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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 septembre 2022, n° 19/16689

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Achats Marchandises Casino (SAS)

Défendeur :

Davyco (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Babin, Me de la Taille, Me Delpanque de Maudelet

T. com. Paris, du 8 juill. 2019, n° 2016…

8 juillet 2019

FAITS ET PROCÉDURE

La société Davyco est spécialisée dans l'importation et la commercialisation de sous-vêtements et pyjamas pour adultes et enfants qu'elle vend à la grande distribution.

La société Achats Marchandises Casino - AMC (ci-après « Casino » et anciennement EMC Distribution), centrale de référencement du groupe Casino, négocie et signe les accords commerciaux conclus avec les fournisseurs au nom et pour le compte des sociétés dudit groupe.

La société Distribution Casino France (ci-après « DCF »), également filiale du Groupe Casino, a pour objet d'assurer l'exploitation des magasins et la vente au détail.

Elle est un des mandants de la société AMC.

La société Davyco et les sociétés AMC et DCF du groupe Casino sont en relation d'affaires pour la commercialisation desdits produits. Divers contrats ont été régularisés entre les parties.

Par courriers du 20 août et 15 novembre 2012, la société AMC a notifié à la société Davyco une baisse de commandes et s'est engagée à écouler le stock de la précédente commande pour l'année 2012.

Par actes d'huissier de justice du 8 juin 2016, la société Davyco a assigné les sociétés AMC et DCF devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de les condamner à lui verser les sommes suivantes :

- 357.142,72 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la brutalité de la rupture des relations commerciales ;

- 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour lui avoir imposé des clauses abusives caractérisant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Par jugement du 8 juillet 2019, le tribunal de commerce de Paris a :

- Condamné la SAS Achats Marchandises Casino - AMC anciennement dénommée SAS EMC Distribution à payer à la société Davyco la somme de 121.866 euros à titre de dommages-intérêts,

- Débouté la société Davyco de sa demande au titre du déséquilibre significatif de clauses abusives,

- Condamné la SAS Achats Marchandises Casino - AMC anciennement dénommée SAS EMC Distribution à payer à la SAS la société Davyco la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,

- Ordonné l'exécution provisoire sans caution,

- Condamné la SAS Achats Marchandises Casino - AMC anciennement dénommée SAS EMC Distribution aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 100,08 euros dont 16,47 euros de TVA.

Par déclaration du 13 août 2019, la société Casino a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- Dit que la société AMC, anciennement EMC Distribution, a engagé sa responsabilité au visa de l'article L. 442-6 1 5° du code de commerce et s'est rendue coupable d'une rupture brutale de relation commerciale établie,

En conséquence,

- Condamné la SAS Achats Marchandises Casino - AMC à payer à la SAS la société Davyco la somme de 121.866 euros à titre de dommages-intérêts et la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonné l'exécution provisoire sans caution,

- Condamné la SAS Achats Marchandises Casino - AMC aux dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 08 février 2022 , la société Casino demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6-I 5 ancien du code de commerce,

Vu les accords commerciaux conclus entre les parties,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 8 juillet 2019 en ce qu'il condamne la SAS Achats Marchandises Casino « AMC anciennement dénommée SAS EMC Distribution, à payer à la SAS la société Davyco la somme de 121.866 euros à titre de dommages-intérêts, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

- Confirmer pour le surplus le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 8 juillet 2019 et débouter la société Davyco de ses demandes au titre de l'article L. 442-6 I 2° ancien du code de commerce.

Et statuant à nouveau,

- Dire et juger que la rupture ne revêt aucun caractère brutal ;

- Dire et juger que la demande formée par la SAS la société Davyco sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce est mal fondée ;

- Débouter la SAS la société Davyco de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner la SAS la société Davyco à verser à la SAS Achats Marchandises Casino - AMC la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 24 janvier 2022, la société Davyco demande à la cour de :

Vu les articles L. 441-3 et L. 441-7 et L. 442-6 du code de commerce,

Vu les articles 1154 1382 du code civil,

Vu l'article 56 du code de procédure civile,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné la société Achat Marchandise Casino AMC à payer à la société la société Davyco la somme de 121.866 euros à titre de dommages et intérêts et 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en toutes ses dispositions non contestées ci-après et notamment celles relatives au doublement du délai de préavis s'agissant de fourniture en MDD.

- Réformer le jugement entrepris :

En ce qu'il a limité le préavis à une période de 12 mois, alors que le temps de reconversion de la société la société Davyco a été de deux ans ;

En ce qu'il a déduit le compte de charges externes ne concernant pas le chiffre d'affaires Casino de la marge brute ;

En ce qu'il a débouté la société la société Davyco de sa demande au titre du déséquilibre significatif de clauses abusives ;

Sur le montant des sommes allouées à la société la société Davyco.

Et statuant à nouveau, Condamner la société Achat Marchandise Casino AMC à payer à la société Davyco :

- deux années de marge brute sous déduction des coûts variables affectés au chiffre d'affaires Casino soit la somme de 178.570 euros en application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction en cours au moment des faits de l'espèce ;

- le doublement de la somme retenue au titre de l'article L. 442-6, I, 5° pour toutes les marchandises vendues en MDD à hauteur de 85 % du préavis qui sera retenu par la cour d'appel : soit la somme de 152.022 euros ;

- une somme de 50.000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour avoir imposé à la société Davyco des clauses abusives caractérisant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

- dire que ces sommes seront assorties des intérêts légaux à compter de l'assignation en date du 8 juin 2016, avec anatocisme conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ;

- la débouter de toutes ses demandes ;

- condamner la société Achat Marchandise Casino AMC au paiement de la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 décembre 2021.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur.

Sur les relations commerciales établies.

La société Casino fait valoir que :

- il y avait de fortes variations de chiffre d'affaires conformes aux conditions d'achat. Les volumes d'affaires étaient fluctuants, les relations étaient donc aléatoires et instables.

- il n'y a donc eu en 2013 aucune modification substantielle des conditions d'achat de nature à bouleverser l'économie de la relation commerciale entre les sociétés Davyco et Casino, le courrier de 2013 ne pouvant être interprété comme une rupture des relations.

- la sélection d'autres fournisseurs en 2013 ne pouvait pas être interprétée comme un comportement abusif de Casino: la société Davyco faisait l'objet d'une mise en concurrence et était régulièrement écartée au profit d'autres fournisseurs.

- les conditions commerciales et de prix étaient définis aux termes d'appels d'offres ou de consultations émises par la société Casino.

- le caractère aléatoire des ventes de la société Davyco est renforcé par le fait que son activité était soumise à un phénomène marqué de saisonnalité et de mode.

La société Davyco réplique que :

- le jugement de 1ère instance reconnaît un flux continu d'affaires entre la société Davyco et Casino depuis 1992. Il y a donc des relations commerciales stables, établies et continues. Le chiffre d'affaires moyen est de 328.075,02 euros sur les trois dernières années avant la rupture.

- en 2013, Casino a décidé de se faire fournir par sa filiale d'importation et de rompre la relation commerciale sans accorder un préavis à la société Davyco.

- la relation n'était pas précaire contrairement aux affirmations de Casino.

- Il n'y a aucune preuve quant à l'existence de procédures d'appels d'offres (nécessitant une mise en concurrence).

- Casino ne communique aucun cahier des charges des appels d'offres invoqués.

- Il n'y a eu que des discussions tarifaires entre les sociétés Davyco et Casino.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

La société Davyco verse aux débats une attestation de son expert-comptable en date du 15/12/2017 démontrant l'existence du courant d'affaires suivant avec la société Casino :

Année Chiffre d'affaires

1996 323 591 €

1997 237 421 €

1998 222 125 €

1999 585 859 €

2000 428 603 €

2001 861 239 €

2002 231 668 €

2003 71 480 €

2004 303 272 €

2005 295 506 €

2006 172 692 €

2007 129 654 €

2008 169 458 €

2009 273 753 €

2010 222 562 €

2011 386 692 €

2012 374 970 €

Chiffre d'affaires moyen : 351 110 €

Il existe un flux d'affaires conséquent depuis 1996. Le tribunal a retenu un début de relations depuis 1992 comme l'atteste l'existence de remises de fin d'année entre les parties depuis cette date.

Si l'activité commerciale était fluctuante du fait que la société Casino disposait de plusieurs partenaires auxquels elle adressait des demandes de cotation, cette procédure ne dispensait pas celle-ci d'accorder un préavis à sa cocontractante à laquelle elle a assuré un chiffre d'affaires moyen annuel de 350 000 € sur une durée de 15 ans. La société Davyco pouvait escompter que les relations perduraient sur le même modèle pour l'avenir. Le fait qu'en 2003, le chiffre d'affaires s'est élevé à la somme de 71 180 € est sans incidence puisqu'à compter de 2004 il était de 300 000 € et jusqu'en 2012, le chiffre d'affaires le moins élevé a été de 129 154 € en 2007.

Si la procédure d'appel d'offres caractérise la précarité des relations commerciales, en l'espèce, la société Casino ne démontre pas l'existence de procédures d'appels d'offres telles qu'elles sont réglementées avec présentation d'un cahier des charges, envois des offres et sélection des candidats.

La durée des relations et leur intensité au vu du montant du chiffre d'affaires démontrent l'existence d'une relation commerciale établie justifiant qu'un préavis soit accordé lors de la cessation des relations.

Le caractère précaire de la relation est contredit par la signature à compter de 2003 d'accords-cadres à durée indéterminée, dont la résiliation était ainsi prévue : « Ce contrat de référencement pourra être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis conforme aux usages et à la réglementation en vigueur par lettre recommandée avec accusé de réception. »

Par courrier du 28 août 2012, la société Casino informait la société Davyco de sa décision de réduire le courant d'affaires avec celle-ci et plus précisément de cesser de s'approvisionner auprès de la société Davyco pour la référence Benji.

Par courrier du 15 novembre 2012, la société Casino informait la société Davyco de sa décision de cesser de s'approvisionner auprès de la société Davyco pour la référence PPC SL5.

Si les relations entre les cocontractants étaient organisées dans le cadre d'appel d'offres, remises en cause chaque saison, ces courriers ne se justifiaient pas.

En conséquence, la société Casino échoue à démontrer le caractère précaire de la relation existant entre elle et la société Davyco.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties.

Sur la brutalité de la rupture.

La société Casino fait valoir que :

- il n'y a aucune volonté d'éviction ni aucune déloyauté de la société Casino, qui n'a fait que répercuter sur ses commandes la crise du secteur du textile dans les grandes surfaces alimentaires.

- elle a sensibilisé la société Davyco sur la baisse des commandes à venir dès avril 2012, la rupture n'était pas soudaine et était accompagnée d'un écrit manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale dans les conditions antérieures.

- la société Davyco a bénéficié de deux délais de préavis en l'espace de trois mois pour lui permettre de se réorganiser.

- la connaissance du caractère instable de la relation avait permis à la société Davyco d'en anticiper le ralentissement qui s'est confirmé progressivement.

- la société Davyco ne démontre pas que l'essentiel du chiffre d'affaires avec Casino l'aurait été sous marque de distributeur.

- il ne s'agit pas d'investissements dédiés qui auraient été spécialisés par le partenaire évincé pour un client particulier, mais de modèles banals dupliqués pour de nombreux clients.

- le délai de préavis arrêté par le tribunal est contraire aux recommandations faites par les accords interprofessionnels auxquels l'article L. 442-6, I, 5° renvoie expressément.

- l'objectif du préavis est de permettre l'organisation de la reconversion du partenaire éconduit et la société Davyco, qui n'était pas dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Casino, n'a eu aucune difficulté à se réorganiser.

La société Davyco répond que :

- la rupture a été brutale car effectuée sans préavis alors que c'est obligatoire en vertu de l'article L. 442-6 du code de commerce.

- une notification de la réduction partielle du chiffre d'affaires, résultat d'une stratégie générale de déréférencement, ne peut pas être considérée comme un préavis. La brutalité de la rupture sans préavis ne peut être justifiée par une baisse de son activité.

- la société Casino a changé de stratégie d'approvisionnement sans l'en informer, ce qui a engendré une baisse de commandes.

- le courrier du 15 novembre 2012 mentionne simplement la décision de réduire le courant d'affaires.

- or, le chiffre d'affaires a baissé de 95 % entre 2013 et 2015.

- le code des bonnes pratiques qui prévoit un préavis inférieur n'a pas vocation à s'appliquer puisque la société Davyco n'est pas membre de la FCD qui a rédigé le code.

Le texte vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués, la spécificité des produits et la dépendance économique.

Les accords interprofessionnels constituent en l'espèce une référence ne revêtant aucun caractère obligatoire, les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce devant être respectées.

La société Casino invoque une réduction de l'activité dans le secteur considéré de l'ordre de 7 %. Cette diminution d'activité au bénéfice de magasins spécialisés reste modérée et n'est pas susceptible d'impacter les relations commerciales pour des articles de consommation courante.

De plus, cet état de fait est contredit par les propres affirmations de la société Casino qui relate la tendance actuelle de la grande distribution à s'approvisionner pour les articles textiles directement auprès des pays émergents, sans passer par un intermédiaire. (Conclusions de la société Casino page 5 et 6 n° 8).

La société Casino a adressé à la société Davyco les deux lettres recommandées suivantes reçues respectivement les 28 août 2012 et 15 novembre 2012 :

Le 28 août 2012, la société Casino indiquait : « Déréférencement partiel : nous vous informons par la présente lettre recommandée avec accusé de réception de notre décision de réduire notre courant d'affaires avec votre société et plus précisément : de cesser de nous approvisionner auprès de votre société pour la référence BENJI. »

Le 15 novembre 2012, la société Casino écrivait : « Nous vous confirmons par la présente lettre recommandée avec accusé de réception de notre décision de réduire notre courant d'affaires avec votre société et plus précisément : de cesser de nous approvisionner auprès de votre société pour la référence PPC SL5. Comme convenu, ce déréférencement partiel interviendra au plus tôt à l'issue d'un délai de 7 mois et, en tout état de cause, dès que la quantité de produits que vous nous avez déclarée à ce jour (soit 28 987 UVC, selon le mail adressé à [F] [N] le 16 octobre 2012, comprenant le stock existant et les commandes en cours) vous aura été commandée conformément aux termes existants.

Pendant cette période, les relations commerciales doivent se poursuivre jusqu'à leur terme dans les meilleures conditions préservant nos intérêts communs et la satisfaction de nos clients dans le respect des engagements souscrits.»

L'annonce écrite de la rupture de la relation commerciale doit préciser la date d'expiration du préavis, sans ambiguïté. Le partenaire doit être expressément informé de la date de la cessation de la relation commerciale afin de pouvoir réorganiser son activité.

Le courrier du 28 août 2012 ne comporte aucune durée de préavis ni la date de la fin des relations. Le courrier du 15 novembre 2012 indique que le déréférencement partiel interviendra au plus tôt « à l'issue d'un délai de 7 mois et, en tout état de cause, dès que la quantité de produits que vous nous avez déclarée à ce jour (soit 28 987 UVC, selon le mail adressé à [F] [N] le 16 octobre 2012, comprenant le stock existant et les commandes en cours) vous aura été commandée conformément aux termes existants ». Ce courrier évoque un délai de sept mois puis des délais résultant de l'écoulement des stocks ce qui rend indéterminée la date de la fin des relations.

En conséquence, la lecture de ces courriers ne permet pas à la société Davyco de connaître la date de la fin des relations.

Le chiffre d'affaires des six dernières années est le suivant :

2010 222 562 €

2011 386 692 €

2012 374 970 €

2013 134 902 €

2014 50 673 €

2015 17 510 €

Il est relevé une diminution de l'activité de 65 % en 2013 qui se poursuit en 2014, l'activité étant pratiquement inexistante en 2015.

Il sera tenu compte qu'en 2013, le chiffre d'affaires de la société Davyco a été réduit à 134 902 € alors qu'en 2012, le chiffre d'affaires s'élevait à 374 970 €. Cependant, à plusieurs reprises, au cours de la relation commerciale, le chiffre d'affaires a été fluctuant, diminuant de moitié et augmentant les années suivantes. La rupture est intervenue en 2014 avec un chiffre d'affaires de 50 673 € et une réduction drastique des commandes annoncées par la société Casino. Le chiffre d'affaires en 2015 s'est en effet élevé à 17 510 €.

L'article L. 112-6 du code de la consommation, applicable à la présente instance définit les produits sous marque de distributeur comme suit : « le produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu ».

Le critère des « caractéristiques définies par l'entreprise » signifie que le produit fourni doit être élaboré selon les spécifications du distributeur. Ainsi, le fabricant doit concevoir les produits à partir d'un cahier des charges établi par le distributeur.

La société Davyco verse aux débats les cahiers des charges établis à compter de l'année 2010 pour les sous-vêtements et vêtements de nuit hommes et enfants. (Pièce 28.1 à 17) établissant ainsi qu'elle a approvisionné la société Casino en vêtements vendus au détail sous la marque de distributeur selon des modèles précis, la société Casino ne contestant pas être titulaire des marques « Casino », « Tout simplement », « Benji », « Tous les jours », « Dandy ».

La société Davyco justifie, par la production d'une attestation de son expert-comptable, qu'elle a fourni, en 2010, 74,5 % de son chiffre d'affaires avec la société Casino en marque de distributeur, pour l'année 2011, 85 % et en 2012, 95 % soit une moyenne de 85 % sur ces trois années.

Compte tenu de la durée de la relation commerciale de 1992 à fin 2013 et du volume d'affaires, le tribunal de commerce a justement évalué à un an le délai nécessaire à la société Davyco pour retrouver des marchés ; le doublement de ce délai était également justifié par la vente des marchandises sous marque de distributeur.

Sur le préjudice résultant de la brutalité de la rupture.

La société AMC fait valoir que :

- pour calculer le préjudice, les juges ont fait l'impasse sur le large potentiel de clients existant et à venir de la société Davyco ainsi que de sa tendance à détenir des clients à forte notoriété,

- à juste titre, le tribunal a considéré que le poste « autres achats et charges externes » devait être pris en compte dans la détermination de la marge brute, l'attestation de son expert-comptable omettant ce poste,

- en cas d'indemnisation, il y a lieu de prendre en compte la marge brute moyenne des 3 dernières années précédant la rupture totale, soit 2014, 2013 et 2012, conformément au code des bonnes pratiques FEEF / FCD conclu le 6 mars 2013 et non pas sur la base des années 2010 et 2011,

- une « réduction significative » n'est pas assimilable à un arrêt des relations.

La société Davyco réplique que :

- les dommages et intérêts sont calculés sur la base de la marge brute sous déduction de coûts variables, perdue pendant la durée du préavis qui n'a pas été respecté.

- l'évaluation du préjudice de la société Davyco doit être réformée en ce que le tribunal a déduit les charges externes du chiffre d'affaires de la société de Casino, alors qu'elles n'ont pas cessé du fait de la rupture et ne concernent pas le chiffre d'affaires de la société Casino.

Pour calculer le préjudice, il y a lieu de tenir compte du préavis qui devait être accordé et non des circonstances postérieures à la rupture telle que la potentialité de la société Davyco à réorganiser son entreprise, laquelle dépendait de ses propres capacités mais également des conditions de marché.

La marge brute est une notion comptable dénie comme la différence entre le chiffre d'affaires HT et les coûts HT ; la marge réellement dégagée par une entreprise ne peut être connue qu'après imputation des coûts dits variables, c'est à dire des charges qui varient en fonction du chiffre d'affaires, car le partenaire commercial évincé, s'il a perdu une partie de son chiffre d'affaires, a pu dans le même temps, économiser des coûts.

En l'espèce, l'expert-comptable de la société Davyco, a attesté de la marge brute sur coûts variables, réalisée par celle-ci dans le cadre de son activité commerciale avec la société Casino de 2009 à 2013. Le tribunal de commerce a indiqué que le calcul réalisé par l'expert comptable ne comportait pas la déduction du poste variable du compte de résultat « autres achats et charges externes ». Cependant, l'absence de précision sur la nature de ces achats et charges ne permet pas de les qualifier de coûts variables. Il y a lieu, en conséquence, de se référer à l'attestation de l'expert-comptable de la société Davyco qui a procédé au calcul de la marge perdue et aux pièces comptables produites pour évaluer le préjudice subi.

Pour le calcul du préjudice, seront prises en compte les années de référence 2011 à 2013 qui ont précédé la rupture.

Le chiffre d'affaires de 2011 à 2013 est le suivant :

2011 386 692 €

2012 374 970 €

2013 134 902 €

total : 896 564 € / 3 = 298 854 €

L'expert-comptable a évalué la marge brute sur coûts variables durant ces années de la manière suivante :

2011 : 109 556 €

2012 : 88 447 €

2013 : 38 697 €

Total : 236 700€ /3 = 78 900 €

Au vu de l'attestation de l'expert-comptable et des pièces comptables produites, le taux de marge sera évalué à 26,5 % du chiffre d'affaires.

Sera déduite de cette marge, celle réalisée en 2014 et 2015 soit 50 673 € + 17 510 € (montant des chiffres d'affaires /2 = 34 091 € X 26,5 % ( taux de marge) = 9034 €

78 900 € - 9034 € = 69 866 €

La moyenne des articles vendus sous marque de distributeur s'élevant à 85 %, l'indemnisation pour la deuxième année sera évaluée à 85 % de la somme allouée soit 59 386 €.

Le préjudice subi doit être évalué à 69 866 € + 59 386€ = 129 252 €

La société Casino sera condamnée à verser à la société Davyco la somme de 129 252 € avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt compte tenu du caractère indemnitaire de la somme allouée.

Ces intérêts produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La société AMC fait valoir que :

- les contrats antérieurs à la LME (2008) ne peuvent être attaqués sous l'angle de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce,

- le déséquilibre significatif n'est pas caractérisé, la société Davyco n'était pas dépendante économiquement de la société Casino et les pénalités ne lui ont pas été imposées,

- Au contraire, la société Davyco s'est engagée délibérément sur la livraison des produits afin d'éviter les conséquences commerciales préjudiciables,

- En outre, la remise fonction entrepôt correspond bien à une contrepartie réelle, contrairement à ce que dit la société Davyco.

La société la société Davyco soutient que :

- elle a été obligée d'accepter les conditions posées par la société Casino dans des contrats pré-rédigés en vue du référencement de ses produits, soit des clauses abusives et des réductions de prix dépourvues de toute contrepartie,

- l'article L. 442-6 8° du code de commerce interdit de déduire d'office du montant de la facture les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises,

- les pénalités étaient unilatérales et excessives,

- la société Casino n'avait en outre pas d'obligations équivalentes ou réciproques à sa charge.

L'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

L'existence d'un contrat d'adhésion ne suffit pas à caractériser la preuve de l'absence de pouvoir réel de négociation de celui qui se prétend victime d'une soumission ou d'une tentative de soumission à un déséquilibre significatif mais il doit le prouver, par exemple en démontrant l'exclusion de toute possibilité de négociation.

Le déséquilibre significatif est le plus souvent caractérisé par une absence de réciprocité des prérogatives contractuelles ou par une disproportion entre les droits et obligations des parties.

Le déséquilibre significatif, doit être examiné au regard de l'analyse des clauses imposées dans la convention en tenant compte des contreparties accordées, et de l'équilibre économique de l'opération.

S'il n'est pas justifié d'échanges entre les sociétés cocontractantes quant à l'élaboration des accords commerciaux, le paragraphe 4 de l'accord commercial signé entre les parties le 25/02/2008 est intitulé « respect des conditions négociées » et il est rappelé que : « à l'issue de la négociation, le fournisseur fera parvenir à EMC Distribution une facture pro forma reprenant l'ensemble des réductions de prix négociés sur facture.

Le présent accord commercial, établi conformément aux dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce, fixe l'accord des parties sur les modalités d'exécution de leurs obligations respectives.

S'agissant des services visés au 2° de l'article L. 441-7 du code de commerce, des contrats d'application préciseront les modalités de la fourniture desdits services et notamment les produits auquel ils se rapportent. »

Ce contrat a servi de base aux parties dans leurs relations.

Par ailleurs, page 6 de ses conclusions, la société Davyco précise que les accords commerciaux ayant pour objet de définir les conditions commerciales applicables, et notamment les remises des ristournes, ont été signés chaque année entre les parties et annexés au contrat cadre.

Si les différentes conventions portent la mention « Groupe Casino EMC Distributions » et sont prérédigées, les mentions relatives aux marchandises sont nécessairement adaptées au marché, et caractérisent l'aboutissement d'un accord entre les parties comme le démontre la rédaction précise des clauses.

Les conventions étant renouvelées annuellement, la société Davyco avait également la possibilité de renégocier ou faire évoluer les clauses, l'ancienneté et le volume d'activité réalisés permettant de peser dans la négociation. Elle ne démontre avoir effectué aucune démarche en ce sens.

Enfin les clauses doivent être analysées en fonction de la nature de la marchandise vendue. Des pénalités pour retard de livraison, pour défaut de conformité des produits, ont été stipulées et doivent être considérées comme acceptables pour des articles de textile au regard des exigences légitimes des consommateurs auxquelles sont confrontés les distributeurs, seule la société Davyco pouvant intervenir sur les modalités de fabrication et la livraison des articles.

La société Davyco dénonce également le taux de service élevé de 98,5 % et 99 % pour les produits permanents et de 100 % pour les produits promotionnels dans le contrat cadre de 2015, ce dernier s'expliquant par la communication spécifique réalisée auprès des consommateurs et des sanctions spécifiques applicables en cas de non-respect des annonces promotionnelles. Ce taux de service s'explique également par le contexte très concurrentiel dans lequel les parties évoluent.

Pour autant, la société Davyco ne démontre pas l'absence de négociation préalable à la fixation de ces taux.

La société Davyco conteste les remises qu'elle devait consentir régulièrement sur les factures émises à l'égard de la société Casino.

La société Casino indique, sans être contredite, qu'une partie de ces remises correspond à « des remises entrepôts » en contrepartie desquelles le fournisseur était autorisé à livrer la marchandise dans un entrepôt géré par le distributeur qui se chargeait de l'approvisionnement magasin par magasin ce qui constituait en contrepartie un service logistique et donc une économie pour le fournisseur.

La société Casino verse aux débats le courrier électronique suivant du 23 novembre 2010 que lui a adressé la société Davyco :

« Bonsoir [J] Nous n'avons obtenu que la cotation en 140 gsm je vous la communique (prix Net Net et cintre inclus) ; Modèle avec imprimé placé devant : Px Ht : 2.60 €/pce Modèle avec rayures imprimées all over : Px Ht : 3.00 €/pce Il y a bien sur 3 % de remise entrepôt à déduire de ces tarifs »

Les parties sont convenues de cette disposition comportant de part et d'autre une contrepartie.

L'émission des pénalités fait l'objet d'une disposition spécifique de la loi prévue à l'article L. 442-6 I 8° du code de commerce et la société Davyco invoquant ces dispositions, il y a lieu de statuer sur cette demande qui est incluse dans la demande d'indemnisation présentée au titre du déséquilibre significatif.

Sur les pénalités pour non-conformité.

En vertu de l'article L. 442-6 I 8° du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison, à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant ».

La loi de modernisation de l'économie (LME) dans sa version issue du 4 août 2008, instaurant la sanction des pratiques restrictives de concurrence, s'applique à tous les contrats conclus postérieurement au 1er janvier 2009.

Les factures antérieures à cette date ne peuvent être prises en considération.

Il est produit 23 factures du mois de septembre 2011 au mois de décembre 2013 relatives à des colis ou article manquants, à des anomalies de colis, à des erreurs de prix. La nature, le nombre et les références des articles concernés, ainsi que les motifs de retour mentionnés sur les factures permettaient à la société Davyco de remettre en cause les facturations qui n'ont donné lieu à aucune contestation.

Il est stipulé dans les annexes (page 38) de l'accord commercial signé entre les parties le 25/02/2008, que « préalablement à la facturation, Casino met à disposition du fournisseur les informations relatives au calcul du taux de service, aux pénalités de rupture et de retard. Ces informations sont mises à la disposition du fournisseur sur le portail fournisseur (Casino Connect) du groupe Casino.

Le fournisseur dispose sur le portail d'un espace lui permettant d'apporter, dans un délai de 30 jours, ses éléments de réponse, en cas de contestation des pénalités calculées. »

Il a été prévu que conformément à la charte ECR du 13 septembre 2012, « les membres communs communiqueront au Fournisseur, en cas d'émission d'une demande de pénalité, les informations documentées permettant l'analyse contradictoire, avec au minimum :

N° de commande par point de livraison concerné ;

Date de livraison ;

Produits concernés : codes GTIN et/ou libellés ;

Quantités concernées ;

Nature de l'incident »

Ces éléments ont été intégrés dans le contrat cadre signé entre les parties le 20 février 2014 (annexe 2 paragraphe 5 « qualité de service »)

Les factures produites contiennent tous les éléments d'identification permettant à la société Davyco de contester les factures de pénalités selon la procédure mise en place par la société Casino.

En conséquence, les modalités prévues à l'article L. 442-6 I 8° du code de commerce, ont été respectées.

Dès lors, la société Davyco ne démontre pas l'existence de clauses abusives caractérisant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La demande d'indemnisation de la société Davyco fondée sur l'article L. 442-6, du code de commerce n'est donc pas fondée et sera rejetée.

Sur les demandes accessoires.

Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

La société Casino qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et devra verser à la société Davyco la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement sur le montant de la somme allouée en réparation de la rupture brutale des relations commerciales,

Le CONFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société Achats Marchandises Casino à verser à la société Davyco la somme de 129 252 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt en réparation de son préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale,

DIT que les intérêts produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

CONDAMNE la société Achats Marchandises Casino à verser à la société Davyco la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande,

CONDAMNE la société Achats Marchandises Casino aux dépens d'appel.