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Décisions

CJUE, 5e ch., 14 juillet 2022, n° C-159/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République hellénique

Défendeur :

Royaume de Danemark

CJUE n° C-159/20

13 juillet 2022

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en ayant omis de prévenir et d’arrêter l’utilisation, par les producteurs laitiers danois, de l’appellation « Feta » pour désigner du fromage non conforme au cahier des charges publié dans le règlement (CE) no 1829/2002 de la Commission, du 14 octobre 2002, modifiant l’annexe du règlement (CE) no 1107/96 en ce qui concerne la dénomination Feta (JO 2002, L 277, p. 10), le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13 du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (JO 2012, L 343, p. 1).

2        En outre, la Commission demande à la Cour de déclarer que, en tolérant que les producteurs laitiers danois produisent et commercialisent des imitations de la feta, le Royaume de Danemark a enfreint l’article 4, paragraphe 3, TUE, lu en combinaison avec l’article 1er paragraphe 1, et l’article 4 du règlement no 1151/2012.

 Le cadre juridique

 Le règlement no 1829/2002

3        Par le règlement no 1829/2002, la dénomination « Feta » a été inscrite dans le registre des appellations d’origine protégées (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) en tant qu’AOP.

 Le règlement no 1151/2012

4        Les considérants 2, 3, 5, 18, 20 et 27 du règlement no 1151/2012 énoncent :

« (2)      Les citoyens et les consommateurs de l’Union exigent de plus en plus des produits de qualité ainsi que des produits traditionnels. Ils souhaitent également préserver la diversité de la production agricole dans l’Union. Cette volonté se traduit par une demande de produits agricoles ou de denrées alimentaires aux caractéristiques spécifiques identifiables, en particulier celles liées à leur origine géographique.

(3)      Les producteurs ne peuvent continuer à produire une gamme variée de produits de qualité que s’ils sont équitablement récompensés de leurs efforts. Cela exige qu’ils soient en mesure d’informer les acheteurs et les consommateurs au sujet des caractéristiques de leurs produits dans des conditions de concurrence loyale. Il faut également qu’ils soient en mesure d’identifier correctement leurs produits sur le marché.

[...]

(5)      Les priorités stratégiques Europe 2020 établies dans la communication de la Commission intitulée “EUROPE 2020 ‑ Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive” visent entre autres à développer une économie compétitive fondée sur la connaissance et l’innovation et à encourager une économie à fort taux d’emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale. Il convient donc que la politique de qualité des produits agricoles fournisse aux producteurs les outils appropriés leur permettant de mieux identifier et promouvoir parmi leurs produits ceux qui sont dotés de caractéristiques spécifiques tout en protégeant ces producteurs contre les pratiques déloyales.

[...]

(18)      En ce qui concerne la protection des appellations d’origine et des indications géographiques, les objectifs spécifiques sont de garantir un revenu équitable pour les agriculteurs et les producteurs au vu des qualités et des caractéristiques d’un produit déterminé ou de son mode de production et de fournir des informations claires sur les produits possédant des caractéristiques spécifiques liées à l’origine géographique, de manière à permettre aux consommateurs de prendre leur décision d’achat en meilleure connaissance de cause.

(20)      Un cadre établi au niveau de l’Union qui protège les appellations d’origine et les indications géographiques en prévoyant leur inscription dans un registre facilite le développement de ces instruments du fait que l’approche plus uniforme qui en résulte garantit des conditions de concurrence égale entre les producteurs de produits portant ces mentions et renforce la crédibilité de ces produits aux yeux des consommateurs. Il convient de prévoir des dispositions visant au développement des appellations d’origine et des indications géographiques au niveau de l’Union et d’œuvrer en faveur de la création de mécanismes pour leur protection dans les pays tiers, dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou d’accords multilatéraux et bilatéraux, qui contribueraient ainsi à ce que la qualité des produits et leur mode de production soient reconnus comme des facteurs de plus-value.

[...]

(27)      L’Union négocie avec ses partenaires commerciaux des accords internationaux, qui incluent des accords portant sur la protection d’appellations d’origine et d’indications géographiques. Afin de faciliter l’information du public au sujet des dénominations ainsi protégées et notamment de garantir la protection et le contrôle de l’utilisation prévue pour ces dénominations, les dénominations peuvent être inscrites dans le registre des [AOP] et des [IGP]. À moins qu’elles ne soient spécifiquement désignées comme des appellations d’origine dans ces accords internationaux, il convient d’inscrire les dénominations dans le registre en tant qu’[IGP]. »

5        Sous le titre I de ce règlement, intitulé « Dispositions générales », figure l’article 1er de celui-ci, intitulé « Objectifs », qui est ainsi libellé :

« 1.      Le présent règlement vise à aider les producteurs de produits agricoles et de denrées alimentaires à communiquer aux acheteurs et aux consommateurs les caractéristiques des produits et les propriétés de production de ces produits et denrées alimentaires en garantissant de la sorte :

a)      une concurrence loyale pour les agriculteurs et les producteurs dont les produits agricoles et les denrées alimentaires présentent des caractéristiques et des propriétés leur conférant une valeur ajoutée ;

b)      la disponibilité pour les consommateurs d’informations fiables relatives à ces produits ;

c)      le respect des droits de propriété intellectuelle ; et

d)      l’intégrité du marché intérieur.

Les mesures énoncées au présent règlement visent à promouvoir les activités agricoles et de transformation, ainsi que les modes de production associés à des produits de haute qualité, et contribuent ainsi à la mise en œuvre des objectifs de la politique de développement rural.

2.      Le présent règlement établit des systèmes de qualité, qui constituent le cadre de base permettant l’identification et, le cas échéant, la protection des dénominations et des mentions qui, en particulier, indiquent ou décrivent des produits agricoles possédant :

a)      des caractéristiques conférant une valeur ajoutée, ou

b)      des propriétés conférant une valeur ajoutée en raison des méthodes de production ou de transformation utilisées lors de la production ou en raison du lieu de production ou de commercialisation. »

6        Sous le titre II dudit règlement, intitulé « [AOP] et [IGP] », figure l’article 4 de celui-ci, intitulé « Objectif », qui énonce :

« Un système d’[AOP] et d’[IGP] est établi afin d’aider les producteurs de produits liés à une zone géographique :

a)      en assurant des revenus équitables au regard des qualités de leurs produits ;

b)      en garantissant une protection uniforme des dénominations en tant que droit de propriété intellectuelle sur le territoire de l’Union ;

c)      en fournissant aux consommateurs des informations claires sur les propriétés du produit lui conférant une valeur ajoutée. »

7        L’article 12 du règlement no 1151/2012, intitulé « Dénominations, symboles et mentions », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les [AOP] et les [IGP] peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un produit conforme au cahier des charges correspondant. »

8        L’article 13 de ce règlement, intitulé « Protection », dispose :

« 1.      Les dénominations enregistrées sont protégées contre :

a)      toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée à l’égard des produits non couverts par l’enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu’ingrédients ;

b)      toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, ou d’une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu’ingrédients ;

c)      toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit qui figure sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un récipient de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit ;

d)      toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

[...]

3.      Les États membres prennent les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l’utilisation illégale visée au paragraphe 1 d’[AOP] ou d’[IGP] qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire.

[...] »

9        L’article 36 dudit règlement, tel que modifié par le règlement (UE) 2017/625 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2017, concernant les contrôles officiels et les autres activités officielles servant à assurer le respect de la législation alimentaire et de la législation relative aux aliments pour animaux ainsi que des règles relatives à la santé et au bien-être des animaux, à la santé des végétaux et aux produits phytopharmaceutiques, modifiant les règlements du Parlement européen et du Conseil (CE) no 999/2001, (CE) no 396/2005, (CE) no 1069/2009, (CE) no 1107/2009, (UE) no 1151/2012, (UE) no 652/2014, (UE) 2016/429 et (UE) 2016/2031, les règlements du Conseil (CE) no 1/2005 et (CE) no 1099/2009 ainsi que les directives du Conseil 98/58/CE, 1999/74/CE, 2007/43/CE, 2008/119/CE et 2008/120/CE, et abrogeant les règlements du Parlement européen et du Conseil (CE) no 854/2004 et (CE) no 882/2004, les directives du Conseil 89/608/CEE, 89/662/CEE, 90/425/CEE, 91/496/CEE, 96/23/CE, 96/93/CE et 97/78/CE ainsi que la décision 92/438/CEE du Conseil (règlement sur les contrôles officiels) (JO 2017, L 95, p. 1), prévoit :

« Les contrôles officiels effectués conformément au [règlement 2017/625] comprennent :

a)      la vérification de la conformité d’un produit avec le cahier des charges correspondant ; et

b)      le suivi de l’utilisation des dénominations enregistrées pour décrire le produit mis sur le marché conformément à l’article 13 pour les dénominations enregistrées en vertu du titre II et conformément à l’article 24 pour les dénominations enregistrées en vertu du titre III. »

10      Aux termes de l’article 37, paragraphe 1, du même règlement, tel que modifié par le règlement 2017/625 :

« En ce qui concerne les [AOP], les [IGP] et les spécialités traditionnelles garanties désignant des produits originaires de l’Union, la vérification du respect du cahier des charges du produit, avant la mise sur le marché des produits, est assurée par :

a)      les autorités compétentes désignées conformément à l’article 4 du [règlement 2017/625] ; ou

b)      les organismes délégataires au sens de l’article 3, point 5), du [règlement 2017/625].

[...] »

 Le règlement (UE) no 608/2013

11      Le règlement (UE) no 608/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 12 juin 2013, concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle et abrogeant le règlement (CE) no 1383/2003 du Conseil (JO 2013, L 181, p. 15), énonce, à son article 2 :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

1)      “droit de propriété intellectuelle” :

[...]

d)      une indication géographique ;

[...]

4)      “indication géographique” :

a)      une [IGP] ou une [AOP] pour les produits agricoles et les denrées alimentaires au sens du [règlement no 1151/2012] ;

[...] »

 La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

12      Les autorités grecques ont signalé à la Commission que des entreprises ayant leur siège au Danemark exportaient du fromage vers des pays tiers sous les appellations « Feta », « Feta danoise » et « fromage Feta danois » bien que ce produit ne réponde pas au cahier des charges de l’AOP « Feta ».

13      Malgré les demandes des autorités grecques, les autorités danoises ont refusé de mettre fin à cette pratique, en considérant que celle-ci n’était pas contraire au droit de l’Union, car, selon elles, le règlement no 1151/2012 ne s’applique qu’aux produits vendus sur le territoire de l’Union et, partant, n’interdit pas à des entreprises danoises d’utiliser la dénomination « Feta » pour désigner du fromage danois exporté vers des pays tiers où cette dénomination n’est pas protégée.

14      Le 26 janvier 2018, la Commission a adressé au Royaume de Danemark une lettre de mise en demeure selon laquelle cet État membre, en omettant de prévenir ou d’arrêter l’infraction constituée par ladite pratique, enfreint le droit de l’Union, notamment l’article 13 du règlement no 1151/2012, et viole l’article 4, paragraphe 3, TUE.

15      Le Royaume de Danemark ayant répondu qu’il ne partageait pas le point de vue de la Commission, celle-ci a émis, le 25 janvier 2019, un avis motivé dans lequel elle a demandé à cet État membre de mettre fin à cette infraction et à cette violation.

16      Le Royaume de Danemark a répondu à cet avis motivé par une lettre du 22 mars 2019 dans laquelle il a maintenu sa position.

17      C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

18      La République hellénique et la République de Chypre ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de la Commission par décisions du président de la Cour des 8 et 18 septembre 2020.

 Sur le recours

19      Par son recours, la Commission fait grief au Royaume de Danemark d’avoir manqué aux obligations qui découlent de l’article 13 du règlement no 1151/2012 et d’avoir violé le principe de coopération loyale inscrit à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

 Sur le premier grief, tiré de la violation des obligations qui découlent de l’article 13 du règlement no 1151/2012

 Argumentation des parties

20      À l’appui de son recours, la Commission fait valoir que le règlement no 1151/2012 prévoit une protection étendue des dénominations enregistrées. Pour garantir la commercialisation de produits agricoles dans le respect des conditions d’une concurrence loyale et des droits de propriété intellectuelle, son article 12, paragraphe 1, conférerait aux opérateurs un droit positif d’utilisation d’une dénomination enregistrée si les produits concernés sont conformes au cahier des charges applicable. L’article 13, paragraphe 1, de ce règlement prévoirait, quant à lui, une protection « négative », en définissant les conditions dans lesquelles l’utilisation d’une dénomination enregistrée est illégale et, plus précisément, en interdisant expressément la production et la vente de produits de contrefaçon, c’est-à-dire de produits pour lesquels une AOP ou une IGP est utilisée bien qu’ils ne soient pas conformes au cahier des charges applicable. Le but de cette disposition serait de protéger les producteurs qui ont consenti des efforts pour garantir les qualités attendues des produits couverts par une AOP ou une IGP.

21      Par conséquent, lorsque des entreprises danoises utilisent l’AOP « Feta » pour désigner du fromage produit à partir de lait de vache et hors de l’aire géographique visée dans le règlement no 1829/2002, qu’elles exportent vers des pays tiers, elles enfreindraient l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012.

22      Cette conclusion serait conforme aux objectifs définis à l’article 1er, paragraphe 1, et à l’article 4 du règlement no 1151/2012, desquels il ressortirait que ce dernier vise à protéger les droits de propriété intellectuelle que confèrent les dénominations enregistrées et à garantir que les produits jouissant d’une telle protection puissent être commercialisés dans des conditions de concurrence loyale. Les considérants 3, 5 et 18 dudit règlement souligneraient le rôle fondamental des dénominations enregistrées pour créer les conditions d’une concurrence loyale entre les entreprises de l’Union, pour communiquer clairement les caractéristiques des produits de qualité en vue de garantir que leurs producteurs obtiennent un prix équitable qui couvre leurs frais de production et pour éviter une concurrence déloyale des entreprises qui utilisent illégalement de telles dénominations et portent atteinte à la réputation de celles-ci ainsi qu’à leur valeur.

23      Aussi serait-il indifférent que des produits qui utilisent illégalement des AOP soient commercialisés dans l’Union ou soient exportés vers des pays tiers. En effet, la pratique des entreprises danoises donnerait à celles-ci la possibilité, en infraction à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, de jouir d’avantages indus au détriment des efforts consentis par les agriculteurs et les entreprises produisant de la feta authentique et remplirait tous les critères d’une utilisation illégale d’une dénomination enregistrée, à savoir l’utilisation commerciale directe et l’exploitation de la réputation de l’AOP, l’utilisation illégale de l’AOP ainsi que la ressemblance entre la feta authentique et le produit litigieux par l’indication fallacieuse de la provenance du produit qui figure notamment sur le conditionnement.

24      Dans son mémoire en réplique, la Commission souligne que cette pratique constitue une violation d’un droit de propriété intellectuelle protégé par l’Union et dont les titulaires sont des agriculteurs de l’Union. Cette violation aurait lieu sur le territoire de l’Union, où le fromage illégalement étiqueté comme étant de la feta est fabriqué par des producteurs de l’Union. Elle créerait une distorsion de concurrence entre les opérateurs de l’Union et produirait dans celle-ci ses effets négatifs.

25      Dès lors, en s’abstenant de prendre des mesures administratives ou judiciaires pour prévenir ou arrêter la production sur son territoire et la vente de contrefaçons, comme l’exige l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012, le Royaume de Danemark omettrait d’assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle, qui constitue un objectif important de ce règlement, comme cela résulte de son article 4 et du choix de l’article 118 TFUE comme base juridique. Il perturberait gravement le bon fonctionnement du marché intérieur et empêcherait la réalisation des objectifs de ce règlement.

26      La République hellénique, soutenant la position et les conclusions de la Commission, fait notamment valoir que le libellé de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012 est clair en ce qu’il interdit la contrefaçon de produits couverts par une AOP, quelle qu’en soit leur destination, aucun élément de ce règlement ne faisant de distinction entre les produits destinés à l’exportation vers des pays tiers et ceux destinés au marché intérieur.

27      Elle souligne que le législateur de l’Union a introduit la disposition figurant à l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012, qui n’avait pas d’équivalent dans les règlements antérieurs, dans le but de simplifier et de renforcer le régime de protection des AOP et des IGP, en faisant peser sur les États membres l’obligation d’adopter d’office les mesures nécessaires pour prévenir ou arrêter l’utilisation déloyale des AOP en ce qui concerne les produits qui sont fabriqués ou commercialisés sur leur territoire. Ainsi, cette disposition rendrait chaque État membre responsable du respect du règlement no 1151/2012 sur son territoire et définirait l’étendue de l’interdiction de l’utilisation déloyale des AOP.

28      En outre, le règlement no 1151/2012 définirait, à ses articles 36 et 37, les procédures relatives aux contrôles que doivent mener les autorités compétentes des États membres pour vérifier la conformité d’un produit au cahier des charges correspondant avant la mise sur le marché du produit, ce qui confirmerait que le législateur de l’Union n’avait aucune intention d’exclure du champ d’application de ce règlement les produits fabriqués dans l’Union et destinés à être mis sur le marché d’un État tiers. Une autre interprétation rendrait, d’ailleurs, tout contrôle impossible.

29      La République hellénique souligne également que le règlement no 1151/2012 définit expressément et avec clarté ses objectifs à son article 1, paragraphe 1, et à son article 4, desquels il résulterait que l’objectif de ce règlement est d’aider les producteurs à obtenir une rémunération équitable pour les efforts qu’ils déploient et les frais qu’ils exposent pour garantir le respect du cahier des charges du produit en termes de qualité, et que cet objectif est atteint au moyen d’une concurrence loyale entre les producteurs, de la disponibilité pour les consommateurs d’informations fiables et du respect des droits de propriété intellectuelle.

30      La République de Chypre, soutenant également la position et les conclusions de la Commission, fait notamment valoir que le règlement no 1151/2012 établit un système exhaustif pour la protection des AOP et des IGP en tant que droits de propriété intellectuelle. La protection de ces droits ne s’arrêterait pas aux frontières du marché intérieur, ainsi que cela résulte de la nature de tels droits, des dispositions de ce règlement, en particulier de son article 36, et du règlement no 608/2013. Le Royaume de Danemark serait ainsi tenu d’effectuer des contrôles sur son marché selon les modalités prévues par le droit de l’Union et non de favoriser la contrefaçon et la commercialisation de produits contrefaits comme la « feta danoise ».

31      Selon cet État membre, la production dans un État membre et l’exportation de produits qui portent sur leur emballage la mention d’une AOP dont ils ne respectent pas le cahier des charges relève d’une utilisation commerciale telle que visée à l’article 13, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, effectuée sur le territoire de l’Union. Or, il ressortirait de l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement que les États membres sont tenus de protéger les AOP contre les pratiques définies au paragraphe 1 de cet article non seulement en ce qui concerne la commercialisation des produits litigieux sur leur territoire, mais également en ce qui concerne leur production. L’allégation du Royaume de Danemark concernant la non-applicabilité territoriale dudit règlement serait donc dépourvue de fondement.

32      En outre, la pratique des autorités danoises serait contraire à l’esprit du règlement no 1151/2012 et à la protection de l’AOP elle-même en tant que droit de propriété intellectuelle et nuirait aux perspectives de protection internationale des AOP, ce qui serait également contraire aux objectifs poursuivis par ce règlement.

33      Le Royaume de Danemark, qui conclut au rejet du recours, s’oppose au premier grief de la Commission en soutenant que le règlement no 1151/2012 ne s’applique pas aux exportations vers des pays tiers.

34      Il fait valoir, en premier lieu, que le libellé des dispositions du règlement no 1151/2012 ne permet pas de déterminer si les obligations des États membres que prévoit celui-ci s’appliquent uniquement aux produits mis sur le marché de l’Union ou si elles s’étendent aux produits destinés à l’exportation vers les pays tiers, ce règlement ne contenant aucune disposition mentionnant ces exportations.

35      À cet égard, le Royaume de Danemark fait observer que, à la différence du règlement no 1151/2012, d’autres règlements qui lui sont étroitement apparentés, tels que le règlement (UE) no 251/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, concernant la définition, la description, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des produits vinicoles aromatisés et abrogeant le règlement (CEE) no 1601/91 du Conseil (JO 2014, L 84, p. 14), le règlement (CE) no 110/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) no 1576/89 du Conseil (JO 2008, L 39, p. 16), ainsi que le règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671), disposent expressément que les règles qu’ils prévoient s’appliquent aux produits fabriqués dans l’Union à des fins d’exportation, ce qui serait une indication de ce que le législateur de l’Union n’a pas jugé opportun de retenir une telle règle en adoptant le règlement no 1151/2012.

36      En deuxième lieu, il ressortirait des objectifs du règlement no 1151/2012 que celui-ci vise à mettre en place un système de protection en faveur des produits mis en circulation sur le marché intérieur. En effet, il apparaîtrait clairement de l’article 1er, paragraphe 1, lu conjointement avec le considérant 2 de ce règlement, que cet article vise les acheteurs et les consommateurs de l’Union. Cela serait corroboré par l’article 1er, paragraphe 1, sous d), dudit règlement, duquel il ressortirait que les informations sur les caractéristiques des produits et les propriétés de production des produits et des denrées alimentaires contribuent à garantir l’intégrité du marché intérieur. En plus de limiter le champ d’application du règlement no 1151/2012, cet article 1er et les indications du préambule de ce règlement montreraient que l’objet de la protection conférée par celui-ci sont les produits qui sont mis en circulation sur le marché intérieur. Cela serait également corroboré par l’article 13, paragraphe 1, sous d), dudit règlement qui prévoit que les dénominations enregistrées doivent être protégées contre toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur, à savoir le consommateur de l’Union, en erreur quant à la véritable origine du produit.

37      En outre, le règlement no 1151/2012 ferait une distinction claire entre les mesures de protection des AOP et des IGP qui peuvent être appliquées au niveau de l’Union et celles qui doivent être appliquées pour garantir une protection similaire dans les pays tiers. Il ressortirait, à cet égard, du considérant 20 de ce règlement qu’une protection comparable dans les pays tiers suppose la création de mécanismes dans le cadre de l’OMC ou d’accords multilatéraux et bilatéraux.

38      Selon le Royaume de Danemark, l’objectif du règlement no 1151/2012 consistant à garantir des conditions d’une concurrence loyale aux producteurs de produits qui utilisent des AOP ou des IGP ne permettrait pas d’étendre la protection prévue par ce règlement à des marchés extérieurs de l’Union. Le lien entre cet objectif et les consommateurs de l’Union ressortirait clairement du considérant 3 dudit règlement qui ferait apparaître que le moyen de faire en sorte que les producteurs soient équitablement récompensés de leurs efforts consiste à mettre sur les produits des indications qui permettent aux consommateurs de les reconnaître sur le marché, les « consommateurs » étant entendus comme étant les consommateurs de l’Union et le « marché » comme étant le marché intérieur.

39      En troisième lieu, le Royaume de Danemark fait observer que le règlement no 1151/2012 n’aborde pas le sort réservé aux AOP et aux IGP des produits fabriqués dans l’Union mais destinés à être exportés vers des pays tiers, alors que, lors des travaux préparatoires ayant précédé son adoption, d’une part, le Comité des régions avait recommandé d’adopter des mesures précises de manière à éviter la commercialisation au sein de l’Union ou l’exportation de produits dont l’étiquetage n’est pas conforme à la législation en matière de qualité applicable aux produits agricoles de l’Union et, d’autre part, le Parlement européen avait proposé d’insérer, à l’article 13, une disposition habilitant la Commission à adopter des actes délégués pour définir les mesures que les États membres devraient mettre en œuvre afin d’éviter non seulement le commerce au sein de l’Union, mais aussi l’exportation à destination de pays tiers de produits dont l’étiquetage n’est pas conforme au règlement. Ces circonstances étayent, selon lui, une interprétation selon laquelle le champ d’application du règlement no 1151/2012 se limite aux produits mis en circulation sur le marché intérieur, en faisant apparaître que le législateur de l’Union a renoncé à régler dans ce règlement la question du sort réservé aux produits fabriqués dans l’Union mais destinés à être exportés vers des pays tiers.

40      De même, l’interprétation selon laquelle l’obligation des États membres de prévenir ou d’arrêter l’utilisation illégale d’AOP et d’IGP ne s’applique pas aux produits destinés à l’exportation vers les pays tiers serait étayée par la situation antérieure à l’entrée en vigueur du règlement no 1151/2012. En effet, ainsi que l’aurait constaté la Cour dans l’arrêt du 4 décembre 2019, Consorzio Tutela Aceto Balsamico di Modena (C‑432/18, EU:C:2019:1045, point 27), le système de protection des IGP et des AOP des produits agricoles et des denrées alimentaires que prévoyaient le règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 1992, L 208, p. 1), et le règlement (CE) no 510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 2006, L 93, p. 12), a été repris sans modification de substance à l’article 13 du règlement no 1151/2012.

41      En quatrième et dernier lieu, le principe de sécurité juridique s’opposerait à une interprétation extensive de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012, dès lors que le législateur de l’Union n’a pas prévu expressément dans ce règlement que les obligations des États membres au titre de celui-ci s’étendent aux produits fabriqués dans l’Union mais destinés à être commercialisés dans des pays tiers.

42      Dans son mémoire en duplique, le Royaume de Danemark indique, en ce qui concerne le libellé de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012, qu’il partage l’avis de la Commission selon lequel le terme « produites » y figurant montre que c’est déjà au moment où le fromage est produit que les autorités danoises ont l’obligation d’empêcher l’utilisation de l’AOP « Feta ». Il soutient que cette obligation s’impose, toutefois, en cas d’utilisation illégale d’une dénomination protégée, ce qui serait le cas lorsque le fromage est destiné à être commercialisé et consommé dans le marché intérieur, mais non lorsque ce fromage est destiné à être exporté vers un pays tiers. Cette conclusion serait également corroborée par l’objectif de ce règlement, tel que défini à son article 4, consistant à garantir une protection uniforme des dénominations en tant que droit de propriété intellectuelle « sur le territoire de l’Union ».

43      Cet État membre ajoute que la protection des consommateurs n’est, certes, qu’un but parmi plusieurs objectifs de même valeur, mais que la protection des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas pour autant l’objectif principal de ce règlement. Le fait que celui-ci vise notamment à assurer une telle protection ne permettrait pas en soi de conclure que cette dernière s’étend au-delà du marché intérieur.

 Appréciation de la Cour

44      Par son premier grief, la Commission reproche, en substance, au Royaume de Danemark d’avoir manqué aux obligations lui incombant en vertu des dispositions de l’article 13 du règlement no 1151/2012, dès lors qu’il a omis d’adopter les mesures appropriées pour prévenir ou arrêter l’utilisation, par des producteurs laitiers danois, de la dénomination « Feta » pour désigner du fromage produit sur son territoire à partir de lait de vache, et ne répondant donc pas au cahier des charges de l’AOP « Feta », qui est exporté vers des pays tiers.

45      Il convient d’emblée de constater que le Royaume de Danemark ne nie pas la pratique qui lui est ainsi reprochée par la Commission. Cet État membre conteste néanmoins que cette pratique constitue un manquement aux obligations qui découlent de l’article 13 du règlement no 1151/2012, au motif que le champ d’application de ce règlement ne s’étend pas aux produits exportés vers des pays tiers, le législateur de l’Union n’ayant pas, selon lui, entendu étendre l’interdiction de l’utilisation des AOP pour des produits ne répondant pas au cahier des charges applicable exportés vers des pays tiers lorsque l’Union n’a pas conclu d’accord multilatéral ou bilatéral en matière de protection des AOP.

46      Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, en vue de l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite), C‑569/20, EU:C:2022:401, point 32 et jurisprudence citée].

47      En ce qui concerne, en premier lieu, le libellé de l’article 13 du règlement no 1151/2012, il ressort du paragraphe 1, sous a), de celui-ci qu’est interdite « toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée à l’égard des produits non couverts par l’enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation protégée ». Il découle de l’emploi des termes « toute utilisation » que n’est pas exclue de cette interdiction l’utilisation d’une dénomination enregistrée pour désigner des produits non couverts par l’enregistrement qui sont fabriqués dans l’Union et destinés à être exportés vers des pays tiers.

48      En outre, l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012 impose aux États membres de prendre « les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l’utilisation illégale visée au paragraphe 1 des [AOP] et des [IGP] qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire ». La dernière conjonction « ou » indique que cette obligation ne s’applique pas uniquement aux produits commercialisés sur le territoire de l’État membre, mais aussi à ceux qui y sont fabriqués. Ces termes confirment ainsi que n’est pas exclue de l’interdiction prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous a), de ce règlement l’utilisation d’une dénomination enregistrée pour désigner des produits non couverts par l’enregistrement qui sont fabriqués dans l’Union et destinés à être exportés vers des pays tiers.

49      Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que des producteurs danois font une utilisation commerciale directe, au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1151/2012, de l’AOP « Feta » pour désigner du fromage qu’ils produisent sur le territoire du Royaume de Danemark et qui, partant, n’est pas couvert par l’enregistrement de cette AOP, et que les autorités danoises ne prennent aucune mesure administrative ou judiciaire pour prévenir ou arrêter cette utilisation.

50      S’agissant, en deuxième lieu, du contexte de l’article 13 du règlement no 1151/2012, il convient de relever que, ainsi que la Commission le fait valoir, ce règlement a été adopté sur le fondement, notamment, de l’article 118, premier alinéa, TFUE, habilitant le Parlement européen et le Conseil à établir, dans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur, les mesures relatives à la création de titres européens pour assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l’Union.

51      C’est ainsi en tant que droit de propriété intellectuelle que les AOP et les IGP sont protégées par le règlement no 1151/2012 et spécialement par l’article 13 de celui-ci, ainsi que le confirme l’article 4, sous b), de ce règlement, selon lequel un système d’AOP et d’IGP est établi afin d’aider les producteurs de produits liés à une zone géographique en garantissant une protection uniforme des dénominations en tant que droit de propriété intellectuelle sur le territoire de l’Union. Les AOP et les IGP relèvent d’ailleurs, comme la République de Chypre le fait observer, des droits de propriété intellectuelle également aux fins du règlement no 608/2013, ainsi que cela ressort de l’article 2, point 1, sous d), et point 4, sous a), de celui-ci.

52      Or, l’utilisation d’une AOP ou d’une IGP pour désigner un produit fabriqué sur le territoire de l’Union qui ne répond pas au cahier des charges applicable porte atteinte dans l’Union au droit de propriété intellectuelle que constitue cette AOP ou cette IGP, même si ce produit est destiné à être exporté vers des pays tiers.

53      Par ailleurs, s’agissant également du contexte de l’article 13 du règlement no 1151/2012, il convient de relever que les articles 36 et 37 de celui-ci, tels que modifiés par le règlement 2017/625, imposent notamment aux États membres d’assurer sur leur territoire une vérification de la conformité du produit au cahier des charges correspondant, et ce avant sa mise sur le marché. Ces dispositions, en ce qu’elles n’excluent pas de cette vérification les produits destinés à être exportés, confirment que l’obligation pour les États membres, prévue à l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement, de prendre les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l’utilisation illégale d’AOP ou d’IGP s’applique également à de tels produits.

54      En troisième lieu, quant aux objectifs poursuivis par le règlement no 1151/2012, il convient d’observer que ceux-ci sont clairement définis aux articles 1er et 4 de celui-ci. Selon la première de ces dispositions, ce règlement vise à aider les producteurs de produits agricoles et de denrées alimentaires à communiquer aux acheteurs et aux consommateurs les caractéristiques des produits et les propriétés de production de ces produits et denrées alimentaires en garantissant de la sorte une concurrence loyale pour les agriculteurs et les producteurs dont les produits agricoles et les denrées alimentaires présentent des caractéristiques et des propriétés leur conférant une valeur ajoutée, la disponibilité pour les consommateurs d’informations fiables relatives à ces produits, le respect des droits de propriété intellectuelle et l’intégrité du marché intérieur. Plus spécifiquement, s’agissant des AOP et des IGP, l’objectif est, selon la seconde de ces dispositions, d’aider les producteurs de produits liés à une zone géographique en assurant des revenus équitables au regard des qualités de leurs produits, en garantissant une protection uniforme des dénominations en tant que droit de propriété intellectuelle sur le territoire de l’Union et en fournissant aux consommateurs des informations claires sur les propriétés du produit lui conférant une valeur ajoutée.

55      Le considérant 18 du règlement no 1151/2012 indique également que, en ce qui concerne la protection des AOP et des IGP, les objectifs spécifiques sont de garantir un revenu équitable pour les agriculteurs et les producteurs au vu des qualités et des caractéristiques d’un produit déterminé ou de son mode de production et de fournir des informations claires sur les produits possédant des caractéristiques spécifiques liées à l’origine géographique, de manière à permettre aux consommateurs de prendre leur décision d’achat en meilleure connaissance de cause.

56      Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que le système de protection des AOP et des IGP vise essentiellement à assurer aux consommateurs que les produits agricoles bénéficiant d’une dénomination enregistrée présentent, en raison de leur provenance d’une zone géographique déterminée, certaines caractéristiques particulières et, partant, offrent une garantie de qualité due à leur provenance géographique, dans le but de permettre aux opérateurs agricoles ayant consenti des efforts qualitatifs réels d’obtenir en contrepartie de meilleurs revenus et d’empêcher que des tiers ne tirent abusivement profit de la réputation découlant de la qualité de ces produits (arrêts du 17 décembre 2020, Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier, C‑490/19, EU:C:2020:1043, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que, par analogie, du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑783/19, EU:C:2021:713, point 49).

57      Le Royaume de Danemark faisant valoir qu’il ressort de ces objectifs que le règlement no 1151/2012 vise à mettre en place un système de protection des AOP et des IGP pour des produits mis en circulation sur le marché intérieur, les consommateurs visés étant ceux de l’Union, il convient de relever que ce sont, certes, ces consommateurs et non ceux de pays tiers qui sont visés par ce règlement. En effet, ce dernier, adopté sur le fondement de l’article 118 TFUE, concerne le fonctionnement du marché intérieur et vise, ainsi que le fait observer cet État membre, l’intégrité du marché intérieur et l’information du consommateur de l’Union.

58      Il convient également d’observer que l’objectif consistant à informer les consommateurs et celui consistant à assurer aux producteurs des revenus équitables au regard des qualités de leurs produits présentent un lien, l’information des consommateurs ayant notamment pour but, ainsi que cela ressort de la jurisprudence rappelée au point 56 du présent arrêt, de permettre aux opérateurs agricoles ayant consenti des efforts qualitatifs réels d’obtenir en contrepartie de meilleurs revenus.

59      Toutefois, il demeure que le but d’assurer aux producteurs des revenus équitables au regard des qualités de leurs produits constitue en lui-même, ainsi que cela ressort du considérant 18 et de l’article 4, sous a), du règlement no 1151/2012, un objectif poursuivi par ce règlement. Il en est de même de l’objectif consistant à garantir le respect des droits de propriété intellectuelle énoncé à l’article 1er, sous c), de ce règlement.

60      Or, il est manifeste que l’utilisation de l’AOP « Feta » pour désigner des produits fabriqués sur le territoire de l’Union qui ne répondent pas au cahier des charges de cette AOP porte atteinte, même si ces produits sont destinés à être exportés vers des pays tiers, à ces deux objectifs.

61      Il découle ainsi tant du libellé de l’article 13 du règlement no 1151/2012 que du contexte de cette disposition et des objectifs poursuivis par ce règlement que, ainsi que la Commission le fait valoir, une telle utilisation relève des agissements prohibés par l’article 13, paragraphe 1, sous a), de ce règlement.

62      Aucun des autres arguments avancés par le Royaume de Danemark n’est susceptible de remettre en cause cette interprétation.

63      En premier lieu, en ce qui concerne le fait que le règlement no 1151/2012, à la différence d’autres règlements relevant du domaine de la protection des dénominations et des indications enregistrées, tels que les règlements nos 110/2008 et 251/2014, ne prévoit pas expressément qu’il s’applique également aux produits fabriqués dans l’Union à des fins d’exportation vers des pays tiers, il convient de rappeler que les dispositions du droit de l’Union relatives à la protection des dénominations et indications enregistrées, qui s’inscrivent dans la politique horizontale de l’Union en matière de qualité, doivent faire l’objet d’une interprétation qui permette une application cohérente de celles-ci (arrêt du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑393/16, EU:C:2017:991, point 32). Or, une interprétation du règlement no 1151/2012 en ce sens qu’il exclurait les produits agricoles et les denrées alimentaires destinés à l’exportation vers des pays tiers de la protection qu’il établit, alors que les règlements nos 110/2008 et 251/2014 invoqués par le Royaume de Danemark garantissent une même protection aux produits qu’ils visent, y compris lorsqu’ils sont produits dans l’Union à des fins d’exportation vers des pays tiers, ne satisferait pas cette exigence de cohérence, en l’absence de justification d’une telle différence.

64      En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’allégation tirée des considérants 20 et 27 du règlement no 1151/2012, il convient de souligner que ceux-ci ne sauraient nullement être compris en ce sens que la protection des produits fabriqués dans l’Union et exportés vers les pays tiers serait subordonnée à l’existence d’un mécanisme prévu à cet effet dans le cadre de l’OMC ou d’accords multilatéraux ou bilatéraux. En effet, ces derniers ont pour objet d’assurer une telle protection par et dans les pays tiers, tandis que le règlement no 1151/2012 prévoit un système de protection uniforme et exhaustif pour les AOP et les IGP dans l’Union (voir, par analogie, arrêt du 8 septembre 2009, Budĕjovický Budvar, C‑478/07, EU:C:2009:521, point 114).

65      En ce qui concerne, en troisième lieu, les éléments invoqués par le Royaume de Danemark concernant la genèse du règlement no 1151/2012 et la situation antérieure à l’adoption de celui-ci, il y a lieu d’observer que, d’une part, le fait que la recommandation du Comité des régions et la proposition du Parlement européen évoquées au point 39 du présent arrêt n’ont pas conduit à énoncer expressément, dans ce règlement, que celui-ci s’applique également aux produits fabriqués dans l’Union à des fins d’exportation vers des pays tiers ne saurait, en soi, suffire à établir que le législateur de l’Union a finalement renoncé à inclure ces produits dans son champ d’application. D’autre part, force est de constater que la comparaison du système de protection des AOP et des IGP des produits agricoles et des denrées alimentaires, issu du règlement no 2081/92 puis du règlement no 510/2006, avec celui résultant du règlement no 1151/2012 ne révèle aucun élément étayant l’allégation selon laquelle le législateur de l’Union, en adoptant ce dernier, aurait entendu exclure de son champ d’application les produits exportés vers des pays tiers.

66      Enfin, en ce qui concerne, en quatrième lieu, le respect du principe de sécurité juridique, il convient de constater que, certes, le règlement no 1151/2012 ne mentionne pas expressément qu’il s’applique également aux produits fabriqués dans l’Union à des fins d’exportation vers des pays tiers. Toutefois, au regard notamment du caractère général et univoque des articles 13, 36 et 37 du règlement no 1151/2012, qui ne prévoient aucune dérogation à l’égard de tels produits, et du fait que les objectifs mentionnés au point 59 du présent arrêt sont énoncés clairement aux articles 1er et 4 de ce règlement, il apparaît que l’article 13, paragraphe 3, de celui-ci est clair et dépourvu d’ambiguïté en ce qu’il impose aux États membres de prendre les mesures administratives et judiciaires appropriées visant à prévenir ou à arrêter l’utilisation d’AOP ou d’IGP pour désigner des produits ne répondant pas au cahier des charges applicable qui sont fabriqués sur leur territoire, y compris lorsque ces produits sont destinés à être exportés vers des pays tiers.

67      Dans ces conditions, il convient de conclure que, en ayant omis de prévenir et d’arrêter une telle utilisation commise sur son territoire, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012.

68      Il s’ensuit que le premier grief doit être accueilli.

 Sur le second grief, tiré de la violation du principe de coopération loyale

 Argumentation des parties

69      La Commission soutient que, en tolérant que des producteurs laitiers danois produisent et commercialisent du fromage utilisant l’AOP « Feta », le Royaume de Danemark a violé l’article 4, paragraphe 3, TUE, en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 4 du règlement no 1151/2012. En effet, d’une part, cet État membre aurait délibérément enfreint les obligations découlant de l’article 13 de ce règlement, voire encouragé l’utilisation illégale de cette AOP. Il aurait ainsi mis en péril la réalisation des objectifs de celui-ci, à savoir garantir une concurrence loyale pour les agriculteurs et les producteurs dont les produits agricoles et les denrées alimentaires présentent des caractéristiques et des propriétés leur conférant une valeur ajoutée, aider les producteurs de produits liés à une zone géographique à percevoir des revenus équitables au regard des qualités de leurs produits, et garantir une protection des droits de propriété intellectuelle à toutes les dénominations protégées sur le territoire de l’Union.

70      D’autre part, le Royaume de Danemark, en ayant omis de prévenir ou d’arrêter l’atteinte aux droits de l’AOP « Feta » qui se produit lorsque des producteurs laitiers danois exportent vers des pays tiers du fromage utilisant illégalement cette AOP, aurait affaibli la position de l’Union dans les négociations internationales visant à garantir la protection des systèmes de qualité de l’Union, en portant atteinte à la cohérence de la représentation extérieure de l’Union.

71      En réponse à une question écrite de la Cour, la Commission a fait valoir que le Royaume de Danemark a fait preuve d’un comportement dont les effets vont au-delà du manquement à l’obligation matérielle qui découle de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012.

72      La République hellénique souligne notamment que les conséquences de la pratique mise en œuvre par le Royaume de Danemark sont graves, tant au niveau national, pour les producteurs de feta, qu’au niveau de l’Union, dans le cadre des négociations internationales. Elle estime que le comportement visé par ce grief de la Commission est distinct du comportement consistant en une violation des obligations spécifiques énoncées à l’article 13 du règlement no 1151/2012. En effet, cet État membre se serait soustrait systématiquement, et de longue date, à ses obligations en excipant de l’argument, dilatoire et abusif, selon lequel les produits en cause étaient destinés à l’exportation vers des pays tiers, et il n’aurait pris aucune mesure pour effacer les conséquences illicites de ce comportement illégal.

73      La République de Chypre estime également que la pratique litigieuse nuit aux perspectives de protection internationale des AOP. Cette pratique contribuerait, en effet, à ce qu’une AOP devienne, dans des pays tiers, une appellation générique, réduisant ainsi le pouvoir de négociation de la Commission. La tolérance dont ferait preuve le Royaume de Danemark à l’égard de cette pratique constituerait une violation de l’article 4, paragraphe 3, TUE. Il y aurait lieu de constater ce manquement dans le cas où la Cour jugerait que les obligations découlant de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012 ne sont pas claires s’agissant du contrôle des produits commercialisés dans les pays tiers.

74      Le Royaume de Danemark réfute ce grief en faisant valoir que le principe de coopération loyale ne peut être considéré comme ayant été violé ni dans le contexte de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 4 du règlement no 1151/2012, ni de manière autonome, un désaccord sur l’interprétation du droit de l’Union ne pouvant constituer une violation de ce principe. En outre, cet État membre considère que les comportements visés par les deux griefs formulés par la Commission à l’appui de son recours sont les mêmes.

 Appréciation de la Cour

75      Un manquement à l’obligation générale de coopération loyale qui découle de l’article 4, paragraphe 3, TUE ne peut être constaté que pour autant qu’il vise des comportements distincts de ceux constituant la violation des obligations spécifiques reprochée à l’État membre [voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Slovénie (Archives de la BCE), C‑316/19, EU:C:2020:1030, point 121 et jurisprudence citée].

76      Or, force est de constater en l’occurrence que le grief de la Commission relatif au principe de coopération loyale, en ce que, par celui-ci, il est reproché au Royaume de Danemark d’avoir enfreint les obligations découlant de l’article 13 du règlement no 1151/2012 et d’avoir ainsi mis en péril la réalisation des objectifs poursuivis par celui-ci, vise le même comportement que celui faisant l’objet du premier grief, à savoir l’omission de prévenir et d’arrêter l’utilisation, par les producteurs danois, de l’AOP « Feta » pour désigner du fromage ne répondant pas au cahier des charges applicable.

77      Par ailleurs, la Commission n’établit pas que le Royaume de Danemark ait, autrement que par cette omission, encouragé l’utilisation illégale de l’AOP « Feta ».

78      De même, si, certes, l’exportation vers des pays tiers, par des producteurs de l’Union, de produits utilisant illégalement une AOP est de nature à affaiblir la position de l’Union dans les négociations internationales visant à garantir la protection des systèmes de qualité de l’Union, il n’est pas établi que, ainsi que Mme l’avocate générale le relève en substance au point 95 de ses conclusions, le Royaume de Danemark ait mené des actions ou fait des déclarations pouvant avoir cette conséquence, qui constitueraient un comportement distinct de celui faisant l’objet du premier grief.

79      Il s’ensuit que le second grief doit être rejeté.

80      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient, d’une part, de constater que, en ayant omis de prévenir et d’arrêter l’utilisation, par les producteurs laitiers danois, de l’AOP « Feta » pour désigner du fromage ne répondant pas au cahier des charges de cette AOP, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012 et, d’autre part, de rejeter le recours pour le surplus.

 Sur les dépens

81      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Conformément à l’article 138, paragraphe 3, de ce règlement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Danemark aux dépens et celui-ci ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu, eu égard aux circonstances de l’espèce, de condamner le Royaume de Danemark à supporter, outre ses dépens, quatre cinquièmes des dépens de la Commission. Cette dernière supportera un cinquième de ses dépens.

82      En outre, en vertu de l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la République hellénique et la République de Chypre supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

1)      En ayant omis de prévenir et d’arrêter l’utilisation, par les producteurs laitiers danois, de l’appellation d’origine protégée (AOP) « Feta » pour désigner du fromage ne répondant pas au cahier des charges de cette AOP, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13, paragraphe 3, du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le Royaume de Danemark supporte, outre ses dépens, quatre cinquièmes des dépens de la Commission européenne.

4)      La Commission européenne supporte un cinquième de ses dépens.

5)      La République hellénique et la République de Chypre supportent leurs propres dépens.