CA Rennes, 5e ch., 7 septembre 2022, n° 19/01480
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SAS ARTUS INTERIM NANTES
Défendeur :
SCI ARMORIC
La SCI Armoric a donné à bail commercial à la SAS Artus Intérim Nantes un local commercial sis [Adresse 6], selon contrat de bail commercial du 26 octobre 2011, pour l'exploitation de son agence intérimaire.
L'entrée en jouissance du preneur était fixée au 1er novembre 2011 et le bail consenti pour une durée de neuf ans expirant au 31 octobre 2020. Le bail pouvait être dénoncé par le locataire à l'expiration de chaque période triennale sous réserve de donner congé par voie d'huissier au moins six mois à l'avance.
Le loyer était fixé à 10 800 euros HT pour la première année, puis à 13 200 euros annuels HT à compter du 1er novembre 2012.
Le 28 avril 2017, la SAS Artus Interim Nantes a délivré son congé par acte extrajudiciaire à son bailleur à effet du 31 octobre 2017.
Par acte du 4 mai 2018, la SCI Armoric assignait la société Artus Intérim Nantes devant le Tribunal de Grande instance de Saint-Nazaire.
Par jugement en date du 10 janvier 2019, le tribunal a :
- dit que le congé délivré le 28 avril 2017 par la SAS Artus Intérim Nantes est nul,
- résilié le bail conclu entre la SCI Armoric et la SAS Artus Intérim Nantes,
- condamné la SAS Artus Intérim Nantes à payer à la SCI Armoric la somme de 25 000 euros,
- condamné la SAS Artus Intérim Nantes à rendre les clés du local commercial et à libérer les lieux de tout meuble lui appartenant, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du quinzième jour ouvrable suivant la signification du jugement,
- condamné la SAS Artus Intérim Nantes à verser à la SCI Armoric la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS Artus Intérim Nantes aux dépens,
- prononcé l'exécution provisoire du jugement.
Le 1er mars 2019, la société Artus Intérim Nantes a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 19 décembre 2021, elle demande à la cour de :
- constater que le congé signifié 28 avril 2017 par la société Artus Intérim Nantes à la SCI Armoric a mis fin valablement au bail commercial au 31 octobre 2017,
En conséquence,
- réformer le jugement attaqué, en tous ses chefs de jugement,
- condamner la SCI Armoric à payer à la société Artus Intérim Nantes une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles engagés en cause d'appel,
- condamner la SCI Armoric aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 27 février 2020, la société Armoric demande à la cour de :
- constater que le congé ne pouvait être délivré sous le visa de l'article 659 du Code de procédure civile,
- débouter la société Artus Intérim Nantes de son appel et de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Saint Nazaire du 10 janvier 2019 en ce qu'il a déclaré nul le congé délivré le 28 avril 2017, résilié le bail et condamné la SAS Artus Intérim à rendre les clefs du local et à libérer celui-ci outre le versement des frais répétibles et non répétibles,
- recevoir la société Armoric en son appel incident,
Réformer le jugement en ce qu'il n'a alloué qu'une somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Artus Intérim Nantes à verser à la société Armoric la somme de 48 488.40 euros à titre de loyer jusqu'au jugement ayant prononcé la résiliation et de dommages et intérêts à compter de celui-ci,
En tout état de cause,
- condamner la société Artus Intérim Nantes à verser à la société Armoric la somme de 4 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Artus Intérim Nantes en tous les dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 avril 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la validité du congé du preneur
La société Artus Intérim Nantes soutient que le congé qu'elle a donné le 28 avril 2017, qui a fait l'objet d'un procès-verbal de recherches infructueuses par application des dispositions de l'article 659 du code de procédure civile, est parfaitement valable. Elle rappelle qu'en matière de bail commercial, le congé ne peut être signifié qu'au bailleur lui-même et non à son gérant ou au mandataire du bailleur. Elle indique que l'huissier instrumentaire a signifié le congé à l'adresse du siège social du bailleur après avoir effectué les diligences qui lui incombaient selon elle à savoir : vérifier l'adresse du siège social au K bis, s'être présenté à l'adresse du siège social et n'avoir pu trouver aucun indice sur l'existence d'un établissement au lieu du siège social et avoir tenté de joindre le gérant dont il a obtenu les coordonnées. Elle en déduit que l'huissier a scrupuleusement respecté les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile et que la société Armoric a failli à ses obligations légales en ne faisant pas modifier l'adresse de son siège social sur son extrait K-bis.
Elle ajoute qu'à supposer que le congé ait été délivré irrégulièrement, la nullité du congé ne serait encourue en ce que le bailleur n'a subi aucun grief puisqu'il a eu connaissance du congé avant le 30 juin 2017, date à laquelle un exemplaire du congé a été adressé à son mandataire et qu'à aucun moment, il n'a réclamé la restitution des clés et des locaux qui étaient libres depuis le 1er juillet 2017 soit 4 mois avant le terme du congé.
La SCI Armoric admet que le congé devait être signifié au lieu de son siège social et non au cabinet Olivier en sa qualité de mandataire du bailleur ou au domicile élu ou au domicile de son gérant mais elle fait valoir que l'huissier ayant constaté que personne ne se trouvait au lieu du siège social, il lui appartenait d'accomplir les démarches nécessaires pour tenter de parvenir à la signification du congé au destinataire. A ce titre, elle soutient que l'huissier, ayant eu connaissance de l'adresse du gérant de la bailleresse, ne pouvait plus signifier l'acte au visa de l'article 659 du code de procédure civile mais devait le signifier en la personne du représentant légal de la bailleresse au domicile du gérant de la SCI Armoric et elle en déduit que l'acte de congé est bien entaché de nullité.
La SCI Armoric indique que le non-respect des dispositions légales de signification de l'acte génère un grief pour le bailleur. Elle ajoute que le grief réside également dans le fait que le preneur, ne pouvant plus notifier le congé au destinataire en respectant le délai de 6 mois, est en droit de demander l'exécution des obligations par son locataire jusqu'à l'issue de la troisième période triennale lui évitant d'avoir à chercher un autre preneur ou encore demander des dommages et intérêts par suite de la résiliation du bail qu'il peut demander. Elle considère que la conjonction de la nullité et l'indisponibilité des locaux jusqu'à la remise des clés le 1er mars 2019, le preneur ayant lui aussi considéré que la résiliation n'avait pu avoir lieu justifie l'octroi d'une somme de 48 488,40 euros à titre de dommages-intérêts correspondant à l'inexécution du bail sur les trois dernières années qui courraient.
Aux termes de l'article 690 du code de procédure civile : 'la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement.
A défaut d'un tel lieu, elle l'est en la personne de l'un de ses membres habilité à la recevoir'.
Aux termes de l'article 659 du code de procédure civile : 'lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.
Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification.
Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.
Les dispositions du présent article sont applicables à la signification d'un acte concernant une personne morale qui n'a plus d'établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le registre du commerce et des sociétés'.
Il était stipulé dans le bail que le loyer devait être payé mensuellement et porté au domicile du mandataire du bailleur. Il était stipulé que pour l'exécution du bail et ses suites, le bailleur faisait élection de domicile au cabinet Olivier, le preneur élisant domicile en son siège social.
En l'espèce, la société Artus Intérim a délivré son congé le 28 avril 2017 à son bailleur la SCI Armoric à l'adresse de son siège social [Adresse 6].
Par procès-verbal de recherche infructueuse du 28 avril 2017, l'huissier a indiqué s'être déplacé à l'adresse du siège social du bailleur confirmée par le registre du commerce et des sociétés et l'extrait K bis levé le jour même, et n'avoir pas localisé la SCI Armoric.
Il indique 'sur place, il s'agit d'un local occupé par le requérant. Aucune enseigne ou boîte aux lettres ne porte le nom de la société. Les personnes rencontrées sur place sont des employés de la société requérante, lesquels ont confirmé que le siège de la SCI Armoric est bien à l'adresse susvisée. Ils m'ont indiqué que le gérant de la société est Maître [V] [P], avocat à [Localité 7] au sein du cabinet fiduciaire générale, [Adresse 5].
De retour à mon étude, j'ai effectué diverses recherches qui ne m'ont pas permis d'obtenir quelconque renseignement. J'ai contacté ledit cabinet au [XXXXXXXX01]. La secrétaire m'a transmis le numéro de téléphone de Maître [P] afin que je le contacte directement, ce dernier étant absent et ne revenant très probablement pas à son cabinet ce jour.
J'ai ensuite tenté de joindre Me [P] sur son téléphone portable (..) et ai laissé un message sur le répondeur en lui précisant l'objet de mon appel, en lui demandant de me rappeler dans les plus brefs délais mais il ne m'a pas re-contacté'.
Les parties s'accordent sur le fait que le congé devait être délivré au lieu du siège social du bailleur et non au lieu de domicile de son mandataire ou au lieu du domicile élu. Il n'est pas non plus contesté que l'huissier se soit rendu au lieu du siège social du bailleur et n'y a trouvé aucun établissement connu après avoir effectué les diligences qui lui incombaient.
En l'espèce, l'huissier, après avoir constaté qu'aucun établissement connu ne se trouvait au lieu du siège social toujours en vigueur de la SCI Armoric, a mentionné le nom et l'adresse du gérant de ladite société au terme de son procès-verbal de recherche infructueuse. En apportant ces indications précises sur le nom et l'adresse du gérant, l'huissier ne pouvait se borner à mentionner ces éléments sans autre diligence en vue de lui signifier l'acte et ne pouvait plus, en tout état de cause, délivrer un procès-verbal de recherche infructueuse. Il en résulte que la signification du congé délivré par la société Artus Intérim Nantes est affectée d'un vice de forme, qui peut entraîner la nullité à condition que soit établi un grief.
Il appartient à la SCI Armoric de prouver le grief que lui cause l'irrégularité du congé au visa de l'article 114 du code de procédure civile. Elle ne peut se contenter de soutenir que le non respect des dispositions légales de signification de l'acte lui génère de fait un grief. De même, elle ne peut invoquer à titre de grief tiré de l'irrégularité de l'acte d'huissier, les conséquences de la nullité du congé. En l'absence d'autre élément, il convient de relever que la SCI Armoric ne justifie pas spécifiquement de grief qui lui aurait causé l'acte d'huissier irrégulier.
Au contraire, il résulte du courrier du cabinet Olivier en date du 13 juillet 2017, mandataire du bailleur, que ce dernier a eu connaissance du congé au plus tard le 30 juin 2017, date à laquelle la société Artus Intérim Nantes lui a adressé par mail la copie du congé et que le bailleur a pu faire valoir ses droits comme en atteste les courriers de son mandataire.
Par conséquent, il doit en être déduit que la SCI Armoric échoue à démontrer le grief que lui a causé l'irrégularité de forme de la signification du congé. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'annuler la signification du congé délivré par la société Artus Intérim Nantes. Le congé signifié le 28 avril 2017 par la société Artus Intérim Nantes a donc mis fin valablement au bail commercial le 31 octobre 2017. Par conséquent, le jugement sera entièrement réformé en ce qu'il a dit que le congé était nul, qu'il a résilié le bail et condamné la SAS Artus Intérim Nantes a payer à la SCI Armoric la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts, cette condamnation n'ayant plus d'être, le congé étant validé et le bailleur ne justifiant pas d'un quelconque préjudice.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant, la SCI Armoric sera condamnée à verser à la société Artus Intérim Nantes la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel et aux dépens d'appel. Les dispositions du jugement seront réformées en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens et la SCI Armoric sera condamnée aux dépens de première instance et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Constate que le congé signifié le 28 avril 2017 par la société Artus Intérim Nantes à la SCI Armoric a mis fin valablement au bail commercial au 31 octobre 2017 ;
Déboute la SCI Armoric de ses demandes.
Condamne la SCI Armoric à verser à la société Artus Intérim Nantes au titre des frais irrépétibles en cause d'appel la somme de 1 500 euros ;
Condamne la SCI Armoric aux entiers dépens de première instance et en cause d'appel ;
Déboute la SCI Armoric de toutes ses demandes, fins et conclusions.