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Décisions

CA Rennes, 5e ch., 7 septembre 2022, n° 19/01434

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Monsieur [V] [T], Madame [K] [T] née [D]

Défendeur :

Madame [U] [C], Monsieur [B] [E], SARL ELEN [C]

CA Rennes n° 19/01434

6 septembre 2022

Par acte sous seing privé en date des 1er et 2 juin 2004, la société Elen [C] a fait l'acquisition d'un fonds de commerce d'horlogerie-bijouterie orfèvrerie exploité dans des locaux sis à [Adresse 8]. Ces locaux lui ont été loués pour ceux exploités au 14 grand rue par les époux [T] selon un bail du 18 décembre 2004 ; Mme [U] [C], gérante de la société Elen [C] et M. [B] [E] sont propriétaires du local sis [Adresse 1].

Par actes des 2 et 18 décembre 2004, M. [V] et Mme [K] [T] ont consenti à la société Elen [C] le renouvellement du bail commercial, pour une durée de 9 années se terminant le 30 novembre 2013.

Par acte extra-judiciaire signifié le 28 mai 2013, les époux [T] ont fait délivrer à la société Elen [C] un congé avec refus de renouvellement prenant effet au 30 novembre 2013 et offre de versement d'une indemnité d'éviction d'un montant de 12 000 euros.

Contestant le montant de l'indemnité proposée et n'ayant pu trouver un accord dans un cadre amiable avec les époux [T], la société Elen [C] les a assignés par acte du 22 mai 2015 devant le tribunal de grande instance de Brest pour obtenir leur condamnation à lui verser une indemnité d'éviction d'un montant de 80 000 euros.

Par ordonnance en date du 5 juillet 2016, le juge de la mise en état a ordonné une expertise. L'expert, M. [Z], a déposé son rapport le 6 mars 2017.

Par actes en date du 15 janvier 2018, les époux [T] ont appelé en intervention forcée Mme [U] [C], M. [B] [E], propriétaires au sein de l'immeuble [Adresse 1] ainsi que le syndicat des copropriétaires de cette résidence.

Par jugement en date du 23 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Brest a :

- condamné M. [V] et Mme [K] [T] à verser à la société Elen [C] la somme de 39 301,14 euros au titre de l'indemnité d'éviction,

- débouté M. [V] et Mme [K] [T] de leur demande tendant à voir la société Elen [C] condamnée à leur payer la somme de

42 178,86 euros à titre d'indemnité d'occupation,

- condamné la société Elen [C] à payer à M. [V] et Mme [K] [T] la somme de 19 779,10 euros au titre des travaux de remise en état des locaux, outre le coût de la maîtrise d'ouvrage à hauteur de 1 680 euros,

- ordonné la compensation entre les sommes réciproquement dues par les parties entre elles,

- condamné M. [V] et Mme [K] [T] in solidum aux dépens,

comprenant les frais d'expertise, ainsi qu'à payer à Mme [U] [C],

M. [B] [E] et au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1] la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la somme de 2 000 euros à la société Elen [C] sur ce même fondement,

- débouté les parties de leur demande plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire.

Le 28 février 2019, les époux [T] ont interjeté appel de cette décision et aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 31 mars 2022, ils demandent à la cour de :

- réformer le jugement entrepris,

- fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 23 751,74 euros,

- condamner la société Elen [C] à leur verser la somme de 46 070 euros, à titre d'indemnité d'occupation du 1er décembre 2013 au 3 juin 2019,

- condamner la société Elen [C] à leur verser une indemnité mensuelle de 1 500 euros HT, soit du 4 juin 2019 au 30 novembre 2021, la somme de 45 000 euros,

- condamner la société Elen [C] à leur verser la somme de 33 191,64 euros, au titre des travaux de fermeture du mur mitoyen avec l'immeuble sis [Adresse 1], celle de 3 199,83 euros, au titre des travaux de séparation des réseaux, et celle de 641,22 euros, au titre des travaux conservatoires,

- condamner la société Elen [C] à leur verser la somme de 15 239,58 euros, au titre des travaux de remise en état des locaux,

- dire et juger irrecevable la demande du syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], de Mme [U] [C], et de M. [B] [E], tendant à condamner les époux [T] sous astreinte à faire réaliser les travaux de fermeture du mur mitoyen, et la demande indemnitaire au titre de la perte de chance formée par M. [B] [E] et Mme [U] [C],

- débouter le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], Mme [U] [C] et M. [B] [E] et la société Elen [C] de toutes leurs demandes,

- condamner la société Elen [C] à leur verser aux époux [T] la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Elen [C] aux entiers dépens, dont distraction

au profit de la Selarl Flamia-Prigent, Avocats.

Par dernières conclusions notifiées le 4 avril 2022, Mme [U] [C], M. [B] [E], la société Elen [C] et le syndicat des copropriétaires demandent à la cour de :

- débouter les époux [T] de l'intégralité des demandes formées tant à l'égard de la Sarl Elen [C], qu'à l'égard du syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1], de Mme [U] [C] et de M. [B] [E],

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

*jugé que la Sarl Elen [C] était en droit de bénéficier d'une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le congé qui lui a été délivré par les époux [T],

*débouté les époux [T] de leur demande relative à l'indemnité d'occupation,

- dire que l'expert judiciaire n'a pas répondu à l'intégralité de sa mission,

- en conséquence, condamner les époux [T] à verser à la Sarl Elen [C] la somme de 95 104,27 euros au titre de l'indemnité d'éviction,

- dire que ni la réalisation des travaux de fermeture du mur mitoyen, ni le coût de ces travaux, n'incombe à la Sarl Elen [C],

- subsidiairement, dire et fixer le coût des travaux de fermeture du mur mitoyen à 12 000 euros HT, somme à laquelle sera limitée une condamnation éventuelle de la Sarl Elen [C] et ordonner la compensation de cette somme avec le montant de l'indemnité d'éviction due à la société Elen [C],

- condamner les époux [T] à verser à Mme [U] [C] et M. [B] [E], une somme de 15 000 euros au titre de la perte de chance de vendre leur bien, en raison du retard injustifié de réalisation des travaux de reconstruction du mur mitoyen par les époux [T],

- condamner les époux [T] à verser à la Sarl Elen [C] la somme de

8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les époux [T] à verser au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1], à Mme [U] [C] et M. [B] [E], la somme de 2 500 euros chacun, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les époux [T] aux entiers dépens, en ce compris l'intégralité des frais d'expertise judiciaire, dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'indemnité d'éviction

L'expert a procédé à deux évaluations de l'indemnité d'éviction, privilégiant toutefois l'hypothèse d'une perte du fonds de commerce, les parties n'ayant pu produire d'offres de location portant sur des biens équivalents :

1. hypothèse d'un transfert du fonds de commerce :

* indemnité principale correspondant à la valeur du droit au bail : 11 000 euros

* indemnités accessoires :

- frais de remploi : 1 700 euros

- frais de déménagement et réinstallation : 10 410 euros

- indemnité pour trouble commercial : 3 000 euros

total : 26 110 euros

2. hypothèse d'une perte du fonds de commerce :

* indemnité principale correspondant à la valeur du fonds de commerce :

13 000 euros

* indemnités accessoires :

- frais de remploi estimés à 15% de 13 000 euros : 2 000 euros

- frais de déménagement et réinstallation : sur justificatifs

- indemnité de licenciement : sur justificatifs.

Le tribunal retient les indemnités suivantes :

- indemnité principale : 13 000 euros

- frais de remploi : 2 000 euros

- frais de déménagement : 16 210 euros

- indemnité de licenciement : 8 091,14 euros,

soit une indemnité d'éviction de 39 301,14 euros.

Les époux [T] demandent de fixer celle-ci comme suit :

- indemnité principale : valeur marchande du fonds : 13 000 euros

- frais de déménagement : 4 857,12 euros

- frais de rupture du contrat de travail : 5 894,62 euros

soit un total de 23 751,74 euros.

Ils demandent de retenir la seule valeur du fonds, observant que la valeur du droit au bail, inférieure, n'a pas à être prise en compte ; ils contestent l'allocation d'une indemnité de remploi tel que décidé par le tribunal, dans la mesure où la société Elen [C] ne s'est pas réinstallée ; ils estiment excessive l'évaluation des frais de déménagement et de réinstallation, et enfin contestent partie des sommes réclamées au titre des frais de licenciement.

De son côté, la société Elen [C] formule appel incident quant au quantum de cette indemnité, qu'elle demande de fixer de la manière suivante :

- indemnité principale : valeur du fonds de commerce : 67 543 euros (25 000 euros, valeur du fonds de commerce + 42 543 euros valeur du droit du bail)

- frais de remploi : 10 131,45 euros (15% de 67 543 euros)

- frais de déménagement : 7 560,69 euros

- coût du licenciement : 8 969,13 euros.

Soit un total de 95 104,27 euros.

S'agissant de la valeur du fonds de commerce, la société Elen [C] conteste le pourcentage de 25% du chiffre d'affaire de 2015 retenu par l'expert, alors même qu'il indique que le pourcentage minimal retenu par les barèmes est de 30% du chiffre d'affaire et demande à la cour de retenir un pourcentage de 44%, arguant que la baisse du chiffre d'affaires est liée aux travaux réalisés par le bailleur ayant entraîné une gêne dans son activité. En outre, elle soutient que l'expert aurait dû prendre en compte les chiffres d'affaires des trois derniers exercices, soit une moyenne de 56 839 euros et non le seul chiffre d'affaires de 2015 de 51 234 euros.

Elle conteste aussi la valeur du droit au bail retenu par l'expert, sur une valeur locative annuelle de 170 euros/m2 sans préciser ses références, alors qu'il convient de fixer la valeur locative à 247 euros/m2.

La société Elen [C] sollicite une indemnité de remploi, évoquant ses démarches pour retrouver un local à [Localité 3], source de préjudice, et la nécessité de transférer son activité à l'adresse de son siège social, cette perte du fonds entraînant une dépréciation du stock du magasin.

S'agissant de sa réinstallation, elle indique avoir dû déménager les meubles et le coffre fort, ce qu'elle a effectué en partie elle-même, occasionnant des frais kilométriques importants et une gêne ; elle demande également le remboursement des frais de constat d'état des lieux du 3 juin 2019.

Enfin, elle indique avoir licencié pour motif économique une salariée et avoir dû débourser son salaire brut, une indemnité de licenciement, le coût de la participation au contrat de sécurisation professionnelle acceptée par celle-ci, et les honoraires liés à la mise en oeuvre du licenciement.

Selon l'article L145-14, alinéa 2 du code de commerce, l'indemnité d'éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

L'indemnité d'éviction a ainsi pour objet de compenser le préjudice qui résulte pour le locataire du refus du renouvellement du bail.

En l'espèce, le local commercial comprend, selon l'expert, au 12 grand rue un espace de vente, un bureau et une réserve et atelier (surface totale de 39,31 m2) et au 14 grand rue au sous-sol, une cave et au rez-de-chaussée, une surface de vente, un bureau, des WC, une salle d'eau et un studio (surface totale de 118,18 m2), le 12 et le 14 grand rue communiquant grâce à deux ouvertures pratiquées dans le mur les séparant.

Le local est situé dans un bâtiment d'intérêt patrimonial et historique.

La société Elen [C] y exerce une activité de bijouterie-horlogerie.

La société Elen [C] a libéré les lieux le 31 mai 2019, restitué les clés le 3 juin 2019 et a déménagé l'intégralité du mobilier du local commercial de [Localité 3] à [Localité 10] lieu de son siège social.

- sur l'indemnité principale

Il est usuel de mesurer les conséquences de l'éviction sur l'activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l'indemnité d'éviction prend le caractère d'une indemnité de transfert ou si l'éviction entraîne la perte du fonds, ce qui confère alors à l'indemnité d'éviction une valeur de remplacement.

Il y a lieu, en l'espèce, de fixer une valeur de remplacement.

L'indemnité principale est donc égale à la valeur marchande du fonds de commerce sans pouvoir être inférieure à la valeur du droit au bail des locaux, élément incorporel du fonds de commerce, qui constitue la valeur

plancher.

- sur la valeur du fonds de commerce

L'expert a constaté la faiblesse du chiffre d'affaires qui a peu varié au cours des trois derniers exercices, ce qui n'est pas contesté.

La cour fait sienne l'analyse des premiers juges qui estiment indifférente quant à la valorisation du fonds, la question de savoir si les travaux entrepris par les bailleurs entre 2008 et 2009 ont pu avoir une conséquence sur la baisse du chiffre d'affaires de la bijouterie, alors que ce chiffre d'affaires apparaît s'être stabilisé autour de 50 000 euros au cours des trois derniers exercices, soit plusieurs années après la réalisation desdits travaux.

Elle partage aussi son avis quant à la fixation de la valeur du fonds du commerce par application d'un pourcentage de 25 % du chiffre d'affaires HT, soit en deçà des barèmes professionnels allant de 30 % à 85 % du chiffre d'affaires HT, au regard de la faiblesse constatée des résultats, malgré un emplacement intéressant, nonobstant le niveau de concurrence dans la ville (nombre important de bijouterie dans le secteur).

Il apparaît juste toutefois de retenir la moyenne pondérée des chiffres d'affaires sur les trois dernières années soit 56 839 euros, de sorte que la valeur du fonds de commerce est de :

56 839 x 25 % = 14 209 euros, qu'il convient d'arrondir à 14 000 euros.

- sur le droit au bail

Le droit au bail est un élément essentiel du fonds de commerce, et l'indemnité d'éviction ne peut être inférieure à la valeur de ce droit au bail.

L'expert a évalué ce droit au bail à 11 000 euros.

L'évaluation à 247 euros/m2 proposée par la société Elen [C] repose sur la moyenne de cinq loyers de locaux situés dans la grand rue, cités par l'expert. La cour relève que ce calcul ne tient pas compte d'une référence donnée à l'expert par la société Elen [C] elle-même pour un autre local dans la grand rue soit 168 euros/m2. Ce dernier loyer comparé à la moyenne des loyers du secteur (181 euros/m2) émanant de M. [H] expert à l'étude notariale Apriou, permet à la cour d'approuver la valeur locative de 170 euros/m2 pondéré par an, retenue par l'expert pour le local considéré et donc une valeur de droit au bail de 11 000 euros.

Cette valeur étant la valeur plancher à retenir pour fixer l'indemnité principale, la cour fixera celle-ci à 14 000 euros.

- sur les indemnités accessoires

- sur l'indemnité de remploi

Cette indemnité doit couvrir l'ensemble des frais liés à l'acquisition d'un nouveau droit au bail. Elle correspond aux frais de mutation et aux frais de recherche d'un nouveau fonds de commerce.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Elen [C] a cherché à trouver un local de remplacement sur [Localité 3], l'expert faisant référence

(page 18 de son rapport) aux offres de locations soumises à cet effet par les parties. La cour fixera une indemnité de remploi de 15 % de la valeur du fonds de commerce soit 2 100 euros.

- sur les frais de déménagement

Les bailleurs comme la locataire ne discutent pas le principe d'une indemnisation des frais d'enlèvement du matériel du magasin, nonobstant l'absence de réinstallation, mais contestent l'évaluation de ces frais telle qu'opérée par le tribunal sur la base d'une seule estimation (16 210 euros).

La société Elen [C] justifie avoir déboursé une somme de 5 876,60 euros TTC représentant le coût du déménagement du mobilier (factures Le Floch Déménagement : 4 857,12 euros) ; elle justifie aussi divers autres frais de fermeture du local (publicités, frais de résiliation ..).

Le seul coût du déménagement effectif peut être indemnisé dans le cadre de cette indemnité accessoire et sera fixé à 4 857,12 euros, le surplus relevant de sa seule initiative.

La cour écartera également les demandes en paiement formées au titre d'indemnités kilométriques ou de gêne occasionnée par un déménagement effectué par la gérante, celles-ci étant insuffisamment justifiées, ou du coût d'un constat d'état des lieux, lequel a été dressé à sa demande.

- sur le coût du licenciement

A la suite du non-renouvellement de son bail, si le preneur est contraint de licencier du personnel, les coûts liés à ces licenciements doivent être remboursés par le bailleur. Le montant de la somme allouée au preneur correspond aux coûts réellement supportés par celui-ci.

Suite au licenciement pour motif économique de la salariée de la société Elen [C], Mme [N], et à l'acceptation par celle-ci du contrat de sécurisation professionnelle, la cour estime justifiées les dépenses suivantes engagées par la locataire pour ce licenciement :

- 2 494 euros (indemnité de licenciement)

- 3 400,62 euros (contribution au financement de l'allocation de sécurisation professionnelle)

À raison, les époux [T] font valoir que le montant du salaire brut et des congés dus à Mme [N] est étranger au licenciement, et que les honoraires réglés par la locataire à son expert comptable pour évaluer le coût d'un licenciement résulte du seul choix de celle-ci et n'ont pas à être supportés par les bailleurs. La cour fixe donc le coût du licenciement à

5 894,62 euros.

En conséquence l'indemnité d'éviction s'élève à :

- indemnité principale : 14 000 euros

- indemnités accessoires : 2 100 + 4 857,12 + 5 894,62 = 12 851,74 euros

soit 26 851,74 euros.

La cour infirme le jugement sur ce point et condamnera les époux [T] à payer la somme de 26 851,74 euros au titre d'indemnité d'éviction.

Sur l'indemnité d'occupation

Les époux [T] font grief aux premiers juges de les avoir déboutés de leur demande à ce titre.

Ils font valoir que s'ils ont indiqué dans le congé qu'à compter du 1er décembre 2013, il sera dû jusqu'à restitution des locaux une indemnité d'occupation égale au montant du loyer, cette mention est dépourvue d'effet, les époux [T] ne pouvant unilatéralement fixer la valeur de l'indemnité d'occupation, laquelle doit être fixée d'accord partie ou judiciairement.

Ils soutiennent que cette mention ne peut davantage valoir renoncement de leur part à prétendre à une indemnité d'occupation égale à la valeur locative qu'ils ignoraient à cette date. Ils demandent donc de condamner la société Elen [C] au paiement d'une somme restant due de 46 070 euros pour la période du 1er décembre 2013 au 3 juin 2019, l'indemnité d'occupation, selon eux, devant être fixée sur la base d'une valeur locative de 170 euros/m2.

La société Elen [C] conclut à la confirmation du jugement, observant que l'indemnité d'occupation a bien été fixée par le tribunal à la valeur du loyer et qu'elle s'est acquittée mensuellement de cette somme jusqu'à son départ effectif.

Le congé avec refus de renouvellement mettant fin au bail, le preneur n'est plus redevable d'un loyer.

En cette hypothèse, il convient de faire application des dispositions suivantes de l'article L 145-28 alinéa 1 du code de commerce :

Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation.

L'indemnité d'occupation due par le locataire, statutaire, distincte de l'indemnité d'occupation due en cas d'occupation sans droit ni titre, est due pour la période de cessation du bail à son renouvellement, à savoir, en l'espèce, du 1er décembre 2013 au 3 juin 2019.

L'indemnité d'occupation due par le preneur à compter de l'expiration du bail commercial doit être fixée en fonction de la valeur locative.

En l'espèce la demande formulée par les bailleurs dans le congé tendant à solliciter une indemnité d'occupation égale au montant du loyer a été acceptée par la locataire, qui a acquitté intégralement les sommes correspondantes pour la période considérée.

Les bailleurs ne sont pas fondés à revendiquer aujourd'hui une indemnité d'occupation sur une base de 170euros/m2, alors que d'une part cela ne ressort pas de l'accord des parties et que d'autre part, cette seule valeur ne tient pas compte de la situation de précarité dans laquelle la locataire s'est trouvée du fait du congé.

La cour approuve le tribunal en ce qu'il déboute les époux [T] de leur demande, ces derniers ayant été remplis de leurs droits par le paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer.

Sur les travaux de fermeture du mur mitoyen

Le tribunal a condamné la locataire à payer aux bailleurs à ce titre une somme de 19 779, 10 euros TTC représentant les travaux de remise en état des locaux et une somme de 1 680 euros TTC au titre de la maîtrise d'ouvrage.

Les époux [T] entendent voir confirmer qu'il appartient à la locataire de supporter le coût de ces travaux, le bail initial prévoyant que leur prédécesseur M. [G] avait sollicité l'autorisation d'ouvrir ce mur, et que le bailleur se réservait le droit de lui demander de boucher les ouvertures pratiquées en cas de départ.

Ils formulent toutefois appel sur le quantum du coût de travaux fixés par le tribunal et sollicitent le paiement d'une somme de 28 019,31 euros, détaillée comme suit :

- préparation d'un dossier de permis de construire : 2 880 euros

- étude pour rebouchage d'un mur mitoyen : 5 238 euros

- travaux de rebouchage des ouvertures : 19 901,31 euros

Ils demandent en outre la condamnation de la locataire à leur payer la comme de 3 199,83 euros TTC au titre de la séparation des réseaux électriques et celle de 641,22 euros au titre de travaux conservatoires pour reboucher les ouvertures dans l'attente des travaux.

La société Elen [C] conclut à l'infirmation du jugement qui la condamne à payer aux bailleurs le coût de ces travaux. Elle fait valoir que l'état primitif des locaux est ignoré. Elle note que le locataire initial M. [G] était également propriétaire du 12 grand rue, de sorte que dans le cadre de la clause qui leur est opposée, il s'était engagé à reboucher les ouvertures à son départ, en sa qualité de propriétaire et non en sa qualité de locataire. Elle soutient qu'il ne peut être imposé à un locataire de tels travaux qui ne peuvent être réalisés que par les deux propriétaires du mur mitoyen, que ces travaux nécessitent qu'un permis de construire soit déposé par les deux et que tout au plus les époux [T] ne pourraient prétendre qu'à une indemnisation à hauteur de la moitié des travaux, observant que pour sa part, en l'état d'un bail résilié depuis le 30 novembre 2013, elle n'aurait aucune qualité au sens de l'article R 423-1 du code de l'urbanisme pour déposer un permis de construire dans ces locaux.

À titre subsidiaire, s'il devait être considéré qu'elle doit en supporter le coût, elle demande à la cour de ramener celui-ci à la somme fixée par l'expert de 12 000 euros HT, soutenant que les bailleurs pourront récupérer la TVA, et de rejeter toute demande de frais supplémentaires invoqués par les appelants dans le cadre de l'instance d'appel, estimant celle-ci reposant sur des devis établis pour les besoins de la cause par l'intermédiaire de relations amicales ou familiales des époux [T].

Le bail liant les parties rappellent expressément qu'aux termes du bail initial, le locataire a été autorisé à percer le mur séparant son ancien magasin des locaux donnés à bail sous sa responsabilité, les bailleurs se réservant la faculté de lui demander de boucher les ouvertures pratiquées en cas de départ.

Le bail de 1997 entre les époux [T] et les consorts [G] mentionne également qu'à l'origine, le consorts [S] ont donné les locaux litigieux à bail à M. [M] [G] par acte du 25 février 1987 et que M. [G] a été autorisé à percer le mur séparant son magasin du 12 grand rue à celui du 14 grand rue sous sa responsabilité, les bailleurs se réservant la faculté de lui demander de boucher les ouvertures pratiquées en cas de départ.

Ce bail de 1987 entre les consorts [O]-[S] et M. [G] est également produit et confirme ces mentions.

La société Elen [C] ne peut prétendre que l'autorisation de percer a été donnée à M. [G] en tant que propriétaire du 12 grand rue, alors que le bail ne le cite qu'en qualité de locataire et qu'au surplus sa prétendue qualité d'ancien propriétaire du 12 grand rue ne ressort pas des pièces produites, l'extrait du titre de propriété de M. [B] [E] et de Mme [U] [C] (actuels propriétaires du bien dont s'agit) mentionnant un achat par eux auprès de Mme [A] [P], propriétaire depuis 1963.

Les appelants sont donc fondés, au vu de ces stipulations, à soutenir que la société locataire est tenue contractuellement aux seuls travaux de rebouchage du mur mitoyen, à l'exclusion de tous autres, de sorte que la cour écartera les prétentions de ces derniers s'agissant des réseaux électriques et des travaux conservatoires.

Les époux [T] produisent une facture de travaux de l'entreprise Trégor Bâti Pierre pour la restauration du mur en date du 29 novembre 2021, d'un montant de 19 901, 31 euros, visant le devis 445 de 2016 réévalué (devis de 19 779,10 euros retenu par le tribunal). La cour fixera la dépense de ce chef au coût réel ainsi justifié.

S'agissant de la demande de prise en charge d'une facture de 5 328 euros de la société BMI au titre d'une étude avant travaux, la preuve de l'utilité de cette étude n'est pas rapportée, alors que mission avait été donnée à l'expert d'en évaluer le coût. La cour rejettera cette demande en paiement.

En ce qui concerne la demande de permis de construire, le bâtiment étant considéré comme un bâtiment historique, comme rappelé par l'expert, celle-ci apparaît nécessaire ; le montant réclamé par les époux [T] repose sur une facture émise par la société Cosmos 2001 dont le directeur est M. [J] [T], dont il n'est pas contesté qu'il est un membre de la famille des bailleurs. Ce seul élément ne peut suffire toutefois à écarter cette prétention.

En conséquence la société Elen [C] sera condamnée de ce chef au paiement de la somme de 19 901,31 + 2 880 = 22 781,31 euros TTC, étant précisé que la société Elen [C] qui soutient que les époux [T] pourront récupérer la TVA, ne produit aucun élément permettant d'étayer ses affirmations.

La cour infirme en conséquence le jugement sur ce point et ordonnera la compensation entre ces sommes.

Sur les travaux de remise en état

Les époux [T] s'appuyant sur les constats des lieux de sortie des 3 et 4 juin 2019 demandent à la cour de condamner la société Elen [C] à lui payer au titre des travaux de remise en état du local commercial une somme de

15 239,58 euros, soit :

- reprise de l'installation électrique : 2 767,84 euros

- reprise de peintures : 4 619,49 euros

- travaux de plomberie : 3 064,58 euros

- nettoyage et remise en peinture de deux fenêtres : 4 787,75 euros.

La société Elen [C] conclut à l'irrecevabilité de cette prétention en application de l'article 564 du code de procédure civile, considérant qu'il s'agit d'une demande nouvelle.

À titre subsidiaire, elle s'oppose à cette demande, observant que le bail prévoit que les bailleurs ont accepté de ne pas réclamer le rétablissement de la pièce arrière dans son état primitif, qu'elle ne saurait être tenue à des travaux liés à la vétusté des lieux, et qu'elle ne peut supporter le coût de travaux pour effacer des graffitis situés à l'extérieur réalisés par des personnes étrangères et de surcroît effacés par la pluie.

L'article 564 du code de procédure civile dispose :

A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En l'espèce, la demande de remise en état des lieux, n'a pu être présentée qu'après la libération des lieux intervenue le 3 juin 2019, de sorte que la demande n'est pas irrecevable, les bailleurs n'ayant pu présenter celle-ci au tribunal qui a statué le 23 janvier 2019.

L'article 1755 du code civil dispose :

Aucune des réparations réputées locatives n'est à la charge des locataires, quand elles ne sont occasionnées que par vétusté ou force majeure.

Le bail prévoit que le locataire entretiendra les locaux loués pendant toute la durée du bail, et les rendra à son expiration en bon état de réparations locatives d'usage et de menu entretien.

Il aura à sa charge les frais d'entretien de la devanture du magasin et de son remplacement.

La cour relève que seul le constat des lieux dressé le 3 juin 2019 est contradictoire et que les constatations faites le 4 juin 2019 l'ont été à l'initiative des seuls bailleurs.

Le bail mentionnant que les bailleurs ont accepté de ne pas réclamer le rétablissement de la pièce arrière dans son état primitif, les travaux relatifs à celle-ci ne peuvent donc être sollicités par les époux [T]. Ainsi en est-il des travaux de réfection dans la salle de bain et la cuisine situées dans la partie arrière du magasin (travaux de plomberie notamment).

La nécessité d'une reprise des peintures que les bailleurs soutiennent être jaunies et sales tant sur les murs et les plafonds dans l'ensemble du local, y compris le studio avec salle de bain et WC, ne ressort nullement du constat d'huissier du 3 juin 2019.

S'agissant des dégradations sur les volets (graffitis), elles sont constatées par l'huissier le 4 juin 2019, et sont visibles de l'intérieur, volets fermés, de sorte que la preuve contraire que la société Elen [C] tente de rapporter en produisant une photographie des volets fermés prise de l'extérieur est inopérante. S'il est vraisemblable que la locataire n'est pas à l'origine de ces salissures, il en résulte toutefois un défaut d'entretien de sa part. La cour retiendra la facture de reprise de ce chef de 4 787,75 euros.

En ce qui concerne enfin les travaux électriques, au regard des constatations de l'huissier, lequel note des câbles sortant du haut mur et des fils électriques courant sur le mur côté droit, que la cour considère résulter d'un défaut d'entretien, et du devis de la société Plombelec, il sera mis à la charge de la locataire les seuls travaux de reprise en partie avant, soit

2 666,53 euros HT ou 3 199,83 euros TTC.

En conséquence, il sera fait droit à la demande des époux [T] à hauteur de 7 987,58 euros.

Sur la demande d'indemnité mensuelle pour la période du 4 juin 2019 au 30 novembre 2021

Les époux [T] formulent une demande de ce chef de 45 000 euros. Ils ne développent aucun moyen ou argument au soutien de celle-ci. Ils en seront déboutés.

Sur les demandes reconventionnelles formées par Mme [C] et M. [E]

Ces derniers sollicitent paiement par les époux [T] d'une somme de

15 000 euros au titre de la perte de chance de vendre leur bien, faisant valoir qu'ils ont initialement mis en vente leur bien au prix de 65 000 euros, ont été contactés en 2020 par des acquéreurs, qu'il n'a pu être donné suite à ce contact, car les travaux de fermeture du mur n'étaient pas réalisés, qu'ils ont donc continué à payer l'assurance, la taxe foncière.

Les époux [T] opposent l'irrecevabilité de cette demande comme étant nouvelle.

Mme [C], dont il convient de rappeler qu'elle est la gérante de la société Elen [C], et M. [E] ont entrepris de mettre en vente leur bien sis [Adresse 1] en 2020 soit postérieurement au jugement.

La demande indemnitaire, au motif de la non réalisation des travaux, n'est pas irrecevable au sens de l'article 564 du code de procédure civile, alors que le mandat de vente a été donné en 2020, après exécution des condamnations prononcées en première instance, parmi lesquelles celle relative aux travaux, qui au vu des pièces versées, n'ont été entrepris qu'en octobre 2021.

Pour autant, il n'est justifié que d'une seule offre faite en février 2021 au prix de 60 000 euros et donc proche du prix offert. Si Mme [C] a indiqué qu'elle ne pouvait s'engager sur un délai, il n'est pas établi que cette offre ne pouvait aboutir, la réponse de l'offrante à ces contraintes n'étant pas apportée. La perte de chance invoquée n'est pas suffisamment caractérisée et la cour déboute Mme [C] et M. [E] de leur demande.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La cour confirme les dispositions du jugement à ce titre, condamne la société Elen [C] aux dépens d'appel et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel au profit de quiconque.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- débouté M. [V] [T] et Mme [K] [T] de leur demande tendant à voir la société Elen [C] condamnée à leur payer une somme de 42 178,86 euros au titre d'une indemnité d'occupation ;

- condamné M. [V] et Mme [K] [T] in solidum aux dépens,

comprenant les frais d'expertise, ainsi qu'à payer à Mme [U] [C],

M. [B] [E] et au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1] la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la somme de 2 000 euros à la société Elen [C] sur ce même fondement ;

- débouté les parties de leur demande plus amples ou contraires ;

- ordonné l'exécution provisoire.

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,

Condamne M. [V] [T] et Mme [K] [T] à payer à la société Elen [C] la somme de 26 851,74 euros à titre d'indemnité d'éviction ;

Condamne la société Elen [C] à payer à M. [V] [T] et Mme [K] [T] la somme de 22 781,31 euros TTC au titre des travaux de fermeture du mur mitoyen ;

Ordonne la compensation entre les sommes réciproquement dues par les parties entre elles ;

Y ajoutant,

Condamne la société Elen [C] à payer à M. [V] [T] et Mme [K] [T] la somme de 7 987,58 euros au titre des réparations locatives ;

Déboute les époux [T] de leur demande d'indemnité mensuelle pour la période du 4 juin 2019 au 30 novembre 2021 ;

Déboute Mme [U] [C] et M. [B] [E] de leur demande indemnitaire ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Elen [C] aux dépens d'appel.