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Décisions

Cass. 2e civ., 5 juin 1996, n° 92-19.958

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Zakine

Rapporteur :

M. Séné

Avocat général :

M. Joinet

Avocats :

SCP Peignot et Garreau, Me Garaud

Bordeaux, 8e ch., du 28 juill. 1992

28 juillet 1992

Attendu, selon l'arrêt attaqué que la Coopérative d'élevage de reproducteurs bovins "Blonde d'Aquitaine" (la CERBBA) a, saisi une cour d'appel d'un recours en révision d'une précédente décision qu'elle avait rendue dans un litige l'opposant à l'Union des coopératives agricoles de "Blonde d'Aquitaine" (l'UCOBA), que d'autres sociétés ou groupements et notamment la société coopérative Occitane CATEG sont intervenues à l'instance;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir statué sur ce recours en révision, sans répondre aux conclusions tendant à voir déclarer nulles les assignations délivrées à l'encontre d'UCOBA et des coopératives intervenantes, alors, qu'en vertu des articles 917 et suivants du nouveau Code de procédure civile, une partie dont les intérêts sont périls ne peut assigner à jour fixe devant la cour d'appel qu'après y avoir été autorisé par une ordonnance sur requête rendue par le premier président de la juridiction; qu'en s'abstenant de répondre sur ce point, la cour d'appel n'aurait pas justifié sa décision au regard des exigences des articles 455 et 917 et suivants du nouveau Code de procédure civile; alors, qu'en toute hypothèse, en statuant comme elle l'a fait, tout en constatant qu'autorisée par une ordonnance du 27 mars 1992, la CERBBA avait assigné neuf autres coopératives, la cour d'appel aurait de ce chef légalement méconnu les prescriptions des textes susvisés;

Mais attendu que les demandes de nullité des actes de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir; que l'arrêt a constaté que l'UCOBA et les sociétés intervenantes avaient, préalablement à la présentation de leurs demandes de nullité, conclu à l'irrecevabilité du pouvoir en révision et au fond; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;

Sur le deuxième moyen :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir déclaré recevable le recours en révision, alors, selon le moyen, d'une part, que le recours en révision n'est ouvert, aux termes de l'article 595-3 du nouveau Code de procédure civile, que s'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement, et que la reconnaissance de la fausseté de la pièce prétendue fausse ne s'entend que de l'aveu de la partie qui en a fait usage; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à constater l'existence d'irrégularités dans la tenue des documents aboutissant à une relation erronée des décisions prises notamment lors de l'assemblée générale du 30 octobre 1986; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, sans constater que la preuve rapportée résultait soit de l'aveu de la partie qui avait fait usage de la pièce litigieuse, soit d'une décision judiciaire, la cour d'appel a faussement appliqué, et partant violé le texte susvisé, d'autre part, qu'en affirmant que les inculpés avaient reconnu la fausseté des pièces "incriminées", la cour d'appel a dénaturé les procès-verbaux de l'enquête pénale, au mépris de l'article 1134 du Code civil; de troisième part, qu'en statuant encore comme elle l'a fait, sans rechercher si les pièces prétendues fausses avaient eu une influence déterminante sur les décisions critiquées, la cour d'appel n'a pas, de ce chef légalement justifié sa décision au regard de l'article 595 du nouveau Code de procédure civile; de quatrième part, que le recours en révision n'est recevable que si son auteur n'a pu sans faute de sa part faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée; qu'en statuant ainsi, tout en constatant que la CERBBA avait le 30 octobre 1989, déposé plainte avec constitution de partie civile contre X en produisant les procès-verbaux des assemblées générales tenues par UCOBA, versés ensuite aux débats devant la cour d'appel mais n'avait pas demandé à cette juridiction de surseoir à statuer conformément à l'article 4 du Code de procédure pénale, la cour d'appel a violé les prescriptions édictées par le texte susvisé; de cinquième part, qu'en statuant de la sorte, tout en constatant que la CERBBA avait certainement eu connaissance des irrégularités commises dès avant le jugement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 596 du nouveau Code de procédure civile; de sixième part, que le point de départ du délai de recours en révision est marqué par le moment de la connaissance matérielle des faits ou par celui où le requérant aurait pu et dû relever les faits qu'il allègue comme fraude; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, tout en relevant que les déclarations recueillies au cours de l'instruction pénale constituaient une reconnaissance de la fausseté des documents par suite de manipulations, soit plus de deux mois avant l'assignation en révision, la cour d'appel n'a pas de ce chef également donné une base légale à sa décision ; de dernière part, qu'en statuant encore comme elle l'a fait, sans même répondre au chef des conclusions de l'UCOBA, faisant valoir que devant le tribunal de grande instance, la CERBBA avait soutenu que le règlement intérieur n'avait aucune existence juridique et qu'elle se réservait de déposer plainte pour faux et usage de faux à raison de la production d'un procès-verbal de l'assemblée générale du 30 octobre 1986, assimilée à une tentative d'escroquerie au jugement, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

Mais attendu que l'arrêt retient, hors de toute dénaturation, que M. Lapeyrigne, président d'UCOBA le 30 octobre 1986, date à laquelle s'était tenue une assemblée générale extraordinaire, a reconnu devant un juge d'instruction qu'au procès-verbal établi à la suite de cette assemblée, avait été ajoutée une résolution qui n'avait pas été votée à cette date et dont l'UCOBA s'était prévalue; qu'ayant ainsi caractérisé l'aveu d'un faux par adjonction, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a estimé que la pièce fausse avait eu une influence déterminante sur la solution du litige;

Et attendu que l'arrêt, répondant par là aux écritures prétendument délaissées, a relevé souverainement que la CERBBA n'avait eu connaissance de l'aveu de la fausseté de la pièce litigieuse que le 28 janvier 1992, date à laquelle elle avait reçu notification d'une ordonnance du juge d'instruction renvoyant les dirigeants d'UCOBA devant le tribunal correctionnel; que dès lors, quelque suspicion que la CERBBA ait pu avoir lorsqu'elle a déposé plainte avec constitution de partie civile le 30 octobre 1989, la cour d'appel a pu déduire qu'il ne pouvait être imputé à faute à la coopérative de n'avoir pas soulevé la cause de révision invoquée avant que la décision du 4 mars 1991 dont la révision était demandée ne soit passée en force de chose jugée et a exactement énoncé que le délai de deux mois pour l'exercice du recours en révision n'était pas expiré; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé;

Mais sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches :

Vu les articles 1844-10 et 1844-14 du Code civil ;

Attendu que, pour déclarer dissoute la société UCOBA et nommer un liquidateur, l'arrêt, après avoir relevé les irrégularités affectant le procès-verbal de l'assemblée générale de la société UCOBA du 30 octobre 1986, et dit qu'elles avaient pour conséquence la nullité du procès-verbal qui modifiait les statuts et le réglement intérieur de la société, a accueilli la demande de nullité de la société UCOBA formulée par la société CERBBA; qu'en se déterminant ainsi, alors que la nullité du réglement intérieur n'est pas en elle-même de nature à justifier celle de la société, et sans rechercher si l'action en nullité de la société n'était pas elle-même prescrite compte tenu de la date à laquelle cette nullité était encourue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du troisième moyen et sur le quatrième moyen;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions sauf celles relatives à la recevabilité d'un recours en révision, l'arrêt rendu le 28 juillet 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen.