Livv
Décisions

Cass. crim., 7 septembre 2011, n° 10-88.151

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Rognon

Avocat :

SCP Lyon-Caen et Thiriez

Bourges, du 21 oct. 2010

21 octobre 2010

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 324-1, 324-2, 441-1, 441-2 du code pénal, préliminaire ; 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué l'a déclaré coupable de blanchiment commis de façon habituelle et usage de faux document d'identité en attestant à plusieurs reprises de l'origine licite des bons au porteur ;

" aux motifs que, s'il reconnait sa participation au blanchiment par une opération, il est mis en cause par M. Y... pour trois opérations ; que l'on explique par ailleurs mal l'établissement d'un faux passeport à son nom en possession duquel il se trouvait et dont la photocopie était remise pour attester de son identité pour la certification des bons pour une seule opération ; que, par ailleurs alors que son téléphone portable montre qu'il était en relation régulière avec les divers protagonistes de cette affaire, M. Z... précise que M. A... avait fait allusion au fait qu'Isaac pouvait procéder à la compensation d'autres bons après la réussite de la première tranche ; que, par ailleurs, les explications données par M. X... sur le contrat passé avec M. Y... portant son en-tête pour la négociation de 86100 francs de bons au porteur ne sauraient convaincre « ignorance de la langue luxembourgeoise dans laquelle était rédigée la convention » et « signature ne ressemblant pas à la sienne » ; que, alors qu'il se borne à affirmer qu'il ne connait pas M. B..., dont on ne comprend pas pourquoi ce dernier aurait intérêt à le mettre en cause, M. B... a déclaré que dans le cadre d'un marché portant sur la vente de 300 000 mètres de tissu de jean pour un prix de 1, 3 million de francs, M. X... avait dit qu'il se procurerait les sommes correspondantes par la négociation de bons au porteur ;

" et aux motifs que, sur l'action civile, si M. X... soutient qu'il n'est pas établi que la négociation des bons au porteur effectuée à Dinan concernait les bons au porteur des époux C..., lesdits bons n'ayant pas été identifiés, il n'est pas plus établi qu'ils ne figuraient pas parmi ceux de celle-ci ou dans les autres négociations qui ont eu lieu suite au vol commis au préjudice des époux C..., qui se sont vus dérober tous les bons au porteur qu'ils possédaient aux fins d'assurer l'avenir de leurs enfants ; que le jugement déféré sera également confirmé sur les intérêts civils ;

" 1) alors qu'en application de la présomption d'innocence, il ne peut être demandé à un prévenu d'apporter la preuve qu'il n'a pas participé à des faits susceptibles de qualification pénale ; que pour juger que M. X... avait participé de façon habituelle à des opérations de blanchiment de bons au porteur volés, la cour d'appel constate notamment que l'un de ses co-prévenus l'a dénoncé comme ayant participé à plusieurs opérations, cette participation consistant à certifier d'origine licite de bons volés ; qu'abordant la question de l'indemnisation de la partie civile, la cour d'appel constate que si, comme le soutient le prévenu, il n'est pas établi que les bons aux porteurs de la partie civile aient fait partie des bons négociés à Dinan, rien ne permet d'exclure que ces bons aient été négociés dans d'autres opérations poursuivies ; qu'en l'état de tels motifs qui consistent à imputer au prévenu ou à ses coprévenus une participation à des faits, faute pour lui d'apporter la preuve contraire, et qui bien que portant sur l'action civile rejaillissent sur l'appréciation de la culpabilité dès lors que l'obligation de réparer est déterminée par la culpabilité, la cour d'appel a méconnu la présomption d'innocence ;

" 2) alors que, faute d'avoir par ailleurs caractérisé en quoi le prévenu avait confectionné le faux passeport ou en avait lui-même fait usage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1382 du code civil, 2, 3, 464 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. X... à indemniser Mme C... pour le vol de ces bons aux porteurs et l'a condamné au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

" aux motifs que si M. X... soutient qu'il n'est pas établi que la négociation des bons au porteur effectuée à Dinan concernait les bons au porteur des époux C..., lesdits bons n'ayant pas été identifiés, il n'est pas plus établi qu'ils ne figuraient pas parmi ceux de celle-ci ou dans les autres négociations qui ont eu lieu suite au vol commis au préjudice des époux C..., qui se sont vus dérober tous les bons au porteur qu'ils possédaient aux fins d'assurer l'avenir de leurs enfants ; que le jugement déféré sera également confirmé sur les intérêts civils ;

" alors qu'il n'appartient pas au prévenu, même pour les besoins de l'action civile, de rapporter la preuve que l'infraction pour laquelle une partie civile réclame réparation n'a pas été commise ou qu'il n'y a pas participé ; qu'il appartient à la seule partie civile d'établir que le préjudice dont elle demande réparation résulte des infractions poursuivies ; qu'en considérant que s'il n'était pas établi que les bons au porteur n'étaient pas parmi ceux qui avaient été négociés à Dinan, rien n'excluait qu'ils aient fait partie de ceux qui avaient été négociés dans les autres opérations, ce qui revenait à exiger de la personne poursuivie de prouver les faits en cause n'étaient pas établis, la cour d'appel a méconnu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que des individus, agissant en bande organisée, se sont introduits par ruse au domicile de personnes âgées particulièrement vulnérables et y ont dérobé des fonds, effets ou valeurs ; que M. X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de blanchiment aggravé, falsification de document administratif et usage de ce document pour avoir, de façon habituelle, sous la fausse identité d'Isaac D... établie sous le couvert d'un passeport volé puis falsifié, certifié être le propriétaire des bons au porteur frauduleusement soustraits, pour permettre leur négociation dans des agences bancaires ou des bureaux de change ;

Attendu que, pour déclarer M. X... coupable des faits ainsi qualifiés, l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dépourvues d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable et justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant, n'a pas renversé la charge de la preuve ni méconnu les dispositions conventionnelles invoquées ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 132-19 et 132-24 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable des faits visés à la prévention et l'a condamné à une peine de deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis assorti d'un délai d'épreuve de deux ans et une amende de 10 000 euros ;

" aux motifs adoptés que les faits reprochés au prévenu sont d'une nature telle que l'ordre public a été réellement troublé ; qu'il convient, ainsi, de lui infliger une peine d'emprisonnement ; que remplissant les conditions légales de l'octroi du sursis, l'intéressé bénéficiera toutefois du sursis avec mise à l'épreuve pour partie de sa peine ;

" 1°) alors qu'il résulte de l'article 132-24 du code de procédure pénale qu'en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si tout autre sanction est manifestement inadéquate ; que, dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 ; qu'en l'espèce, en se bornant à constater l'existence d'un trouble à l'ordre public pour justifier la partie d'emprisonnement ferme prononcée, la cour d'appel qui ne se réfère ni à la gravité de l'infraction, ni à la personnalité de la personne condamnée, qui n'explique pas en quoi toute autre sanction est manifestement inadéquate et qui n'a pas recherché si une mesure d'aménagement était envisageable, la cour d'appel a méconnu les articles précités ;

" 2°) alors que, faute d'avoir pris en compte les critères d'individualisation de la peine d'amende tels que prévus par l'article 132-24, alinéa 1, du code de procédure pénale, et notamment les ressources et charges du prévenu, pour fixer l'amende, la cour d'appel a encore méconnu l'article précité " ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 132-24 du code pénal ;

Attendu que, d'une part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, d'autre part, selon l'article 132-24, alinéa 3, du code pénal, en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1 du même code, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que, dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 dudit code ;

Attendu que, pour condamner le prévenu à la peine de deux ans d'emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis et mise à l'épreuve, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans caractériser la nécessité de la peine d'emprisonnement sans sursis conformément aux dispositions de l'article 132-24 du code pénal, ni l'impossibilité d'ordonner une mesure d'aménagement, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée au prononcé des peines ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bourges, en date du 21 octobre 2010, en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées contre M. X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bourges autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.