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Décisions

Cass. soc., 7 avril 1993, n° 91-42.914

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Waquet

Rapporteur :

M. Merlin

Avocat général :

M. Chauvy

Avocats :

Me Roué-Villeneuve, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Paris, du 17 avr. 1991

17 avril 1991

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... engagé en juillet 1971 par la société nouvelle Engineering Assistance (SNEA), en qualité d'ouvrier cableur, a été promu, en 1981, directeur du département électronique, et a été nommé président du conseil d'administration de la société Services Temporaires à l'Industrie, au commerce, aux métiers et aux administrations (STICMA), dont la SNEA avait pris le contrôle ; que parallèlement à ces fonctions il a créé en 1982 la société Electronique et Electrique (SCEL) dont il a été le gérant puis le directeur technique et commercial ; que par lettre du 23 novembre 1987 la SNEA l'a licencié pour fautes lourdes, et qu'il a été révoqué de ses mandats de président du conseil d'administration et d'administrateur de la STICMA ; Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt d'avoir dit que son licenciement était fondé sur une faute grave, privative de toute indemnité de licenciement et de la contrepartie financière de la clause contractuelle de non-concurrence, alors, selon le moyen, que, d'une part, l'employeur ne peut reprocher à son salarié que des manquements liés à son contrat de travail, il ne peut lui faire grief de faits extérieurs à celui-ci, qu'à la condition que ceux-ci aient nui à l'entreprise qu'il dirige ; qu'en retenant à charge d'agissements gravement fautifs des faits, dont elle constate qu'ils ont été perpétrés dans une autre entreprise, la société STICMA, dont le salarié était d'ailleurs le dirigeant social et dont elle relève qu'ils n'ont causé qu'un préjudice à cette seule dernière société, et non à celle de son employeur, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, les articles L. 122-6 et L. 122-8 du Code du travail ; alors que, d'autre part, et en tout état de cause, l'exposant avait soutenu dans ses conclusions que déjà sanctionné au sein de la société STICMA, dont il a été révoqué de son mandat social et condamné au paiement de dommages-intérêts, il ne pouvait pour ces mêmes faits être sanctionné une seconde fois par la société SNEA, dont il était le salarié à raison des liens structurels privilégiés existant entre ces deux entités, qu'en se contentant d'énoncer que la SNEA avait subi un préjudice en sa qualité d'actionnaire principal et majoritaire sans répondre à ce moyen décisif, la cour d'appel a privé de motifs sa décision violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, de plus, les mêmes faits ne peuvent justifier le prononcé d'une autre sanction ; qu'en retenant à titre d'agissements fautifs, des faits allégués par la société SNEA et qui avaient été déjà sanctionnés par la société STICMA, dont elle relève qu'ils ont causé un préjudice à la société SNEA en sa qualité d'actionnaire majoritaire de la société STICMA, ce qui implique bien que les mêmes agissements ont été sanctionnés à deux reprises par la même entité juridique, la cour d'appel a violé outre l'article 1134 du Code civil, les articles L. 122-6 et L. 122-8 du Code du travail ; alors qu'en outre, et en énonçant sur le seul fondement du témoignage de M. X..., qu'il n'était pas établi que le président Weimann ait accepté que les deux sociétés travaillent avec des moyens communs, sans se prononcer sur l'attestation du chef comptable de la société SNEA, en date du 16 février 1988, produite aux débats, dont il ressort sans ambiguïté que l'utilisation du secrétariat de la société SNEA au profit de la société SCEL s'effectuait en toute liberté, les services comptables étant utilisés également dans les mêmes conditions, les documents transmis et connus de la direction, la cour d'appel a dénaturé par omission ledit témoignage, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; alors qu'enfin, et en toute hypothèse, qu'en qualifiant d'agissements gravement fautifs, la circonstance que le salarié a utilisé à des fins personnelles, sans autorisation expresse de son employeur, le secrétariat des sociétés en cause, confondant à deux reprises la trésorerie de la société STICMA avec celle de la société SCEL, qu'il avait créée avec l'approbation de son employeur, tout en relevant que de tels faits n'avaient pas été perpétrés avec l'intention de nuire, constatations qui sont impuissantes à caractériser l'existence d'une faute grave mais justifient seulement de la perte de confiance, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qu'appelaient ses propres constatations et a violé les articles L. 122-6 et L. 122-8 du Code du travail ;

Mais attendu, en premier lieu, que la révocation des mandats sociaux du salarié, ainsi que sa condamnation au paiement de dommages-intérêts ne constituent pas, au sens de l'article L. 122-40 du Code du travail, des sanctions disciplinaires interdisant que soit prononcé pour les mêmes faits le licenciement ; que la cour d'appel qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes n'a pas violé la règle selon laquelle un fait déjà sanctionné ne peut l'être à nouveau ;

Attendu, en second lieu, qu'hors toute dénaturation, la cour d'appel en constatant, que le salarié, d'une part, avait utilisé à des fins personnelles une salariée de son employeur et une autre salariée d'une société filiale de celle de son employeur, d'autre part avait confondu la trésorerie de cette filiale avec celle d'une autre société dans laquelle il avait des intérêts ou avec la sienne propre, a fait ressortir que les agissements fautifs du salarié rendaient impossible la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis ; qu'au vu de ces constatations, d'où il résultait que les faits reprochés au salarié étaient liés à l'exécution du contrat de travail, elle a pu décider que la faute grave était caractérisée ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident pris en sa première branche :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer au salarié une indemnité de congés payés, alors que la cour d'appel a relevé que le salarié a utilisé sans y être autorisé, pour les besoins d'une société SCEL qu'il a créée et gérée par lui puis par son épouse, une salariée de la société SNEA et une salariée de la société STICMA, et qu'à deux reprises, il a confondu la trésorerie de la STICMA avec celle de la SCEL, voire avec la sienne propre ; qu'en estimant qu'il n'était pas établi que cette utilisation du personnel et des fonds de la société qui l'employait dans son propre intérêt procédait d'une intention de nuire, alors que ces agissements impliquaient par eux-mêmes une telle intention, la cour d'appel qui n'a pas déduit les conséquences qui s'inféraient de ses propres constatations, a violé l'article L. 223-14 du Code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel après avoir relevé qu'il n'était pas établi que le salarié ait agi dans l'intention de nuire à l'employeur, a exactement décidé que la faute lourde n'était pas caractérisée ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident pris en sa deuxième branche :

Vu les articles L. 122-8, L. 223-11 et L. 223-14 du Code du travail ;

Attendu que pour condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité de 17 624 francs à titre de congés payés, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que le montant de cette indemnité allouée par les premiers juges n'était pas critiqué ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur contestait devoir cette indemnité, que l'indemnité allouée par les premiers juges prenaient en considération la durée du préavis et qu'elle retenait le licenciement pour faute grave, privative de l'indemnité de préavis, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qui concerne le montant de l'indemnité de congés payés que la SNEA a été condamnée à payer à M. Y..., l'arrêt rendu le 17 avril 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.