CA Pau, 2e ch. sect. 1, 18 décembre 2008, n° 07/03297
PAU
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Larque
Conseillers :
M. Fouasse, M. Darracq
Avoués :
SCP de Ginestet-Duale-Ligney, SCP P. Marbot-S. Crepin
Avocats :
Me Karabatsos, Me Lucq
Faits et procédure :
Messieurs Jules PELLETIER et Bertrand PELLETIER étaient associés commanditaires de la Banque PELLETIER, société en commandite par actions ayant pour seul gérant Monsieur Philippe BLANC.
Le Tribunal de commerce de PAU, par décision du 18 mai 2004, a condamné la Banque PELLETIER à payer à Maître COURREGES, ès qualités de liquidateur de la société MCO, la somme de 462 917,99 euros pour soutien abusif : les commanditaires ayant la qualité d'actionnaires, supportent les pertes à concurrence de leurs apports (article L. 226-1 du Code de commerce) et, à ce titre, Messieurs Jules et Bertrand PELLETIER ont payé la somme de 206 439,99 euros ;
Par acte du 31 janvier 2005, Messieurs Jules et Bertrand PELLETIER ont fait assigner Monsieur Philippe BLANC en paiement de cette somme l'estimant responsable de leur préjudice financier au titre de ses fautes de gestion.
Par jugement du 17 septembre 2007, le Tribunal de commerce de Bayonne a condamné Monsieur Philippe BLANC à payer à Messieurs Jules et Bertrand PELLETIER la somme de 96 320 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2005, avec exécution provisoire, outre la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC.
Par déclaration déposée au greffe le 9 octobre 2007 Monsieur Philippe BLANC a relevé appel de cette décision.
Moyens et prétentions des parties :
A l'appui de son appel, Monsieur Philippe BLANC fait valoir que l'action des intimés n'est pas recevable dans la mesure où ces derniers ne font pas état d'un préjudice distinct de celui subi par la banque ; subsidiairement il soutient que les consorts PELLETIER échouent dans l'administration de la preuve des fautes de gestion qui lui seraient directement imputables, et que le Tribunal de commerce a, en tout état de cause, mal déterminé le quantum de la réparation allouée aux intimés.
Monsieur Philippe BLANC demande à la Cour de :
REFORMANT en son entier ce jugement de première instance et statuant à nouveau,
A titre principal :
DEBOUTER Monsieur Jules PELLETIER et Monsieur Bertrand PELLETIER de l'ensemble de leurs demandes, fins et assignation,
Par suite DECLARER irrecevable l'action intentée par Monsieur Jules PELLETIER et Monsieur Bertrand PELLETIER,
A titre subsidiaire
DECLARER que Monsieur Jules PELLETIER et Monsieur Bertrand PELLETIER sont les seuls débiteurs du versement conventionnel de réduction de prix qu'ils ont effectué afin de corriger le prix contractuel de cession de leurs actions,
DECLARER qu'ils n'ont ainsi subi aucun préjudice, le prix corrigé des actions étant le prix conventionnellement fixé,
DECLARER qu'ils n'établissent aucune faute imputable personnellement à Monsieur Philippe BLANC ;
En tout état de cause,
CONDAMNER Monsieur Jules PELLETIER et Monsieur Bertrand PELLETIER à payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en raison du caractère abusif et infondé de la procédure,
CONDAMNER Monsieur Jules PELLETIER et Monsieur Bertrand PELLETIER à payer à Monsieur Philippe BLANC la somme de 12.000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Messieurs Jules et Bertrand PELLETIER s'opposent à ces demandes et font valoir qu'en leur qualité d'associés commanditaires, ils ne participaient pas à la gestion de la Banque PELLETIER, et que l'origine de leur préjudice financier réside dans la faute du gérant de la banque, Monsieur Philippe BLANC.
Ils soutiennent que la Banque PELLETIER n'a subi aucun préjudice, la garantie du passif ayant permis à cette personne morale de recouvrer les sommes mises à sa charge par le Tribunal de commerce de PAU, et que la perte de valeur de la chose livrée (les actions de la banque) n'en constitue pas moins pour eux un préjudice personnel indépendant de celui de la banque.
Ils demandent à la Cour de débouter Monsieur Philippe BLANC de toutes ses demandes, de confirmer le jugement entrepris et condamner l'appelant au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 10 juin 2008 et l'affaire fixée à l'audience du 13 octobre 2008 pour y être plaidée.
Vu les conclusions déposées à la clôture.
MOTIFS de la DECISION :
Il convient d'abord de rappeler certains éléments factuels de ce dossier :
Par jugement du 18 mai 2004, le Tribunal de commerce de PAU a condamné la Banque PELLETIER à payer à Maître COURREGES, ès qualités de liquidateur de la société MANUFACTURE de CHAUSSURES ORTHEZIENNE (MCO) la somme de 462 917,99 euros plus intérêts de droit à dater de l'assignation pour s'être rendue coupable de soutien abusif de la société MCO et qu'elle a engagé sa responsabilité quasi délictuelle.
Dans ses motifs, le Tribunal indique que l'exercice clos au 30 juin 1999 faisait apparaître des capitaux propres négatifs pour 1 190 582 francs, soit 181 503,05 € et que la situation au 4 octobre 2000 laissait apparaître un solde débiteur de 6 765 000 francs, soit 1 031 137,60 € ; qu'ainsi la situation de la société MCO était depuis longtemps largement compromise.
Par ailleurs, le Tribunal mentionne que la Banque PELLETIER ne pouvait ignorer cette situation puisqu'elle était actionnaire de cette société.
Suite à cette décision, Messieurs Jules et Bertrand PELLETIER ont engagé la présente action à l'encontre de Monsieur Philippe BLANC soutenant qu'en sa qualité de gérant de la société Banque PELLETIER, il était responsable du préjudice financier subi par eux, du fait de sa faute de gestion, dans le cadre du soutien abusif accordé à la société MCO.
Il y a lieu tout d'abord de noter que la faute de la banque pour soutien abusif ne peut être remise en cause : le jugement définitif du Tribunal de commerce de PAU du 18 mai 2004 a fixé les responsabilités et les condamnations.
Par ailleurs, il sera rappelé que comme les administrateurs de sociétés anonymes, les gérants de sociétés en commandite par actions, associés ou non, sont responsables envers la société et envers les tiers des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires, des violations des statuts et des fautes commises dans leur gestion, étant précisé que le régime de la responsabilité contre le gérant est le même que celui applicable aux administrateurs de sociétés anonymes : articles L. 225-251 et 225-252 du Code de commerce.
Dans ce cadre, la demande présentée par les appelants doit d'abord être appréciée au regard des dispositions de l'article L. 225-252 du Code de commerce :
"Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-120, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le Directeur général."
Il résulte donc de cet article que seule l'action individuelle est, dans le cas présent, ouverte aux consorts PELLETIER puisqu'ils n'ont plus la qualité d'associé.
L'action individuelle peut être exercée par un associé au moment des faits en cause qui fournit les éléments de son propre préjudice, distinct de celui subi par la société.
En l'espèce, les consorts PELLETIER ont, sans contestation, subi un préjudice du fait de la décision du Tribunal de commerce de PAU du 18 mai 2004, étant alors associés commanditaires de la société condamnée, et à ce titre, devant supporter les pertes à concurrence de leurs actions.
Cependant, en l'espèce, il apparaît que ce préjudice n'est que le corollaire du dommage causé à la société et n'a donc pas de caractère personnel : en effet, les fautes commises par le gérant n'ont pas causé aux consorts PELLETIER un préjudice personnel distinct du préjudice social puisque la dépréciation des titres (diminution de leur valeur recalculée au jour de la vente) même découlant des agissements fautifs du gérant de la société constitue, non un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même.
C'est bien la BANQUE PELLETIER qui a été condamnée par la décision du Tribunal de commerce de PAU du 18 mai 2005 à payer à Maître COURREGES ès qualités de liquidateur de la société MCO, même si au rapport de leurs engagements en tant que commanditaires, les consorts PELLETIER ont payé la somme de 206 439,99 euros - somme effectivement versée le 18 mai 2004.
Leur préjudice est donc bien le corollaire du préjudice de la banque, et ils ne peuvent dès lors actionner une action individuelle indépendante.
La décision entreprise sera donc réformée en toutes ses dispositions et Messieurs PELLETIER déboutés de l'ensemble de leurs demandes et condamnés au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, la demande en dommages et intérêts étant rejetée faute de fondement justifié.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Déclare Monsieur Philippe BLANC bien fondé en son appel,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Déboute Messieurs PELLETIER de l'ensemble de leurs demandes,
Condamne Monsieur Jules PELLETIER et Monsieur Bertrand PELLETIER au paiement de la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC.
Les condamne aux entiers dépens tant de première instance que d'appel et autorise la SCP De GINESTET - DUALE - LIGNEY avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel suivant les dispositions de l'article 699 du CPC.