Livv
Décisions

CA Paris, 3e ch. B, 8 juillet 1994, n° 94/5443

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Entreprises et Partenaires Conseils (SCA), Banque CGER France (Sté), Crédit Mutuel Agricole et Rural (Sté), Compagnie d'Investissement dans les Technologies Avancées (Sté), Epargne de France (Sté), Garantie Mutuelle des Fonctionnaires (Sté), Scor (SA), Banque du Batiment et des Travaux Publics (Sté)

Défendeur :

Facques (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Conseillers :

Mme Besançon, M. Monin-Hersant

Avoués :

SCP Regnier, SCP Narrat Peytavi, SCP Varin Petit

Avocats :

Me Van Daele, Me Lyonnet, Me Bigot, Me Martin

T. com. Paris, 1re ch. A, du 24 janv. 19…

24 janvier 1994

La Cour statue sur l'appel, plaidé à jour fixe, formé par la société ENTREPRISES ET PARTENAIRES CONSEILS S.A. (ci-après PARTENAIRES CONSEILS S.A.) contre le jugement du Tribunal de commerce de PARIS (1re chambre A, RG 93/80064), rendu le 24 janvier 1994, qui, notamment, a dit que les résolutions votées par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société ENTREPRISES ET PARTENAIRES — SCA - (ci-après PARTENAIRES S.C.A.) le 15 septembre 1993, qui n'avaient pas été approuvées par l'associé commandité, étaient inopposables aux tiers et aux associés, a prononcé la dissolution judiciaire de PARTENAIRES S.C.A. et désigné Me FACQUES en qualité de liquidateur, a condamné PARTENAIRES CONSEILS S.A. à payer au titre de l’article 700 N.C.P.C. 50.000 F. à M. Bertrand VERNES, la banque C.G.E.R. FRANCE, IB CREDIT MUTUEL AGRICOLE ET RURAL, la COMPAGNIE D'INVESTISSEMENT DANS LES TECHNOLOGIES AVANCEES, la société EPARGNE DE FRANCE, la GARANTIE MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES, la société SCOR S.A., la BANQUE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS "B.T.P.", Mme Annick BOUCHARA, née PREVOT-WEISWEILLER, Mme Anne-Marie VERNES, née DELOCHE de NOYELLE, M. Pierre Yves BESSE et M. Francois GOY, a dit PARTENAIRES CONSEILS S.A. mal fondée en sa demande reconventionnelle et a ordonné l'execution provisoire.

ENTREPRISES ET PARTENAIRES est une société en commandite par actions qui a pour objet la prise en participation dans toutes sociétés commerciales et/ou industrielles et l'acquisition de tous biens immobiliers pour son compte ou celui de tiers.

Elle est gérée par une société anonyme, ENTREPRISES ET PARTENAIRES CONSEILS, unique associé commandité.

En raison d'un litige entre certains actionnaires et la gérance, les comptes des exercices 1991 et 1992 n'ont pas été approuvés.

Le 15 septembre 1993, une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de PARTENAIRES S.C.A. a voté la dissolution de la société; l’administrateur judiciaire désigné comme liquidateur n'a pu prendre ses fonctions par suite de l'opposition de la S.A. gérante.

Par ordonnances de référé Me FACQUES a été désigné pour effectuer une enquête, puis a été nommé administrateur provisoire pour 6 mois.

Le 25 octobre 1993, des actionnaires et des membres du conseil de surveillance de PARTENAIRES S.C.A. ont saisi le tribunal pour faire déclarer les résolutions du 15 septembre 1993 valides et opposables à l'associé commandité, subsidiairement pour faire constater la disparition de l'affectio societatis et prononcer la dissolution judiciaire de la société.

Par le jugement déféré, le tribunal a dit que les résolutions n'étaient opposables ni aux associés, ni aux tiers. II a constaté la disparition de l'affectio societatis et que les justes motifs, au sens du 5° de l’article 1844-7 C. civ. étaient réunis.

PARTENAIRES CONSEILS S.A. conclut à l'infirmation du jugement et au débouté des actionnaires de leur demande en dissolution de la société en commandite. Elle réclame 2,25 MF à titre de dommages-intérêts.

Elle soutient que le tribunal a dit, à juste titre, que la résolution du 15 septembre 1993 était inopposable mais prétend que la dissolution résulte de la seule volonté des actionnaires commanditaires qui sont seuls responsables de la prétendue mésentente entre les associés. Elle ajoute que le rapport de Me FACQUES contient des inexactitudes.

INTIMES et appelant incidemment, M. Bertrand VERNES, la BANOUE C.G.E.R. FRANCE, le CREDIT MUTUEL AGRICOLE ET RURAL, la COMPAGNIE D'INVESTISSEMENT DANS LES TECHNOLOGIES AVANCEES, la société EPARGNE DE FRANCE, la GARANTIE MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES, la société SCOR, la BANOUE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS « B.T.P », actionnaires et membres du conseil de surveillance de PARTENAIRES S.C.A., Mmes Anick BOUCHARA et Anne-Marie VERNES et MM. Pierre Yves BESSE, François GOY, actionnaires de PARTENAIRES S.C.A., concluent à la validité de la résolution du 15 septembre 1993 et à son opposabilité à l’associé commandité, lequel devra, sous astreinte, laisser libre accès à Me CHASSAGNON, liquidateur, subsidiairement à la confirmation du jugement, en tous les cas au débouté de PARTENAIRES CONSEILS S.A. de ses demandes. Ils réclament 200.000 F. au titre de l’article 700 N.C.P.C. et sollicitent qu'il leur soit donné acte de leurs réserves en ce qui concerne le préjudice que leur ont causé les actions de PARTENAIRES CONSEILS S.A.

Ils exposent que de nombreux reproches ont été adressés à la société gérante, commandité unique, qui ont été actés aux procès-verbaux de plusieurs réunions du conseil de surveillance et relatés dans ses rapports en vue des assemblées générales de décembre 1991, mars et septembre 1993; que les comptes des exercices 1991 et 1992 n'ont pas été approuvés; qu'une médiation, décidée en référé, n'a pu aboutir; que PARTENAIRES CONSEILS S.A. n'a pas hésité à engager une procédure afin de faire constater la nullité des deux assemblées générales de décembre 1991 et mars 1993; que la résolution du 15 septembre 1993 a été votée par une forte majorité du capital.

lls soutiennent que l'article 53 des statuts prévoit la dissolution de la S.C.A. à l'initiative des actionnaires et constitue une exception au principe de concordance des volontés des commanditaires et commandités; que le tribunal a relevé qu'il n'y avait pas abus de majorité; que le rapport de Me FACQUES a relevé le caractère aventureux des investissements effectués par la gérance et l'importance des pertes enregistrées; que Me FACQUES a lui-même mis en avant l'ancienneté, l'irréductibilité et l'aggravation du conflit, l'antagonisme entre la quasi totalité du capital et le commandité, le vote de la dissolution anticipée à une majorité de 97,6 %, la disparition de l’affectio societatis;

Que la demande de dommages-intérêts de la société gérante est stupéfiante, alors que les affaires de S.C.A. se trouvent en péril du fait de sa gestion et que de multiples tentatives de médiation ont échoué par son fait; qu'en définitive l’associé commandité prétend poursuivre l’activité sociale à son seul profit, avec les capitaux des actionnaires.

INTIME ès qualités, Me FACQUES. liquidateur de PARTENAIRES S.C.A., déclare s'en rapporter à justice en ce qui concerne la résolution du 15 septembre 1993, concluant cependant à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la dissolution judiciaire, et réclame 10.000 F. au titre de l'article 700 N.C.P.C.

II invoque les constatations faites par le juge des référés (ordonnances des 19 octobre et 25 novembre 1993) et s'approprie les motifs des premiers juges pour estimer que la mésentente entre associés paralyse le fonctionnement de la société.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 25 mai 1994, la société PARTENAIRES CONSEILS S.A., conclut à la confirmation du jugement sur l'inopposabilité de la résolution du 15 septembre 1993, à son infirmation en ce qu'il n'a pas accueilli la demande de nullité de l'assemblée générale pour abus de majorité et en ce qu'il a, au contraire, accueilli la demande de dissolution judiciaire de la S.C.A., priant la Cour de constater l'irrecevabilité de cette demande. Elle sollicite la condamnation solidaire des intimés à lui payer 2,25 MF à titre de dommages-intérêts, somme portée à 24 MF au cas où cette dissolution serait confirmée.

Subsidiairement, elle conclut au sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal de commerce devant se prononcer sur l'abus de majorité des assemblées ayant refusé d'approuver les comptes, plus subsidiairement au débouté des intimés de leur demande de dissolution judiciaire, encore plus subsidiairement à "l'exclusion des associés fautifs".

Elle affirme que des membres du conseil de surveillance ont initié des relations conflictuelles avec la gérance pour des raisons personnelles et soutient que les faits prouvés démontrent que les intimés sont seuls à l’origine de la prétendue perte de l'affectio societatis, ce qui rend leur action en dissolution irrecevable.

Elle soutient qu'il "est de jurisprudence constants que la dissolution ne peut être prononcée quand ceux qui la demandent se voient offrir le rachat de leurs parts", ce qui a été le cas en l’espèce en décembre 1993, et relève que la S.C.A. est cotée au hors cote, la dernière transaction datant d'octobre 1993; que le préjudice subi par la concluante est certain et serait encore plus important en cas de dissolution.

Les intimés ont répondu en concluant, vu l'article 918 N.C.P.C., à l'irrecevabilité des conclusions de l’appelante du 25 mai 1994, subsidiairement au mal fondé des demandes nouvelles de celle-ci. Ils précisent que l'offre d'achat des actions date de décembre 1993 et ne pouvait être acceptée puisque la dissolution avait été votée en septembre et que le prix proposé était égal à la moitié de la valeur nominale du titre.

SUR QUOI, LA COUR,

Considérant qu'il n'y a pas lieu de donner aux intimés acte de leurs réserves;

Considérant que l’appelante a été autorisée, sur sa requête, à assigner à jour fixe pour la date des plaidoiries;

Que ses conclusions "récapitulatives" signifiées le 25 mai 1994, au demeurant la veille des plaidoiries dont la date a été fixée dès le 24 février 1994, sont irrecevables en ce qu'elles présentent des prétentions et moyens non contenus dans sa requête, ces prétentions étant au surplus nouvelles comme n'ayant pas été présentées en première instance;

Sur la validité des délibérations du 15 septembre 1993:

Considérant que l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la S.C.A., le 15 septembre 1993, a décidé la dissolution anticipée de la société et désigné un liquidateur: que le commandité gérant s’y est opposé le même jour;

Considérant que le principe de la concordance nécessaire de la volonté exprimée par les associés commandités avec le vote de l'assemblée générale des actionnaires commanditaires est énoncé par l'article 35 des statuts de PARTENAIRES S.C.A.; que ce texte réserve cependant les "exceptions découlant d'une disposition expresse" de ces statuts;

Que l'article 53 des statuts, intitulé "DISSOLUTION - LIQUIDATION", précise, alinéa 1er, que "Hors les cas de dissolution judiciaire (...), il y aura dissolution de la société (...) par décision de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires »

Considérant cependant que l'article 53, en dépit de son intitulé, ne spécifie pas « expressément » que la dissolution de la société est décidée par le seul vote de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires et doit être interprété par rapport aux articles 5 (principe de la décision collective extraordinaire "des associés" pour la dissolution anticipée, sauf événement stipulé aux statuts), 37 (modification des statuts par "décisions extraordinaires"), 46 et 47 (pouvoirs, quorums et majorités pour les délibérations des assemblées des actionnaires);

Que d'ailleurs la liberté laissée par le 1er alinéa de l’article 259 de la loi du 24 juillet 1966 pour la modification des statuts d'une S.C.A. ne peut signifier la possibilité, pour les actionnaires, de passer outre la volonté de tous les commandités pour décider la dissolution anticipée et autorise seulement, dans les statuts, une telle modification avec l’accord de certains d'entre eux seulement;

Qu'en l’espèce l’existence d'un unique commandité interdit de donner à la règle édictée par l’article 53 des statuts la portée que les intimés entendent faire prévaloir; que ce texte a seulement pour objet de donner à l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires, pour ce qui concerne ces derniers, le pouvoir de décider la dissolution anticipée, sans préjudice du nécessaire accord du commandité;

Que le jugement mérite donc confirmation en ce qu'il a dit que les résolutions votées le 15 septembre 1993 sont, pour n'avoir pas été approuvées par l'associé commandité, inopposables aux tiers et aux associés, qu'elles sont inopposables à la société elle-même;

Sur la dissolution judiciaire:

Considérant que les justes motifs de dissolution ont été abondamment décrits par les premiers juges; qu’ils avaient déjà été relevés par le juge des référés;

Qu'il résulte de rapports du conseil de surveillance de PARTENAIRES S.C.A. des divergences fondamentales quant à la politique d’investissements menée par la gérance, qui remontent à plusieurs années;

Que toutes les tentatives de solution se sont heurtées à l’opposition déterminée de PARTENAIRES CONSEILS S.A.;

Considérant que celle-ci tente vainement d'imputer aux actionnaires l’origine des difficultés; qu'elle tente de même vainement de faire valoir un intérêt personnel qui serait poursuivi par les actionnaires, contraire à l’intérêt social;

Que, pour le surplus, il y lieu, sur ce point, d'adopter les motifs non contraires des premiers juges;

Considérant que la structure de la S.C.A. a pour effet de rendre irréversible une situation qui ne peut perdurer sans mettre en péril les intérêts de la société; que l'existence d'un unique commandité, assurant les fonctions de gérant, rend vaine toute recherche de solution ainsi que le démontre l’échec de la tentative de médiation; que le blocage ainsi créé caractérise, au-delà, la paralysie du fonctionnement de la société au sens du 5° de l’article 1844-7 C. civ. ;

Qu'il convient encore d'adopter pour le surplus les motifs non contraires des premiers juges;

Considérant enfin que l'appelante prétend vainement relever de prétendues erreurs ou inexactitudes dans le rapport de Me FACQUES; que ces erreurs, à les supposer réelles, seraient d'ailleurs sans incidence sur la solution qui doit être donnée au présent litige;

Sur les autres demandes:

Considérant que l'appelante ne sollicitait pas de sursis à statuer dans sa requête à jour fixe; que d'ailleurs la solution du présent litige ne saurait être affectée par un quelconque abus de majorité qui serait retenu par la juridiction actuellement saisie d'une demande de nullité des refus d'approuver les comptes de deux exercices;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de dommages-intérêts présentée par PARTENAIRES CONSEILS S.A. ne peut prospérer; que d'ailleurs la cause, ni le montant du préjudice dont elle demande réparation ne sont réellement explicités; qu'il a été dit qu'aucune faute n'est établie à la charge des actionnaires qui pourrait servir de fondement à une telle demande;

Qu'il ne peut être fait grief aux actionnaires, ainsi que l'appelante parait le faire, d'avoir obtenu, par le biais d'une dissolution judiciaire, le résultat qu'ils poursuivaient par l'adoption des résolutions contestées; que cette circonstance ne peut caractériser un abus de minorité donnant naissance à une action en indemnisation au profit de l'associé commandité; que le vote du 15 septembre 1993, s'il a cristallisé la perte de confiance des actionnaires dans la gérance, ne peut être regardé comme étant à l'origine de la mésentente;

Considérant que l’appelante sera condamnée à indemniser en cause d'appel, sur le fondement de l'article 700 N.C.P.C., Me FACQUES à hauteur de 10.000 F. et les autres intimés à hauteur de 80.000 F.;

PAR CES MOTIFS :

DIT qu'il n'y a pas lieu de donner aux intimés acte de leurs réserves;

DECLARE irrecevables les prétentions et moyens présentes par la société ENTREPRISES ET PARTENAIRES CONSEILS S.A., appelante, dans ses conclusions du 25 mai 1994 qui ne sont pas contenus dans sa requête afin d'être autorisée à assigner à jour fixe;

CONFIRME dans toutes ses dispositions le jugement dont appel;

CONDAMNE la société ENTREPRISES ET PARTENAIRES CONSEILS S.A. à payer, par application de l'article 700 N.C.P.C., 10.000 francs à Me FACQUES, es qualités, et 80.000 francs aux autres intimés;

La CONDAMNE aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés par la S.C.P. NARRAT PEYTAVI et la S.C.P. VARIN PETIT, avoués, conformément à l’article 699 N.C.P.C.;

REJETTE toute prétention ou demande autre, plus ample ou contraire à la motivation.