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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 septembre 2022, n° 20/15817

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Hamel (SARL)

Défendeur :

Denis (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Guiramand, Me Boccon Gibod, Me Michelet

T. com. Bordeaux, du 22 janv. 2016, n° 2…

22 janvier 2016

La société Hamel, spécialisée dans le commerce de gros de matériel agricole, commercialisait des produits fabriqués ou distribués par la société Etablissements Denis, désormais SAS Denis.

A la suite d'un différend ayant opposé les deux sociétés au sujet de désordres apparus sur un ouvrage monté par la société Hamel avec du matériel fourni par la société Etablissements Denis, cette dernière a mis un terme à sa relation commerciale avec la société Hamel aux conditions antérieures par lettre du 2 septembre 2009.

Dans le cadre de l'instance engagée par la société Silo, qui avait commandé l'ouvrage litigieux, devant le tribunal de commerce de Montauban à l'encontre des sociétés Hamel et Etablissements Denis, la société Hamel a formé contre la société Etablissements Denis à titre reconventionnel une demande d'indemnisation de son préjudice commercial, sur le fondement de l'article 1147 du code civil.

Sa demande ayant été rejetée par arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 18 novembre 2014, la société Hamel a attrait la société Etablissements Denis devant le tribunal de commerce de Bordeaux, par acte du 2 avril 2015, en sollicitant des dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce.

Par jugement du 22 janvier 2016, le Tribunal de commerce de Bordeaux a :

Déclaré irrecevables les demandes formulées par la société Hamel,

Débouté la société Denis de ses demandes reconventionnelles,

Condamné la société Hamel à payer à la société Denis la somme de 2.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la société Hamel aux dépens.

La société Hamel a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 10 avril 2016.

Par jugement du tribunal de commerce de Montauban du 13 juin 2017, la société Hamel a été placée en redressement judiciaire et Maître [H] [E] a été désigné mandataire judiciaire.

Par arrêt du 27 juin 2018, la cour d'appel de Paris a :

Confirmé le jugement,

Y ajoutant,

Déclaré recevable la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de la société Établissement Denis ;

L'a rejeté au fond ;

Condamné la société Hamel, représentée par Me [H] [E], ès-qualités de mandataire judiciaire aux dépens d'appe1, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et qui ne peuvent comprendre les frais de référé et d'expertise judiciaire, ainsi qu'à payer à la société Établissement Denis la somme supplémentaire de 15.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appe1 ;

Rejeté toute autre demande.

Par arrêt du 8 juillet 2020, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande reconventionnelle de la société Etablissements Denis et en ce que, y ajoutant, il déclare recevable la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de la société Etablissements Denis.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 7 mars 2022, la SARL Hamel et la SELARL MJ [E] & Associés,, représenté après son gérant, Me [H] [E], mandataire judiciaire, és qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Hamel, désigné à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Montauban du 13 juin 2018, qui ont saisi le 2 novembre 2020 la cour d'appel de Paris, désignée cour de renvoi, prient la Cour de :

Vu les articles 911 et 1037-1 du Code de procédure civile,

Vu l'article 2241 du Code civil,

Vu l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce dans sa version applicable à l'espèce,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2020,

Juger recevable l'action de la société Hamel ;

Juger que la société Denis, n'ayant pas conclu dans le délai imparti, est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé ;

Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 22 janvier 2016 (RG 2015F00412)

Et statuant à nouveau,

Juger que la société Denis s'est rendue coupable d'une rupture brutale de relation commerciale établie,

Condamner en conséquence la société Denis à payer à la société Hamel :

o la somme de 292.078,22 € au titre du préjudice matériel résultant du caractère brutal de la rupture,

o la somme de 200.000 € au titre du préjudice moral.

Débouter en tout état de cause la société Denis de l'ensemble de ses demandes,

Condamner la société Denis à payer à la société Hamel la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 7 avril 2022, la SAS Denis (anciennement dénommée Etablissements Denis) demande à la Cour de :

Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Montauban le 12 juin 2013

Vu les conclusions de la S.A.R.L Hamel signifiées le 25 septembre 2014

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 8 novembre 2017

Vu le certificat de non-pourvoi du 17 avril 2015

Vu l'arrêt du 8 novembre 2017

Vu les Articles 117 à 120 et 1037-1 du Code de procédure civile

Vu les articles L. 442 ' 6, I 5° L. 626-25, al. 3 et L. 626-25, al. 4 du Code de commerce

In limine litis,

Déclarer nul l'acte de signification de la déclaration de saisine et de conclusions délivré le 4 janvier 2021 à la requête de la société Hamel SARL pour défaut d'indication des mentions relatives à l'obligation de constituer un avocat du ressort de la cour d'appel de Paris, au délai de comparution, et au délai de deux mois pour conclure.

Déclarer nul l'acte de signification de la déclaration de saisine et de conclusions délivré le 4 janvier 2021 à la requête de la SELARL M.J. [E] & Associés, au motif d'une validité de l'acte affectée par l'absence de pouvoir de représentation par cette structure de l'intérêt collectif des créanciers, déterminant strictement le droit à agir du Commissaire à l'exécution du plan dûment désigné par le Tribunal de commerce.

Déclarer irrecevables les conclusions transmises par RPVA, conjointement pour le compte de la SARL Hamel et la SELARL MJ [E] & Associés, en raison de cette irrégularité de fond affectant la validité de l'acte.

Déclarer qu'en l'absence d'acte régulier de la SELARL MJ [E] & Associés, le délai de deux mois pour la communication des conclusions de la S.A.S. Denis n'a pas pu courir.

Accueillir la S.A.S. DENIS dans ses conclusions et les déclarer recevables.

A titre principal,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société Hamel SARL

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire, la société Hamel SARL était déclarée recevable en ses demandes,

Déclarer la société Hamel SARL mal fondée en ses demandes,

Débouter la société Hamel SARL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause et y ajoutant,

Condamner la S.A.R.L Hamel à payer un montant de 50.000 € à la S.A.S. Denis au regard d'une procédure considérée comme abusive ;

Ordonner la publication de la décision à intervenir, la S.A.R.L Hamel supportant le coût d'une parution dans deux journaux spécialisés à destination du secteur agricole ;

Condamner la S.A.R.L. Hamel à payer à la S.A.S. Denis la somme de 25 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris ceux de référés et d'expertise.

MOTIVATION

Sur l'irrecevabilité des conclusions de la société Denis

La SARL Hamel soutient que la SAS Denis n'a pas respecté le délai de deux mois de signification de ses conclusions de l'article 1037-1 alinéa 4 du Code de procédure civile, de sorte qu'en vertu de l'alinéa 6 de cet article, elle doit être réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la cour d'appel dont l'arrêt est cassé.

La SAS Denis rétorque que le délai pour conclure n'a pas couru en raison de la nullité de l'acte de signification de l'avis de saisine et des conclusions sur renvoi de la SARL Hamel pour défaut d'indication des mentions requises, à savoir : l'obligation de constituer un avocat du ressort de la cour d'appel de Paris, le délai de comparution et le délai de deux mois pour conclure à partir des conclusions de l'appelant.

Elle soulève également la nullité des actes de la SELARL MJ [E] & Associés, personne morale, pour défaut de pouvoir de représentation de la masse des créanciers de la SARL Hamel, en remplacement de Me [E], personne physique, dont notamment la déclaration de saisine de la Cour sur renvoi de cassation délivré le 4 janvier 2021 et les actes subséquents.

Elle en déduit que la SELARL MJ [E] & Associés et la SARL Hamel ayant conjointement, en un acte de procédure unique, fait signifier l'acte de déclaration de saisine et leurs conclusions, cette irrégularité de fond entachant de nullité l'acte, emporterait la disparition de l'acte de procédure constituant le point de départ du délai pour dépôt de conclusions en réplique et en conséquence, qu'il doit être considéré qu'elle a régulièrement communiqué ses écritures

Réponse de la Cour

L'article 1037-1 alinéa 4 du Code de procédure civile prévoit qu'en cas de renvoi devant la Cour d'appel, « les parties adverses remettent et notifient leurs conclusions dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'auteur de la déclaration » et l'alinéa 6 précise le cas échéant que « les parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation, qui ne respectent pas ces délais sont réputées s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elles avaient soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé ». En application de l'article 911 du code précité, applicable par renvoi, le délai court à compter de la notification des conclusions de l'appelant aux avocats des parties ou de leur signification aux parties si elles n'ont pas encore constitué d'avocats, c'est à dire à compter de la remise de l'acte contenant les conclusions.

En l'espèce, faute de constitution d'avocat de la part de la SAS Denis, la SARL Hamel lui a signifié par acte d'huissier ses conclusions déposées sur le RPVA le 23 décembre 2020, le 4 janvier 2021 (pièce n° 28 appelantes). Or la société Denis n'a notifié ses conclusions en réponse que le 6 mai 2021, soit postérieurement au délai de deux mois qui lui était imparti.

C'est vainement que la société Denis soutient que l'acte de signification du 4 janvier 2021 serait nul, faute de reprise dans l'acte d'huissier du contenu des articles 1037-1 et 911 du code de procédure civile visés en gras, de mention de l'obligation de constituer un avocat du ressort de la cour d'appel de Paris, de l'obligation relative au délai de comparution ou au délai pour conclure alors qu'elle ne justifie pas d'un texte prescrivant de telles obligations et ce, à peine de nullité.

Elle invoque encore de manière inopérante l'irrégularité de fond affectant la nullité de la déclaration de saisine et les actes subséquents sur le fondement de l'article 117 du code de procédure civile, faute de production d'un jugement attribuant à la SELARL MJ [E] & Associés, pouvoir de représenter la masse des créanciers en remplacement de Me [E], personne physique. En effet, par jugement du 13 juin 2017, le tribunal de commerce de Montauban, a placé la société Hamel en redressement judiciaire et désigné Me [H] [E] mandataire judiciaire, par jugement du 13 juin 2018, ce même tribunal a désigné Me [H] [E], gérant de la SELARL M.J. [E] & Associés, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Hamel, puis, par ordonnance du 31 décembre 2019, le président de cette juridiction a constaté la modification des modalités d'exercice de la profession de Me [H] [E] et a ordonné la substitution de Me [H] [E] par la SELARL MJ [E] & Associés dans l'ensemble des mandats annexés à la requête dans lesquels Me [H] [E] est actuellement en fonction, ce à compter du 1er janvier 2020 (pièce n° 30 appelant). Aucune nullité n'affectant les actes de procédure établis à la demande de la SELARL MJ [E] & Associés, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la SARL Hamel, notamment la déclaration de saisine de la Cour sur renvoi de cassation et les actes subséquents, n'est donc démontrée.

Les conclusions signifiées le 4 janvier 2021 à la société Denis ont fait courir le délai de deux mois impartis à la société Denis pour conclure.

En conséquence du non repect de ce délai, les conclusions de la SAS Denis du 6 mai 2021 sont irrecevables et, par voie de conséquence, celles du 7 avril 2022.

Il s'ensuit que la SAS Denis est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la Cour d'appel dont l'arrêt est cassé, à savoir celles déposées et notifiées le 14 mai 2018 :

'Vu les articles L. 442 ' 6, I 5°, L. 110-4, I et D. 442-3 du Code de commerce.

Vu l'article 2243 du Code civil.

Vu la lettre recommandée de la S.A.R.L Hamel du 17 septembre 2009.

Vu les conclusions de la S.A.R.L Hamel signifiées le 25 septembre 2014.

Vu le certificat de non-pourvoi du 17 avril 2015.

Vu l'arrêt du 8 novembre 2017.

Constater que le délai de prescription de cinq années de l'action pour rupture brutale des relations commerciales suivies ne peut courir qu'à compter du 17 septembre 2014 au plus tard, soit à compter de la prise d'acte par la S.A.R.L Hamel de la rupture des relations commerciales prise à l'initiative de la S.A.S. Établissements Denis ;

Constater que l'arrêt rendu le 18 novembre 2014 par la Cour d'appel de Toulouse est définitif ;

Constater que la SARL Hamel se plaignait en cause d'appel de la rupture brutale de relations commerciales suivies par conclusions signifiées le 2 décembre 2013 ;

Dire et juger que l'interruption de la prescription évoquée par la SARL Hamel est non avenue en ce que sa demande a été définitivement rejetée ;

Constater que l'assignation délivrée le 2 avril 2015, soit après l'expiration du délai de prescription de cinq années, vise finalement la demande de réparation de la rupture brutale et abusive de relations commerciales suivies, au visa d'un dispositif légal d'ailleurs inexact ;

Dire et juger que la prescription est acquise à la S.A.S. Établissements Denis ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la SARL Hamel irrecevable en ses demandes.

A titre subsidiaire :

Si par extraordinaire, la S.A.R.L Hamel était reconnue recevable en sa demande

Vu les articles L. 442 ' 6, I 5° du Code de commerce

Constater que la S.A.R.L Hamel n'apporte pas la justification de l'existence d'un accord -cadre, ou bien d'une garantie d'un volume de chiffres d'affaires ou d'une zone d'exclusivité territoriale à son bénéfice, ou de tout autre élément caractérisant la stabilité et la pérennisation des relations contractuelles ;

Constater l'absence de tout accord écrit déterminant le cadre des relations contractuelles des parties ;

Prendre acte, à défaut de convention cadre, la négociation, chantier par chantier, des rapports contractuels pour chaque client ;

Constater l'information par la S.A.S. Établissements Denis, quatre mois à l'avance, du changement des rapports contractuels ;

Constater que la rupture de relations peut intervenir, sans préavis, dans le cas d'un état de relations dégradées des parties, ce qui résulte des échanges de correspondances de la S.A.S. Établissements Denis et de la S.A.R.L Hamel ;

Dire et juger que seule la réparation d'une rupture brutale peut intervenir et non de ses effets ;

Constater que la SARL Hamel sollicite l'indemnisation des conséquences de la fin de ses relations avec la S.A.S. Établissements Denis ;

Dire et juger la demande de réparation de la S.A.R.L Hamel sur ce fondement juridique comme non fondée.

En tout état de cause :

La débouter de l'ensemble de ses demandes.

En tout état de cause :

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la S.A.S Établissements Denis de ses demandes reconventionnelles ;

Et, statuant à nouveau,

Condamner Maître [H] [E] ès qualité de Mandataire judiciaire de la SARL Hamel à payer un montant de 50.000 € à la S.A.S. Établissements Denis au regard d'une procédure considérée comme abusive ;

Ordonner la publication de la décision à intervenir, Maître [H] [E] ès qualité de Mandataire judiciaire de la SARL Hamel supportant le coût d'une parution dans deux journaux spécialisés à destination du secteur agricole ;

Condamner Maître [H] [E] ès qualité de Mandataire judiciaire de la SARL Hamel à payer à la S.A.S. Établissements Denis la somme de 25 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris ceux de référés et d'expertise, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles.'

Sur la prescription de l'action fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

La SARL Hamel soutient que la prescription de l'action fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce a été interrompue par la première action intentée par la société Hamel devant le tribunal de commerce de Montauban et que le délai a été suspendu par l'ordonnance de référé rendue le 28 octobre 2009 jusqu'au dépôt du rapport d'expertise le 7 janvier 2012, dès lors que les deux actions de la société Hamel procèderaient des mêmes faits et de la même cause et tendraient à un seul et même but. Elle en déduit que son action intentée le 2 avril 2015 devant le tribunal de commerce de Bordeaux n'est pas prescrite.

Dans ses conclusions du 14 mai 2018, la société Denis oppose la prescription de cette action.

Elle soutient que la demande présentée à son encontre par la société Hamel dans le cadre d'une précédente instance engagée par la société Silo des quatre chemins le 13 mars 2012, devant le tribunal de commerce de Montauban, n'a eu aucune effet interruptif de prescription, s'agissant d'une demande en réparation de son préjudice commercial sur le fondement de la responsabilité contractuelle, l'article 1147 ancien du code civil étant spécifiquement visé, pour des actes de dénigrement et de manquement à ses obligations contractuelles par une modification unilatérale des conditions contractuelles.

Elle ajoute que la société Hamel dans ses conclusions du 25 septembre 2014 devant la cour d'appel de Toulouse avait spécialement précisé qu'elle ne formulait aucune demande sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce à son encontre.

Elle soutient que le point de départ du délai de prescription est en l'espèce le 17 septembre 2009, date de la notification de la rupture et que les deux demandes successives formulées à son encontre par la société Hamel dans le cadre de ces deux instances distinctes ne sont pas liées, ces deux actions ne tendant pas au même objet.

Réponse de la Cour,

Aux termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.

Le point de départ du délai de prescription quinquennale d'une action en réparation d'une rupture brutale de relation commerciale établie est en principe fixé par la notification du préavis de rupture à celui qui s'en prétend victime dès lors qu'il en a pris connaissance.

Si en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoi qu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de sorte que la deuxième est virtuellement comprise dans la première.

En l'espèce, la SAS Denis a mis un terme à ses relations commerciales aux conditions antérieures avec la SARL Hamel par courrier reçu le 17 septembre 2009. Par suite, la SARL Hamel disposait d'un délai de cinq ans pour agir en indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies à compter de cette date.

Cependant, le demande présentée par la société Hamel devant le tribunal de commerce Montauban dans le cadre du litige opposant les parties à la société Silo des quatre chemins, poursuivie devant la cour d'appel de Toulouse, tendait sur le fondement de la responsabilité contractuelle à obtenir l'indemnisation de la perte de marge commerciale qu'elle prétendait avoir subi par suite de la modification unilatérale des conditions commerciales qui lui avaient été imposée par la société Etablissements Denis dans sa lettre de rupture ainsi qu'il ressort du courrier du 2 septembre 2009 dans lequel elle lui déclare « se voir imposer » de mettre un terme à leurs relations commerciales et elle lui annonce que ses taux de remise sur ses catalogues seront ramenés à 0 % à compter du 1er octobre 2010.

Dans ses conclusions en réponse déposées devant la Cour d'appel de Toulouse, la SARL Hamel soutient que c'est la modification des conditions d'approvisionnement, notamment la suppression des remises commerciales et les conditions de paiement, ainsi que le dénigrement opéré par la SAS Denis auprès des agriculteurs, ayant pour but de la mettre au ban du secteur d'activité spécialisé, qui lui a causé un préjudice commercial dont elle demande réparation (pièce n° 30 intimée), invoquant l'atteinte à son image commerciale du fait du dénigrement et la modification unilatérale des conditions contractuelles.

Ainsi les faits dénoncés devant le tribunal de commerce de Montauban et la cour d'appel de Toulouse par la société Hamel sont les mêmes que ceux invoqués par cette dernière devant le tribunal de commerce de Bordeaux au soutien de sa demande fondée sur l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce. Les actions tendent toutes deux à la réparation du préjudice résultant de la modification unilatérale des conditions commerciales, si bien que l'action devant le tribunal de commerce de Bordeaux est virtuellement comprise dans la première action.

Il s'ensuit que le délai de prescription a cessé de courir entre l'assignation délivrée le 13 mars 2012, date à laquelle la SARL Hamel a formulé ses demandes reconventionnelles et l'arrêt définitif rendu par la Cour d'appel de Toulouse le 18 novembre 2014.

Au regard de l'interruption du délai de prescription de l'action de la SARL Hamel à l'encontre de la SAS Denis du 13 mars 2012 au 18 novembre 2014, la société Hamel se trouvait toujours dans le délai pour agir lorsqu'elle a assigné la société Denis le 2 avril 2015 sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce.

Le moyen pris de l'irrecevabilité de la demande de la société Hamel pour cause de prescription est rejeté.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

La société Hamel soutient avoir entretenu une relation commerciale établie avec la SAS Denis, avoir été victime d'une rupture brutale de la part de cette dernière sans qu'un délai raisonnable n'ait été observé, de sorte qu'elle subit un préjudice qui doit être réparé.

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.

*Sur le caractère établi de la relation.

La SARL Hamel fait valoir que la relation commerciale entre M. Hamel puis la société Hamel et la société Denis s'est poursuivie pendant plus de 30 ans et qu'il s'agissait d'une relation importante à caractère privilégié allant croissant, laissant l'appelante légitiment s'attendre à une poursuite de la relation sur le long terme.

La SAS Denis réfute l'existence d'un accord cadre tarifaire global, d'un accord de distribution exclusif ou d'une quelconque autre convention particulière entre les parties et estime que sa relation avec la société Hamel était un rapport contractuel précaire résultant de la succession de contrats de vente, discutés au cas par cas, pour chacun des chantiers traités par elle, sans fixation d'un quelconque partenariat commercial.

Réponse de la Cour,

Une relation commerciale « établie » présente un caractère « suivi, stable et habituel » et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

L'absence d'un accord cadre ne suffit pas à exclure l'existence d'un courant d'affaires entre les intéressées ayant conclu une succession de contrats même ponctuels s'il est démontré un caractère stable et régulier de la relation.

En l'espèce, la Cour observe que les premières commandes passées par M. Hamel, puis la société Hamel, remontent à 1976, que les commandes sont régulières, et que la relation s'étend sur une période plus de 30 ans, que la société Hamel bénéficiait de remises systématiques, outre des remises exceptionnelles régulières sur les prix ainsi qu'en atteste les factures produites (pièces n° 4-1 et 4-2 , 5-1à 5-6 appelante). Le 21 octobre 2008, la société Etablissements Denis a informé la société Hamel de la redirection systématique à son profit des demandes concernant le département 31, traduisant ainsi un partenariat privilégié bien que non exclusif. Les parties ayant exprimé leur volonté commune d'intensifier leur relation, la société Hamel pouvait légitimement s'attendre à une poursuite de la relation commerciale avec la société Denis (pièce n° 11 appelantes).

L'existence d'une relation commerciale établie est démontrée.

* Sur la brutalité de la rupture.

La société Hamel soutient que la société Denis a brutalement rompu la relation commerciale en modifiant unilatéralement les conditions commerciales en supprimant les renvois de clients et les conditions tarifaires préférentielles qui lui étaient jusque-là accordés et rendant la prise de commande plus difficile, et ce avec un préavis de moins de 3 mois et demi. Elle ajoute que la société Denis a compliqué la passation des commandes, ne lui a plus envoyé de nouveaux clients et ne l'a plus mise en avant, de sorte qu'elle n'a plus eu d'autre choix que de se tourner vers d'autres fournisseurs. Elle estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 24 mois pour cette rupture brutale totale immédiate.

La société Denis dénie toute situation de dépendance économique de la société Hamel, faisant valoir que le chiffre d'affaires réalisé par la société Hamel avec elle représente un montant dérisoire par rapport à son chiffre d'affaires global, ajoutant que l'année 2008 - 2009, conjoncturellement propice et exceptionnel en comparaison du chiffre d'affaires de la société.

Réponse de la Cour,

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Si la SAS Denis était libre de rompre ou de modifier substantiellement la relation commerciale avec son partenaire commercial, elle était tenue de l'en aviser par écrit en lui accordant un préavis suffisant.

En l'espèce, un différend a opposé les parties à la suite de désordres survenus sur un ouvrage réalisé par la société Hamel avec le matériel de la société Denis.

C'est dans ces conditions que la société Denis a indiqué par lettre (LRAR) du 2 septembre 2009 à la société Hamel :

'(...)

Par ailleurs, votre incompétence et l'attitude que vous adoptez visant à discréditer systématiquement le constructeur devant le client, sans jamais vous remettre en question, nous imposent de mettre un terme à nos relations commerciales.

M.[ X] sera libre de réorganiser le secteur selon les compétences des installateurs et revendeurs. Enfin, vos taux de remise sur les catalogues DENIS seront ramenés à 0 % à partir du 1er janvier 2010".

Ce faisant, la société Denis a modifié unilatéralement, de façon substantielle et sans motif valable, ses relations commerciales avec la société Hamel, en supprimant à partir du 1er janvier 2010 les remises commerciales accordées à la société Hamel ainsi que la distribution des produits sur les départements qui lui avait été attribués. Puis, la SAS Denis invoquant des impayés, a modifié ses conditions de règlement exigeant un règlement avant enlèvement contrairement aux usages en cours.

Une relation commerciale stable de plus de 30 ans est établie entre les parties et une rupture partielle à compter du 1er janvier 2010.

Selon l'attestation comptable de la SARL Hamel (pièce n° 12 appelantes), en 2008 le pourcentage des achats de la société Hamel auprès de la SAS Denis représentait 83,16 % de de ses achats et le pourcentage de l'activité « équipement pour la manutention et le stockage du grain » de la société Hamel représentait 38,58 % de son chiffre d'affaires total.

Cependant, les exercices 2008 et 2009 présentent un caractère exceptionnel, lié à la conjoncture économique particulièrement favorable au secteur céréalier durant cette période.

En outre, si la société Hamel dit avoir vu dans la nouvelle gamme de cellules de stockage développée par la société Denis et mise en vente au mois de mars 2007, une possibilité de redéploiement de son activité commerciale, celle-ci n'apporte aucun élément supplémentaire antérieur à 2008 concernant le reste de son activité établissant la part du chiffre d'affaires réalisé avec son partenaire au regard de son chiffre d'affaires global, permettant d'établir une situation de dépendance économique vis-à-vis de la SAS Denis.

Les relations entre la SARL Hamel et la SAS Denis ne reposaient sur aucune exclusivité, et si le pourcentage des achats de la SARL Hamel auprès de la SAS Denis a considérablement baissé dans les années suivant la rupture, passant de 84,21 % en 2009 à 6,13 % en 2010, la société Hamel ne justifie pas de difficultés particulières pour se fournir auprès d'autres partenaires commerciaux et pas davantage de la spécificité du marché en cause.

Prenant en compte l'absence de dépendance économique, l'absence de difficulté particulière à trouver un autre partenaire de rang équivalent mais également la durée des relations commerciales établies de plus de 30 ans, l'octroi d'un préavis de 3 mois et demi était insuffisant pour permettre à l'intéressée de réorganiser son activité.

La durée du préavis nécessaire doit être fixée à 9 mois.

La rupture intervenue est donc brutale.

* Sur les dommages-intérêts en réparation de la brutalité de la rupture.

La brutalité de la rupture, seule indemnisable, est réparée par l'octroi d'une indemnité égale à la marge brute sur coûts variables qui aurait pu être réalisée pendant la durée de préavis manquante.

En l'espèce la durée de préavis manquante est de 5 mois et demi.

Les parties ne font état que d'une marge brute.

Au vu des pièces comptables produites à compter du 1er octobre 2007 par la société Hamel et du chiffre d'affaires réalisé par la société Denis avec la société Hamel de 2005 à 2010, la Cour dispose d'éléments suffisants pour évaluer le préjudice subi par la société Hamel du fait de la brutalité de la rupture ainsi qu'il suit :

Octobre 2007 - octobre 2008 :

483 907 €HT (CA réalisé par la vente de matériel Denis, soit CA total 581 899 x 83,16 %, part de produits Denis dans le CA) - 305 302 €HT (montant des achats auprès de Denis) = 178 605 € HT de marge brute.

Octobre 2008 - octobre 2009 :

413 429 €HT (CA réalisé par la vente de matériel Denis, soit CA total 490 950 x 84,21 %, part de produits Denis dans le CA) -299 956 €HT (montant des achats auprès de Denis) = 113 473 €HT de marge brute.

Octobre 2006 -octobre 2007 :

les données n'étant pas fournies par la société Hamel, il sera retenu par extrapolation du chiffre d'affaires réalisé en 2008 par la société Denis avec la société Hamel de 467 215 € correspondant à un chiffre d'affaires réalisé par la société Hamel avec la société Denis de 483 907 € cette même année, et du chiffre d'affaires réalisé en 2007 par la société Denis avec la société Hamel de 28 000 €, un chiffre d'affaires réalisé par la société Hamel avec la société Denis de 29 000 € cette même année, soit environ 10 000 € de marge brute.

Il résulte de ces éléments une marge brute moyenne par an de 100 692 €HT et une moyenne mensuelle de 8391 €, soit une somme arrondie à 46 151 €, au titre des 5 mois et demi de préavis manquant que la société Denis est condamnée à payer à la société Hamel.

La brutalité de la rupture après des relations commerciales de 30 ans a causé un préjudice moral à la société Hamel qui sera réparé par l'allocation de la somme de 20 000 euros.

* Sur la demande reconventionnelle de la SAS Denis en dommages-intérêts pour procédure abusive

La présente cour de renvoi n'est pas saisie de ce chef de demande sur lequel il a été statué définitivement.

* Sur la demande de la société Denis de publication judiciaire de la présente décision.

La cour de renvoi n'est pas saisie de ce chef de demande sur lequel il a été statué définitivement.

* Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le sens du présent arrêt justifie d'infirmer le jugement en ce que celui-ci a condamné la société Hamel aux dépens et à payer une somme de 2 500 euros à la société Denis au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau, il y a lieu de condamner la société Denis aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Hamel la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la demande de la société Denis sur ce fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale financière et économique du 31 mars 2021,

Dans la limite de sa saisine,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 22 janvier 2016 en ce qu'il a déclaré irrecevable les demandes formulées par la société Hamel ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que n'ayant pas conclu dans le délai imparti par l'article 1037-1 alinéa 4 du code de procédure civile, la SAS Denis est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé en application de l'article 1037-1 alinéa 6 du Code de procédure civile ;

Déclare l'action de la société Hamel recevable ;

Condamne la société Denis à payer à la société Hamel sur le fondement de l'article L 442-6, I 5°du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, la somme de 46 151 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du délai de préavis manquant, outre la somme de 20 000€ au titre du préjudice moral ;

La Condamne aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;