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Décisions

CJUE, 9e ch., 22 septembre 2022, n° C-215/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Zulima

Défendeur :

Servicios Prescriptor y Medios de Pagos EFC SAU

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

S. Rodin (rapporteur)

Juges :

J. C. Bonichot, L. S. Rossi

Avocat général :

A. M. Collins

Avocat :

Y. Pulido González

CJUE n° C-215/21

21 septembre 2022

 LA COUR (neuvième chambre),

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Zulima à Servicios Prescriptor y Medios de Pagos EFC SAU, organisme de crédit anciennement dénommé « Evofinance EFC SAU », au sujet des dépens encourus dans le cadre d’une procédure engagée par la requérante au principal visant à faire constater la nullité d’un contrat de crédit à la consommation renouvelable en raison, notamment, du caractère abusif de l’une des clauses de celui-ci.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

4 L’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive dispose :

« 1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses. »

Le droit espagnol

5 L’article 1303 du Código Civil (code civil) dispose :

« Lorsqu’une obligation stipulée dans un contrat est déclarée nulle, les contractants doivent se restituer réciproquement les choses ayant fait l’objet de ce contrat, les fruits produits par celles-ci et le prix payé en contrepartie de ces choses, assorti d’intérêts, sauf dans les cas prévus aux articles suivants. »

6 L’article 22 de la Ley 1/2000, de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000, relative au code de procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000, p. 575), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « LEC »), intitulé « Clôture de la procédure pour cause de satisfaction extrajudiciaire ou de disparition de l’objet du litige. Cas spécial du renversement de l’éviction », dispose :

« 1. Si, en raison de circonstances postérieures à un recours ou à une demande reconventionnelle, il n’existe plus d’intérêt légitime à obtenir la protection juridictionnelle demandée, parce que les demandes du requérant et, le cas échéant, de la partie ayant déposé cette demande reconventionnelle ont été satisfaites en dehors de la procédure ou pour toute autre raison, les parties en sont informées et, avec l’accord de celles-ci, le Letrado de la Administración de Justicia (greffier) ordonne la clôture de la procédure, sans qu’il y ait lieu de procéder à la condamnation de l’une ou de l’autre partie aux dépens de l’instance.

2. Si l’une des parties maintient qu’un tel intérêt légitime subsiste, en faisant valoir de manière motivée qu’il n’a pas été satisfait à ses demandes par voie extrajudiciaire ou en invoquant d’autres arguments, le greffier invite les parties, dans un délai de dix jours, à comparaître devant le juge, lequel statue sur cette seule question.

À l’issue d’une telle comparution, le juge décide, par voie d’ordonnance, dans les dix jours qui suivent celle-ci, s’il y a lieu ou non de poursuivre la procédure, en condamnant celui dont la demande a été rejetée aux dépens de l’instance.

3. L’ordonnance ordonnant la poursuite de la procédure n’est pas susceptible de recours. Seule la décision de clore la procédure est susceptible de faire l’objet d’un recours. »

7 L’article 394, paragraphe 1, de la LEC dispose :

« 1. Dans les procédures déclaratives, les dépens exposés en première instance incombent à la partie dont tous les chefs de demande ont été rejetés, à moins que le tribunal ne considère, de manière dûment motivée, que l’affaire soulevait de sérieux doutes en fait ou en droit.

Pour apprécier, aux fins d’une condamnation aux dépens, si l’affaire soulevait de sérieux doutes en droit, il convient de prendre en considération la jurisprudence établie dans des affaires similaires. »

8 L’article 395, paragraphes 1 et 2, de la LEC dispose :

« 1. Lorsqu’un acquiescement à la demande intervient avant toute contestation, il n’y a pas lieu de procéder à la condamnation de l’une ou de l’autre partie aux dépens de l’instance, à moins que le tribunal ne constate, de manière dûment motivée, la mauvaise foi du défendeur.

La mauvaise foi du défendeur est réputée exister si, avant l’introduction de la demande, le requérant a adressé à celui-ci une mise en demeure de payer probante et justifiée, si une procédure de médiation avait été engagée ou si le défendeur a été appelé en conciliation.

2. Lorsque l’acquiescement à la demande intervient après que cette dernière a été contestée, le paragraphe 1 de l’article précédent s’applique. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 Le 21 septembre 2016, les parties au principal ont conclu un contrat de crédit à la consommation renouvelable. Au mois de mars 2020, la requérante au principal a mis en demeure la défenderesse au principal de résilier ce contrat de crédit et de lui rembourser les sommes que cette dernière avait indûment perçues, considérant que les intérêts dudit contrat de crédit étaient usuraires. La défenderesse au principal a refusé de donner suite à cette mise en demeure.

10 La requérante au principal a également saisi la juridiction de renvoi d’un recours visant à faire constater la nullité du même contrat de crédit. À titre principal, elle invoquait le caractère usuraire, au sens de la réglementation nationale, du taux d’intérêt prévu par celui-ci et demandait le remboursement des sommes versées excédant le capital emprunté en application de ce taux d’intérêt. À titre subsidiaire, elle invoquait le caractère abusif, au sens de la directive 93/13, de la clause relative au taux d’intérêt rémunératoire, en raison de l’absence de transparence.

11 La juridiction de renvoi a déclaré ce recours recevable. Dans le délai imparti à la défenderesse au principal pour formuler ses observations à l’égard dudit recours, cette dernière a sollicité la radiation de l’affaire, faisant valoir que la requérante au principal avait obtenu satisfaction, quant à ses prétentions, par voie extrajudiciaire, et qu’elle avait résilié le contrat de crédit renouvelable concerné, indiquant que la requérante au principal ne pouvait plus désormais effectuer aucune opération avec la carte de crédit correspondante, et qu’elle avait effacé le solde débiteur relatif aux intérêts et aux autres commissions. La défenderesse au principal a également demandé à ne pas être condamnée aux dépens. En effet, en application de l’article 22, paragraphe 1, de la LEC, si les chefs de demande sont satisfaits en dehors de la procédure, cette dernière est en principe close sans qu’il y ait lieu de procéder à la condamnation de l’une ou de l’autre partie aux dépens de l’instance.

12 Par la mesure d’organisation de la procédure du 11 septembre 2020, la juridiction de renvoi a signifié à la requérante au principal la demande de radiation, présentée par la défenderesse au principal et fondée sur la disparition de l’intérêt légitime de cette requérante à obtenir une protection juridictionnelle effective.

13 La requérante au principal a fait valoir que cette demande de radiation était non fondée, la défenderesse au principal n’ayant, selon elle, pas satisfait à l’ensemble de ses chefs de demande, notamment à la déclaration de nullité du contrat de crédit à la consommation renouvelable concerné pour cause d’usure et au paiement des dépens. La requérante au principal a, en outre, souligné que, avant d’introduire un recours devant la juridiction de renvoi, elle avait, sans succès, mis en demeure la défenderesse au principal de résilier ce contrat de crédit et de lui rembourser les sommes payées au titre des intérêts.

14 Eu égard à un tel désaccord entre les parties au principal, ces dernières ont été invitées à comparaître devant la juridiction de renvoi, en application de l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, de la LEC. Après avoir entendu ces parties en leurs observations et examiné les preuves présentées par celles-ci, cette juridiction a constaté que les chefs de demande de la requérante au principal avaient été satisfaits en dehors de la procédure, dans la mesure où la défenderesse au principal avait résilié le contrat de crédit à la consommation renouvelable concerné et remboursé les sommes indûment versées. Elle a en outre constaté, d’une part, que, avant d’intenter le recours dont elle est saisie, la requérante au principal avait mis en demeure à plusieurs reprises la défenderesse au principal par une télécopie adressée depuis un bureau de poste et dont la date voire le contenu font foi (burofax) afin d’obtenir la résiliation de ce contrat de crédit et le remboursement des sommes qu’elle lui avait indûment versées ainsi que, d’autre part, que la défenderesse au principal avait refusé d’y donner suite.

15 Dès lors que les chefs de demande de la requérante au principal ont été satisfaits en dehors de la procédure, la juridiction de renvoi fait observer que, en vertu de la réglementation nationale concernée, elle n’est pas autorisée à condamner l’une ou l’autre partie aux dépens. Elle indique en outre qu’elle n’est pas non plus autorisée à tenir compte de l’existence de mises en demeure antérieures à l’introduction du recours ayant donné lieu au litige au principal afin d’apprécier l’éventuelle mauvaise foi de la défenderesse au principal et de condamner cette dernière aux dépens exposés par la requérante au principal. Dans ce contexte, dans la mesure où la requérante au principal a la qualité de « consommateur », au sens de la directive 93/13, et où, dans le cadre du litige au principal, cette partie cherche à faire valoir des droits tirés de cette directive, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la conformité de cette réglementation nationale avec ladite directive.

16 Dans ces conditions, le Juzgado de Primera Instancia no 2 de Las Palmas de Gran Canaria (tribunal de première instance no 2 de Las Palmas de Grande Canarie, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Dans le cadre des recours de consommateurs contre des clauses abusives, fondés sur la [directive 93/13], en cas de satisfaction extrajudiciaire de ces consommateurs, l’article 22 de la [LEC] prévoit que lesdits consommateurs doivent supporter les dépens de l’instance, et ce indépendamment du comportement adopté antérieurement par le professionnel concerné, qui n’a pas donné suite aux mises en demeure préalables. Cette réglementation espagnole en matière de procédure constitue-t-elle un obstacle significatif susceptible de dissuader les mêmes consommateurs d’exercer leur droit à un contrôle juridictionnel effectif du caractère potentiellement abusif d’une clause contractuelle, obstacle qui serait contraire au principe d’effectivité ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ? »

Sur la compétence de la Cour

17 À titre liminaire, la requérante au principal et le gouvernement espagnol soulèvent l’incompétence de la Cour pour connaître de la question posée, dans la mesure où la situation juridique à l’origine du litige au principal ne relèverait pas du champ d’application du droit de l’Union.

18 Selon une jurisprudence constante, il appartient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C 709/20, EU:C:2021:602, point 45 et jurisprudence citée).

19 À cet égard, il résulte de l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et de l’article 267, premier alinéa, TFUE que la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité des actes pris par les institutions de l’Union. Le second alinéa de l’article 267 TFUE précise, en substance, que, lorsqu’une question susceptible de faire l’objet d’un renvoi préjudiciel est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction d’un État membre, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question (arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C 709/20, EU:C:2021:602, point 46).

20 En l’occurrence, certes, le régime de répartition des dépens concerné est applicable aux procédures engagées devant les juridictions espagnoles et relève dès lors, en principe, du droit procédural espagnol.

21 Toutefois, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’objet du litige au principal s’inscrit dans un domaine régi par le droit de l’Union. En effet, ce litige porte sur le caractère abusif, au sens de la directive 93/13, de plusieurs clauses d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur et, par la question posée, la juridiction de renvoi saisit la Cour, en substance, du point de savoir si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de cette directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition du droit procédural national régissant la répartition des dépens, à savoir à l’article 22 de la LEC. En particulier, la juridiction de renvoi invite la Cour à examiner si une telle disposition du droit national peut constituer un obstacle substantiel susceptible de décourager les consommateurs d’exercer leurs droits, en violant des dispositions du droit de l’Union, à la lumière du principe d’effectivité. L’exercice des droits des consommateurs, tirés de la directive 93/13, est tributaire du droit procédural des États membres. Ainsi, le droit procédural national concerné est susceptible d’avoir une influence cruciale sur l’effectivité du droit de l’Union.

22 En effet, appelée à examiner le contenu de procédures d’injonction de payer, la Cour a jugé à plusieurs reprises que les frais qu’entraîne une action en justice peuvent dissuader les consommateurs de former l’opposition requise par ce type de procédures (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C 618/10, EU:C:2012:349, point 54, du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C 49/14, EU:C:2016:98, point 52, et du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C 176/17, EU:C:2018:711, point 69).

23 Or, si la mise en œuvre des régimes de répartition des dépens relève de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe d’autonomie procédurale de ces derniers, les modalités de cette mise en œuvre doivent néanmoins satisfaire à une double condition. Ainsi, elles ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises dans le droit interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas non plus rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 17 juillet 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C 169/14, EU:C:2014:2099, point 31).

24 Dans ces conditions, la Cour est compétente pour statuer sur la demande de décision préjudicielle.

Sur la recevabilité de la question préjudicielle

25 La requérante au principal et le gouvernement espagnol proposent à la Cour de déclarer la question posée irrecevable, dès lors que cette question aurait déjà été tranchée dans la jurisprudence nationale. Cette jurisprudence permettrait d’appliquer un « critère de correction » permettant de prendre en considération la mauvaise foi éventuelle du professionnel et défendeur à l’instance et, dans ce cas de figure, de condamner ce dernier aux dépens, même en cas de satisfaction extrajudiciaire des prétentions du requérant.

26 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi de ce litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C 618/10, EU:C:2012:349, point 76 et jurisprudence citée).

27 Ainsi, le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C 618/10, EU:C:2012:349, point 77 et jurisprudence citée).

28 Tel n’est manifestement pas le cas dans la présente affaire.

29 En effet, il convient de constater à cet égard que la demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 et vise à permettre à la juridiction de renvoi de statuer sur la compatibilité de l’article 22 de la LEC, tel qu’interprété par les juridictions nationales, avec ces dispositions de cette directive.

30 En outre, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, en application de l’article 22 de la LEC, la requérante au principal, qui est un consommateur visé par la directive 93/13, risque de devoir supporter les dépens relatifs au recours qu’elle a introduit contre des clauses abusives du contrat de crédit renouvelable concerné en dépit du fait d’avoir obtenu satisfaction sur le fond par la voie extrajudiciaire auprès de l’établissement de crédit concerné.

31 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que la question posée est recevable.

Sur le fond

32 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que l’article 22 de la LEC, en vertu de laquelle, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle relative à la constatation du caractère abusif d’une clause d’un contrat entre un professionnel et un consommateur, en cas de satisfaction par voie extrajudiciaire de ses prétentions, ce consommateur doit supporter ses dépens relatifs à la procédure juridictionnelle qu’il s’est vu contraint d’engager pour faire valoir les droits que lui confère la directive 93/13, et ce sans que le comportement antérieur du professionnel concerné, qui n’a pas donné suite aux mises en demeure qui lui ont été préalablement adressées par ledit consommateur, soit pris en considération.

33 Conformément à une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation spécifique de l’Union en la matière, les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence), ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C 224/19 et C 259/19, EU:C:2020:578, point 83, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 27 et jurisprudence citée).

34 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la répartition des dépens d’une procédure juridictionnelle devant les juridictions nationales relève de l’autonomie procédurale des États membres sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C 224/19 et C 259/19, EU:C:2020:578, point 95).

35 En ce qui concerne le principe d’effectivité, seul visé dans la présente affaire, il y a lieu de relever que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il convient de prendre en considération, le cas échéant, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (voir, notamment, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 28 et jurisprudence citée).

36 En outre, la Cour a précisé que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment, en ce qui concerne les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, consacrée également à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui vaut, notamment, en ce qui concerne la définition des modalités procédurales relatives aux actions en justice fondées sur de tels droits (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 29 et jurisprudence citée).

37 La directive 93/13 donne au consommateur le droit de s’adresser à un juge afin de faire constater le caractère abusif d’une clause contractuelle et d’écarter l’application de celle-ci. À cet égard, la Cour a jugé que faire dépendre le sort de la répartition des dépens d’une telle procédure des seules sommes payées indûment et dont la restitution est ordonnée est de nature à dissuader le consommateur d’exercer ce droit, eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait (voir arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C 224/19 et C 259/19, EU:C:2020:578, point 98 ainsi que jurisprudence citée).

38 Ainsi, la Cour a dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que le principe d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime qui permet de faire peser une partie des dépens procéduraux sur le consommateur selon le niveau des sommes indûment payées qui lui sont restituées à la suite de la constatation de la nullité d’une clause contractuelle en raison de son caractère abusif, étant donné qu’un tel régime crée un obstacle substantiel susceptible de décourager les consommateurs d’exercer le droit à un contrôle juridictionnel effectif du caractère potentiellement abusif de clauses contractuelles tel que ce droit est conféré dans la directive 93/13 (arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C 224/19 et C 259/19, EU:C:2020:578, point 99).

39 En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que, en application de l’article 22 de la LEC, elle ne peut condamner la partie défenderesse au principal aux dépens dès lors que les chefs de demande de la requérante au principal avaient été satisfaits en dehors de la procédure juridictionnelle pendante devant elle. Selon cette juridiction, il en va également ainsi lorsqu’il s’avère que la partie défenderesse au principal était de mauvaise foi et que, de ce fait, la partie requérante au principal a été contrainte de faire valoir ses droits par la voie du recours juridictionnel, dès lors que l’article 22 de la LEC ne permet pas au juge saisi de tenir compte de telles circonstances afin de déroger à la règle de répartition des dépens qu’il prévoit.

40 À cet égard, il y a lieu de relever que, dans le cadre des procédures typiques engagées en application de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, le consommateur est le requérant et le défendeur est le professionnel, ce qui implique que, si ce dernier décide de satisfaire les demandes du consommateur en dehors de la procédure juridictionnelle, ce consommateur doit, en application de la réglementation espagnole décrite au point précédent, toujours supporter les coûts de cette procédure, et cela même dans le cas de figure où ce professionnel est de mauvaise foi.

41 Force est de constater qu’une telle réglementation, qui fait peser un tel risque sur ledit consommateur, crée un obstacle substantiel susceptible de décourager celui-ci d’exercer son droit à un contrôle juridictionnel effectif du caractère potentiellement abusif de clauses contractuelles figurant au contrat concerné et, en définitive, revient à méconnaître le principe d’effectivité.

42 Dans ses observations devant la Cour, le gouvernement espagnol soutient, toutefois, que l’article 22 de la LEC est susceptible d’être interprété de manière conforme aux exigences qui découlent de ce principe. En effet, cet article pourrait être interprété en ce sens qu’il incombe au juge national de tenir compte de l’éventuelle mauvaise foi du professionnel concerné et, le cas échéant, de condamner ce dernier au paiement des dépens de la procédure juridictionnelle.

43 Il y a lieu de considérer qu’une telle interprétation du droit national est compatible avec le principe d’effectivité, en ce qu’elle permet de ne pas décourager les consommateurs d’exercer les droits que la directive 93/13 leur confère. Il revient à la juridiction de renvoi de vérifier si une telle interprétation conforme au droit de l’Union est possible.

44 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle relative à la constatation du caractère abusif d’une clause d’un contrat entre un professionnel et un consommateur, en cas de satisfaction par voie extrajudiciaire de ses prétentions, le consommateur concerné doit supporter ses dépens, sous réserve que le juge saisi tienne impérativement compte de l’éventuelle mauvaise foi du professionnel concerné et, le cas échéant, condamne ce dernier au paiement des dépens relatifs à la procédure juridictionnelle que ce consommateur s’est vu contraint d’engager pour faire valoir les droits que lui confère la directive 93/13.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle relative à la constatation du caractère abusif d’une clause d’un contrat entre un professionnel et un consommateur, en cas de satisfaction par voie extrajudiciaire de ses prétentions, le consommateur concerné doit supporter ses dépens, sous réserve que le juge saisi tienne impérativement compte de l’éventuelle mauvaise foi du professionnel concerné et, le cas échéant, condamne ce dernier au paiement des dépens relatifs à la procédure juridictionnelle que ce consommateur s’est vu contraint d’engager pour faire valoir les droits que lui confère la directive 93/13.