CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 6 août 2019, n° 18/22544
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Selarl FHB (ès qual.), Verneuil et Associés (SNC), Verneuil Finance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Texier, Mme Dubois-Stevant
Avocat :
SCP AFG
FAITS ET PROCÉDURE:
La Snc Verneuil et associés, gérée par Sarl F. investissements, elle-même gérée par son associé unique, M. G., a pour associés cette dernière société, la Sarl FD conseils et participations, gérée par M. D., et M. G. qui détiennent, respectivement, 69,27 %, 20,89 % et 9,84 % de ses parts, représentant 26,44 %, 50,1 % et 23,55 % des droits de vote.
La Snc détient 81 % des actions de la Sa Verneuil finance, présidée par M. G..
Le 22 décembre 2017, la Sarl FD conseils et participations et M. D. ont assigné à bref délai M. G. et les sociétés F. investissements, Verneuil et associés et Verneuil finance aux fins d'une part, de voir prononcer la dissolution de la Sa Verneuil finance et ouvrir une procédure de liquidation sur le fondement de l'article L. 225-248 du code de commerce et, d'autre part, de voir révoquer la société F. investissements de son mandat de gérant de la Snc Verneuil et associés et nommer un administrateur provisoire.
Par un premier jugement du 11 mai 2018, le tribunal de commerce de Paris, ayant constaté que les capitaux propres de la Sa Verneuil finance étaient devenus inférieurs à la moitié de son capital social, a enjoint à cette dernière de faire application avant le 12 octobre 2018 des dispositions de l'article L. 225-248 du code de commerce, ordonné la réouverture des débats sur les demandes relatives à la révocation du gérant de Verneuil et associés et enjoint à la société F. investissements et à M. G. de justifier de la situation de cette société, de ses comptes, de ses participations et de leurs revenus éventuels ainsi que des mesures envisagées pour réunir l'assemblée générale.
Par un second jugement du 12 octobre 2018, le même tribunal a débouté la Sarl FD conseils et participations et M. D. de leurs demandes de révocation de la Sarl F. investissements de son mandat de gérant de la société Verneuil et associés et de nomination d'un administrateur provisoire et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La Sarl FD conseils et participations et M. D. ont relevé appel du second jugement selon déclaration du 18 octobre 2018.
La Snc Verneuil et associés ayant été radiée d'office du registre du commerce et des sociétés pour cessation d'activité, le président du tribunal de commerce de Paris, saisi par la Sarl FD conseils et participations et M. D., a, par ordonnance du 22 octobre 2018, désigné la Selarl FHB pour une durée de 12 mois avec pour mission de représenter la société dans le cadre de la présente instance et d'un litige pendant devant le tribunal de commerce de Paris.
La Sarl FD conseils et participations et M. D., autorisés par ordonnance du 31 octobre 2018, ont assigné à jour fixe M. G. et les sociétés F. Investissements et Verneuil Finance ainsi que la Selarl FHB, en qualité de mandataire ad hoc de la société Verneuil et associés, aux fins de comparaître à l'audience du 2 avril 2019.
Suivant conclusions signifiées le 2 avril 2019, la Sarl FD conseils et participations et M. D. demandent à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :
- de révoquer la société F. Investissements de son mandat de gérant de la société Verneuil et associés et de nommer un administrateur provisoire avec pour mission :
. de gérer et administrer la société Verneuil et Associés pendant une durée de 6 mois renouvelable et, à cette fin, de prendre toute décision utile dans l'intérêt social de Verneuil et associés et d'engager toute procédure judiciaire qu'il jugera nécessaire ;
. de faire établir les comptes de la société Verneuil et associés pour les exercices 2013 à 2016, clos le 31 décembre ;
. de convoquer toute assemblée générale de la société qu'il jugera nécessaire, . de dresser un rapport sur la conformité à l'intérêt social de l'ensemble des dépenses engagées par la gérance depuis le 3 octobre 2011 ;
. d'entreprendre toutes les actions nécessaires afin de procéder à la sauvegarde du patrimoine de Verneuil et associés ;
- de dire que la société FD conseils et participations procédera au paiement de la provision qu'il plaira à la cour fixer ;
- de condamner la société F. investissements et M. G. à payer chacun la somme de 25 000 euros à FD conseils et participations et la même somme à M.D. en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la société F. investissements et M. G. aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la Scp AFG, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 28 mars 2019, M. G. et les sociétés F. investissements et Verneuil finance demandent à la cour de confirmer le jugement et de condamner les appelants à leur payer, à chacun, la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 1er avril 2019, la Selarl FHB, en qualité de mandataire ad hoc de la société Verneuil et associés, s'en rapporte sur l'opportunité de confirmer ou d'infirmer le jugement et demande la condamnation de tout succombant aux dépens de première instance et d'appel.
SUR CE,
- Sur la révocation de la Sarl F. investissements de son mandat de gérant de la Snc Verneuil et associés
L'article 19 des statuts de la Snc Verneuil et associés prévoit que la révocation d'un gérant associé - hypothèse de l'espèce - ne peut être décidée qu'à l'unanimité des autres associés et qu'elle peut également résulter « d'une décision judiciaire pour cause légitime ».
Les appelants invoquent deux séries de causes légitimes qui seront examinées ci-après.
En premier lieu, selon les appelants, M. G. aurait porté « gravement atteinte à l'équilibre financier de Verneuil et associés » en prenant, en tant que président de Verneuilfinance, des décisions de gestion au seul bénéfice de F. investissements, en particulier en cédant les participations de Verneuil finance dans les sociétés Duc et Viktoria invest dans des conditions opaques et en dissimulant aux actionnaires la véritable destination du produit de ces cessions, qui aurait été utilisé en grande partie pour rembourser une créance de 3 millions d'euros détenue par F. investissements.
Les fautes éventuellement commises par M. G., en tant que président de Verneuilfinance, dans la gestion de celle-ci, eussent-elles été préjudiciables à Verneuil et associés, ne sont pas utilement invoquées pour caractériser la cause légitime alléguée, qui suppose d'apprécier la gestion de la société Verneuil et associés, et non celle d'une autre société.
A cet égard, c'est vainement que les appelants font valoir que le rôle joué par M. G. dans la gestion des sociétés Verneuil finance et Verneuil et associés crée une situation de conflit d'intérêts qui le conduit à faire primer, dans sa gestion de Verneuil finance, ses propres intérêts sur ceux de Verneuil et associés ou de la Sarl FD conseils et participations, associé de cette dernière, alors qu'il lui incombe, dans ce contexte, d'agir dans l'intérêt social de Verneuil finance.
Dès lors, comme le soulignent les intimés, et l'a retenu à juste titre le tribunal, les prétendues fautes commises par M. G. dans sa gestion de la société Verneuil finance ne peuvent fonder la révocation sollicitée.
En second lieu, les appelants font valoir que la société F. investissements s'est abstenue, depuis l'exercice clos le 31 décembre 2012, de dresser un inventaire de l'actif et du passif, de faire établir des comptes annuels, de convoquer l'assemblée générale en vue de lui soumettre les comptes et de rédiger des rapports de gestion, qu'elle est en outre responsable, par sa carence, de la radiation d'office de la société du registre du commerce et des sociétés et, enfin, qu'elle a procédé à un changement de lieu du siège social sans l'accompagner d'une mesure de publicité.
Les intimés se prévalent des motifs retenus par le tribunal pour rejeter la demande, tenant à l'absence de mise en demeure de réunir l'assemblée générale adressée au gérant par la société FD conseils et participations et à l'insuffisante gravité des fautes invoquées. Ils ajoutent qu'il n'est pas justifié d'un péril imminent menaçant la société Verneuil et associés ou d'une paralysie dans son fonctionnement et que l'action des appelants, fondée sur des griefs connus de longue date ayant motivé une précédente action de même nature, engagée en 2015 par la société FD conseils et participations et dont la péremption a été constatée par jugement du 26 janvier 2018, est tardive et opportuniste.
Il y a lieu à révocation pour cause légitime du gérant dont les actes et/ou la gestion sont de nature à compromettre l'intérêt social ou le fonctionnement de la société, même en l'absence de péril imminent menaçant la société gérée ou de paralysie du fonctionnement de celle-ci.
Le gérant d'une SNC est tenu, conformément à l'article L. 232-1 du code de commerce, de dresser l'inventaire et les comptes annuels et d'établir un rapport de gestion à la clôture de chaque exercice et, en application de l'article L. 221-7 du même code, de soumettre ces documents à l'approbation de l'assemblée des associés dans le délai de six mois de la clôture.
En l'espèce, en dépit de l'injonction faite par les premiers juges, il n'a été produit aucune pièce permettant de retenir que les documents mentionnés par les appelants - inventaire de l'actif et du passif, comptes annuels et rapports de gestion se rapportant aux exercices 2013 et suivants - ont été établis et soumis à l'assemblée générale des associés, étant observé, en outre, que les intimés ne soutiennent pas qu'ils l'auraient été et qu'un cabinet d'expertise comptable a indiqué, dans une lettre du 1er juin 2017, avoir établi les comptes annuels de la société Verneuil et associés, pour la dernière fois, au titre de l'exercice clos le 31décembre 2012.
Il apparaît par ailleurs, comme le soutiennent les appelants, qu'une mention de cessation d'activité, portée d'office le 10 novembre 2017 en application de l'article R. 123-125 du code de commerce, figure toujours sur le Kbis de la société Verneuil et associés et que les diligences effectuées par un huissier de justice ont conduit ce dernier à relever, dans un procès-verbal de recherches infructueuses du 19 octobre 2018, que cette société n'était plus domiciliée dans les locaux de la société Consultants associés européens, [...], adresse indiquée sur son Kbis.
La violation par la société F. investissements des prescriptions des articles L. 221-7 et L. 232-1 du code de commerce à compter de l'exercice 2013 et jusqu'à ce jour, en tant que telle et par ses implications, à savoir une absence de visibilité sur la situation de la société Verneuil et associés tant pour la gérance que pour les associés, à laquelle s'ajoute une absence de diligence à l'origine de la radiation d'office de la société du registre du commerce et des sociétés depuis le mois de novembre 2017 ainsi que de l'impossibilité pour les tiers de localiser le nouveau lieu du siège social, sont de nature à compromettre l'intérêt social et le fonctionnement de la société.
La cause légitime de révocation de la société F. investissement est ainsi caractérisée, sans qu'il y ait lieu de rechercher, une telle circonstance étant sans incidence sur les carences imputables à cette dernière, si les autres associés de la Snc Verneuil et associés, ont fait usage des pouvoirs dont ils disposaient pour tenter de remédier à la situation qu'ils dénoncent.
En conséquence, il convient, infirmant le jugement, de révoquer la société F. investissements de son mandat de gérant de la Snc Verneuil et associés.
- Sur la désignation d'un administrateur provisoire pour gérer la société Verneuil et associés
Les appelants considèrent que le risque de paralysie et le péril imminent menaçant la société résultent des griefs qu'ils invoquent à l'encontre du gérant, de l'impossibilité de parvenir à une unanimité des associés pour désigner un nouveau gérant, compte tenu du conflit existant entre eux, de la désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la SncVerneuil et associés dans le cadre de la présente instance et de l'absence de demande de réinscription de cette dernière au registre du commerce et des sociétés.
Les intimés répliquent que les griefs formulés à l'encontre du gérant, connus de longue date, ne sont la source d'aucune paralysie ni péril imminent et qu'en l'absence de gérant désigné conformément aux statuts, tous les associés de la Snc redeviennent gérants en application de l'article L. 221-3 du code de commerce.
La désignation d'un administrateur provisoire suppose que soit rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent.
Comme le soutiennent à juste titre les appelants, l'application de l'article L. 221-3, alinéa 1, du code de commerce, aux termes duquel « tous les associés sont gérants, sauf stipulation contraire des statuts qui peuvent désigner un ou plusieurs gérants, associés ou non, ou en prévoir la désignation par un acte ultérieur », est écartée par l'article 17 des statuts qui prévoit que « la société est gérée par un ou plusieurs gérants, associés ou non, désignés pour une durée limitée ou illimitée par une décision unanime des associés ».
Dès lors, la révocation de la société F. investissements crée une situation de vacance de la gérance.
Par ailleurs, le conflit entre les associés, qui a donné lieu à plusieurs contentieux initiés par FD participations et/ou M. D. (action en révocation de F. investissements et désignation d'un administrateur provisoire en 2015, action en remboursement d'un prêt consenti à F. investissements en mars 2017, plainte pour faux et usage de faux déposée contre F. investissements et M. G., assignation en référé d'heure à heure délivrée en octobre 2018, notamment à F. investissements et M. G., aux fins de mise sous séquestre des actions Verneuil finance détenues par Verneuil et associés, etc.) est ancien et durable.
Dans ces conditions, il n'apparaît pas envisageable de parvenir, à échéance raisonnable, à l'unanimité requise par l'article 17 des statuts pour désigner un nouveau gérant, alors que la société Verneuil et associés détient 81 % du capital de Verneuil finance, société dont les titres sont admis aux négociations sur le compartiment C du marché Euronext Paris, ainsi qu'une créance sur cette dernière correspondant à une somme avancée en compte courant qui s'élevait, au 30 septembre 2017, à 2,367 millions d'euros (dernier chiffre connu).
De telles circonstances rendent impossible le fonctionnement normal de la société et la menacent d'un péril imminent.
Aussi convient-il, infirmant le jugement, de désigner un administrateur provisoire en lui confiant la mission définie dans le dispositif du présent arrêt.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société F. investissements et M. G., qui succombent, seront condamnés aux dépens, déboutés de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et condamnés à payer, en application de ce texte, la première la somme de 4 000 euros à chacun des intimés et le second, aux mêmes, la moitié de ce montant.
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Révoque la Sarl F. investissements de ses fonctions de gérant de la Snc Verneuil et associés,
Désigne la Selarl FHB, prise en la personne de Maître Hélène B., administrateur judiciaire, dont le siège social se trouve [...] (tel : [...], courriel : [...]), en qualité d'administrateur provisoire de la Snc Verneuil et associés (RCS B 763 800 687) avec pour mission de :
-gérer et administrer la Snc Verneuil et associés avec tous les pouvoirs dévolus au gérant ;
-faire établir les comptes de la Snc Verneuil et associés à compter de l'exercice clos le 31 décembre 2013 inclus et les soumettre à l'approbation de l'assemblée générale des associés ;
-établir un rapport sur la gestion de la Sarl F. investissements depuis le 3 octobre 2011 ;
-favoriser la désignation d'un nouveau gérant faisant consensus entre les associés.
Dit qu'en cas d'empêchement de la Selarl FHB, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris rendue sur requête ;
Dit que la Sarl FD conseils et participations versera à la Selarl FHB la somme de 10 000 euros à titre de provision sur sa rémunération ;
Fixe la durée de la mission de la Selarl FHB à six mois à compter du jour où le présent arrêt sera communiqué à cette dernière par le greffe,
Dit que cette mission pourra être renouvelée par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris rendue sur requête,
Condamne la Sarl F. investissements à payer la somme de 4 000 euros chacun à la Sarl FD conseils et participations et à M. Frédéric D., en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. François G., sur le fondement du même article, à payer la somme de 2 000 euros chacun à la Sarl FD conseils et participations et à M. Frédéric D.,
Rejette les demandes de la Sarl F. investissements et de M. François G. présentées en application du même texte,
Condamne la Sarl F. investissements et M. François G. aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés par la Scp AFG, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.