Cass. com., 22 octobre 2013, n° 12-24.658
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 juin 2012), que la société en nom collectif L'Oréal produits de luxe France (la société L'Oréal produits de luxe) a livré pour une certaine somme des marchandises commandées par la société Antoine parfumerie groupe, sous réserve de propriété ; qu'un tribunal de commerce ayant ouvert une procédure de sauvegarde de la société Antoine parfumerie groupe, la société Atradius, agissant pour le compte de la société L'Oréal produits de luxe, a revendiqué les marchandises impayées auprès de M. X..., en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Antoine parfumerie groupe ; qu'à défaut d'acquiescement de ce dernier, elle a formé devant le juge-commissaire une requête en revendication qui a été rejetée ;
Attendu que la société L'Oréal produits de luxe fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la requête en revendication présentée pour son compte, alors, selon le moyen :
1°/ que les associés en nom collectif, qui peuvent prendre à l'unanimité toute décision excédant les pouvoirs du gérant, peuvent également et à la même unanimité, prendre une décision rentrant dans les pouvoirs de ce dernier et, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article L. 221-5 du code de commerce ; qu'en effet, si l'alinéa 1er de l'article L. 221-5 dispose que dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société, cette disposition n'est pas limitative et n'exclut pas qu'une décision unanime des associés en nom collectif engage la société et que l'alinéa 3 de l'article L. 221-5, qui déclare inopposables aux tiers les clauses statutaires limitant les pouvoirs du gérant, est sans application hors du cas où un tiers se prévaut contre la société d'un engagement pris au nom de celle-ci par l'un de ses gérants ; qu'au surplus, lorsqu'ils statuent à l'unanimité, c'est-à-dire à la majorité requise pour la modification des statuts, les associés peuvent valablement déroger aux clauses statutaires concernant la représentation de la société; que dès lors, en déclarant sans effet et inopposable aux tiers la délégation de pouvoir résultant de l'acte du 22 mars 2010, émanant de l'unanimité des cinq associés en nom de la société L'Oréal produits de luxe, donnant à Mme Y... le pouvoir notamment de « représenter la société et vis-à-vis des tiers¿ représenter ou faire représenter la société devant les tribunaux compétents, y soutenir ou y faire soutenir, oralement ou par écrit, tous moyens d'actions ou de défense¿ », la cour d'appel a violé les articles L. 221-4, L. 221-5 et L. 221-6 du code de commerce ;
2°/ qu'aux termes de l'article 16 alinéa 2 des statuts de la société L'Oréal produits de luxe, il est stipulé que « les gérants peuvent faire tous actes de gestion dans l'intérêt de la société, à l'exception des actes ci-après qui doivent être autorisés à l'unanimité des associés¿ » et parmi lesquels figurent « la nomination et la révocation de tout fondé de pouvoir » ; qu'en décidant que cette clause ne permettait pas à la collectivité des associés de déléguer eux-mêmes à Mme Y... le pouvoir de représenter ou faire représenter la société en justice, mais leur permettait seulement d'autoriser le gérant à consentir une telle délégation, la cour d'appel a dénaturé l'article 16, alinéa 2, des statuts de la société et ainsi violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ que la décision des associés du 22 mars 2010 habilitait Mme Y... à « représenter ou faire représenter la société devant les tribunaux compétents, y soutenir ou y faire soutenir, oralement ou par écrit, tous moyens d'actions ou de défense » ; qu'il se déduit de ces termes clairs et précis que Mme Y..., qui pouvait «¿ faire représenter la société devant les tribunaux compétents, y soutenir ou y faire soutenir, oralement ou par écrit, tous moyens d'actions ou de défense», avait par-là même le pouvoir de donner un mandat spécial à un tiers pour présenter une requête en revendication ; que dès lors, en déclarant que la délégation revendiquée par l'appelante ne prévoit pas la possibilité pour Mme Y... de subdéléguer à un préposé de la société L'Oréal produits de luxe, ni a fortiori de donner elle-même mandat spécial à un tiers de revendiquer, la cour d'appel a dénaturé l'acte du 22 mars 2010 et ainsi violé l'article 1134 du code civil ;
4°/ qu'il peut être justifié de l'existence de la délégation de pouvoir par la production des documents établissant la délégation ayant ou non acquis date certaine ; qu'une attestation par laquelle celui ou ceux qui exerçaient les fonctions d'organe habilité par la loi à représenter la personne morale certifient que le préposé bénéficiait, à la date de la revendication , d'une délégation de pouvoir à cette fin suffit à établir que celle-ci émanait d'un organe ayant qualité pour la donner ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la société L'Oréal produits de luxe a produit en cause d'appel une attestation établie le 4 janvier 2012 par M. Xavier Z..., gérant de la SNC, selon laquelle Mme Y... était dûment habilitée, depuis le 1er avril 2010, à représenter ou faire représenter la société vis-à-vis des tiers et notamment à engager toute action en justice devant les tribunaux compétents, y compris toute action en revendication ; qu'en déclarant que cette attestation avait été produite hors délai, et ne saurait régulariser l'absence, dans le délai de revendication, d'une délégation régulière de pouvoir accordée par le gérant à Mme Y..., la cour d'appel a violé les articles L. 624-17 et R. 624-13 du code de commerce ;
5°/ que l'attestation du 4 janvier 2012 déclarait que « Mme Gaëlle Y...¿ est dûment habilitée, depuis le 1er avril 2010, par décision de la gérance ratifiée à l'unanimité des associés, à représenter ou faire représenter la société L'Oréal produits de luxe France SNC vis-à-vis des tiers¿» ; que les termes clairs et précis de cette attestation, qui donnaient pouvoir à Mme Y... de « représenter ou faire représenter » la société, lui donnaient par-là même la faculté de donner un pouvoir spécial à un tiers pour revendiquer ; qu'en déclarant que « le pouvoir d'accorder un pouvoir spécial à tiers ne résulte pas davantage de l'attestation du gérant du 4 janvier 2012 », la cour d'appel a dénaturé ladite attestation et ainsi violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il résulte de l'article L. 221-3 du code de commerce que tous les associés d'une société en nom collectif sont gérants, sauf stipulation contraire des statuts qui peuvent désigner un ou plusieurs gérants, associés ou non, ou en prévoir la désignation par un acte ultérieur ; qu'il résulte encore des articles 15 et 16 des statuts que la société L'Oréal produits de luxe est administrée par un ou plusieurs gérants associés ou non désignés par décision collective prise à l'unanimité des associés, et que les gérants peuvent faire tous actes de gestion dans l'intérêt de la société à l'exception, entre autres, de la nomination et de la révocation d'un fondé de pouvoir qui doivent être préalablement autorisés à l'unanimité des associés ; que l'arrêt constate que l'extrait K Bis de la société L'Oréal produits de luxe comporte la mention que MM. A... et Z... étaient les cogérants non associés de la société ; qu'il relève que les statuts de cette société ne conféraient nullement la qualité de gérant à chacun des associés; qu'il retient que, dès lors, seuls les cogérants avaient le pouvoir, en leur qualité de gérants de droit, de confier à un tiers le soin de représenter ou faire représenter la société en justice ; que de ces constatations et appréciations, desquelles il résultait que l'acte du 22 mars 2010 était nul pour avoir été effectué par les associés en cette qualité et en dehors de leurs pouvoirs légaux, la cour d'appel a déduit à bon droit, sans dénaturer les statuts, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, que la collectivité des associés ne disposait pas du pouvoir de représenter la société L'Oréal produits de luxe et ne pouvait pas déléguer à Mme Y... le pouvoir de représenter ou faire représenter cette dernière en justice ;
Et attendu, en second lieu, que devant la cour d'appel, la société L'Oréal produits de luxe n'a jamais soutenu que la délégation de pouvoir consentie par acte du 22 mars 2010 procédait d'une décision de la gérance ratifiée à l'unanimité des associés ; que le moyen, nouveau, est mélangé de fait et de droit ;
D'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en ses quatrième et cinquième branches, et qui ne peut être accueilli en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.