CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 24 avril 2013, n° 11/12554
PARIS
Arrêt
Par acte extrajudiciaire du 1er février 2006, la société Elysées Pierre a donné congé à la société Expertise et valorisation Foncière (Evf), avec offre de renouvellement, des locaux, situés [...], qu'elle lui avait donnés à bail commercial à usage exclusif de bureaux suivant acte du 29 juillet 1997.
Les parties s'étant accordées sur le renouvellement du bail au 1er septembre 2006 mais non sur le prix, le juge des loyers commerciaux a , par jugement du 6 juin 2007, fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 48.000 par an en principal. La société Elysées Pierre a fait appel de cette décision et la cour d'appel de Paris, par arrêt du 4 juin 2008, a ordonné avant dire droit une mesure d'expertise. L'expert judiciaire a estimé à 63.000 euros/an la valeur locative au 1er septembre 2006.
Par acte extrajudiciaire du 19 juin 2009, la société locataire a exercé son droit d'option au visa de l'article 145-57 du code de commerce et donné congé pour le 31 juillet 2009, date à laquelle les locaux ont été restitués. Par arrêt du 31 mars 2010, la cour d'appel de Paris a en conséquence constaté l'extinction de l'action en fixation du prix du bail et condamné la société Evf aux entiers dépens.
Le 8 octobre 2009, la société Elysées Pierre a assigné la société Evf devant le tribunal de commerce en paiement d'un solde d'indemnité d'occupation et d'un arriéré locatif.
Par jugement rendu le 23 juin 2011, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Elysées Pierre de sa demande de 60.793,27 euros,
- débouté la s.a. Expertise et valorisation Foncière (Evf) de sa demande de paiement de 28.000 euros,
- condamné la société Elysées Pierre à payer à la s.a. Expertise et valorisation Foncière (Evf) la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes leurs demandes, autres ou contraires,
- condamné la société Elysées Pierre aux dépens.
La s.c.p.i. Elysées Pierre a relevé appel de cette décision le 5 juillet 2011. Par ses dernières conclusions du 9 février 2012, elle demande à la cour de :
- débouter la société Expertise et valorisation Foncière (Evf) de toutes ses demandes,
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner la société Expertise et valorisation Foncière (Evf) à lui payer la somme de 60.793,27 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2009, date de la mise en demeure, jusqu'à parfait paiement et capitalisation des intérêts dus depuis plus d'une année en application de l'article 1154 du code civil,
- condamner la société Expertise et valorisation Foncière (Evf) à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction en application de l'article 699 du même code.
La s.a. Expertise et valorisation Foncière (Evf), par ses dernières conclusions du 16 avril 2012, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Elysées Pierre de sa demande de paiement de 60.793,27 euros et de ses autres demandes,
- débouter la société Elysées Pierre de l'ensemble de ses demandes formulées en appel,
- dire que la valeur locative s'établit à 48.000 euros par an,
- condamner la société Elysées Pierre à lui restituer, sur les 140.000 euros HT qu'elle lui a versés au titre de l'indemnité d'occupation sur la période du 1er septembre 2006 au 31 juillet 2009, la somme de 28.000 euros HT, avec intérêts au taux légal à compter des présentes,
- condamner la société Elysées Pierre à lui payer une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction en application de l'article 699 du même code.
SUR CE,
Considérant que la société Elysées Pierre critique le jugement en ce qu'il n'est pas motivé sur le débouté de sa demande ; qu'elle fait valoir que l'indemnité d'occupation due par la société Evf doit correspondre à la valeur locative des locaux telle qu'évaluée par le rapport d'expertise judiciaire de Mme Maigné Gaborit, sans qu'il y ait lieu à minoration pour précarité du fait de la décision du locataire de ne pas renouveler le bail, que la société Evf ne peut se prévaloir du jugement rendu par le 6 juin 2007, sur la fixation du loyer du bail renouvelé, du fait de l'appel dont il a fait l'objet et de la désignation de l'expert judiciaire par l'arrêt qui a remis en cause la chose jugée ; qu'elle conteste la pertinence des deux principales références dont la société Evf se prévaut ; que sa demande tend à la condamnation de la société Evf à lui payer la somme de 60.793,27 euros correspondant "à la différence entre les indemnités d'occupation dues par la société Evf depuis le 1er septembre 2006 jusqu'à la libération des lieux (31 juillet 2009) et les sommes qui lui ont été facturées au titre des loyers s'élève à 45.351,25 euros HT soit 54.240,10 euros TTC, à la taxe foncière 2009 pour 1.693 euros, à un solde de provisions sur charges pour 4.860,17 euros" ;
Considérant que la société Evf objecte que l'expert judiciaire n'a pas reçu mission d'évaluer la valeur locative "d'un droit d'occupation précaire", que l'indemnité d'occupation doit être fixée sur la base de la valeur locative fixée par le tribunal de grande instance le 6 juin 2007 avec un abattement pour précarité de 20 % ce qui justifie sa demande reconventionnelle en remboursement d'une somme de 28.000 euros puisqu'elle a réglé le loyer fixé sur la base de 48.000 euros HT par an soit 140.000 euros sur la période considérée jusqu'à son départ ; qu'elle soutient que cette valeur locative avec abattement est confirmée par le rapport de l'expert Bearez du mois d'avril 2010 ; qu'elle critique le rapport de Mme Maigné Gaborit en ce que l'expert n'aurait pas tenu compte de ses dires des 21 octobre et 23 décembre 2008, n'a pris en considération que des prix de marchés qui correspondent à des locaux remis à neuf et non en état d'usage, n'a pas fourni d'éléments permettant de savoir s'il s'agit de locaux comparables en terme de configuration, de description et de clauses économiques des baux ; qu'elle conteste par ailleurs la surface retenue par l'expert considérant que 49,45 m² sur 193 m² ne sont pas affectés à l'usage de bureaux ; qu'elle critique enfin les éléments de références fournis par la société Elysées Pierre;
Considérant que l'indemnité d'occupation due par la société Evf depuis la date à laquelle le bail a pris fin, doit en l'espèce correspondre à la valeur locative en renouvellement, sans qu'il y ait lieu à appliquer un abattement pour précarité dans la mesure où la société Evf a librement fait le choix de renoncer au renouvellement du bail qui lui était offert ; que l'argument de la société Evf selon lequel Mme Maigné Gaborit n'avait pas pour mission d'évaluer un "droit d'occupation précaire" se trouve portée ;
Considérant que la société Evf ne peut utilement soutenir que la valeur locative doit correspondre au loyer fixé par le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 6 juin 2007 dans l'instance en fixation du prix du bail renouvelé dès lors que ce jugement a été frappé d'appel, qu'il n'a pas été confirmé et que le bail n'est pas renouvelé ; qu'elle ne peut davantage se prévaloir du rapport de l'expert Bearez qui se borne à proposer la valeur locative retenue par le tribunal et à lui appliquer un abattement de 20 % sans fournir de références propres autres que celles retenues par le tribunal dans son jugement du 6 juin 2007 ;
Considérant qu'il ressort des constatations matérielles du rapport de Mme Maigné Gaborit, non contestées par les parties, que les locaux concernés dépendent d'un bel ensemble immobilier à usage principal de bureaux, au fond d'une courte impasse privée, comportant des emplacements de stationnement numérotés à l'usage des occupants, dont l'accès, par le [...], est sécurisé par gardiennage, digicode et grilles à ouvertures automatiques ; que l'impasse est immédiatement voisine de la gare Saint-Lazare et à proximité de quatre stations de métro dont la station de métro Saint Lazare qui est à environ 100 mètres ; qu'elle est desservie par quatre lignes de métro et la ligne 'E' du Rer, ainsi que par de nombreuses lignes d'autobus ; que sept parcs de stationnement publics sont dans un rayon d'environ 400 mètres ; que les locaux, situés au 4ème étage avec ascenseur d'un immeuble aux parties communes d'assez bon standing, consistent en un plateau de bureaux traversant, de 192,73 m² utiles arrondis à 193 m², outre un balcon de 18,77 m² ;
Considérant que c'est à juste titre que la société Elysées Pierre, retient, comme proposé par l'expert judiciaire, l'intégralité de la surface utile, s'agissant de locaux à usage exclusif de bureaux d'assez bonne distribution ;
Considérant que Mme Maigné Gaborit fournit quatre références locatives situées dans le même ensemble immobilier pour des nouvelles locations conclues entre novembre 2006 et avril 2008 dont le prix s'échelonne entre 345 et 400 euros/m² et dix références concernant des locaux situés à proximité dont le prix s'échelonne entre 300 et 390 euros/m² ; que ces éléments de comparaison sont fournis avec l'indication de leur surface, de la date d'effet du bail et du loyer au m² utile ainsi que, pour la plupart, des observations sur leur état d'usage, leur rénovation ou la franchise de loyer consentie au preneur ; que ces éléments de comparaison concernant des locaux à usage de bureaux à proximité des lieux loués, sont suffisamment pertinents, vu leur nombre, pour permettre à la cour, en sus des références produites par les parties, de déterminer l'indemnité d'occupation en cause ;
Considérant qu'il ne peut être valablement reproché dans ces conditions à l'expert judiciaire de ne pas avoir fourni d'éléments permettant de savoir s'il s'agit de locaux comparables en terme de configuration, de description et de clauses économiques, les locaux occupés par la société Evf bénéficiant quant à eux d'une bonne configuration ; que par ailleurs, l'expert justifie des raisons pour lesquelles elle n'a cité que des prix de marché, les fixations judiciaires étant rares et anciennes ; qu'en outre, l'expert judiciaire a répondu, pertinemment, tant sur les raisons l'ayant conduite à ne pas retenir la référence locative invoquée dans le dire du 21 octobre 2008 de la société Evf, eu égard aux liens existants entre le bailleur et le preneur susceptibles d'expliquer un loyer plus modeste ne reflétant pas l'état du marché que sur l'absence de la supériorité alléguée par la société Evf dans son dire du 23 décembre 2008, des adresses de la [...], sans prestige particulier, sur celles de l'[...] ; qu'enfin, si l'expert judiciaire ne fournit pas d'éléments de comparaison tirés de renouvellements amiables, la production par la société Evf du bail conclu au profit de la société Cgd Paris Idf, pour des locaux à usage de bureaux au 4ème étage de l'immeuble, prenant effet au 1er juin 2006 au prix de 330 euros m² sans charges exorbitantes, qui constitue un élément de comparaison complémentaire vient combler ce manque ; qu'en revanche l'autre élément de comparaison proposé par la société Evf doit être écarté compte tenu de son ancienneté s'agissant d'un bail consenti à la chambre syndicale nationale de la literie en 1993 ;
Considérant qu'au vu de l'ensemble des éléments de la cause, l'indemnité d'occupation due par la société Evf à compter du 1er septembre 2006 jusqu'au 31 juillet 2009, date de la libération des lieux, sera fixée sur la base de 310 euros/m² majorée de la somme de 1.500 euros pour l'emplacement de stationnement extérieur visé au bail dont la société Elysées Pierre a la jouissance moyennant le paiement d'une redevance au syndicat des copropriétaires, soit à la somme de 61.330 euros hors taxes en principal par an (310 euros x 193 m² + 1.500 euros) ;
Considérant que la société Evf est dès lors redevable à la société Elysées Pierre, au titre de l'indemnité d'occupation hors taxes et hors charges à compter du 1er septembre 2006 jusqu'au 31 juillet 2009, de la somme de 178.879,16 euros HT (61.330 euros/12 x 35 mois) ; qu'il n'est pas contesté que la société Evf a payé à la société Elysées Pierre, au titre de la période considérée, la somme de 140.000 euros hors taxes en principal ; que la société Evf ne conteste pas les charges qu'elle a payées pendant la même période ; que pour sa part, la société Elysées Pierre ne produit aucun relevé des charges, aucun décompte qui permettrait d'établir le bien fondé de sa demande à ce titre y compris l'impôt foncier ; que dans la limite des demandes respectives, la société Evf sera en conséquence condamnée à payer à la société Elysées Pierre la somme de 38.879,16 euros hors taxes soit 46.499,47 euros TTC restant due sur l'indemnité d'occupation avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et en tant que de besoin, capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ; que la société Elysées Pierre sera déboutée du surplus de sa demande ; que la société Evf verra rejetée sa demande de remboursement d'un trop-perçu inexistant ;
Considérant que la société Evf, succombant, sera condamnée aux dépens et paiera à la société Elysées Pierre une somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement,
Condamne la société Expertise et valorisation Foncière (Evf) à payer à la société Elysées Pierre la somme de 46.499,47 euros TTC avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus leurs demandes ;
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Expertise et valorisation Foncière (Evf) aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément à l'article 699 du code de procédure civile et la condamne à payer à la société Elysées Pierre une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.