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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 30 mai 2014, n° 13/14861

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MAVIFLEX (S.A.S.)

Défendeur :

NERGECO FRANCE (S.A.S.)

Paris, du 07 Juin 2013

7 juin 2013

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Marie-Christine AIMAR, Présidente, et par Mme Laureline DANTZER, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

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La société NERGECO FRANCE (ci-aprés société NERGECO), spécialisée dans la conception et la production de portes automatiques à relevage rapide destinées a équiper les baies séparant des locaux industriels, expose utiliser depuis près de vingt ans l'expression 'barrière climatique souple' comme slogan pour promouvoir certaines des portes de sa fabrication.

Ayant appris que la société MAVIFLEX, spécialisée dans le même secteur d'activité, avait déposé le 26 novembre 2009 la marque française verbale 'Maviflex, la barriere climatique souple' enregistrée sous le n°3 694 075 pour désigner plusieurs produits et services des classes 6, 19 et 42 et fait procéder le 8 avril 2011 à un constat d'huissier sur le site internet www.maviflex.com, elle a, par acte du 20 mai 2011, fait assigner cette dernière devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS aux fins de voir prononcer l'annulation de ladite marque pour fraude et atteinte à ses droits d'auteur, et obtenir l'allocation de dommages-intérêts.

Par jugement en date du 7 juin 2013, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a :

- dit que l'enregistrement par la société MAVIFLEX de la marque verbale française 'Maviflex, la barriere climatique souple' n°3 694 075 a été effectué en fraude des droits de la société NERGECO ;

- dit qu'en déposant cette marque, la société MAVIFLEX a en outre porté atteinte aux droits d'auteur de la société NERGECO sur le slogan 'La barriére climatique souple' ;

- interdit la poursuite de ces agissements, sous astreinte de 350 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision ;

- prononcé l'annulation de la marque 'Maviflex, la barriere climatique souple' 3 694 075 pour tous les produits et services des classes 8, 19 et 42 visés à son enregistrement ;

- dit que la (décision) sera portée à la connaissance de l'INPI pour inscription au Registre National des Marques par le greffe à la requête de la partie la plus diligente ;

- condamné la société MAVIFLEX à payer à la société NERGECO les sommes de .000 euros (sic) (en réalité 15.000 euros), en réparation du préjudice causé par le dépôt de marque frauduleux, et de 10.000 euros en réparation de l'atteinte portée a ses droits d'auteur;

- condamné la société MAVIFLEX à payer à la société NERGECO la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société MAVIFLEX aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire.

La société MAVIFLEX a interjeté appel de ce jugement le 19 juillet 2013.

Par dernières écritures signifiées par voie électronique le 12 mars 2014, auxquelles il est expressément renvoyé, la société MAVIFLEX demande à la Cour :

- de dire que la société NERGECO ne bénéficie d'aucun droit d'auteur sur l'expression 'barrière climatique souple';

- de dire et juger que le dépôt de la marque française 'Maviflex, la barrière climatique souple' n° 3 694 075 n'est ni nul ni frauduleux ;

- de débouter la société NERGECO de toutes ses prétentions comme irrecevables (sic) et mal fondées ;

- de débouter la société NERGECO de son appel incident ;

- de débouter la société NERGECO de toutes ses prétentions indemnitaires comme injustifiées et / ou les réduire dans de notables proportions ;

- de débouter la société NERGECO de toutes ses prétentions ou tire des mesures complémentaires comme injustifiées ;

- de condamner la société NERGECO à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et en tous les dépens, dont distraction au profit de son conseil.

Par dernières écritures signifiées par voie électronique le 12 mars 2014, auxquelles il est également expressément renvoyé, la société NERGECO demande à la Cour, au visa des articles L. 111-1 et suivants, L. 112-4, L. 122-4, L. 335-2, L. 335-3, L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, du principe ' Fraus omnia corrumpit'et de l'article 1382 du Code civil:

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la nullité de la marque déposée par la société MAVIFLEX et les actes de contrefaçon commis par cette dernière,

et statuant à nouveau (sic) ;

- de dire et juger que l'enregistrement de la marque verbale française 'Maviflex, la barrière climatique souple' n°3 694 075 a été effectué en fraude de ses droits et en portant atteinte à ses droits d'auteur antérieurs ;

- de pour ce double motif, prononcer l'annulation de la marque 'Maviflex, la barrière climatique souple' n°3 694 075 pour l'ensemble des produits et services désignés par cette marque ;

- de dire et juger que la décision à intervenir sera inscrite de ce chef en marge du Registre National des Marques sur réquisition du Greffier et transmise à l'Institut National de la Propriété Intellectuelle, dans le mois de son prononcé ou, qu'à défaut, le Tribunal (sic) l'autorisera à y faire procéder ;

- de dire et juger qu'en déposant frauduleusement la marque 'Maviflex, la barrière climatique souple' n° 3 694 075, la société MAVIFLEX a commis une faute à son préjudice ;

- de condamner la société MAVIFLEX à lui verser la somme de 150.000 euros a titre de dommages-intéréts en réparation de son comportement frauduleux ;

- de dire et juger que la société MAVIFLEX a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur à son préjudice ;

- de condamner la société MAVIFLEX à lui verser la somme de 60.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon de droits d'auteur ;

- de interdire à la société MAVIFLEX d'uti1iser le signe 'Maviflex, la barrière climatique souple', le slogan 'Barrière climatique souple ' ainsi que toute autre expression similaire, et ce sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- de ordonner la publication du dispositif du jugement (sic) à intervenir sur un quart de la page d'accueil du site Internet accessible à l'adresse 'http://www.maviflex.com', caractère Times New Roman de taille 16, dans un délai de 8 jours a compter de sa signification, pendant une durée de trois mois sans interruption, et ce sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard ;

- de dire et juger que la Cour se réservera la liquidation des astreintes ainsi prononcées ;

- de condamner la société MAVIFLEX à lui verser la somme de 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société MAVIFLEX aux entiers frais et dépens de la présente procédure, en ce compris les frais de constat d'huissier du 8 avril 2011, et dont distraction au profit de son conseil.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 mars 2014.

Sur ce, la cour

Sur le dépôt frauduleux

Considérant que la société MAVIFLEX fait grief aux premiers juges d'avoir dit que le dépôt de la marque verbale française 'Maviflex, la barriere climatique souple' n°3 694 075 a été effectué en fraude des droits de la société NERGECO et en conséquence d'avoir annulé ladite marque pour l'ensemble des produits et services des classes 8, 19 et 42 visés à son enregistrement, alors que selon elle, il n'est nullement démontré que ce dépôt avait pour but de nuire à la société NERGECO ni qu'elle a eu connaissance de l'utilisation de l'expression 'barrière climatique souple ' par la société intimée à titre de slogan, et que par ailleurs la société NERGECO fait un rappel tendancieux des procédures qu'elle a engagées à son encontre ;

Qu'elle fait valoir que l'enregistrement litigieux ne prive ou n'a pu priver la société NEGERCO d'utiliser son slogan publicitaire qui est une expression banale pour désigner des portes souples pour une protection climatique 'qui doit être libre d'utilisation pour toute société fabricant ou commercialisant des portes souples '(sic), que le seul lien de concurrence entre les deux sociétés ne peut suffire a caractériser l'existence d'une fraude de sa part, que la société NERGECO ' ne semble pas' utiliser l'expression ' barrière climatique souple' à titre de slogan mais simplement pour décrire un de ses produits, au surplus de façon éphémère ; qu'enfin la présente procédure n'a pas d'autre but que de chercher à la déstabiliser et à alimenter le conflit qui existe entre les deux sociétés ;

Que la société NERGECO sollicite quant à elle la nullité de la marque en cause tant pour fraude en vertu du principe 'Fraus omnia corrumpit' que pour indisponibilité du signe sur le fondement de l'article L 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Qu'elle expose que la société MAVIFLEX n'a pas elle-même conçu et imaginé le signe ' Maviflex, la barrière climatique souple' mais a déposé comme marque un slogan déjà utilisé depuis de longues années par elle, que la société MAVIFLEX a surtout procédé au dépôt de la marque considérée précisément dans le dessein de lui nuire dans un contexte de relations conflictuelles existantes depuis plusieurs années ayant donné lieu à une condamnation de la société MAVIFLEX pour contrefaçon de brevet, à une procédure en cours ayant le même objet ainsi qu' à deux transactions, l'une concernant l'enregistrement du nom de domaine nergeco.com par la société appelante et l'autre l'exploitation par elle de la marque AGROFLEX;

Considérant ceci exposé, qu'il est constant que le dépôt d'une marque est frauduleux lorsqu'il est effectué dans l'intention maligne de porter atteinte à des intérêts préexistants ou de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité, et que la nullité de la marque doit alors être prononcée ;

Que l'intention frauduleuse consiste dans la connaissance par le déposant, de l'existence d'un signe utilisé par un concurrent comme signe distinctif pour identifier un de ses produits ou une de ses activités ;

Or en l'espèce, au-delà des relations existant entre les parties, que le Tribunal a pu à juste titre qualifier 'd'orageuses' , la société MAVIFLEX avait connaissance, au moins depuis 1993, date de l'impression de 2.000 exemplaires de brochures commerciales de la société NERGECO, de l'expression 'BARRIERE CLIMATIQUE SOUPLE GRANDES DIMENSIONS' figurant en titre de ces brochures, peu important de savoir ici si cette expression est banale, ce qui au demeurant est contredit pas le dépôt même de la marque en litige auquel la société MAVIFLEX a procédé elle-même ;

Que cette dernière avait d'autant plus connaissance de l'utilisation de cette expression par la société NERGECO antérieurement au dépôt de la marque intervenu le 29 novembre 2009, que celle-ci a été utilisée sur une des pièces qui lui ont été communiquées dans le cadre de l'une des procédure en contrefaçon engagées à son encontre par la société NERGECO en 2006 (pièce n° 30-9 communiquée devant le Tribunal de Grande Instance de Lyon dans l'affaire RG 06/09500) ;

Que la société MAVIFLEX opérateur économique en France sur un marché identique, qui reconnaît que la société NERGECO est le numéro 1 du marché français dans son secteur, elle-même étant le numéro 2, connaissait la part détenue par la société NERGECO et a a procédé le 29 novembre 2009 au dépôt d'un signe identique en y ajoutant sa dénomination sociale ;

Que ce dépôt a donc manifestement été effectué dans l'intention de priver la société NERGECO d'un signe nécessaire à la poursuite de son activité et résulte d'une intention de nuire à un concurrent en s'accaparant le marché ;

Que le jugement qui a annulé la marque MAVIFLEX, LA BARRIERE CLIMATIQUE SOUPLE n°3 694 075 pour ce motif doit donc être confirmé de ce chef ;

Considérant que la demande d'annulation de la marque pour indisponibilité du signe fondée sur l'article L 711-4 e) du Code de la Propriété Intellectuelle, suppose l'existence de droits d'auteur qui seront ci-après examinés ;

Sur l'atteinte aux droits d'auteur

Considérant qu'aux termes de l'article L 711-4 e) du Code de la Propriété Intellectuelle 'ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment aux droits d'auteur' ;

Que se prévalant de ces dispositions, la société NERGECO revendique des droits d'auteur, antérieurs au dépôt de la marque n°3 694 075 objet du dépôt du 26 novembre 2009, sur le slogan ' barriere climatique souple' ;

Qu'il a été dit que la société NERGECO justifiait de l'exploitation de ce slogan sur ses brochures commerciales depuis 1993 ;

Considérant que les dispositions de l'article L.112-1 du Code de la Propriété Intellectuelle protègent par le droit d'auteur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales ;

Qu'en l'espèce l'intimée fait valoir que l'expression ' barriere climatique souple' pour promouvoir une porte isolante révèle un réel effort de créativité et constitue une oeuvre de l'esprit ;

Qu'elle indique que cette expression évoque ainsi de manière très originale, emphatique et presque humoristique, l'idée d'un obstacle à toute épreuve, permettant de protéger un lieu d'un climat défavorable, tout en présentant l'avantage de la flexibilité et de la souplesse dans les matériaux choisis, qu'elle renvoie ainsi à des chaînes de montagne, comme les Pyrénées, l'Oural ou les Rocheuses, qui séparent deux zones climatiques distinctes, ou aux grands caps maritimes protégeant des vents et courants dominants, comme le Cap Horn, et ajoute que promouvoir des portes industrielles automatiques au moyen d'une telle expression est à n'en pas douter un pari osé, mais réussi ;

Que cependant, étant précisé que la Cour peine à voir dans l'expression considérée l'évocation suggérée par la société NERGECO, le slogan revendiqué, qui est composé de termes communs pour décrire les produits commercialisés par la société NERGECO, constitue en réalité un argument de vente qui ne révèle aucune traduit un parti pris esthétique reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;

Qu'il n'est donc pas éligible à la protection par le droit d'auteur et le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef ;

Que la demande de nullité de la marque formée sur le fondement de droits d'auteur antérieurs, au demeurant surabondant, ne peut donc prospérer ;

Sur la demande de dommages-intérêts

Considérant que le dépôt frauduleux de la marque litigieuse a causé à la société NERGECO, qui s'est vue privée de l'exploitation paisible et ancienne de son slogan, un préjudice tant moral que commercial qui sera réparé par l'octroi de la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Qu' à titre d'indemnisation supplémentaire, il sera fait droit à la demande de publication du présent arrêt dans les termes définis au dispositif ;

Sur les autres demandes

Considérant qu'il y a lieu de condamner la société MAVIFLEX, partie perdante, aux entiers dépens, qui comprendront les frais du constat d'huissier du 8 avril 2011, et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Qu'en outre, elle doit être condamnée à verser à la société NERGECO, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 8.000 euros.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu entre les parties le 7 juin 2013 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS en ce qu'il a dit que l'enregistrement par la société MAVIFLEX de la marque verbale française 'Maviflex, la barriere climatique souple' n°3 694 075 a été effectué en fraude des droits de la société NERGECO, prononcé l'annulation de la marque française 'Maviflex, la barriere climatique souple' n°3 694 075 sur ce fondement pour tous les produits et services des classes 8, 19 et 42 visés à son enregistrement et dit que la décision sera portée à la connaissance de l'INPI pour inscription au Registre National des Marques par le greffe à la requête de la partie la plus diligente ;

L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau,

Déboute la société NERGECO FRANCE de ses demandes relatives aux droits d'auteur ;

Condamne la société MAVIFLEX à payer à la société NERGECO FRANCE la somme de 30.000 euros en réparation du préjudice causé par le dépôt de marque frauduleux de la marque française Maviflex, la barriere climatique souple n°3 694 075 ;

Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt sur un quart de la page d'accueil du site Internet accessible à l'adresse 'http://www.maviflex.com', caractère Times New Roman de taille 14 pendant une durée de deux mois sans interruption, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé dans un délai de 15 jours a compter de la signification de la décision ;

Condamne la société MAVIFLEX à payer à la société NERGECO FRANCE la somme de 8.000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne la société MAVIFLEX aux entiers dépens, qui comprendront les frais du constat d'huissier du 8 avril 2011, et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile