le grief tenant à la tenue et la propreté du centre de beauté en dessous des ratios moyens du réseau Yves Rocher.
La société Yves Rocher a relevé des couloures, des résidus d'affiche sur plexis et sur plinthe, des traces de doigts sur vitres et huisseries, des traces de chewing gum sur le tapis brosse, des traces et coulures sur tiroirs, dans un audit du 2 juillet 2015.
Il s'agit de désordres mineurs.
Ils sont moins nombreux que ceux relevés dans la lettre du 25 août 2014 qui mentionnaient la nécessité de nettoyer le tapis brosse et des vitrines, des infiltrations, le remplacement de platines cassées, la reprise d'un plafond, la mise en peinture institut et mur taupe à l'entrée du magasin, le remplacement de quelques plinthes, le nettoyage de la robinetterie, le refixage d'une poignée de porte.
Il n'est pas soutenu que ces désordres datant de l'année 2014 n'ont pas été résolus.
Les photographies produites et effectuées lors d'une visite n'établissent pas la malpropreté ou la présence de poussières comme soutenu par la société Yves Rocher.
Si la société Yves Rocher a adressé à Mme [D] une nouvelle alerte le 2 septembre 2015 concernant le nettoyage d'enseignes et d'huisseries, le nettoyage du tapis brosse, la reprise d'un plafond suite à un dégât des eaux, le nettoyage des plinthes, murs et mobilier SDV et de la robinetterie, un licenciement sans sanction préalable pour de tels faits est une sanction disproportionnée.
Pour le même motif, la présence de cartons relevée par une représentante de la société Yves Rocher, alors même qu'une livraison venait d'avoir lieu et la présence d'un chewing-gum sur la moquette ne constituent pas des faits justifiant une rupture sans une sanction préalable moins sévère qu'une rupture de contrat.
C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes a jugé ce licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salaire de référence sera fixé à la somme de 2687 € mensuels eu égard à la moyenne perçue par des directrices d'instituts Yves Rocher dont les fonctions étaient comparables à celle de Mme [D] et retenue par plusieurs décisions de justice.
C'est d'ailleurs le salaire retenu par Mme [D] dans ses conclusions pour calculer l'indemnité conventionnelle de licenciement.
Mme [D] travaillait en qualité de gérante du centre de beauté depuis neuf années.
Elle ne peut se fonder sur une ancienneté remontant à ses débuts au sein de la société Yves Rocher alors qu'elle a décidé de quitter son travail salarié en 2006 pour devenir gérante libre d'un centre.
Elle a retrouvé un emploi en contrat à durée déterminée en Suisse le 26 septembre 2016 moyennant un salaire de 5790 CHF par mois incluant un treizième mois, puis a été embauchée par la même société sous contrat à durée indéterminée le 1er mars 2017 pour un salaire mensuel de 5345 CHF (13 mois à 5345 CHF) soit 5100 € par mois.
Le préjudice de perte d'emploi est donc modéré.
Mais elle avait investi la somme de 7200 € dans la société pour exploiter le centre de beauté pendant plus de neuf années, pour se retrouver sans emploi après la résiliation abusive décidée par la société Yves Rocher.
Au regard de ces éléments, et conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, il sera alloué à Mme [D] des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 24 183 € équivalents à neuf mois de salaires sur la base du salaire de référence.
Mme [D] a droit à l'indemnité conventionnelle de licenciement prévue par l'article 4 de l'annexe III de la convention collective. Son calcul n'est pas contesté, et s'effectue comme suit : 2687 € x 1/4 x 9) soit la somme de 6045,75 €.
Le jugement sera dès lors infirmé sur les montants de l'indemnité de licenciement et les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme le jugement rendu le 22 janvier 2021 par le conseil des prud'hommes d'Annemasse sauf sur les montants alloués au titre de l'indemnité de licenciement et les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau sur ces deux points,
Condamne la société Yves Rocher France à payer à Mme [D] les sommes suivantes :
- 6 045,75 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 24 183 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Yves Rocher France aux dépens d'appel ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Yves Rocher France à payer à Mme [D] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.