Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-10.352
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cathala
Rapporteur :
M. Silhol
Avocat général :
Mme Grivel
Avocats :
SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, SCP Lyon-Caen et Thiriez
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 novembre 2018), M. L..., engagé en qualité de calorifugeur par la société Wanner Isofi isolation, devenue Kaefer Wanner, a été affecté, dans le cadre d'une sous-traitance, du 13 avril 1988 au 31 mai 1998 à l'établissement de Saint-Auban de la société Arkema France.
2. Selon arrêté ministériel du 30 octobre 2007, cet établissement a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période 1962-1994.
3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété dirigée contre la société Kaefer Wanner.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. M. L... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété, alors « que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il aurait travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 n'appartenant pas à son employeur ; qu'en refusant au salarié l'indemnisation de son préjudice d'anxiété résultant de son exposition aux poussières d'amiante dans l'établissement de Saint Auban appartenant à la société Arkema où il a été mis à disposition de 1988 à 1998, sans examiner les justificatifs de son exposition aux poussières d'amiante durant cette période d'emploi qu'il produisait quand bien même cet établissement n'appartenait pas à son employeur, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil alors applicable, ensemble l'article L. 4221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige :
5. L'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée a créé un régime particulier de préretraite permettant notamment aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d'activité, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle.
6. Par un arrêt du 11 mai 2010 (Soc., 11 mai 2010, pourvoi n° 09-42.241, Bull. 2010 V, n° 106), adopté en formation plénière de chambre et publié au Rapport annuel, la chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d'obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété tenant à l'inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.
7. La chambre sociale a ainsi instauré au bénéfice des salariés éligibles à l'ACAATA un régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de leur exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de leur préjudice, tout en précisant que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété réparait l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence.
8.Elle a néanmoins affirmé que la réparation du préjudice d'anxiété ne pouvait être admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel pris sur son fondement et dont l'employeur entrait lui-même dans les prévisions de ce texte, de sorte que le salarié, qui avait été affecté par son employeur dans une autre entreprise exploitant un établissement mentionné par le texte précité, ne pouvait prétendre à l'indemnisation de ce préjudice (Soc., 22 juin 2016, pourvoi n° 14-28.175, Bull. 2016 V, n°131).
9.Il est toutefois apparu, à travers le développement de ce contentieux, que de nombreux salariés, qui ne remplissent pas les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ou dont l'employeur n'est pas inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel, ont pu être exposés à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé.
10. Dans ces circonstances, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a reconnu la possibilité pour un salarié justifiant d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, d'agir contre son employeur, sur le fondement du droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 (Ass. plén., 5 avril 2019, pourvoi n° 18-17.442, publié au Rapport annuel).
11. Au regard de ces mêmes circonstances, il y a lieu d'admettre que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même cet employeur n'entrerait pas dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée.
12. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété, l'arrêt retient, d'abord, que l'établissement de Saint-Auban dans lequel le salarié a été employé par la société Kaefer Wanner figure au nombre des établissements de la société Arkema listés sur l'arrêté du 30 octobre 2007 comme ouvrant droit à l'ACAATA.
13. L'arrêt retient, ensuite, que l'exposition du salarié à l'amiante résulte de son travail dans l'établissement de Saint-Auban auprès de la société Arkema, société tierce au sein de laquelle il a été mis à disposition par son employeur, dans le cadre d'un contrat de sous-traitance.
14. L'arrêt en déduit que le salarié ne peut rechercher la responsabilité de son employeur, la société Kaefer Wanner, au titre de son préjudice d'anxiété.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. L... de sa demande au titre du préjudice d'anxiété, l'arrêt rendu le 9 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.