Cass. com., 7 septembre 2022, n° 21-13.505
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
CFCAI
Défendeur :
Stolz Sequipag
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Bellino
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Jean-Philippe Caston, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société CFCAI de sa reprise de l'instance en tant que venant aux droits de la société Consortium français de constructeurs pour l'agro industrie.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 14 janvier 2021), la société Stolz Sequipag (la société Stolz) a lancé en 2015 la fabrication d'une gamme de séchoirs industriels.
3. Faisant valoir que la conception de ces produits avait été réalisée grâce au détournement de ses fichiers techniques et commerciaux à la suite du licenciement d'un de ses salariés devenu directeur industriel de la société Stolz, la société Consortium français de constructeurs pour l'agro industrie, devenue la société CFCAI (la société CFCAI), a assigné la société Stolz en concurrence déloyale aux fins de voir ordonner l'interruption de la fabrication et de la commercialisation des séchoirs et indemniser ses préjudices.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société CFCAI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, dirigées contre la société Stolz, tendant à l'interruption de la fabrication et de la commercialisation de séchoirs industriels, ainsi qu'à l'indemnisation des dommages subis, alors « que l'appropriation, par des procédés déloyaux, d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent constitue un acte de concurrence déloyale ; qu'en considérant, d'une part, pour écarter tout acte de concurrence déloyale consistant dans l'appréhension et l'utilisation du savoir-faire par le détournement de données techniques, que l'expert judiciaire avait souligné dans son rapport que, pour chacun des fabricants de séchoirs industriels, le principe fondateur restait identique puisque commun aux colonnes de séchage continu, que c'était l'état de la technique de ce type de process qui dictait la méthodologie de construction et de fonctionnement et qu'il ne pouvait donc être reproché aux séchoirs de la société Stolz de présenter la même architecture et décomposition fonctionnelle que les séchoirs fabriqués par la société CFCAI et d'avoir, pour ce faire, profité et bénéficié de l'état de la technique inhérente à ce type de matériel, en réalisant notamment des économies pouvant être mises à profit par la suite, pour se consacrer à la recherche d'innovations par rapport aux modèles de séchoirs de la société CFCAI, outre qu'il ne pouvait également être reproché à la société Stolz l'utilisation de la même technologie créant nécessairement des similitudes dans la conception de la case de séchage, de même qu'il ne pouvait davantage être reproché un transfert des compétences professionnelles de MM. [X] et [B], anciens salariés de la société CFCAI, même si cela avait nécessairement contribué à la conception, la fabrication, puis la commercialisation de séchoirs à grains plus novateurs et plus modernes et, d'autre part, au titre du détournement des données commerciales, que la connaissance, par M. [X], désormais employé par la société Stolz, des données commerciales de la société CFCAI (devis, liste des fournisseurs et prestataires, tarifs négociés et prix pratiqués par eux, coûts de revient, prix de vente et marges) était inhérente à l'exercice de ses fonctions de président directeur général et d'actionnaire de la société CFCAI et que l'appropriation de ces données par la société Stolz n'était pas constitutive d'actes de concurrence déloyale, de même que le simple fait d'avoir trouvé ces données commerciales de la société CFCAI sur le serveur de la société Stolz était insuffisant pour démontrer qu'elle s'en serait servi comme mode d'emploi exhaustif "clé en main" pour lui permettre de se lancer dans le domaine de la fabrication et de la commercialisation de séchoirs industriels, pour former des propositions concurrentes auprès de clients communs, voire pratiquer des prix plus bas pour obtenir des marchés auprès d'eux, outre encore que le fait d'utiliser les connaissances de son employé, M. [X], à qui il ne saurait être reproché de les avoir mises à la disposition de son nouvel employeur, ce d'autant qu'il n'était lié par aucune clause de non-concurrence à la société CFCAI, ne pouvait être considéré comme constitutif d'un acte de concurrence déloyale, de sorte qu'aucun acte de concurrence déloyale n'avait été commis par la société Stolz au préjudice de la société CFCAI, quand la seule appropriation, par la société Stolz, par des procédés déloyaux, d'informations confidentielles relatives à l'activité et à la clientèle de la société CFCAI, dûment constatée, constituait un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
5. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
6. Pour dire qu'aucun acte de concurrence déloyale consistant dans le détournement des données techniques et commerciales de la société CFCAI n'est démontré et rejeter les demandes de cette société, l'arrêt constate qu'il n'est pas contesté que lors du constat d'huissier de justice réalisé au siège social de la société Stolz, ont été trouvés des documents présentant les caractéristiques détaillées des séchoirs des marques phares de la société CFCAI, des rapports de diagnostics énergétiques commandés et financés par cette société, des documents commerciaux avec données sur les prix de revient, les taux de marge et les prix de vente des séchoirs lui appartenant ainsi que d'autres documents saisis sur le réseau informatique de la société Stolz. Il relève que, selon l'expert judiciairement désigné, le transfert de compétences entre les deux sociétés, résultant du départ de l'ancien président et du responsable du bureau d'études de la société CFCAI pour être embauchés par la société Stolz, et de la présence de documents confidentiels, techniques et commerciaux en provenance de la société CFCAI sur des supports informatiques de la société Stolz, peut avoir eu un impact sur la rapidité de développement par cette dernière de sa propre gamme de matériels s'agissant du cœur du process de séchage, que la communication par courriel du plan de la case standard de la société CFCAI par ces anciens salariés le 19 novembre 2014 a pu conférer à la société Stolz un avantage décisif dans la rapidité de développement de sa propre gamme de produits, particulièrement s'agissant des fourreaux d'air de colonne de séchage mais que, à l'exception de ces derniers, bon nombre de solutions techniques mises en œuvre par la société Stolz sont des évolutions et optimisations des solutions techniques utilisées par la concurrence, sur lesquelles la société CFCAI ne détient pas de monopole. L'arrêt relève encore que les similitudes concernant ces éléments peuvent résulter du transfert de compétences entre la société CFCAI et la société Stolz lié aux départs en cause, sans qu'aucune manœuvre frauduleuse puisse être caractérisée à l'encontre de la société Stolz. Il retient que ces seuls points de similitudes sont insuffisants pour démontrer le pillage des secrets de fabrication permettant à la société Stolz de bénéficier du savoir-faire propre acquis par la société CFCAI. Il ajoute qu'il ne peut davantage lui être reproché un transfert des compétences professionnelles des deux salariés, certes utilisées par la société Stolz, leur nouvel employeur, sauf à interdire à ces deux personnes de retravailler dans ce même secteur d'activité, étant observé qu'ils n'étaient pas liés par une clause de non-concurrence et que leur expertise technique a nécessairement contribué à la conception, la fabrication puis la commercialisation d'un séchoir à grains plus novateur et plus moderne, sans que la démonstration du détournement d'un savoir-faire technique propre à la société CFCAI ne soit rapportée. L'arrêt relève ensuite, s'agissant des données commerciales (devis, liste des fournisseurs et prestataires, tarifs négociés et prix pratiqués, coûts de revient, prix de vente et marges réalisées par la société CFCAI), que la connaissance par l'ancien président, directeur général et actionnaire de la société CFCAI, de l'ensemble de ces données commerciales, est inhérente à l'exercice de ces fonctions, que l'accès à ces données par son actuel employeur n'est pas constitutive d'actes de concurrence déloyale, qu'aucun acte de démarchage par la société Stolz auprès de clients de la société CFCAI n'est démontré, ni même invoqué, et que, par conséquent, le seul fait d'avoir trouvé ces documents sur le serveur de la société Stolz est insuffisant pour démontrer qu'elle s'en serait servie comme mode d'emploi « clef en main » pour se lancer dans la fabrication et la commercialisation de séchoirs industriels, pour former des propositions concurrentes auprès de clients communs, voire pratiquer des prix plus bas pour obtenir des marchés auprès d'eux. Il relève enfin que le fait d'utiliser les connaissances de l'ancien président de la société CFCAI, auquel il ne saurait être reproché, faute de clause de non- concurrence, de les mettre à la disposition de son nouvel employeur, ne peut être considéré comme constitutif d'un acte de concurrence déloyale.
7. En statuant ainsi, alors que l'appropriation d'informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportées par un ancien salarié, ne serait-il pas tenu par une clause de non-concurrence, constitue un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société Stolz Sequipag tendant à voir écarter des débats les pièces adverses 21, 22, 23, 24, 25, 29 et 30, l'arrêt rendu le 14 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Stolz Sequipag aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Stolz Sequipag et la condamne à payer à la société CFCAI la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux.