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Décisions

Cass. soc., 24 mai 2018, n° 16-22.881

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frouin

Avocats :

SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Gadiou et Chevallier, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Amiens, du 28 juin 2016

28 juin 2016

Vu la connexité, joint les pourvois n° 16-22.881 à 16-22.908 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Amiens, 28 juin 2016), que la société Lee Cooper France a été placée en redressement judiciaire le 26 mars 2010 et qu'elle a fait l'objet d'un plan de cession par jugement du tribunal de commerce du 9 juillet 2010 ; qu'à la suite du prononcé de la liquidation judiciaire de la société, le licenciement économique des soixante quatorze salariés non repris dans le cadre du plan a été notifié les 22 juillet et 19 août 2010 après la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi ; que M. Y... et vingt-sept autres salariés ont saisi la juridiction prud'homale afin que soit reconnue la qualité de coemployeur de la société Sun Capital Partners Inc. et qu'elle soit condamnée au paiement de dommages-intérêts en raison de sa responsabilité extra-contractuelle ayant conduit à la perte de leur emploi ;

Attendu que la société Sun Capital Partners Inc. fait grief aux arrêts de dire que les licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse, de constater que les salariés n'avaient formé de demandes indemnitaires à l'égard de la société Lee Cooper France qu'à titre subsidiaire et de la condamner à payer aux salariés des dommages-intérêts pour la perte de leur emploi, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge a l'obligation de motiver sa décision ; qu'il doit préciser sur quels éléments de preuve il fonde ses affirmations ; qu'en l'espèce, la société Sun Capital Partners Inc. contestait détenir, directement ou indirectement, une participation au sein des sociétés du groupe Lee Cooper et soulignait qu'elle n'apparaissait pas sur les différents organigrammes du groupe Lee Cooper établis, dans le cadre de la procédure collective de la société Lee Cooper France, par l'administrateur judiciaire de cette dernière et par l'expert mandaté par le tribunal de commerce pour analyser les liens juridiques, économiques et financiers entre la société Lee Cooper France et les sociétés du groupe Lee Cooper ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir que la société Sun Capital Partners Inc. est au final l'actionnaire principal du groupe Lee Cooper, que la société de droit luxembourgeois Lee Cooper Group SCA, qui détient indirectement le capital de la société Lee Cooper France, « est détenue à 100 % par Sun Capital Partners Inc. », sans préciser sur quel élément de preuve elle fondait une telle affirmation, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que seule est de nature à engager la responsabilité personnelle d'un associé envers un tiers (cocontractant de la société), une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d'associé ; qu'en l'absence de toute immixtion dans la gestion économique et sociale caractérisant une situation de coemploi, une faute simple et, a fortiori, une légèreté blâmable sont insuffisantes à engager la responsabilité délictuelle de l'actionnaire principal d'un groupe vis-à-vis des salariés d'une filiale de ce groupe ; qu'en se bornant à relever, pour condamner la société Sun Capital Partners Inc. à payer aux salariés de la société Lee Cooper France des dommages-intérêts au titre de la perte de leur emploi, que « des fautes de gestion et à tout le moins la légèreté blâmable » sont établies par les pièces du dossier, la cour d'appel n'a pas caractérisé de faute intentionnelle d'une particulière gravité, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1842 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige ;

3°/ que la société mère n'encourt aucune responsabilité personnelle du fait de ses filiales et que l'actionnaire principal d'une société n'est pas davantage responsable personnellement des fautes commises par cette société ; que la responsabilité délictuelle de la société mère ou de l'associé principal d'un groupe vis-à-vis des salariés de l'une des sociétés de ce groupe ne peut être engagée qu'à la condition que soit caractérisée une faute personnelle de leur part à l'origine du préjudice invoqué ; qu'en l'espèce, après avoir écarté toute immixtion de la société Sun Capital Partners Inc. dans la gestion des sociétés du groupe Lee Cooper, la cour d'appel a relevé une série d'opérations défavorables à la société Lee Cooper France passées entre cette dernière et différentes sociétés du groupe Lee Cooper, sans constater aucune participation de la société Sun Capital Partners Inc. à ces opérations ; qu'en retenant néanmoins que ces opérations caractérisaient « des fautes de gestion et à tout le moins la légèreté blâmable » de l'actionnaire principal du groupe Lee Cooper -identifié comme étant la société Sun Capital Partners Inc.- et engageaient sa responsabilité extra-contractuelle de ce dernier à l'égard des salariés, au motif inopérant que ces opérations ont été faites « dans le seul intérêt de l'actionnaire principal », sans à aucun moment caractériser la part personnelle prise par la société Sun Capital Partners Inc. dans ces opérations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige ;

4°/ qu'en vertu du principe d'autonomie des personnes morales et du principe d'intangibilité des engagements des associés, la société mère ou l'actionnaire principal d'une société n'est pas tenu de remédier aux difficultés économiques de cette société ; qu'en relevant, pour retenir la responsabilité extra-contractuelle de la société Sun Capital Partners Inc., que cette dernière n'a pris aucune disposition pour remédier aux difficultés économiques de la société Lee Cooper France que les opérations imputées à d'autres sociétés ont engendrées, la cour d'appel n'a pas davantage caractérisé de faute personnelle susceptible d'engager la responsabilité délictuelle de la société Sun Capital Partners Inc., privant encore sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige ;

5°/ que la société mère ou l'actionnaire principal d'un groupe dont la responsabilité extra-contractuelle est engagée vis-à-vis des salariés d'une filiale ne peut être condamné qu'à réparer le préjudice directement causé, par sa faute, à ces salariés ; que sa faute ne peut priver les licenciements de cause réelle et sérieuse et ne peut, en conséquence, justifier la condamnation de ce tiers au contrat de travail à réparer la perte injustifiée de l'emploi des salariés ; qu'en retenant, en l'espèce, que la société Sun Capital Partners Inc., dont la qualité de coemployeur était pourtant écartée, devait être condamnée, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, à payer à chaque salarié de la société Lee Cooper France des dommages et intérêts au titre de la perte de son emploi, tout en constatant que les licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse du fait de l'insuffisance des recherches de reclassement et, plus généralement, de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi établi par la société Lee Cooper France, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige ;

Mais attendu que la cour d'appel, par une décision motivée, a constaté d'une part que la société Sun Capital Partners Inc. était l'actionnaire principal du groupe Lee Cooper qui détenait la société Lee Cooper France, à travers les sociétés qu'elle contrôlait ; que la cour d'appel a constaté d'autre part qu'à l'initiative de la société Sun Partners Inc. la société Lee Cooper France avait financé le groupe pour des montants hors de proportion avec ses moyens financiers, que notamment le droit d'exploiter la licence de la marque Lee Cooper avait été transféré à titre gratuit à une autre société du groupe, les redevances dues au titre du contrat de licence étaient facturées à la société Lee Cooper France, que celle-ci avait dû donner en garantie un immeuble pour un financement bancaire destiné exclusivement à une autre société du groupe et que cet immeuble avait été vendu au profit des organismes bancaires, qu'un stock important de marchandises gagées d'une société du groupe avait été vendu à la société Lee Cooper France qui s'était vue opposer le droit de rétention du créancier du groupe, que les facturations établies aux autres sociétés du groupe pour les services rendus par la société Lee Cooper France n'avaient été que très partiellement acquittées ; qu'en l'état de ces constatations dont il résultait que la société Sun Capital Partners Inc. avait pris, par l'intermédiaire des sociétés du groupe, des décisions préjudiciables dans son seul intérêt d'actionnaire, lesquelles avaient entraîné la liquidation partielle de la société Lee Cooper France, la cour d'appel a pu en déduire que la société Sun Capital Partners Inc. avait par sa faute, concouru à la déconfiture de l'employeur et à la disparition des emplois qui en est résultée ; que le moyen, inopérant en sa cinquième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.