CA Papeete, ch. civ., 24 mars 2022, n° 20/00185
PAPEETE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Fakarava Pearls Farm (Sté)
Défendeur :
Nacc (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Polle
Conseillers :
M. Sekkaki, Mme Szklarz
Avocat :
Selarl Groupavocats
Faits et procédure :
Par requête du 7 février 2020, la SAS NACC, venant aux droits de la SAEM BANQUE SOCREDO, a sollicité la résolution du plan de redressement adopté par le tribunal civil de première instance de Papeete par jugement du 25 août 2013 au profit de la SCA FAKARAVA PEARLS FARM.
Par jugement n° RG 2020/000182 en date du 24 février 2020, le tribunal civil de première instance de Papeete a :
- Fixé la date de cessation des paiements au 7 février 2020,
- Ordonné la résolution du plan de redressement par voie de continuation adopté par le tribunal le 25 août 2003 en faveur de la SCA FAKARAVA PEARLS FARM,
- Prononcé la liquidation judiciaire de la SCA FAKARAVA PEARLS FARM,
- Désigné les organes de la procédure de liquidation judiciaire,
- Rappelé le dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens,
- Ordonné les notifications et mesures de publicité prévues par la loi,
- Condamné la SCA FAKARAVA PEARLS FARM à payer à lasociétéNACC la somme de 100 000 FCP en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française,
- Ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Le tribunal a jugé qu'il était constant que la SCA FAKARAVA PEARLS FARM n'avait pas respecté les obligations découlant du plan de redressement et qu'il n'avait pas d'autre alternative que d'ordonner la résolution du plan de redressement et de prononcer la liquidation judiciaire.
La SCA FAKARAVA PEARLS FARM a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe le 17 juillet 2020.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2022, et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 24 février 2022.
A l'issue de celle-ci, les parties ont été informées que la décision, mise en délibéré, serait rendue le 24 mars 2022 par mise à disposition au greffe.
Prétentions et moyens des parties :
La SCA FAKARAVA PEARLS FARM, appelante, demande à la Cour par dernières conclusions régulièrement transmises le 19 avril 2021, de :
A titre liminaire,
- Juger que la décision intervenue est nulle de plein droit,
- Condamner la NACC à verser à FAKARAVA PEARLS FARM la somme de 300 000 FCP au titre des frais irrépétibles de la présente instance et aux entiers dépens dont distraction,
Sur la nullité de la résolution du plan de redressement,
- Infirmer la décision du tribunal civil de première instance du 24 février 2020 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- Prononcer la nullité de la résolution du plan de redressement,
- Dire qu'il n'y a pas lieu à liquidation judiciaire de FAKARAVA PEARLS FARM,
- Condamner la NACC à verser à FAKARAVA PEARLS FARM la somme de 300 000 FCP au titre des frais irrépétibles de la présente instance et aux entiers dépes dont distraction.
A titre liminaire elle fait valoir que l'assignation faite par l'huissier indique que la société FAKARAVA PEARLS FARM est assigné pour l'audience du 24 février 2020 à 8h devant le tribunal civil de première instance sans indique le tribunal mixte de commerce ayant compétence spéciale en matière de procédure collective civile. En conséquence, la décision est rendue par une juridiction commerciale ayant compétence spéciale en matière de procédure collective civile. Par ailleurs, faute de défendeur, le tribunal aurait dû renvoyer l'affaire, le rôle d'audience n'ayant pas été accessible à l'ensemble des avocats. Pour ces raisons cette décision doit être déclarée nulle.
Par ailleurs, elle considère au visa de l'article 6 du code de procédure civile de la Polynésie française que le tribunal aurait dû respecter le contradictoire et renvoyer l'affaire avec injonction à la défenderesse de se défendre. Elle affirme que la seule assignation d'une partie et sa non-comparution ne suffit pas au contradictoire, l'article 6 prévoyant notamment que le tribunal ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, ce dont elle déduit que le juge qui doit inviter les parties à présenter leurs observations ce qui suppose au moins un renvoi.
Elle estime ensuite que la cession de créance par la SOCREDO à la NACC est irrégulière, aucun document ne venant prouver sa régularité au regard de l'article 1690 du code civil.
Enfin, sur le fond, elle indique que si la dernière échéance du plan de redressement n'a pas été réglée c'est parce que l'ancien commissaire à l'exécution du plan devait renégocier celle-ci avec la SOCREDO et qu'elle n'a pas eu de nouvelles ensuite, le nouveau commissaire ayant adressé ses demandes de règlement à une mauvaise adresse. Elle fait valoir qu'elle fait des bénéfices et embauche 11 salariés.
La SAS NACC, intimée, par dernières conclusions régulièrement transmises le 17 septembre 2021 demande à la Cour de :
- Donner acte à la société NACC de ce qu'elle s'en rapporte à justice quant au mérite de l'appel interjeté par la société FAKARAVA PEARLS FARM à l'encontre du jugement rendu le 24 février 2020 par le tribunal civil de première instance de Papeete, en ce qu'il a ordonné la résolution du plan de redressement accordé à cette dernière, et a prononcé sa liquidation judiciaire,
En toute hypothèse,
- Débouter la société FAKARAVA PEARLS FARM de ses demandes de condamnation de la société NACC au titre des frais irrépétibles et dépens,
- Condamner la société FAKARAVA PEARLS FARM à payer à la société NACC la somme de 400 000 FCP sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance, appel et incident.
Elle rappel en premier lieu que la société FAKARAVA PEARLS FARM est une société civile et ne pouvait pas être assignée devant le tribunal mixte de commerce.
Elle expose ensuite qu'aucun texte n'associe la nullité au défaut de contradiction et qu'à prendre la nullité d'un acte de procédure le grief tiré de l'absence de contradictoire est réparé par la procédure d'appel. Par ailleurs aucun élément ne vient démontrer l'impossibilité pour la défenderesse de constituer avocat en première instance, alors même qu'elle a bien reçu l'assignation.
Par ailleurs, elle rappelle que la cession de créance est valablement signifiée au sens de l'article 1690 du code civil par voie d'assignation.
Elle explique finalement que les parties se sont rapprochées et entendues de sorte que la société FAKARAVA PEARLS FARM s'est acquittée de 95% de sa dette entre les mains de la société NACC qui s'en rapporte à Justice.
M. Jean-Christophe T., exerçant le mandat d'Abner G., ès qualité de liquidateur judiciaire de la SCA FAKARAVA PEARLS FARM, par conclusions régulièrement transmises le 12 février 2021 indique à la cour s'en rapporter à la décision de la cour.
Le procureur général auquel le dossier a été transmis a apposé son visa le 8 août 2020 sur la côte du dossier.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties.
Motifs de la décision :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou à « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens.
1. Sur la nullité du jugement pour incompétence :
L'article L. 621-5 du code de commerce dans sa version applicable en Polynésie française dispose que : « Le tribunal compétent est le tribunal mixte de commerce si le débiteur est commerçant ou est immatriculé au répertoire des métiers. Le tribunal de première instance est compétent dans les autres cas. ['] Un décret en Conseil d'Etat détermine en Polynésie française le tribunal ou les tribunaux appelés à connaître des procédures de redressement judiciaire applicables aux personnes autres que celles mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 620-2, ainsi que le ressort dans lesquels ces tribunaux exercent les attributions qui leur sont dévolues. »
L'article L. 620-2 prévoit que le redressement et la liquidation judiciaires sont applicables à tout commerçant, à toute personne immatriculée au répertoire des métiers, à tout agriculteur et à toute personne morale de droit privé.
Il n'y a donc aucune disposition prévoyant que le tribunal mixte de commerce a une compétence spéciale en matière de procédures collectives civiles comme l'affirme la SCA FAKARAVA PEARLS FARM qui méconnait les dispositions applicables, alors même que la procédure collective concernant cette société civile agricole ressort du tribunal civil de première instance de Papeete.
L'assignation qui lui a été faite devant cette juridiction et le jugement qui en est résulté sont donc parfaitement réguliers et cette exception de nullité doit être rejetée, les arguments tenant à la difficulté pour le conseil de l'appelante de trouver la salle d'audience ou de se constituer n'étant démontrés par aucune élément concret, outre leur caractère quelque peu déroutant sous la plume d'un avocat du barreau de Papeete.
2. Sur la nullité du jugement pour non-respect du contradictoire :
L'article 6 du code de procédure civile de la Polynésie française indique : « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée. Elle pourra solliciter le concours gratuit d'un interprète assermenté si elle ne maîtrise pas parfaitement la langue française. Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait et de droit sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent afin que chacune soit à même d'organiser sa défense. Le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir dans sa décision que les moyens, les explications, les documents invoqués ou produits dont les parties ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
Or, la cour constate que la SCA FAKARAVA PEARLS FARM a été régulièrement assignée à sa personne le 5 février 2020 pour l'audience du 24 février 2020 à 8 heures devant le tribunal civil de première instance de Papeete, dans les formes et délais prévus par la loi, lui laissant le temps d'organiser sa défense et le loisir de se présenter à l'audience et constituer avocat.
Elle ne démontre en aucun avoir été empêché de le faire, ni même avoir écrit ou sollicité de la juridiction un quelconque renvoi puisqu'elle n'a pas comparu.
Aucune disposition n'impose au tribunal de renvoyer d'office une affaire en cas de non-comparution de la partie assignée à personne, ni de lui faire injonction de se défendre.
Par ailleurs, les dispositions de l'article 6 susvisé mentionnées par l'appelante concerne le cas où le tribunal a entendu relever un moyen d'office, auquel cas il doit inviter les parties à s'expliquer dessus, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il a uniquement statué sur les mérites de la requête de la SAS NACC le saisissant.
Le principe contradictoire a donc été scrupuleusement respecté par le tribunal et l'exception de nullité du jugement sera rejetée.
3. Sur le défaut de qualité à agir de la SAS NACC :
L'article 45 du code de procédure civile de la Polynésie française prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfixé, la chose jugée.
L'application de l'article 1690 du code civil conduit à considérer comme régulière la notification d'une cession de créance faite à l'occasion d'un acte de procédure telle une assignation en Justice.
C'est précisément ce qu'a fait la SAS NACC qui, dans son assignation de la SCA FAKARAVA PEARLS FARM devant le tribunal civil de première instance, a détaillé l'acte par lequel la banque SOCREDO lui a cédé la créance qu'elle détenait à l'encontre de cette société et a joint l'attestation notariée de cession de créance comprenant tous les éléments permettant de s'assurer de son contenu.
La cession est donc régulièrement notifiée au cédé et la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir (puisque c'est ainsi qu'il convient de qualifier le moyen de l'appelante qui ne l'a pas fait) doit être rejeté.
4. Sur le fond :
Il résulte de l'article L. 621-82 du code de commerce que si le débiteur n'exécute pas ses engagements dans les délais fixés par le plan, le tribunal peut, d'office ou à la demande d'un créancier, le commissaire à l'exécution du plan entendu, prononcer la résolution du plan et l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Il est constant qu'au moment où le tribunal a statué, aucune explication ni engagement n'ont pu être donnés par la SC FAKARAVA PEARLS FARM sur l'exécution du plan de continuation.
Cependant, au jour où la cour statue, la quasi-totalité de la créance détenue désormais par la SAS NACC a été réglée.
Il n'y a donc plus de justification pour ordonner la résolution du plan et la liquidation de la SCA FAKARAVA PEARLS FARM qui présente un bilan 2019 positif et un résultat net bénéficiaire, et justifie d'une activité régulière.
Par conséquent le jugement sera infirmé et la cour dit n'y avoir lieu à résolution du plan.
5. Sur les frais et dépens :
Aucun élément ne permet de juger qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, il convient par conséquent de débouter les parties de leurs demandes au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS ,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
REJETTE les demandes de nullité du jugement n° RG 2020/000182 en date du 24 février 2020 du tribunal civil de première instance de Papeete pour incompétence et non-respect du contradictoire ;
REJETTE la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la SAS NACC,
INFIRME le jugement n° RG 2020/000182 en date du 24 février 2020 du tribunal civil de première instance de Papeete en toutes ses dispositions;
Statuant de nouveau,
DIT n'y avoir lieu à résolution du plan de redressement par voie de continuation adopté par le tribunal civil de première instance de Papeete le 25 août 2003 en faveur de la SCA FAKARAVA PEARLS FARM ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
ORDONNE l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.