Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-25.028
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Bénabent et Jéhannin
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 29 juillet 2013, RG n° 10/09151), qu'en 2001, la société Thor investissements a acquis les actions composant le capital de la société Thor (la société) dans le cadre d'une opération d'achat avec effet de levier (LBO) ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 4 avril et 9 novembre 2006, le liquidateur a assigné en paiement de l'insuffisance d'actif MM. X..., Y... et Z..., présidents successifs de celle-ci ;
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ que le fait pour un dirigeant de ne pas avoir pris à temps les mesures de réorganisation qu'exigeait l'adaptation de la société à l'évolution de sa situation économique est constitutif d'une faute de gestion ; qu'en se contentant d'affirmer qu'aucune faute de gestion n'avait été commise par les dirigeants de la société Thor, dès lors que certaines mesures de réorganisation avaient été entreprises, sans rechercher comme elle y était pourtant invitée et comme cela ressortait du rapport de M. A..., si les dirigeants s'étaient abstenus de prendre en temps utile des mesures de restructuration indispensables au redressement de la société Thor, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
2°/ que la poursuite volontaire et en toute connaissance de cause d'une activité déficitaire constitue une faute de gestion ; que cette faute n'est pas subordonnée à la constatation d'un état de cessation des paiements antérieur ou concomitant à la poursuite de l'activité ; qu'en jugeant cependant, pour écarter l'existence d'une faute de gestion résidant dans la poursuite d'une activité déficitaire par les dirigeants successifs de la société Thor, que le mandataire ad hoc désigné par ordonnance du 12 novembre 2003 « ne concluait pas à un état de cessation des paiements au début de l'année 2004 », la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;
3°/ que la poursuite en toute connaissance de cause d'une activité déficitaire ayant contribué à l'insuffisance d'actif expose le dirigeant à supporter tout ou partie de cette insuffisance d'actif sans qu'il puisse échapper à sa responsabilité à raison du fait d'autrui ; qu'en affirmant néanmoins que « les dirigeants successifs de la société Thor (...) ne pouvaient pas s'opposer à cette décision (de remontées de dividendes) de son associé unique, surtout à compter de l'année 2004 où les réserves étaient épuisées et qu'aucun d'entre eux n'avait les parts suffisantes dans la société holding pour influer sur ses décisions », et en considérant ainsi que, malgré la poursuite par les dirigeants successifs de la société Thor d'une activité qu'ils savaient déficitaire, la décision de son associé unique, la société Thor Investissements, à laquelle ils ne pouvaient pas s'opposer, constituait « le noeud des difficultés ayant conduit à la cessation des paiements », la cour d'appel a écarté à tort la responsabilité de MM. X..., Y... et Z..., violant ce faisant l'article L. 651-2 du code de commerce ;
4°/ que la poursuite d'une activité déficitaire par un dirigeant en toute connaissance de cause est à elle seule de nature à caractériser une faute de gestion, sans qu'il soit nécessaire d'établir la vanité d'éventuelles mesures de redressement entreprises par le dirigeant ; qu'en jugeant que « le liquidateur judiciaire ne (pouvait) stigmatiser les dirigeants dans leurs tentatives peu efficaces à redresser l'activité de la société sans démontrer que leurs décisions personnelles étaient dépourvues de toute pertinence ou de toute adéquation avec la situation qu'ils affrontaient alors », tout en constatant l'existence d'exercices déficitaires depuis 2002 et la poursuite de l'activité jusqu'en 2006, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;
5°/ que le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif ; qu'il peut être condamné à supporter la totalité des dettes sociales même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles ; que l'absence de mise en place d'une comptabilité et d'outils de gestion fiables permettant d'appréhender la situation économique et financière exacte de la société et de prendre en temps utile les mesures de redressement nécessaires constitue une faute de gestion contribuant à l'aggravation de l'insuffisance d'actif ; qu'il en est ainsi du dirigeant qui a délibérément recours à des procédés de valorisation des encours non conformes aux règles comptables, de nature à faire perdre à la comptabilité tout caractère de crédibilité et de fiabilité en minorant les pertes réelles et en masquant la situation réelle de la société ; qu'en affirmant, en l'espèce, que « les erreurs commises dans la valorisation, notamment des titres de la société AJM, comme l'absence de provisions suffisantes (...) ne sont pas celles qui ont contribué à l'insuffisance d'actif, due plus que majoritairement à l'absence d'efficacité ou d'adéquation des mesures de restructuration et aux remontées inopportunes pour la société filiale des dividendes à sa mère », la cour d'appel a jugé que les dirigeants successifs de la société Thor avaient certes commis des erreurs comptables fautives, mais que d'autres circonstances avaient « majoritairement » contribué à l'insuffisance d'actif et que les dirigeants de la société Thor ne devaient donc pas en être tenus pour responsables ; qu'en statuant de la sorte, tandis qu'il résultait des constatations de la cour d'appel que la faute dans la tenue de la comptabilité avait concouru à l'insuffisance d'actif de la société Thor, peu important que ce ne fût que partiellement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;
6°/ que l'omission par un dirigeant de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal est constitutive d'une faute de gestion ; que pour écarter l'existence d'une telle faute imputée à M. Z..., la cour d'appel, qui a jugé que « le propre tableau du liquidateur judiciaire en page 47 de ses écritures ne permet pas de le suivre dans son postulat, compte tenu de ce que ces créances étaient échues en grande partie postérieurement à cette date du 30 septembre 2005 », sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la date de cessation des paiements de la société Thor devait, en toute hypothèse, être fixée antérieurement à la limite légale de déclaration, soit le 13 février 2006, dès lors que les créances impayées de la société Thor étaient échues à la fin de l'année 2005 ou en début d'année 2006, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
7°/ que pour nier le caractère tardif de la déclaration de cessation des paiements imputable à M. Z..., la cour d'appel a affirmé que le liquidateur judiciaire avait indûment comptabilisé dans le passif exigible figurant dans le tableau de la page 47 de ses conclusions une créance de TVA de 370 000 euros, qui « ne pouvait par nature être enregistrée comme échue à cette fin d'année 2005 » ; que le liquidateur avait pourtant fait valoir, au contraire, dans ses conclusions que cette créance n'avait « pas été prise en compte par la liquidation judiciaire » ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a dénaturé les conclusions du liquidateur judiciaire, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que les décisions stratégiques échappaient aux dirigeants de la société, tout comme leur avait été étrangère la mise en place de l'opération obligeant la société à verser chaque année des dividendes importants à la société Thor investissements pour lui permettre de rembourser les emprunts contractés pour l'acquisition des actions, ce qui était la cause des difficultés financières du groupe, l'arrêt relève que les dirigeants ont, à plusieurs reprises, fait appel à des conseils extérieurs pour dégager des solutions et ont pris des initiatives en 2003 ayant permis de faire progresser le chiffre d'affaires, sans qu'il soit démontré que ces tentatives de redressement, entreprises à un moment où la situation de la société n'était pas irrémédiablement compromise, aient été dépourvues de pertinence ; qu'il relève encore que la comptabilité a été tenue et approuvée, fût-ce avec réserves, par le commissaire aux comptes et qu'il n'est pas rapporté la preuve que les erreurs commises par les dirigeants, notamment dans l'appréciation des provisions relatives à la dépréciation des titres de la société AJM, aient contribué à l'insuffisance d'actif ; qu'il retient, enfin, que, si le liquidateur fait état d'un montant de disponibilités, au 31 décembre 2005, de 343 475 euros pour un passif global estimé à 500 000 euros, il inclut dans celui-ci une créance non échue à cette date d'un montant de 370 000 euros, faisant ainsi ressortir que le retard à déclarer la cessation des paiements n'est pas davantage établi ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, sans encourir le grief de dénaturation invoquée par la septième branche, a pu déduire que MM. X..., Y... et Z... n'avaient pas commis de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.