CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 septembre 2022, n° 21/05438
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Rave Provence (Sasu)
Défendeur :
Franciaflex (SA), AJRS (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Renard, Mme Soudry
Avocats :
Me Baechlin, Me Andres, Me Bernabe, Me Biais
EXPOSE DU LITIGE
La société Noël Fermetures (la société Noël) a confié une partie du transport de ses marchandises à la société Transports Durou, devenue un établissement de la société Rave Distribution, devenue Rave Provence.
Le 30 octobre 2011, un contrat de prestations de transport a été conclu entre la société Rave Distribution et la société Noël.
La société Noël a été mise en redressement judiciaire. Un jugement du 28 septembre 2012 a arrêté un plan de cession. La société Franciaflex, qui produit et commercialise des matériels de fermeture et de menuiserie, a repris certains éléments du fonds de commerce de la société Noël.
Le 16 novembre 2012, la société Franciaflex et la société Rave se sont entendues sur les tarifs de la société Rave applicables pour la période postérieure au 1er novembre 2012.
Les négociations engagées entre les parties sur l'évolution ultérieure de ces tarifs ayant échoué, la société Franciaflex a, par lettre du premier août 2014, mis un terme aux relations entre les deux sociétés pour les activités dites "de distribution" à effet au 5 septembre 2014 et, par un courriel du 24 octobre de la même année, à celles relatives aux activités dites "tournées", à effet la semaine suivante, et aux activités dites "locations exclusives", à effet au premier décembre 2014.
Reprochant la société Franciaflex une rupture brutale des relations commerciales établies, la société Rave l'a assignée en réparation de son préjudice.
Par jugement du 4 novembre 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté la société Rave Distribution de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné la société Rave Distribution à verser à la société Franciaflex SA la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Rave Distribution aux dépens.
Par déclaration du 17 novembre 2016, la société Rave Distribution a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 28 février 2019, la cour d'appel de Paris a :
- confirmé le jugement ;
- condamné la société Rave Distribution à payer à la SA Franciaflex la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- condamné la société Rave Distribution aux dépens d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La société Rave Distribution a formé un pourvoi contre cet arrêt.
Par arrêt du 10 février 2021 (n° 19-15.369), la Cour de cassation a :
- cassé et annulé mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Rave distribution tendant à la réparation de son préjudice résultant de la rupture de la relation commerciale établie avec la société Franciaflex pour l'activité "tournées", l'arrêt rendu le 28 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
- condamné la société Franciaflex aux dépens et à payer à la société Rave distribution la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration de saisine du 15 mars 2021, la société Rave Provence a saisi la cour d'appel de Paris.
Par ses dernières conclusions notifiées le 14 mars 2022, la société Rave Provence demande, au visa des articles L. 442-6 du code de commerce et 1134 du code civil, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement, notamment en ce qu'il n'a pas considéré comme abusive la rupture de la relation commerciale en ce qui concerne le mode "Tournées", et de :
- condamner in solidum la société Franciaflex SA (RCS 788 165 793) et la société Franciaflex SAS (RCS 433 802 147) venant aux droits et en lieu et place de la société Franciaflex SA (RCS 788 165 793) à lui payer :
* la somme de 7 080 euros au titre du préjudice constitutif à la rupture brutale des relations commerciales représentant trois mois de marge brute du mode "Tournées",
* la somme de 40 100 euros au titre du coût du rachat des véhicules,
* la somme de 63 200 euros au titre de l'acquisition des portes caisses,
* la somme de 31 992,8 euros au titre du préjudice social,
* la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance,
- débouter les sociétés Franciaflex SA (RCS 788 165 793) et Franciaflex SAS (RCS 433 802 147) de toutes fins, demandes et conclusions.
Par leurs dernières conclusions notifiées le premier mars 2022, la société FranciaFlex SA, la société AJRS en qualité de commissaire à l'exécution du plan, et la société FranciaFlex SAS intervenant volontairement, demandent, au visa des articles L. 442-6 et L. 442-7 du code de commerce, de :
- mettre hors de cause la société FranciaFlex SA, inscrite au RCS sous le numéro 788 165 793, et la SELARL AJIRS en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cette société,
- débouter en conséquence la société Rave Provence de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'égard de la société FranciaFlex (RCS 788 165 793) et de la SELARL AJIRS,
- condamner la société Rave Provence à verser à la société FranciaFlex ainsi qu'à la société AJIRS à chacune la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- donner acte à la société FranciaFlex SAS, immatriculée au RCS sous le n° 433 802 147, de son intervention volontaire en lieu et place de la société FranciaFlex SA,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il a débouté la société Rave Provence de toutes ses demandes au titre du mode "tournées",
- débouter la société Rave Provence de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- à titre infiniment subsidiaire :
* fixer ce préavis à une durée inférieure ou tout au plus égale au préavis des autres activités, soit un mois maximum,
* dire et juger en conséquence que le préjudice est constitué par la perte de marge brute pendant la période du préavis fixé, diminution faite des 8 jours octroyés soit pour 3 semaines, la somme de 181 euros maximum,
- en tout état de cause :
* débouter la société Rave Provence de toutes ses demandes au titre des préjudices annexes et article 700,
* condamner la société Rave Provence à payer à la société FranciaFlex SAS la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamner la société Rave Provence aux entiers dépens.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Il est rappelé que la cour n'est pas tenue de statuer sur les demandes tendant à "donner acte", "déclarer", "constater", "fixer", "dire et juger", en ce qu'elles ne sont pas, exception faite des cas prévus par la loi, des prétentions, mais uniquement des moyens.
- Sur les mises hors de cause :
Il résulte des éléments du dossier que, jusqu'à l'assignation délivrée par acte du 22 septembre 2015 par la société Rave Distribution, la société Franciaflex n'a pas été identifiée dans sa forme juridique, SA ou SAS.
Ainsi, le jugement du 28 septembre 2012 du tribunal de commerce de Douai ayant arrêté le plan de cession de la société Noël mentionne "la société Franciaflex, filiale à 100 % de la société MAC", pour la reprise de certains actifs de la société Noël.
La société Rave Distribution a assigné la société anonyme Franciaflex devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
Il ressort de l'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés que la société anonyme Franciaflex a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du 2 décembre 1997, suivi d'un plan de redressement organisant sa cession par jugement du 4 février 1998, modifié par jugements des 12 novembre 2003, 30 novembre 2005, et 21 novembre 2007.
Les intimées justifient de l'acquisition, par la SAS Franciaflex, des activités de production et de commercialisation de stores intérieurs et extérieurs, matériels de fermeture et de menuiserie en PVC, anciennement de la société anonyme Franciaflex, et ce, par apports partiels d'actifs d'autres sociétés.
La société AJRS, commissaire à l'exécution du plan de la société anonyme Franciaflex, assignée par la société Rave Distribution devant la cour d'appel de renvoi, a indiqué, au terme d'une lettre du 24 février 2022 adressée au conseil des intimées, que la société anonyme Franciaflex avait cessé toute activité suite au jugement du 4 février 1998.
Il résulte de ces éléments qu'en 2012, la société Rave Distribution a contracté avec la société SAS Franciaflex, et non pas avec la société anonyme Franciaflex.
Il convient de mettre hors de cause la société Franciaflex SA (RCS 788 165 793) et la société AJIRS en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de cette société.
- Sur le préjudice résultant de la rupture de la relation commerciale établie pour l'activité 'tournée' :
La société Rave Distribution, devenue Rave Provence, forme une demande de réparation de son préjudice contre la société Franciaflex SAS, en lieu et place de la société Franciaflex SA.
La Cour de cassation, par son arrêt du 10 février 2021, a cassé et annulé l'arrêt du 28 février 2019 de la cour d'appel de Paris mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Rave Distribution tendant à la réparation de son préjudice résultant de la rupture de la relation commerciale établie avec la société Franciaflex pour l'activité "tournées".
La cour n'est dès lors saisie que de ce chef de dispositif.
Selon l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
En l'espèce, l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties n'est pas contestée, ni sa durée de deux ans.
La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures.
Le préavis écrit doit résulter d'un acte manifestant clairement l'intention du partenaire de ne pas poursuivre la relation commerciale dans les conditions antérieures et faisant ainsi courir un délai de préavis.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
Les parties ont engagé en octobre 2013 jusqu'en mai 2014 des négociations sur les tarifs de la société Rave Distribution qui n'ont pas abouti à un accord.
Les échanges écrits entre les parties, pendant cette phase de discussion, ne révèlent pas une intention claire de la société Franciaflex de rompre les relations commerciales.
Par courriel du 24 octobre 2014, la société Franciaflex a informé la société Rave Distribution de la fin de leurs relations commerciales à effet de la semaine 45, soit à compter du 3 novembre 2014, pour l'activité "tournées".
Par cet écrit, la société Franciaflex a ainsi notifié à la société Rave Distribution la rupture de leurs relations commerciales, en accordant une semaine de préavis.
Par ce même courriel, la société Franciaflex a mis fin aux activités dites "locations exclusives", à effet au premier décembre 2014.
La société Rave Distribution produit un "état de facturation véhicule mode tournée", qui mentionne une "moyenne mensuelle" de 11 360 euros et une "marge" de 16,79 %, et dont les données ne sont pas certifiées par un professionnel.
L'attestation du commissaire aux comptes de la société Rave Distribution relative aux informations portées dans le document "Evaluation de la marge mensuelle moyenne réalisée entre 2012 et 2014 avec notre client Noël-Franciaflex" indique que :
- la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires "affrètement pôle" est de 14 275 euros,
- la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires "en propre", qui correspondrait à l'activité "tournées", est de 1 237 euros et le taux de marge brute de 16,79 %,
- la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires "location/dédiées" est de 26 216 euros et le taux de marge brute est de 16,79 %,
- la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires total est de 41 728 euros.
Le compte de résultat de l'exercice 2015 de la société Rave Distribution mentionne un chiffre d'affaires de 52 680 433 euros et un résultat d'exploitation de 1 775 965 euros.
La société Rave Provence ne justifie pas, par les pièces versées aux débats, avoir consacré des investissements exclusivement dédiés à cette activité de "tournées" pour la société Franciaflex, ni d'un déséquilibre économique provoqué par la décision de cette dernière.
Si l'activité "tournées" avait une faible importance par rapport aux autres activités, pour autant, au regard de la durée de la relation commerciale et de l'activité concernée, le préavis d'une semaine accordé au titre de l'activité "tournées" est insuffisant et doit être fixé à un mois.
En conséquence, la société Franciaflex a rompu brutalement la relation commerciale et engage sa responsabilité.
La société Rave Provence a subi un préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis, et en considération de la marge brute escomptée durant cette période.
Cette perte de gains escomptés peut être calculée sur la base de la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires de l'activité de "tournées" de 1 237 euros et du taux de marge brute de 16,79 % qui ont été relevés (1 237 x 16,79 % x 3/4 =155,77 euros).
L'intimée propose de fixer cette perte de gains à un montant de 181 euros.
Le jugement, qui a rejeté la demande de la société Rave Distribution, sera infirmé.
La société Franciaflex SAS sera condamnée à payer à la société Rave Provence la somme de 181 euros.
Il n'est pas justifié que les préjudices annexes invoqués, au titre du rachat de véhicules, de l'acquisition de portes caisses, et d'un préjudice social, résulteraient d'une rupture brutale de l'activité "tournées".
Le jugement, qui a rejeté les demandes en réparation de ces préjudices annexes invoqués, sera confirmé.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
La société Rave Provence succombe en ses prétentions à l'exception de celle relative à la réparation du préjudice résultant de la perte de gains durant l'insuffisance du préavis pour l'activité "tournées".
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et de partager les dépens de la présente instance par moitié entre la société Rave Provence et la société Franciaflex SAS.
La société Franciaflex SA (RCS 788 165 793) étant mise hors de cause, avec la société AJIRS en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan, et la société Franciaflex SAS (RCS 433 802 147) étant intervenue en lieu et place de la société Franciaflex SA, il convient d'infirmer le chef de dispositif relatif aux frais irrépétibles.
Il apparaît équitable de condamner la société Rave Provence à payer à la société Franciaflex SAS (RCS 433 802 147) la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, et de rejeter les demandes au titre des frais irrépétibles exposés dans la présente instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statut publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
La cour, dans les limites de sa saisine,
- met hors de cause la société Franciaflex SA (RCS 788 165 793) et la société AJIRS en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de cette société ;
- confirme le jugement du 4 novembre 2016 du tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Rave Provence en réparation de préjudices annexes au titre du rachat de véhicules, de l'acquisition de portes caisses, et d'un préjudice social, et en ce qui concerne les dépens ;
- infirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Rave Provence en réparation de son préjudice constitué d'une perte de gains résultant de la rupture de la relation commerciale établie pour l'activité "tournées", et en ce qu'il a condamné la société Rave Distribution à verser à la société Franciaflex SA la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- statuant à nouveau et y ajoutant,
- condamne la société Franciaflex SAS à payer à la société Rave Provence la somme de 181 euros en réparation de son préjudice résultant de la rupture de la relation commerciale établie pour l'activité "tournées" ;
- condamne la société Rave Provence à payer à la société Franciaflex SAS (RCS 433 802 147) la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejette les autres demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société Rave Provence et la société Franciaflex SAS chacune pour moitié aux dépens de la présente instance.