Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 8 septembre 2022, n° 21/06594

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

CA Aix-en-Provence n° 21/06594

7 septembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte sous seing privé en date du 22 janvier 2018, à effet au 1er février 2018, la SCI Saint-Jean aux droits de laquelle vient la SAS PF1, a consenti pour 12 ans, un bail commercial portant sur la cellule A2 du bâtiment A du centre commercial de Plan de Campagne, aux fins d'exploitation d'un magasin de cuisine et d'électroménager, moyennant un loyer annuel de 160'000 euros HT, soit 40'000 euros HT par trimestre, outre des charges annuelles estimées à 16'732 euros HT.

Le 24 août 2020, la SAS PF1 a fait délivrer à la SAS VALINO un commandement de payer visant la clause résolutoire pour paiement de la somme en principal de 103'203,10 euros au titre des loyers et charges des deuxième et troisième trimestres 2020.

Soutenant le caractère infructueux de ce commandement, la SAS PF1 a, par exploit d'huissier du 14 octobre 2020, dénoncé aux créanciers inscrits, fait assigner en référé la SAS VALINO aux fins de voir constater la résiliation de plein droit du bail, ordonner l'expulsion de la locataire et en paiement de provisions.

Par ordonnance en date du 20 avril 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 25 septembre 2020,

- condamné la SAS VALINO à payer à la SAS PF1 la somme de 105'911,40 euros à titre de provision sur les loyers, charges et accessoires échus au 9 février 2021, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'ordonnance conformément à l'article 1231-7 du Code civil,

- dit que le paiement de la dette est reporté et que la SAS VALINO devra s'en être intégralement acquittée en principal, frais et intérêts en 12 mensualités et au plus tard le 5 mai 2022, le montant de chacune des 12 premières échéances s'élevant à 8825,95 euros, la dernière mensualité étant majorée du solde,

- dit que les paiements auront lieu le 5 de chaque mois et pour la première fois le 5 du mois suivant le prononcé de l'ordonnance,

- dit que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital en application de l'article 1342-10 alinéa 1er du Code civil,

- dit que les effets de la clause résolutoire sont suspendus pendant le délai précité et que la dite clause résolutoire sera réputée ne pas avoir joué si ce délai est respecté,

- dit qu'à défaut de paiement d'une seule mensualité :

- le solde de la dette sera immédiatement exigible, avec intérêts au taux légal,

- la clause résolutoire reprendra ses effets,

- il sera procédé à l'expulsion de la partie défenderesse et de celle de tous occupants de son chef avec l'aide, si nécessaire, de la force publique et d'un serrurier,

- la SAS VALINO sera tenue de payer une indemnité provisionnelle d'occupation mensuelle égale au montant actuel du loyer, charges et accessoires jusqu'à sa libération effective des lieux par remise des clés,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la SAS VALINO à payer à la SAS PF1 la somme de 500 euros titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

Par déclaration au greffe en date du 3 mai 2021, la SAS VALINO a relevé appel de cette ordonnance en tous ses chefs expressément critiqués.

Par conclusions déposées et notifiées le 12 août 2021, la SAS VALINO a conclu comme suit :

- réformer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

- dire et juger qu'elle se prévaut de contestations sérieuses pour s'opposer à la mise en oeuvre de la clause résolutoire et à sa condamnation au règlement de loyers à titre provisionnel,

- se déclarer incompétent pour trancher de la totalité du litige et renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction du fond,

Subsidiairement :

- débouter la SAS PF1 de ses demandes à hauteur de 50'088,46 euros correspondant aux loyers appelés pendant les périodes de fermeture administrative des locaux objet du bail,

En tout état de cause, s'agissant de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre :

- lui allouer des délais de paiement sur 24 mois,

- ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire pendant la durée de cet échéancier,

- dire et juger que si elle respecte les délais accordés, la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais joué,

- ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées portent intérêt à un taux réduit qui ne peut être inférieur au taux légal et que les paiements s'imputent d'abord sur le capital,

- rejeter toutes prétentions contraires,

- condamner la SAS PF1 à lui payer la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

La SAS VALINO expose :

- que par un arrêté du 14 mars 2020, modifié le 15 mars, son magasin a fait l'objet d'une fermeture administrative totale entre le 16 mars et le 10 mai 2020 et qu'à compter du 11 mai 2020, elle a fait des efforts pour reprendre le paiement des loyers,

- avoir le 19 juin 2020, sollicité du bailleur une remise au moins partielle de loyers appelés sur la période de fermeture administrative, celui-ci se contentant de lui proposer un report du règlement desdits loyers

- avoir payé l'intégralité des sommes dues au titre du troisième trimestre 2020, la somme résiduelle réclamée de 46'937,72 euros correspondant exclusivement aux loyers de la période du 16 mars au 10 mai 2020.

Elle précise qu'en application du décret numéro 2020-1310 du 29 octobre 2020, ses locaux ont fait l'objet d'une nouvelle fermeture administrative totale pendant tout le mois de novembre 2020, étant à nouveau de l'incapacité de régler son loyer.

À titre liminaire sur le décompte des loyers, elle fait valoir qu'à la date du 30 mars 2021, elle n'était débitrice que de la somme de 66'578,64 euros, ayant procédé au règlement des loyers de février et mars 2021, rappelant que sur cette somme, 50'088, 46 TTC euros ont été appelés au titre des loyers hors charges de la période de fermeture administrative.

L'appelante invoque la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 comme faisant obstacle au constat de la clause résolutoire et à sa condamnation à titre provisionnel.

Elle fait grief au premier juge d'avoir considéré que ces dispositions n'effacent pas les loyers échus mais en reportent l'exigibilité à une date postérieure aux termes des périodes susvisées, sans tenir compte :

- ni de l'interdiction de poursuivre toute action à l'encontre du débiteur sur la période protégée,

- ni du caractère non écrit de toute clause résolutoire prévoyant la résiliation du bail du fait d'impayés sur cette période, pendant toute la durée de la période protégée.

Elle fait valoir également l'existence de contestations qu'elle considère sérieuses comme s'opposant à la résiliation du bail et à la condamnation de l'arriéré locatif, à savoir :

- la force majeure, sur le fondement de l'article 1218 du Code civil, expliquant que la fermeture totale a rendu la poursuite de son activité et par voie de conséquence le règlement de son loyer,

- l'exception d'inexécution, sur le fondement de l'article 1719, rappelant que le bien donné à bail doit pouvoir être exploité par le preneur conformément à la destination prévue au contrat, que cette exploitation a été rendue impossible pendant les mois de fermeture, cette impossibilité pour le bailleur d'exécuter son obligation de délivrance justifiant qu'elle oppose une exception d'inexécution en application de 1219, le fait que cette inexécution ne soit pas imputable au bailleur étant inopérant en ce qu'il s'agit d'une condition qui n'est pas exigée par l'article 1219,

- la perte de la chose louée, sur le fondement de l'article 1722, en ce que la fermeture administrative constitue une perte juridique de la chose louée ce qui a pour conséquence qu'elle est libérée du règlement du loyer sur cette période, ce qui constitue a minima une contestation sérieuse,

- l'imprévision au sens de l'article 1195 du Code civil, en ce que la fermeture administrative totale du local pendant trois mois ainsi que les restrictions administratives entourant l'accès aux clients tout au long de la crise sanitaire constituent un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rendant l'exécution excessivement onéreuse.

L'appelante considère enfin que les délais de paiements qui lui ont été accordés sont insuffisants.

Par conclusions déposées et signifiées le 16 juillet 2021, la SAS PF1 a conclu comme suit :

- confirmer la décision entreprise,

- débouter la SAS VALINO de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'intimée rappelle que dès le 7 janvier 2020, elle a délivré une mise en demeure à la locataire de régler son arriéré de loyers et charges pour la somme de 56'165,50 euros, suivie d'autres relances les 7 et 17 février 2020, 8 mars 2020, le 9 juillet 2020 avant de faire délivrer un commandement pour la somme de 103'557,10 euros, resté sans effet.

Elle rappelle qu'au jour de l'assignation était due la somme de 86'072,92 euros comprenant un arriéré de 28'182,46 euros et l'échéance du 4ème trimestre 2020 pour 57'890,46 euros.

Elle fait valoir qu'aucune ordonnance, aucun texte ne prévoit la remise totale ou partielle des dettes nées au cours de la période de fermeture administrative, rappelant que deux mesures ont été prises :

- un report des échéances à la période postérieure à celle confinement,

- l'inefficacité d'un commandement visant la clause résolutoire délivré au cours de cette même période.

Sur les contestations sérieuses, elle expose que :

- concernant la force majeure, que l'article 1218 prévoit que l'obligation est suspendue, ce qui ne signifie pas sa mise à néant, faisant valoir que la locataire ne demande pas la résolution du contrat, de sorte que l'argument tiré de l'existence d'un cas de force majeure est inopérant; elle ajoute en référence à un arrêt de la Cour de Cassation du 16 septembre 2014, que le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure;

- concernant l'exception d'inexécution, que la chose louée a été délivrée au preneur le 22 janvier 2018 selon la destination commerciale du bail conformément à l'article 1719, rappelant qu'elle ne répond pas des initiatives gouvernementales; sur le fondement de l'article 1219, elle fait valoir que l'exception d'inexécution ne peut être admise que si elle constitue une riposte mesurée à la défaillance du cocontractant, rappelant qu'elle n'a commis aucune faute et que seule l'activité commerciale a fait objet des mesures sanitaires et non le local donné à bail ;

- concernant la perte de la chose louée sur le fondement de l'article 1722, elle considère que le locataire ajoute au texte l'annulation de l'obligation de payer les loyers alors que cet article ne prévoit que la résiliation du bail ou la diminution du prix ;

- concernant l'imprévision, que l'article 1195 prévoit la révision ou l'anéantissement du contrat, rappelant concernant la révision qu'elle est expressément prévue par les articles 145-38 et 145-39 et ne peut être envisagée à que pour l'avenir, sans effet rétroactif.

Concernant les délais de paiement, la SAS PF1 rappelle qu'ils ne peuvent être accordés qu'à un débiteur de bonne foi, rappelant que la dette ne fait qu'augmenter.

Par ordonnance du 18 mai 2022, l'affaire a été clôturée.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La SAS VALINO soulève plusieurs contestations de nature selon elle à empêcher la poursuite de la résiliation du bail et le règlement des loyers à titre provisionnel, tenant aux deux périodes de fermeture administrative du fonds de commerce imposée par le dispositif mis en place pendant la pandémie de Covid-19 et demande à la cour de se déclarer incompétente et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction du fond.

Il convient d'indiquer que la compétence du juge des référés n'est pas en cause en l'espèce à raison de ces contestations alléguées comme sérieuses par la SAS VALINO, celles-ci ayant trait au pouvoir dévolu ou non au juge des référés et au point de savoir si les prétentions émises peuvent être tranchées dans ce cadre ou relèvent des pouvoirs du juge du fond, de sorte que l'exception d'incompétence du juge des référés est rejetée.

La SAS PF1 expose avoir le 26 mars 2020, proposé à la SAS VALINO de différer le paiement du loyer relatif au second trimestre 2020 et d'étaler son règlement sur les troisième et quatrième trimestre de l'exercice 2020 avec un échéancier à déterminer, sans réponse de la locataire.

La clause résolutoire :

Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

L'article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Le bail comporte une clause résolutoire, rappelée dans le commandement de payer délivré le 24 août 2020 pour paiement des loyers des deuxième et troisième trimestres 2020.

La locataire indique avoir réglé le 3 septembre 2020, les sommes dues au titre du troisième trimestre 2020, soit la somme de 56'265,48 euros, estimant que la somme résiduelle réclamée de 46'937,72 euros qui correspond exclusivement aux loyers de la période du 16 mars au 10 mai 2020 pendant laquelle le magasin a été fermé, ne peut lui être réclamée.

Il ressort du décompte produit par le bailleur que ce paiement est bien inscrit à cette date.

Il est constant que la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire national et a instauré un confinement général de la population, prolongé jusqu'au 10 mai 2020.

Un décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 a prescrit les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 et un décret n° 2020-423 du 14 avril 2020, ainsi que le précédent, ont interdit tout déplacement de personne hors de son domicile à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité. Ces décrets ainsi que les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé ont précisé que l'interdiction de recevoir du public s'applique aux commerces dont l'activité n'est pas indispensable à la vie de la Nation et dont l'offre de biens ou de services n'est pas de première nécessité, ce qui, eu égard à la destination des lieux loués, a concerné le fonds de commerce de la SAS VALINO.

La SAS VALINO expose en effet qu'entre le 11 mars 2020 et le mois de mai 2021, elle a fait l'objet sans interruption de mesures administratives de restriction, à savoir fermeture administrative totale, encadrement du nombre de clients dans le magasin, couvre-feu, l'ayant conduit à perdre une partie importante de son chiffre d'affaires sur l'année 2020 et jusqu'à 50 % ou plus au cours des mois d'avril, mai et novembre 2020. De fait, elle considère que les dispositions édictées par la loi du 14 novembre 2020 font obstacle à la mise en oeuvre de la clause résolutoire et aux demandes formulées à titre provisionnel.

Cependant, pendant la première période de confinement, la neutralisation des sanctions applicables aux preneurs ne réglant pas ou payant avec retard leurs loyers a été instituée, non par la loi du 14 novembre 2020, entrée en vigueur le 17 octobre 2020 mais notamment par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d'urgence sanitaire, prise en application de la loi ci-dessus visée, et qui prévoit en son article 4 que :

Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er (c'est-à-dire entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020).

Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.

La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation, autre que de sommes d'argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l'article 1er, est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période.

Il doit être relevé que la SAS PF1 a fait délivrer un commandement postérieurement à la période juridiquement protégée, de sorte que ce commandement retrouve donc sa pleine efficacité.

C'est dès lors à bon droit que le premier juge, après avoir rappelé que le dispositif de protection des locataires n'effaçait pas les loyers échus mais en reportait l'exigibilité, a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail à la date du 25 septembre 2020, en l'état de la demande de confirmation de l'intimée.

Sur la demande de provision au titre de la dette locative :

Par application de l'article 835 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Il convient de rappeler qu'il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant, qui n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Pour conclure au rejet des demandes de la SAS PF1 à hauteur de la somme de 50'088,46 euros, la SAS VALINO invoque plusieurs contestations tenant à :

La neutralisation de la dette locative :

La SAS VALINO, au rappel des dispositions de l'article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 fait grief au premier juge de n'avoir pas tenu compte de l'interdiction de poursuite de «toute action» à l'encontre du débiteur sur la période protégée.

Cette loi autorise la prorogation jusqu'au 16 février 2021 de l'état d'urgence sanitaire. Elle prévoit également diverses mesures destinées à protéger les locataires ne pouvant honorer leurs loyers et dispose en son article 14 :

« I. - Le présent article est applicable aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3°du I de l'article 1er de la loi n°2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire'

II. ' Jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d'être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d'intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d'exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée'

Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers et charges, est réputée non écrite'

IV. Le II s'applique aux loyers et charges locatives dus pour la période en cours de laquelle l'activité de l'entreprise est affectée par une mesure de police mentionnée au I ».

Il est rappelé que la SAS PF1 a engagé son action le 14 octobre 2020, soit à une date antérieure à l'entrée en vigueur de la loi ci-dessus visée.

Pour l'application du dispositif ci-dessus, un Décret n°2020-1766 du 30 décembre 2020 relatif aux bénéficiaires des dispositions de l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 prévoit en son Article 1 :

I.-Pour l'application de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 susvisée, les personnes physiques et morales de droit privé mentionnées au I du même article sont celles remplissant les critères d'éligibilité suivants :

1° Leur effectif salarié est inférieur à 250 salariés ;

2° Le montant de leur chiffre d'affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à 50 millions d'euros ou, pour les activités n'ayant pas d'exercice clos, le montant de leur chiffre d'affaires mensuel moyen est inférieur à 4,17 millions d'euros ;

3° Leur perte de chiffre d'affaires est d'au moins 50 % appréciés selon les modalités fixées au II.

II.-Pour les mesures de police administrative prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire déclaré le 17 octobre 2020, le critère de perte de chiffre d'affaires mentionné au 3° du I du présent article correspond à une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er novembre 2020 et le 30 novembre 2020,laquelle est définie comme la différence entre, d'une part, le chiffre d'affaires au cours du mois de novembre 2020 et, d'autre part :

-le chiffre d'affaires durant la même période de l'année précédente ;

-ou, si l'entreprise le souhaite, le chiffre d'affaires mensuel moyen de l'année 2019.

La SAS VALINO produit une attestation comptable de son chiffre d'affaires datée du 5 janvier 2021 qui enseigne que la perte du chiffre d'affaires du mois de novembre 2020 est inférieure au seuil de 50 % prévus. La locataire ne remplit pas les critères d'éligibilité du dispositif précisés par le décret du 30 décembre 2020, de sorte qu'il n'existe aucune contestation sérieuse tenant à l'application du dispositif de protection édicté par les dispositions ci-dessus.

La force majeure :

La SAS VALINO expose, au visa de l'article 1218 du Code civil, que la fermeture administrative des locaux donnés à bail entre le 16 mars 2020 et le 10 mai 2020 puis au cours du mois de novembre 2020, a indéniablement constitué un événement de force majeure.

La SAS PF1 rappelle qu'aux termes de ces dispositions, « si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat», indiquant qu'il n'est pas contesté que l'obligation a bien été suspendue par ordonnance mais que cette suspension ne signifie pas la mise à néant de l'obligation.

La force majeure se caractérise par la survenance d'un événement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible, de sorte qu'il rende impossible l'exécution de l'obligation.

Or, s'agissant d'une obligation de somme d'argent, le moyen tiré de la force majeure soulevé par la société demanderesse pour s'opposer aux demandes en paiement du bailleur est inopérant en ce qu'une obligation de paiement d'une somme d'argent est toujours susceptible d'exécution, le cas échéant forcée, sur le patrimoine du débiteur. Elle n'est, par nature, pas impossible : elle est seulement plus difficile ou plus onéreuse.

Une exception d'inexécution :

La SAS VALINO rappelle qu'aux termes du bail commercial signé entre les parties le 22 janvier 2018, la SAS PF1 avait l'obligation de délivrer des locaux permettant l'exploitation de l'activité prévue au bail or indique t-elle, les arrêtés du 14 mars 2020 et 15 mars 2020 ainsi que le décret du 28 octobre 2020 ont rendu impossible l'exploitation du bien donné à bail conformément à sa destination commerciale de sorte que ces fermetures administratives ont constitué un événement de force majeure rendant impossible l'exécution de son obligation de délivrance conforme par la bailleresse et justifiant qu'elle lui oppose une exception d'inexécution telle que définie à l'article 1219 du Code civil.

La SAS PF1 indique n'avoir commis aucune faute et avoir toujours exécuté ses obligations envers la SAS VALINO, considérant dès lors que les dispositions de l'article 1219 du Code civil ne peuvent trouver application en l'espèce.

L'appelante fait grief au premier juge d'avoir écarté sa demande en raison du défaut d'imputabilité de l'inexécution à la SAS PF1 et d'avoir ainsi rajouté une condition exigée par la loi, considérant que l'article 1219 du Code civil ne soumet pas l'exercice de l'exception d'inexécution à l'imputabilité de l'inexécution au cocontractant.

Aux termes de l'article 1219 du Code Civil, « une partie peut refuser d'exécuter son obligation alors même que celle-ci est exigible, si l'autre partie n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

L'exception d'inexécution d'un cocontractant ne s'entend qu'en réponse à une inexécution fautive de ses obligations par l'autre partie au contrat.

L'effet des mesures générales et temporaires concernant la fermeture au public de certains établissements, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance.

Pendant la crise sanitaire, la SAS PF1 a en effet continué à mettre ses locaux loués à disposition de la SAS VALINO, satisfaisant ainsi à son obligation de délivrance et de jouissance paisible de la chose louée pendant la durée du bail au sens de l'article 1719 du Code civil, aucun manquement ne pouvant lui être imputé au regard des dispositions de l'article 1219 du Code civil.

L'exception d'inexécution invoquée par la SAS VALINO pour s'opposer aux demandes de la SAS PF1 n'est donc pas fondée, en l'absence de contestation sérieuse des obligations du preneur.

Une destruction partielle de la chose louée :

La SAS VALINO se prévaut des dispositions de l'article 1722 du Code civil qui prévoit que « si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail.

Elle expose que la destruction doit être entendue conformément à la jurisprudence comme l'impossibilité d'user du bien conformément à sa destination, résultant des mesures administratives prises pendant la période de confinement.

La SAS PF1 relève que ces dispositions ne prévoient que la résiliation du bail ou la diminution du prix.

Il est constant que l'application de l'article 1722 du Code civil n'est pas restreinte au cas de perte totale de la chose et qu'elle s'étend au cas, ou, par suite des circonstances, le preneur se trouve dans l'impossibilité de jouir de la chose ou d'en faire un usage conforme à sa destination. De même, l'interdiction administrative d'exploiter des locaux commerciaux équivaut à la perte de la chose louée.

L'interdiction de recevoir du public en période de crise sanitaire ne pouvait être assimilée à une perte de la chose louée au sens de l'article 1722 du code civil, dans la mesure où cette interdiction est générale et temporaire et sans lien avec la destination du local loué.

Comme ci-dessus, l'effet des mesures générales et temporaires prise dans le cadre de la pandémie de Covid-19, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil. N'emportant pas perte de la chose, la demande en paiement d'une provision au titre des loyers dus n'est dès lors pas sérieusement contestable.

L'imprévision :

Au visa de l'article 1195 du Code Civil, la SAS VALINO fait valoir que la fermeture administrative totale du local pendant une durée de trois mois ainsi que les restrictions administratives entourant son accès aux clients tout le long de la crise sanitaire constituent un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat et en rendent l'exécution excessivement onéreuse.

Elle explique ainsi que sur l'année 2020, le loyer du local s'est élevé à plus de 35 % du chiffre d'affaires de l'établissement, soutenant que cette circonstance a rendu à l'évidence excessivement onéreuse l'exécution du bail.

La SAS PF1 fait valoir à bon droit que l'article 1195 du Code civil prévoit que le bouleversement du contrat donne lieu, soit à sa renégociation voire à une révision judiciaire ou à une résiliation, et que concernant la révision, celle-ci est régie par les dispositions des articles L. 145-38 et L. 145-39 du code de commerce. L'intimée explique que ces dispositions sont impératives et spéciales alors que l'article 1195 est général et de plus supplétif, y ajoutant que la révision du contrat ne peut être envisagée que pour l'avenir et n'a aucun effet rétroactif.

En effet, cette renégociation du contrat ne vaudrait que pour les obligations à venir de la locataire et pas sur celles passées, de sorte que le moyen tiré du bouleversement de l'économie du contrat est inopérant en l'espèce et ne constitue pas une contestation sérieuse.

En conséquence des développements qui précèdent, l'ordonnance déférée à la cour sera confirmée en toutes ses dispositions.

Les délais de paiement :

Aux termes de l'article L. 145-41 du Code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du Code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

L'article 1343-5 du Code civil autorise le juge, compte tenu de la situation du débiteur et en considération de la situation du créancier, dans la limite de deux années, à reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.

La SAS VALINO expose que sa situation financière actuelle justifie que lui accordés des délais de paiement de 24 mois, expliquant n'être pas exigible aux aides de l'État en raison de son nombre important de salariés et d'une baisse de plus de 27 % de son chiffre d'affaires au cours de l'année 2020 en raison de la pandémie.

Pour s'opposer à la demande, la SAS PF1 rappelle que les délais de grâce ne peuvent être accordés qu'à un débiteur de bonne foi, rappelant que la dette ne fait qu'augmenter dans des proportions qui rendent illusoire toute forme d'apurement en même temps que le respect des échéances contractuelles.

Il est rappelé que le premier juge a fait droit à la demande de délais de paiement en reportant le paiement de la dette et en accordant à la locataire la possibilité de s'acquitter de la dette locative en 12 mensualités de 8 825,95 euros chacune, l'intégralité de la dette devant être acquitté au plus tard le 5 mai 2022.

La SAS VALINO ne produit aucun bilan actualisé de son activité ou en tout cas postérieur à l'ordonnance déférée à la cour et ne justifie pas non plus de versements effectués en exécution de l'ordonnance de référé. Celle-ci ne justifiant pas de sa situation financière conformément aux dispositions ci-dessus visées, ne peut prétendre aux délais de paiement sollicités.

Il y a lieu enfin de condamner la SAS VALINO au paiement de la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Rejette l'exception d'incompétence soulevée par la SAS VALINO ;

Confirme l'ordonnance du 20 avril 2021 prononcée par le juge des référés du tribunal judiciaire Aix-en-Provence ;

Y ajoutant :

Rejette la demande de délais de paiement complémentaires sollicités par la SAS VALINO ;

Condamne la SAS VALINO à payer à la SAS PF1 la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la SAS VALINO aux dépens d'appel.