Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 09-71.288
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bailly
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Ortscheidt
Vu leur connexité, joint les pourvois n° Y 09-71. 288, A 09-71. 290, B 09-71. 291, E 09-71. 294, F 09-71. 295 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 23 septembre 2009), que MM. X..., Y..., Z..., A... et B..., engagés en qualité de directeur d'investissement par CDC capital investissements, société holding du pôle de participations de capital investissement pour le compte de la Caisse des dépôts et consignations (la société Holding) ont été chargés de constituer l'équipe de gestion de la société de gestion, ayant pour premier investisseur des fonds gérés (sponsor) la société Holding, et exclusivement dédiée à la gestion pour le compte de tiers, incluant la gestion de fonds d'investissement ouverts à des investisseurs extérieurs à la CDC, via des fonds communs de placement à risque, dits FCPR ; que le 31 mars 2000, les cinq directeurs composant l'équipe de gestion étaient nommés membres du directoire de la société de gestion ; que le 29 septembre 2000, les contrats de travail les liant à la société Holding étaient résiliés et de nouveaux contrats de travail étaient conclus avec la société de gestion, le transfert étant autorisé par son conseil de surveillance ; qu'en 2001, la société de gestion créait un second FCPR, (FCPR II), composé de parts A, B et C, les parts C, dont la souscription était réservée au sponsor et aux membres de l'équipe de gestion moyennant un investissement financier de leur part, donnait droit à 20 % des plus-values réalisées par le fonds, une fois dépassé le seuil de rentabilité pour les investisseurs fixé à 8 % l'an ; que par contrat du 27 avril 2001, la société Holding proposait aux cinq directeurs de bénéficier d'une partie des parts C dans le FCPR II, précisant toutefois que les parts souscrites et émises au profit des membres de l'équipe de gestion n'étaient pas définitivement acquises dès l'émission, leur acquisition se faisant de manière progressive, en fonction du temps passé par les membres de l'équipe à la gestion du fonds et en fonction de la cause de leur départ ; qu'il était ainsi notamment prévu qu'en cas de licenciement pour faute lourde, la société Holding pourrait racheter une fraction de ces parts C à leur valeur nominale augmentée d'un intérêt annuel au taux de 4 %, le salarié perdant alors l'ensemble des parts C souscrites mais non émises ; qu'à la suite d'un conflit les opposant au conseil de surveillance de la société de gestion et à la Caisse des dépôts et consignations, les cinq directeurs étaient révoqués de leur mandat social et, le même jour, convoqués à un entretien préalable à une mesure disciplinaire avec mise à pied conservatoire ; qu'ils étaient licenciés pour faute lourde le 6 octobre 2004 ;
Sur le premier moyen commun aux pourvois :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le deuxième moyen commun aux pourvois :
Attendu que les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes relatives à la rupture de leur contrat de travail, alors, selon le moyen :
1°/ que le licenciement disciplinaire doit être fondé sur des éléments constituant un manquement aux obligations qui résultent du contrat de travail, et non du mandat social, et que le principe de l'indépendance des fonctions salariées et des fonctions de mandataire social s'oppose nécessairement à ce que des fautes commises dans le cadre d'un mandat social puissent être retenues à l'appui d'un licenciement ; qu'en relevant que le mandat social du salarié avait, en partie pour les mêmes faits, été résilié en date du 15 septembre 2004, soit avant le licenciement, et en affirmant qu'en raison de la confusion que le salarié avait opérée entre ses deux fonctions, qui ne permettait pas de faire le partage entre ce qui relevait du mandat social et ce qui relevait de la fonction technique salariée, la remise en cause du mandat social n'était pas exclusive du développement d'une procédure disciplinaire par rapport au contrat de travail pour les mêmes faits, à savoir, l'appropriation de parts C en violation délibérée des règles applicables, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 3141-26 du code du travail ;
2°/ qu'un salarié ne peut pas être licencié pour des fautes dont il est impossible de déterminer si elles ont été commises dans le cadre du mandat social ou dans celui du contrat de travail ; qu'en posant en principe que « l'autonomie entre le mandat social et le contrat de travail invoquée par le salarié pour soutenir que les actes posés dans le cadre de son mandat social en tant que membre du directoire ne sauraient être invoqués pour fonder un licenciement, ne saurait protéger, en l'espèce, le salarié que dans la mesure où il aurait lui-même respecté cette autonomie », de sorte que la confusion opérée par le salarié entre ses fonctions salariées et celles relevant de son mandat de membre du directoire permettait la mise en oeuvre d'une procédure de licenciement à son encontre pour les mêmes faits que ceux qui avaient présidés à la révocation de son mandat social, à savoir l'appropriation de parts C en violation délibérée des règles applicables, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 3141-26 du code du travail ;
3°/ subsidiairement, que la faute lourde rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, de sorte que la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur ait eu connaissance des faits fautifs allégués ; qu'en constatant que la société CDC capital investissements avait eu connaissance des faits fautifs au plus tard, le 30 août 2004, date de la remise de la note du contrôleur général saisi par les membres du directoire, et qu'elle avait mis en oeuvre la procédure de licenciement, le 15 septembre 2004, soit quinze jours après, et en décidant néanmoins que le licenciement du salarié était fondé sur une faute lourde, la cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 3141-26 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a retenu que, si pour la plupart des faits reprochés, la confusion entre les fonctions exercées ne permettait pas de faire la distinction entre ce qui relevait du mandat social et ce qui relevait des fonctions techniques salariées, cette situation avait été délibérément provoquée par les cinq directeurs qui utilisaient dans le cadre de leurs fonctions salariées les informations qu'ils tenaient de leur participation au directoire et, en retour, se servaient du directoire au sein duquel ils détenaient le pouvoir, pour faire entériner leurs décisions ou leurs propositions en tant que directeurs de la société de gestion ; qu'elle en a exactement déduit que la confusion entretenue entre les actes effectués en qualité de directeur de la société de gestion et ceux effectués en qualité de membre du directoire ne pouvait avoir pour conséquence d'interdire à l'employeur d'invoquer ces faits, qui avaient déjà conduit à la révocation des mandats sociaux, à l'appui d'une procédure de licenciement, dès lors qu'ils constituaient un manquement aux obligations professionnelles des directeurs salariés ;
Que le moyen qui, dans sa troisième branche, ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le troisième moyen commun aux pourvois :
Attendu que les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que dans leurs conclusions d'appel, reprises oralement, ils faisaient valoir qu'il ne pouvait leur être imputée une faute lourde, caractérisée par une intention de nuire, dès lors qu'après le licenciement, l'employeur les avait laissés, pendant plusieurs mois, suivre activement et régulièrement les investissements en assurant le reporting et en siégeant au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des sociétés dans lesquelles avaient été réalisés des investissements, ce qui relevait des fonctions salariées ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions opérantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que l'intention de nuire à l'employeur n'est caractérisée que lorsque le salarié a voulu que son acte emporte des conséquences dommageables pour son employeur ; que ni une appropriation forcée de parts C malgré les mises en garde du conseil de surveillance, ni le désir de s'enrichir personnellement, de prendre le contrôle de la société de gestion ou de priver celle-ci de tout outil d'intéressement permettant le recrutement de nouveaux gestionnaires, ne caractérisent une intention de nuire à l'employeur ; qu'en retenant pourtant ces éléments pour dire le licenciement fondé sur une faute lourde et en statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser une intention de nuire du salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 3141-26 du code du travail ;
3°/ que les juges ne peuvent statuer par voie de simple affirmation ; qu'en jugeant que les licenciements étaient fondé sur une faute lourde, motifs pris « qu'en s'obstinant à s'approprier les parts C, au détriment du fonctionnement normal de l'entreprise et malgré les mises en garde du conseil de surveillance, les directeurs qui ne pouvaient ignorer la gravité d'une telle attitude et le risque d'entraîner le blocage de son fonctionnement ont fait montre d'une indéniable intention de nuire, telle qu'expressément visée dans la lettre de licenciements », la cour d'appel, qui s'est déterminée par voie de simple affirmation, n'a pas satisfait aux exigences de motivation de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ qu'en relevant, s'agissant des deuxième et troisième griefs du licenciement, à savoir la saisine d'instances inappropriées et la publicité ainsi recherchée sur certains sujets constitutifs du différend (saisine du comité consultatif sur la gouvernance le 12 août 2004 et du comité des investisseurs du FCPR II le16 septembre 2004) ainsi que la divulgation d'éléments confidentiels auprès du comité des investisseurs du FCPR II, qu'ils ne pouvaient à eux seuls constituer un motif de licenciement pour faute lourde, et en estimant cependant que la certaine publicité donnée aux distensions existant en interne, par le biais du comité consultatif sur la gouvernance et du comité des investisseurs du fonds II, caractérisait l'intention de nuire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 3141-26 du code du travail ;
5°/ qu'en retenant la faute lourde, motifs pris de ce que l'appropriation de l'ensemble des parts restant disponibles par une partie des membres de l'équipe de gestion privait la société de gestion de tout moyen d'attirer de nouveaux salariés en faisant valoir l'intéressement auquel ils pourraient prétendre sur les revenus de la société, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser l'intention de nuire et n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 3141-26 du code du travail ;
6°/ que les juges ne peuvent statuer par voie de motifs hypothétiques ; qu'en énonçant, pour retenir l'existence d'une faute lourde à leur encontre que « le mobile pour agir des intéressés ait été tout simplement le désir de s'enrichir personnellement, le désir de prendre le contrôle de la société de gestion, ou le désir de priver celle-ci de tout outil d'intéressement permettant le recrutement de nouveaux gestionnaires, dans tous les cas, il ne peut être sérieusement soutenu par les directeurs concernés qu'après à tout le moins le 13 juillet 2004, ils n'ont pas fait preuve d'une intention de nuire manifeste à l'encontre de la société qu'ils géraient, la société de gestion, mais aussi, au-delà, du groupe Caisse des dépôts et consignations », la cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
7°/ que dans leurs conclusions d'appel, MM. X..., Y..., Z..., A... et B..., faisaient valoir que le motif réel du licenciement et la faute lourde invoquée à leur encontre procédaient d'une volonté de le priver de leurs droits compte tenu du fait que la lettre du 27 avril 2001 leur proposant de bénéficier de parts C dans le fonds II prévoyait qu'en cas de licenciement pour faute lourde, la société Holding pourrait lui racheter une fraction de ses parts C à leur valeur nominale augmentée d'un intérêt annuel au taux de 4 % et qu'ils perdraient au surplus l'ensemble des droits non acquis, à savoir les parts C souscrites et non émises ; qu'en affirmant qu'il était peu important que la qualification de faute lourde ait en outre eu pour l'employeur l'avantage de lui permettre de faire jouer les dispositions précisées dans la lettre du 27 avril 2001 prévoyant une possibilité de rachat des parts C par la société Holding, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a ainsi entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article L. 3141-26 du code du travail ;
8°/ que dans leurs conclusions délaissées, MM. X..., Y..., Z..., A... et B..., faisaient valoir que la cession du 9 juillet 2004 constituait l'aboutissement de l'accord du 20 septembre 2001, prévoyant que l'équipe de gestion devait recevoir 8, 83 % de Carried Interest, soit 2 644, 30 parts C, confirmé par une note du directoire du 14 mai 2004 qui n'avait fait l'objet d'aucune restriction ou réserve de la part des présidents du conseil de surveillance successifs, et que les 41 parts C (8. 222 parts C x 5 directeurs) ne représentaient que 1, 5 % de la totalité des parts C attribuées à l'équipe de gestion, de sorte que l'intention de nuire à la société ne pouvait être caractérisée ; qu'en s'abstenant de répondre à ces chefs pertinents des conclusions d'appel des exposants, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et qui n'a pas statué par des motifs hypothétiques, a retenu que l'obstination des directeurs, qui ne pouvaient ignorer la gravité d'une telle attitude et le risque d'entraîner un blocage du fonctionnement de la société, à s'approprier les parts C au détriment du fonctionnement normal de l'entreprise, malgré les mises en garde du conseil de surveillance, la remise en cause non seulement du rôle et de l'autorité de ce conseil mais aussi de toute l'économie du système dans lequel ils étaient insérés, la tentative d'impliquer dans le conflit les autres salariés de l'équipe de gestion et la publicité donnée aux dissensions internes, ne pouvaient qu'inquiéter les investisseurs privés à l'égard de la stratégie de la Caisse des dépôts et consignations et de ses filiales ; qu'elle a ainsi caractérisé une intention de nuire à l'employeur ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.