Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-16.112
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lamanda
Rapporteur :
M. Petit
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Vincent et Ohl
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. A..., Mme X..., épouse Y..., la société du Journal de l'Est républicain, la société France Est, la société Presse investissement et la société Banque fédérative du crédit mutuel que sur le pourvoi incident éventuel relevé par la société Groupe Z... média, la société Multimédia futur et la société Grande chaudronnerie lorraine ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 17 juin 2009), que la société France Est, sous-filiale de la société du Journal de l'Est républicain (la société de l'Est républicain), détenait un certain nombre des actions composant le capital de cette société ; que ces actions ainsi détenues en autocontrôle étaient privées du droit de vote lors des assemblées générales de la société de l'Est républicain ; que la société Groupe Z... média (la société GHM) détenait dans le capital de la société de l'Est républicain, par l'intermédiaire de ses filiales et sous-filiales les sociétés Multimédia futur (la société MMF) et Grande chaudronnerie lorraine (la société GCL), une participation qui, compte tenu de la privation du droit de vote affectant les actions détenues en autocontrôle, lui conférait une minorité de blocage au sein des assemblées générales extraordinaires de la société de l'Est républicain ; que le 29 mai 2008, la société Banque fédérative du crédit mutuel (la société BFCM) a apporté à la société France Est une créance qu'elle détenait sur un tiers et a reçu en contrepartie des actions nouvelles lui conférant 80 % des droits de vote ; que le 27 juin 2008, la société France Est a apporté cette même créance à la société de l'Est républicain et a reçu en contrepartie des actions nouvelles lui conférant la majorité au sein de cette société ; que les sociétés GHM, MMF et GCL, soutenant que les opérations d'apport et d'augmentation du capital décidées lors des assemblées générales extraordinaires de la société France Est du 29 mai 2008 et de la société de l'Est républicain du 27 juin 2008 avaient été réalisées en fraude de leurs droits et que les résolutions proposées lors de cette dernière assemblée avaient été adoptées grâce au vote de la société France Est en violation des règles relatives à l'autocontrôle, ont demandé l'annulation de ces décisions ;
Attendu que M. A..., Mme X..., épouse Y..., la société de l'Est républicain, la société France Est, la société Presse investissement et la société BFCM font grief à l'arrêt d'avoir dit que les actions Est républicain détenues par la société France Est demeuraient des actions détenues en autocontrôle par la société de l'Est républicain qui contrôlait la société France Est conjointement avec la société BFCM et M. A... au titre de l'action de concert existant entre eux et d'avoir annulé les délibérations prises lors de l'assemblée générale de la société de l'Est républicain le 27 juin 2008, alors, selon le moyen :
1° / qu'en relevant que la notion de contrôle signifierait qu'une ou plusieurs sociétés exercent une influence déterminante sur la gestion d'une autre structure et ne serait pas exclusivement caractérisée par la participation dans le capital, faisant ainsi implicitement référence aux dispositions de l'article L. 233-16, II, 3° du code de commerce qui dispose que le contrôle exclusif par une société résulte du droit d'exercer une influence dominante sur une entreprise en vertu d'un contrat ou de clauses statutaires, lorsque le droit applicable le permet, cependant que pour l'application des dispositions de l'article L. 233-31 du code de commerce, il y a lieu de se référer aux dispositions de l'article L. 233-3, I et II du même code dont la définition du contrôle repose exclusivement sur le pouvoir de déterminer les décisions dans les assemblées générales que confère l'exercice des droits de vote, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les dispositions de l'article L. 233-3, I et II du code de commerce, ensemble les dispositions de l'article L. 233-31 du même code ;
2° / que selon l'article L. 233-31 du code de commerce, lorsque des actions ou des droits de vote d'une société sont possédées par une ou plusieurs sociétés dont elle détient directement ou indirectement le contrôle, les droits de vote attachés à ces actions ou ces droits de vote ne peuvent être exercés à l'assemblée générale de la société ; que ce texte pose donc comme condition de la privation de l'exercice des droits de vote attachés aux actions la détention par la société émettrice du contrôle de la société détentrice desdites actions ; qu'en statuant comme elle l'a fait et en faisant application de l'article L. 233-31 du code de commerce sur le fondement d'un simple contrôle conjoint prétendument détenu par la société émettrice des titres, de concert avec d'autres personnes, sur la société détentrice, la cour d'appel a encore violé par fausse application les dispositions de ce texte ;
3° / qu'en statuant comme elle l'a fait sans répondre au moyen des écritures par lequel il était fait valoir que si, en vertu de l'article L. 233-10, III du code de commerce, des personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements, la privation de la société France Est de l'exercice de ses droits de vote attachés aux actions Est républicain sous prétexte d'un contrôle conjoint exercé sur elle par la société émettrice desdites actions aboutissait à étendre la portée de la solidarité des concertistes à une obligation que les lois et règlements ne prévoient pas, puisque l'article L. 233-31 du code de commerce ne vise pas l'hypothèse d'un contrôle concerté de la société détentrice, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile qu'elle a violés ;
4° / qu'en prétendant faire application des dispositions de l'article L. 233-3, III du code de commerce énonçant que deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale, cependant que l'existence d'un contrôle de droit détenu sur une société par l'un des concertistes par l'effet de la disposition de la majorité des droits de vote dans les assemblées générales est exclusif d'un contrôle conjoint pour la prise de décisions en assemblée, la cour d'appel a en toute hypothèse violé par fausse application les dispositions de ce texte ;
5° / que selon l'article L. 233-3, III du code de commerce, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prise en assemblée générale ; qu'il appartenait aux juges du fond de caractériser concrètement ce contrôle conjoint, c'est-à-dire de constater les éléments permettant de retenir que la société de l'Est républicain, de concert avec M. A... et avec la société BFCM, déterminait en fait les décisions prise en assemblées générales de la société France Est ; qu'en relevant, pour dire satisfaite cette seconde condition, que la politique commune vis-à-vis de la société France Est se serait matérialisée depuis le 29 mai 2008 " par les décisions unanimes des trois actionnaires de cette société telles que le transfert de la créance de 128 millions d'euros sur la société Ebra à la SA Est républicain ou la modification des statuts de la société France Est ", sans préciser l'identité de ces actionnaires, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
6° / qu'en statuant par ces motifs, sans répondre au moyen péremptoire des conclusions d'appel dans lesquelles il était rappelé qu'aucune assemblée de la société France Est ne s'était tenue après l'entrée de la société BFCM au capital, de sorte qu'il était impossible d'établir que la société de l'Est républicain, de concert avec la société BFCM, aurait déterminé en fait les décisions prises en assemblée générale de la société France Est, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile qu'elle a violés ;
7° / qu'en relevant que le but poursuivi de concert par les trois associés était de faire perdre à la société GHM sa minorité de blocage, les sociétés SRI et France Est unissant leurs droits de vote pour imposer, via la société France Est, l'ouverture du capital de la société de l'Est républicain à la société BFCM dont l'intérêt évident n'était que d'exercer un contrôle au moins conjoint sur sa nouvelle filiale, la société de l'Est républicain, quand il lui appartenait de caractériser un contrôle conjoint sur la société France Est, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 233-3, III du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il résulte de l'article L. 233-3, III du code de commerce que pour l'application de l'article L. 233-31 du même code, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblées générales ; que c'est dès lors à bon droit et sans avoir à répondre au moyen inopérant visé par la troisième branche que la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, s'est référée à ces dispositions pour rechercher si les actions de la société de l'Est républicain étaient détenues par une société qu'elle contrôlait directement ou indirectement ;
Attendu, en deuxième lieu, que le contrôle conjoint défini par l'article L. 233-3, III du code de commerce n'est pas exclu par la seule circonstance que l'un des concertistes dispose d'une majorité qui serait, en l'absence de l'accord conclu entre eux, de nature à lui permettre de déterminer seul les décisions prises en assemblée ; que dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le seul fait que les droits de vote dans les assemblées générales de la société France Est soient de 80 % pour la société BFCM et de 20 % pour la société de l'Est républicain, hors une voix pour M. A..., n'implique pas l'absence de contrôle de cette société par la société de l'Est républicain ;
Et attendu, en troisième lieu, que l'arrêt caractérise l'existence, entre la société de l'Est républicain, la société BFCM et M. A..., d'un accord constitutif d'une action de concert et relève que cet accord s'est matérialisé par les décisions unanimes des trois actionnaires de la société France Est telles que le transfert de la créance sur la société Ebra à la société de l'Est républicain ou la modification des statuts de la société France Est ; qu'en l'état de ces constatations desquelles il résulte que les trois concertistes avaient, en exécution de l'accord conclu entre eux, déterminé ensemble les décisions collectives de la société par actions simplifiée France Est et ainsi exercé sur celle-ci un contrôle conjoint, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la septième branche, la cour d'appel, qui n'avait ni à préciser l'identité des associés dès lors que celle-ci résultait suffisamment de ses précédents motifs ni à répondre aux conclusions visées par la sixième branche que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses première et septième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel :
REJETTE le pourvoi.