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Décisions

Cass. soc., 22 juin 2011, n° 09-69.021

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Avocats :

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Masse-Dessen et Thouvenin

Nîmes, du 16 juin 2009

16 juin 2009

Donne acte à M. Stéphane X... et à Mme Nadège X..., en leur qualité d'héritiers d'Alain X..., de ce qu'ils reprennent l'instance ;

Donne acte à la société Gruppo Concorde du désistement de son pourvoi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 16 juin 2009) que la société BSA Produits céramiques (BSA), qui exploitait à Bourg-Saint-Andéol une unité de production et de commercialisation de céramiques en grés, est passée en 1989 sous le contrôle de la société Novoceram, avec laquelle elle a conclu une convention d'assistance technique dans les domaines administratif, comptable, technique, financier, commercial, juridique et de gestion ; qu'après être devenue une filiale de la société de droit italien Gruppo Concorde, la société Novoceram a conclu en 2004 avec la société BSA un accord qui déterminait le prix des produits de cette dernière ; qu'envisageant de fermer son site de production, la société BSA a établi en 2005 un plan de sauvegarde de l'emploi, soumis à son comité d'entreprise ; que la liquidation judiciaire de la société BSA ayant été prononcée le 18 avril 2006, avant que la procédure de licenciement collectif en cours soit menée à son terme, tout son personnel a été licencié par le liquidateur judiciaire, les 2 mai et 11 juillet 2006 ; que, soutenant que les sociétés Novoceram et Gruppo Concorde avaient la qualité de co-employeurs, des salariés licenciés ont saisi la juridiction prud'homale de demandes indemnitaires dirigées contre elles ; que le syndicat CFDT construction bois Drôme Ardèche et la Fédération de la construction et du bois CFDT sont intervenues à la procédure ;

Sur le premier moyen du pourvoi de la société Novoceram :

Attendu que la société Novoceram fait grief à l'arrêt de retenir la qualité de coemployeur à l'égard du personnel de la société BSA, alors, selon le moyen :

1°/ que la communauté ou la confusion d'intérêts, d'activité et de direction existant entre plusieurs sociétés appartenant à un même groupe ne suffit pas à rendre les unes co-employeurs des salariés des autres ; que seule l'existence d'un lien de subordination caractéristique du contrat de travail est susceptible de conférer à une société la qualité de co-employeur d'un salarié ; que l'existence d'un contrat de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée la prestation de travail ; qu'en se bornant à relever d'une part que le directeur technique de la société BSA et d'autres cadres de cette société, étaient détachés de la société Novoceram, d'autre part que les deux sociétés avaient des dirigeants communs, et en dernier lieu que les cadres dirigeants de la société Novoceram se trouvaient présents lors de la procédure d'information consultation des représentants du personnel de la société BSA sur le projet de licenciement économique des salariés de cette dernière, pour en déduire que ceux-ci avaient pour co-employeur la société Novoceram, sans cependant caractériser que pour l'exécution de leur prestation de travail, ils se trouvaient sous l'autorité de la société Novoceram qui avait le pouvoir de leur donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution, et de sanctionner leurs manquements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;

2°/ que ne donne pas à sa décision une véritable motivation le juge qui procède par voie de simple affirmation sans donner à ses constatations de fait une précision suffisante ; qu'en affirmant péremptoirement que " les salariés étaient soumis dans leur activité à la direction et au contrôle de la société Novoceram par l'intermédiaire de l'encadrement ", sans préciser les éléments de fait et de preuve qui lui permettaient de justifier une telle affirmation, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que depuis que la société Novoceram en avait pris le contrôle, la société BSA avait perdu toute autonomie dans la gestion de ses activités, qu'elle était entièrement sous la dépendance de cette société, qui était devenue sa seule cliente et définissait le prix de ses produits, qu'elle partageait avec elle les produits, les matières, les services généraux, le matériel d'exploitation et les procédés de fabrication, que la gestion administrative, comptable, financière, commerciale, technique et juridique de la société BSA était assurée par la société Novoceram, laquelle gérait également son personnel, les cadres dirigeants de la société BSA n'étant que les exécutants de décisions prises par le dirigeant de la société Novoceram dans la gestion du personnel et dans les domaines industriel et technique ; qu'elle a pu en déduire qu'il existait entre ces sociétés une confusion d'intérêts, d'activités et de direction qui se manifestait par l'immixtion de la société Novoceram dans la gestion du personnel de la société BSA et qui suffisait à leur conférer la qualité de co-employeurs ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi de la société Novoceram :

Attendu que la société Novoceram fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de dommages-intérêts en raison d'irrégularités affectant le plan de sauvegarde de l'emploi, au remboursement d'indemnités de chômage et au paiement de dommages-intérêts au syndicat CFDT, alors, selon le moyen, que la reconnaissance judiciaire de la qualité de co-employeur ne peut avoir que pour effet de rendre ce dernier solidairement débiteur de la créance de dommages et intérêts que le salarié détient à l'encontre de son employeur incontesté ; qu'en cas de licenciement pour motif économique prononcé par une société, la validité du licenciement ne peut dès lors s'apprécier qu'au regard de l'entreprise qui l'a prononcée ; qu'en estimant que la régularité du plan de sauvegarde de l'emploi devait s'apprécier au niveau non pas du périmètre de la société BSA, employeur des salariés, mais également au niveau du périmètre de la société NOVOCERAM en raison de la qualité de co-employeur qu'elle venait de lui reconnaître, et en lui reprochant de n'avoir pas loyalement exécuté son obligation de reclassement, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-4 et L. 1235-10 et suivants du code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel a exactement retenu qu'en sa qualité d'employeur conjoint, la société Novoceram devait supporter les conséquences de la rupture des contrats de travail des salariés, alors même que la société BSA en avait pris l'initiative ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les troisième et quatrième moyens, réunis, du pourvoi de la société Novoceram :

Attendu que la société Novoceram fait encore grief à l'arrêt de la condamner au paiement de dommages-intérêts et au remboursement d'indemnités de chômage, alors, selon les moyens :

1°/ que la méconnaissance par l'employeur de la procédure consultative requise par les articles L. 1233-28 et suivants du code du travail n'ouvre droit au profit des salariés concernés qu'au paiement d'une indemnité calculée en fonction du préjudice subi ; qu'en accordant aux salariés des indemnités représentant une somme forfaitaire de six mois de salaires, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des irrégularités affectant le plan de sauvegarde de l'emploi, et en condamnant la société à rembourser l'ASSEDIC des indemnités de chômage versées aux salariés dans la limite de six mois, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-4, L. 1235-10, L. 1235-11 et L. 1235-12 du code du travail ;

2°/ que l'irrégularité de la procédure d'information consultation des institutions représentatives du personnel dans le cadre de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi ne prive pas de cause réelle et sérieuse les licenciements prononcés ; qu'à supposer dès lors que la cour d'appel ait confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse, elle s'est néanmoins bornée à constater que toutes les institutions représentatives du personnel concernées n'avaient pas été informées et consultées sur le projet de plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser que le plan de sauvegarde de l'emploi, dont elle n'a pas même examiné le contenu, était insuffisant, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-10 et L. 1235-11 du code du travail ;

3°/ que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'il résultait des propres constatations des juges du fond que les dirigeants et responsables des ressources humaines de la société Novoceram étaient présents lors des procédures d'information consultation des représentants du personnel des " Livres III et IV " au cours des réunions s'étant tenues les 14 octobre 2005, 2, 9, 22 et 24 novembre 2005, qu'ils y avaient joué un " rôle actif et indépendant ", qu'ils avaient " fait un descriptif du Livre IV du code du travail " lors de la réunion du 14 octobre 2005, et devaient décider de la proposition faite par la CFDT de conclure un accord de méthode permettant la fixation des modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise ; qu'en affirmant ensuite que le plan de sauvegarde de l'emploi, qui avait été présenté au cours des réunions des 2 novembre et 24 novembre 2005, a " été élaboré par la seule société BSA ", la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que l'obligation de reclassement consiste en la recherche, par l'employeur, préalablement au licenciement qu'il envisage de prononcer, de postes disponibles de même catégorie ou à défaut de catégorie inférieure, dans l'entreprise et au sein du groupe auquel l'employeur appartient, ainsi qu'en la proposition de ces postes au salarié dont le licenciement est envisagé ; qu'en se fondant sur l'absence de transmission par la société Novoceram de documents comptables décrivant la situation économique et financière des sociétés du groupe, dans le cadre de la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel sur le projet de licenciement économique des salariés de la société BSA, pour en déduire une absence de recherche de reclassement loyale au niveau du groupe, la cour d'appel qui s'est fondée sur un motif radicalement inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail ;

5°/ qu'en présence d'une autorisation administrative de licenciement, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier l'exécution par l'employeur de son obligation de rechercher le reclassement individuel de chaque salarié dont il envisage le licenciement pour motif économique ; qu'en l'espèce, sous couvert d'apprécier la validité du plan de sauvegarde de l'emploi à l'égard des salariés dont il était constant qu'ils avaient fait l'objet d'une autorisation administrative de licenciement, les juges du fond se sont prononcés sur la recherche de reclassement effectuée au sein du groupe par l'employeur pour en déduire que leurs licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et l'article R. 2421-5 du code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui n'a pas constaté l'existence d'une irrégularité dans le déroulement de la procédure consultative des représentants du personnel de la société BSA, a relevé, sans se contredire, que le plan de sauvegarde de l'emploi avait été établi dans le seul cadre de cette société alors qu'il devait être mis en place par chacun des coemployeurs ; qu'elle a déduit à bon droit, sans se prononcer sur l'exécution de l'obligation de reclassement elle-même, que le plan ainsi établi ne répondait pas aux exigences légales ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi provoqué des salariés :

Attendu que les salariés font grief à l'arrêt de retenir l'exception d'incompétence opposée par la société Gruppo Concorde, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la section 5 du règlement CE n° 44/ 2001 définissant des règles spéciales ; que ces règles s'appliquent donc dès lors que le litige a pour objet la conclusion, l'exécution ou la rupture d'un contrat individuel de travail ; que le litige opposant la société de droit italien Gruppo Concorde et les exposants concernait la rupture de leur contrat individuel de travail signé avec la société BSA, mais impliquant aussi la société de droit italien ; qu'en refusant de faire application de l'article 19 de la section 5 à cette dernière, la cour d'appel a violé le règlement CE 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

2°/ que plusieurs sociétés distinctes peuvent avoir la qualité de coemployeur lorsqu'il existe entre elles une confusion d'intérêts, d'activités et de direction ; qu'il ressort des constatations de la cour d'appel que le président de la société BSA était également dirigeant de la société gruppo Concorde, qu'il décidait des choix stratégiques et prenait les décisions importantes en matière industrielle et technique concernant la société BSA ; qu'ayant fait ressortir que le dirigeant de la société de droit italien prenait les décisions clés pour BSA, la cour d'appel aurait dû en déduire un confusion de leurs intérêts, activités et direction ; que faute de l'avoir fait, elle a violé les articles L. 1221-1 et L. 1221-3 du code du travail ;

Mais attendu qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a retenu que la société Gruppo concorde ne s'était pas substituée à l'employeur dans la conduite de la procédure d'information des représentants du personnel de la société BSA, qu'il n'y avait pas d'imbrication étroite entre ces deux sociétés, ni immixtion de la première dans la gestion de la seconde, ni confusion de leurs actifs ; qu'elle a pu en déduire qu'il n'était pas justifié d'une confusion d'intérêts, d'activités et de direction entre ces sociétés et qu'en conséquence la société Gruppo concorde ne pouvait être qualifiée de coemployeur et ne pouvait, en cette qualité, être attraite devant la juridiction saisie par les salariés d'une contestation de leur licenciement ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le cinquième moyen du pourvoi de la société Novoceram :

Vu les articles L. 1233-21 à L. 1233-23 du code du travail, ensemble l'article 1382 du code civil ;

Attendu que, pour condamner la société Novoceram au paiement de dommages-intérêts au syndicat CFDT construction et bois de l'Ardèche et à la Fédération nationale de la construction et du bois CFDT, la cour d'appel a retenu qu'en refusant la conclusion d'un accord de méthode lors d'une réunion tenue en préfecture, alors qu'elle aurait permis de procéder à une meilleure évaluation des difficultés qui se présenteraient, et en opposant une obstruction à des propositions du syndicat dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi, cette société avait causé un préjudice au syndicat ou à la fédération ;

Qu'en statuant ainsi, en mettant à la charge de l'employeur une obligation de conclure un accord de méthode à laquelle il n'est pas légalement tenu et sans caractériser une faute à son encontre, commise au détriment du syndicat, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Novoceram au paiement de dommages-intérêts au syndicat CFDT constructions et bois de l'Ardèche et à la Fédération de la construction et du bois CFDT, l'arrêt rendu le 16 juin 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.