CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 septembre 2022, n° 20/15384
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mjs Partners (Selas)
Défendeur :
F1 Distribution (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
Avocats :
Me Pachalis , Me Moritz, Me Rothoux , Me Leclercq
La société F1 Distribution, spécialisée dans la vente de matériels destinés à la motoculture a confié, depuis 2010, plusieurs missions à M. [E], conseil en communication ainsi qu'à [N] [E] Consultant devenu courant 2014 la SARL LD PAR A PROPOS (restylage du logo F1, retouche du logo Tashima, participation à la création de packaging de produits...).
Les réalisations portent aussi sur les catalogues avant-saison Bois et avant-saison Printemps, et ont consisté en l'élaboration d'un des catalogues phares de F1 Distribution, le Master 2015-2016, lequel regroupe tous les produits destinés à la vente selon un rythme biennal.
Les sociétés LD PAR A PROPOS et F1 Distribution ont cessé toutes relations commerciales en 2016.
Par acte du 16 janvier 2019, la société LD PAR A PROPOS et M. [E], son gérant, ont saisi le tribunal de commerce de Lille Métropole afin d'obtenir réparation du préjudice fondé sur la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société F1 Distribution et de la perte de chance.
Le 29 avril 2019, la SELAS MJ PARTENERS, représentée par Me [G] [J], mandataire judiciaire, a été désignée liquidateur de la société LD PAR A PROPOS et est intervenue volontairement.
Par jugement du 23 septembre 2020, le tribunal a de commerce de Lille a :
- Déclaré l'action de la société LD PAR A PROPOS, représentée par son liquidateur judiciaire, et Mr [N] [E] recevable mais non fondée ;
- Les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes ;
- Condamné la société LD PAR A PROPOS représentée par son liquidateur judiciaire à payer à la société F1 Distribution la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné M. [E] à payer à la société F1 Distribution la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- Condamné la société LD PAR A PROPOS, représentée par son liquidateur judiciaire et M. [N] [E] au paiement des entiers frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 84.49 euros en ce qui concerne les frais de greffe.
Vu les dernières conclusions de M. [N] [E] et de la société LD PAR A PROPOS représentée par son liquidateur judiciaire, appelants, déposées et notifiées le 21 juillet 2021 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce (ancien, actuel article L. 442-1 II),
Vu les articles 56 et 515 du code de procédure civile,
Vu les jurisprudences citées,
- Déclarer la SELAS MJS PARTNERS représentée par Me [G] [J] e s qualite de liquidateur judiciaire de la société LD PAR A PROPOS et Monsieur [N] [E] recevables et biens fondés en leur appel ;
Y faisant droit,
A titre principal, annuler la décision de fe re e ;
A titre subsidiaire, infirmer la décision déférée en son ensemble ;
En tout état de cause :
Statuant de nouveau :
- Juger abusive et brutale la rupture des relations établies entre F1 Distribution et la société LD PAR A PROPOS et par conséquent :
- Condamner la société F1 Distribution à verser à la SELAS MJS PARTNERS représentée par Me [G] [J] es qualité de liquidateur judiciaire de la société LD PAR A PROPOS, la somme de 300 000 euros au titre de la rupture brutale des relations établies ;
- La condamner à lui verser la somme de 98 565 euros au titre de la rupture abusive des relations établies, sauf à parfaire ;
- La condamner à lui verser la somme de 1 375 000 euros au titre de la perte de chance ;
- Condamner la société F1 Distribution à verser à M. [E] la somme de 1 456 705 euros au titre du préjudice patrimonial personnel subi, sauf à parfaire ;
- La condamner à lui verser la somme de 200 000 euros au titre du préjudice moral subi ;
- Débouter la société F1 Distribution de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la société F1 Distribution au paiement de la somme de 8 000 euros au profit de Monsieur [N] [E] et de la somme de 8 000 € au profit de la SELAS MJS PARTNERS représentée par Maître [G] [J] es qualité de liquidateur judiciaire de la société L.D. PAR A PROPOS, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits dans les conditions de l'article 699 du même code.
Vu les dernières conclusions de la société F1 Distribution, intimée, déposées et notifiées le 6 mai 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu les dispositions de l'article 430 du code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article L. 442-6 I. 5° ancien du code de commerce,
- Juger recevables les conclusions de SAS F1 Distribution,
- Prononcer l'irrecevabilité de la demande de nullité du jugement prononcé par le tribunal de commerce de Lille Métropole le 23 septembre 2020,
- Constater que Monsieur [N] [E] n'intervient pas en qualité de commerçant ni au titre d'actes de commerce,
- Prononcer l'irrecevabilité des prétentions personnelles de Monsieur [N] [E], a titre patrimonial ou a titre moral,
- Constater l'inexistence de la base de données revendiquée par Monsieur [N] [E] et Maître [G] [J], es qualité de mandataire liquidateur de la SARL LD PAR A PROPOS,
- Constater l'absence de brutalité dans la rupture des relations commerciales établies entre la SAS F1 Distribution et la SARL LD PAR A PROPOS, selon relations établies du 27 mars 2014 au 31 décembre 2016,
-Juger que la SAS F1 Distribution ne peut être solidaire des conséquences de la communication au public des catalogues édités par la société de droit belge EUROGARDEN,
En conséquence,
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Lille Métropole le 23 septembre 2020,
- Débouter Maître [G] [J], es qualité de mandataire liquidateur de la SARL LD PAR A PROPOS et Monsieur [N] [E] de toutes leurs prétentions, fins et conclusions,
Y ajoutant,
- Condamner Maître [G] [J], ès qualité de mandataire liquidateur de la SARL LD PAR A PROPOS au paiement à la SAS F1 Distribution de la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Monsieur [N] [E] au paiement à la SAS F1 Distribution de la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Condamner solidairement Maître [G] [J], ès qualité de mandataire liquidateur de la SARL LD PAR A PROPOS et Monsieur [N] [E] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la nullité du jugement
Exposé du moyen :
M. [E] et la SELAS MJS PARTENERS font valoir, au visa de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, que le juge commissaire de la liquidation judiciaire simplifiée de la société LD PAR A PROPOS fait partie de la composition de la juridiction ayant rendu la décision attaquée. Ils considèrent que l'intéressé ne pouvait pas participer à la formation de jugement d'une affaire ayant un impact aussi conséquent sur la liquidation en cours.
La société F1 Distribution soutient en réplique qu'à défaut d'avoir formulé toute contestation lors de l'audience du 17 juin 2020, les appelants, qui avaient nécessairement connaissance du magistrat désigné en qualité de juge commissaire, sont irrecevables, sur le fondement de l'article 430 du code de procédure civile, à soulever la nullité du jugement. En tout état de cause, l'effet dévolutif de l'appel engage la Cour à se saisir de l'entier litige.
Réponse de la Cour :
La Cour européenne des droits de l'homme estime que le simple fait, pour un juge, d'avoir déjà rendu des décisions avant le procès ne peut justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité ([Z] contre France, 6 juin 2000, n° 34130/96, paragraphe 45). En outre, dans le cas d'une formation collégiale, elle estime que la prise de position préalable de certains juges ne suffit pas, à elle seule, pour conclure à l'absence d'impartialité de la formation dans son ensemble (cf. décisions citées au paragraphe 299 du guide de la Cour européenne des droits de l'homme relatif au volet civil de l'article 6 - droit au procès équitable).
La Cour n'identifie, en l'espèce, aucun motif objectif de croire que la nature et l'étendue des tâches du juge-commissaire dans le cadre de la liquidation judiciaire simplifiée de la société LD PAR A PROPOS implique un préjugé sur la question "distincte" de la rupture brutale alléguée des relations commerciales établies entre cette société et F1 Distribution. Il s'en suit que les appréhensions de M. [E] et la SELAS MJS PARTENERS ne se trouvent pas objectivement justifiées.
Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 en tant qu'il garantit le droit à un tribunal impartial.
Aucune irrégularité quant à la composition de la formation de jugement de première instance n'étant caractérisée, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 430 alinéa 2 du code de procédure civile.
Le moyen de procédure est rejeté.
Sur la recevabilité des prétentions personnelles de M. [E]
Exposé du moyen :
F1 Distribution fait valoir que les demandes de M. [E] formulées à titre personnel n'émanent pas d'actes de commerce et n'ont pas un fondement commercial en relation avec F1 Distribution.
M. [E] évoque le lien de causalité entre la faute de F1 Distribution dans la rupture brutale et abusive des relations commerciales étables et le dommage qu'il dit avoir personnellement subi en sa qualité de gérant de LD PAR A PROPOS.
Réponse de la Cour :
Lorsque le demandeur n'est pas commerçant, ce qui est le cas d'un gérant de société, il dispose d'une option de compétence lui permettant de saisir valablement le tribunal de commerce d'une action en réparation du préjudice personnel subi en raison d'une rupture brutale des relations commerciales établies.
Le moyen est rejeté.
Sur la rupture brutale de relations commerciales établies
La Cour rappelle que les ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l'ancien article L. 442-6-I, 5e du code de commerce, lequel dispose :
"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :
(...) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
(...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure."
-Sur la date à laquelle la relation commerciale a débuté
Exposé du moyen :
M. [E] et la SELAS MJS PARTENERS font valoir qu'il existe des relations d'affaires entre M. [E] et le dirigeant de F1 Distribution depuis le début des années 1990.
La société F1 Distribution soutient ne pas avoir confié des travaux avant une première prise de contact intervenue en 2009, pour la réalisation de la page de couverture du catalogue Avant-saison 2010, qui n'a au demeurant pas conduit à commande.
Réponse de la Cour :
Il est constant, en premier lieu, que M. [U], qui était commercial au sein de la société Autopratic, rachetée en 2004 par la société Tétrostyl, n'a pris la direction de F1 Distribution qu'en 2008.
Le tribunal a donc, de façon pertinente, constaté que l'antériorité de la relation entre M. [E] et M. [U], directeur de F1 Distribution, si elle datait de 25 ans, existait au travers d'autres sociétés. Il ne peut s'agir de relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 I 5e ancien du code de commerce.
Il ressort des pièces produites, en second lieu, que les relations commerciales entre M. [E] et F1 Distribution ont débuté en 2010 au travers de la SARL Agence Par A Propos (qui a été fait l'objet d'une radiation en 2012 consécutive à une liquidation judiciaire) et qu'elles se sont poursuivies suite notamment à la création de LD PAR A PROPOS en 2014, M. [E] ayant par ailleurs aussi exercé à titre d'entrepreneur indépendant (Siret 389 378 795).
La volonté manifestée de s'inscrire dans la relation initiale, malgré ce changement de partenaire, se déduit des circonstances de l'espèce.
Il s'en suit que l'antériorité des relations litigieuses remonte à 2010.
- Sur les caractéristiques de la relation commerciale
Exposé du moyen :
M. [E] et la société LD PAR A PROPOS représentée par son liquidateur judiciaire estiment avoir agi comme l'agence conseil exclusive des sociétés F1 Distribution, d'une part et Eurogarden, la société soeur de celle-ci, d'autre part. Ils relèvent que M. [E] a, de 2009 à début 2017, envoyé plus de 2 000 mails en réponse aux demandes de M. [U]. Ils font état (sans cependant en justifier) d'un total de montant de commandes s'élevant à 879 431 euros HT de 2011 à 2016. Ils ajoutent que M. [E] a pris l'initiative de constituer une base de données multicanal comportant l'ensemble des produits commercialisés, et qu'il s'agissait d'un investissement conséquent qui devait être rentabilisé par la fidélisation des sociétés F1 Distribution et Eurogarden, ce que M. [E] avait clairement exposé à M. [U]. Ils produisent aussi un document manuscrit aux termes duquel la part du chiffre d'affaires réalisé par LD PAR A PROPOS avec F1 Distribution en 2015 s'élève à 141 235 euros soit 68, 36 %, ce qui leur paraît caractériser un état de dépendance économique.
F1 Distribution conteste l'importance des travaux confiés, en soulignant que LD PAR A PROPOS n'a réalisé qu'un seul Master catalogue sur les 13 existants. Elle rappelle effectuer systématiquement un appel d'offres tous les deux ans pour la réalisation du Master catalogue et cite les différentes sociétés retenues successivement. Une collaboration au-delà de la réalisation du Master catalogue 2015-2016 en cours n'a jamais été d'actualité. Elle dit n'avoir confié que des missions sporadiques aux structures successives de M. [E] et affirme que ce dernier n'a en aucun cas été en charge de l'identité visuelle de tous les produits et catalogues de F1 Distribution. Elle reconnaît qu'il est arrivé à F1 Distribution de facturer des prestations pour le compte d'Eurogarden, laquelle était chargée des versions anglaise, néerlandaise et allemande des brochures (une refacturation étant mise en place entre les deux sociétés sœurs), mais elle estime qu'il s'agissait d'une facilité accordée à M. [E] pour son administration comptable et que ce n'avait pas d'incidence sur leur relation commerciale. Elle produit par ailleurs, à titre d'exemples, 13 factures de facturation directe entre la société LD PAR A PROPOS et Eurogarden. Elle ajoute le tribunal de commerce de Lille métropole a, dans le jugement attaqué, constaté que les éléments fournis par M. [E] n'apportait pas la preuve d'une réalisation d'une base de données, qui serait au demeurant intervenue de sa propre initiative, les échanges communiqués prouvant par ailleurs que l'intéressé n'en était début 2015 qu'à une phase de projet, alors que la réalisation du Master catalogue était pratiquement terminée.
F1 Distribution allègue aussi, sans être démentie, que LD PAR A PROPOS n'a pas déposé ses comptes au greffe du tribunal de commerce avant 2017. Observant qu'aucune liasse fiscale n'a par ailleurs été versée aux débats, elle conteste tout état de dépendance économique.
Réponse de la Cour :
Il ressort des débats que la relation commerciale entre les parties a revêtu un caractère suivi et stable s'agissant de la réalisation du catalogue avant-saison Bois, d'une part, et du catalogue Avant-saison Printemps, d'autre part (pièces intimée n° 68 à 86).
S'y sont ajoutées différentes missions relatives à l'identité visuelles de F1 Distribution (pièces appelants n° 15 à 19) ainsi que, à une reprise, une réalisation d'envergure, le Master catalogue 2015-2016.
Cette succession de prestations réalisées est suffisante pour que la relation d'affaires puisse être considérée comme relativement significative.
La relation commerciale revêtait donc avant la rupture un caractère établi.
Il est observé, en complément, que l'état de dépendance économique allégué, qui est documenté par un simple écrit manuscrit émanant de la personne qui s'en prévaut, n'est pas démontré.
- Sur les conditions de la rupture de la relation commerciale établie
Exposé du moyen :
M. [E] et la SELAS MJS Partners contestent tout retard significatif dans la réalisation du Master catalogue 2015-2016 et plus généralement toute faute commise. Ils considèrent comme déterminant dans la rupture des relations commerciales l'embauche d'une ancienne salariée de LD PAR A PROPOS par F1 Distribution, laquelle, aux termes de son contrat de travail, a été recrutée pour un essai d'internalisation de la prestation design. Ils ajoutent que la circonstance que LD PAR A PROPOS ait pu faire appel à la sous-traitance a été à tort évoquée dans la décision attaquée dans la mesure où il s'agit d'un mode courant de fonctionnement.
Ils soutiennent qu'aucun préavis n'est intervenu, puisque que la rupture date selon eux de novembre 2016, à une époque où F1 avait internalisé sa communication depuis de nombreux mois et où en pratique plus aucune mission n'était confiée à LD PAR A PROPOS, alors même que M. [E] avait procédé à de multiples relances. Il soulignent que c'est par erreur que le tribunal a mentionné, dans les motifs de la décision attaquée, que M. [U] avait prévenu M. [E] en novembre 2015 qu'il ne serait pas retenu pour le prochain master catalogue (pour les années 2017-2018) soit plus de 13 mois avant sa sortie, alors que le mail visé est du 22 novembre 2016.Ils considèrent que compte-tenu de la nature et de la durée des relations entre M. [E] et le dirigeant de F1 Distrbution mais aussi et surtout des investissements très lourds réalisés par la société LD PAR A PROPOS, un préavis de 18 mois aurait dû s'imposer.
La société F1 Distribution souligne en réponse que les échanges produits montrent qu'il a fallu en permanence, lors de la réalisation du Master catalogue 2015-2016, vérifier les contenus, le respect du planning ainsi que les relations avec sa société soeur Eurogarden. Elle observe que le catalogue a été imprimé très tardivement, en février 2015. M. [E] était, selon elle, systématiquement en retard sur tous les livrables. Elle soutient aussi que la démonstration des appelants fondée sur le recrutement d'une ancienne salariée de LD PAR A PROPOS est factuellement inexacte puisque l'intéressée, une exécutante et non une créative, n'a pas quitté son emploi pour intégrer F1 Distribution, n'a pas travaillé sur les anciennes productions de LD PAR A PROPOS ou à partir de ces dernières et a fait l'objet d'un contrat de travail postérieur ne mentionnant plus les essais d'internalisation de la prestation design. F1 Distribution justifie par ailleurs que les créations ont, pour l'année 2017, toutes été réalisées par un fournisseur extérieur.
Elle fait valoir que durant l'année 2016, M. [E] n'a fait aucune proposition car il souhaitait avoir la certitude que ces dernières seraient retenues pour 2017, avant même de les avoir créés ou mêmes proposées, alors que le souci majeur de F1 Distribution était d'avancer sur les livrables 2016 et le respect des délais. Elle demande la confirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a considéré, au vu des pièces produites, que ce qui avait été déterminant dans la non-reconduction des autres missions pour lesquelles LD PAR A PROPOS pouvait être consulté, est d'une part son refus de proposer des pistes sur les actions envisageables pour 2017, comme cela était fait chaque année, et d'autre part la difficulté pour F1 Distribution d'obtenir la finalisation des travaux en cours sur 2016.
Elle considère que LD PAR A PROPOS n'a pas pu être surprise de la rupture, qu'elle a elle-même favorisée, et dont elle avait connaissance dès le 15 juillet 2016, suite à un courriel évoquant la non-reconduction des travaux pour l'année 2017.
Réponse de la Cour :
Les nombreuses pièces versées aux débats attestent de la dégradation des relations entre parties tout au long de l'année 2016. Il ressort des échanges de courriels produits que F1 Distribution demandait à LD PAR A PROPOS de se concentrer sur les réalisations en cours pour l'année 2016 et de faire des propositions concrètes pour l'année 2017, sans cependant obtenir de réponses satisfaisantes.
La Cour retient que le courriel du 15 juillet 2016 constitue l'acte par lequel F1 Distribution a manifesté par écrit son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale à son partenaire, et qu'il a d'ailleurs été compris ainsi par M. [E].
M. [U] rappelle dans ce courriel à M. [E] ses "engagements mail du 11/07" relatif à un bon à tirer à remettre le 18/07 et mentionne "concernant les autres dossiers 2016/2017, sans aucune proposition de ta part, je te confirme que je vais trouver une autre solution pour ne plus passer par toi, trop compliqué, trop difficile".
Dans un courriel du 18 juillet 2016, M. [E] lui répond qu'il va lui faire parvenir le document commandé et mentionne : "j'ai bien noté ta volonté de trouver une autre solution pour ne plus passer par moi à l'avenir pour l'ensemble de ta communication et notamment les opérations marketing 2016/2017 si je ne fais pas de proposition (...) je suis meurtri mais malgré tout avec une certaine satisfaction de laisser au passage une bonne trace chez F1 Distribution et Eurogarden".
Cependant, pour rompre valablement une relation commerciale établie, l'auteur de la rupture doit notifier clairement non seulement la rupture, mais aussi la durée du préavis et donc la date de la cessation effective de la relation.
La Cour en déduit que le courriel du 15 juillet 2016 n'a pas fait courir le délai de préavis prévu à l'article L. 442-6-I, 5e ancien du code de commerce.
La collaboration entre les parties, qui avait débuté en 2010, s'est poursuivie jusqu'à la fin de l'année 2016. Comme évoqué dans un courriel de F1 Distribution du 13 juillet 2016, les travaux ont consisté notamment en la finalisation de la couverture et des pages chapitres master en septembre 2016, l'habillage pour le stand du 15 septembre 2016 et ont porté sur le catalogue Tashima avec reprise des pages du master 2017 sur novembre. Dans un échange de courriels de décembre 2016 intitulé "pages chapitres", les parties évoquent par ailleurs des fichiers HD adressés par M. [E] par we transfer (pièce n°129 appelantes). Lors de l'audience de première instance, F1 Distribution a aussi indiqué avoir commandé à LD PAR A PROPOS la page de couverture du Master catalogue 2017/2018.
Il en résulte qu'en cessant ensuite toute relation commerciale avec LD PAR A PROPOS sans préavis, la société F1 Distribution est responsable d'une rupture brutale de cette relation et doit en réparer les conséquences préjudiciables pour la société LD PAR A PROPOS.
Le délai de préavis suffisant doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
En l'état des éléments soumis à la Cour, le prévis nécessaire est évalué à 5 mois.
- Sur la réparation du préjudice causé par la rupture brutale
Exposé du moyen :
M. [E] et la SELAS MJS Partners soutiennent que la valeur ajoutée, sur les années 2013 à 2015, pouvant être considérées comme les années de référence, s'établit à une moyenne annuelle d'environ 150 000 euros. Ils font valoir que la marge brute sur la catalogue Master a été estimée à 100 000 euros par ouvrage dans le cadre des documents de demande de financement remis aux banques et ils versent une attestation de l'expert-comptable de LD PAR A PROPOS s'agissant des autres travaux (catalogue saisonniers proportionnels, les autres catalogues, packagings et les travaux divers récurrents). Ils sollicitent la condamnation de F1 Distribution au paiement de la somme de 300 000 euros au titre de la rupture abusive des relations établies.
F1 Distribution constate que les appelants ne fournissent aucune pièce comptable pour la période concernée et ne souhaitent pas communiquer leur chiffre d'affaires. L'attestation comptable versée aux débats fait état d'une moyenne au titre des "années d'activité de référence 2013 - 2014 - 2015" alors que LD PAR A PROPOS n'a été immatriculée que le 27 mars 2014. En outre, elle estime "raisonnable et vraisemblable" un excédent "potentiel" de 200 000 euros annuels. Or le mode de calcul n'est pas défini, ni les liasses fiscales communiquées pour les années ciblées, et le montant proposé englobe aussi la société belge Eurogarden totalement extérieure et non partie au litige ainsi que les flux financiers à destination de l'imprimeur IDK Impression (dirigé par le frère de L. [E]).
Réponse de la Cour :
M. [E] et la société LD PAR A PROPOS représentée par son liquidateur judiciaire ne produisent aucun document comptable au soutien de leurs prétentions, à l'exception de la liasse fiscale 2017, laquelle correspond à un exercice postérieur aux relations contractuelles.
L'attestation comptable versée aux débats (pièce [E] et MJS n° 54) ne présente en outre, s'agissant du chiffre d'affaires à prendre en compte, aucun caractère probant.
Selon F1 Distribution les montants chiffrés concernant LD PAR A PROPOS sont de 124 698 euros TTC en 2014, 173 922 euros TTC en 2015 et 120 819, 60 euros TTC en 2016, mais il devraient être révisés et pondérés en fonctions des refacturations intervenues.
La marge brute serait de l'ordre de 50 % sur les prestations récurrentes, selon l'attestation précitée de l'expert-comptable de la société LD PAR A PROPOS. Aucun élément permettant d'apprécier la marge sur couts variables des derniers exercices comptables n'est versé aux débats.
Au vu des seuls éléments d'appréciation qui lui sont soumis, la Cour fixe le préjudice consécutif à la brutalité de la rupture à la somme de 12 000 euros.
Sur les autres demandes
Exposé des moyens :
M. [E] et la SELAS MJS Partners soutiennent que LD PA A PROPOS et son dirigeant n'auraient pas investi dans la création d'une base de données s'ils avaient su que la prestation de création du Master Catalogue serait de façon déloyale internalisée ultérieurement. Du fait du comportement de F1 Distribution, LD PAR A PROPOS aurait de plus subi une perte de chance liée à l'impossibilité de valoriser la base de données constituée.
Il conviendrait en outre de condamner F1 Distribution à la somme de 120 000 euros correspondant selon M. [E] au montant des apports en compte courant qu'il aurait réalisés pour préserver sa société. Le préjudice patrimonial personnel subi par M. [E] s'élèverait à un total de 1 456 705 euros car, pour désintéresser ses créanciers et faire face aux besoins du quotidien, il aurait été contraint de céder en urgence une partie de ses biens pour des montants bien inférieurs à leur valeur de marché. Il aurait en outre subi la perte d'avantages en nature, ainsi que la perte pour l'avenir d'une rémunération. S'y ajouterait un préjudice moral subi en raison d'évènements familiaux en lien selon lui avec la rupture des relations commerciales établies.
F1 Distribution fait valoir que LD PAR A PROPOS fait état de la constitution d'une base de données qui n'est pas produite, dont les soi-disant investissements sont inexistants et ne peuvent être établis par les demandes de financement (refusés) auprès des établissements bancaires. Elle ajoute qu'alors que sa société était en état de cessation des paiements, M. [E] a préféré prendre un certain nombre de décisions qui ont eu un impact sur sa situation patrimoniale. Il formule aujourd'hui des prétentions en lien, lesquelles sont dépourvues de tout caractère sérieux.
Réponse de la Cour :
Il n'est pas établi que LD PAR A PROPOS et M. [E] ont investi dans la création d'une base de données et qu'ils ont subi une perte de chance liée à leur impossibilité de la valoriser.
Aucun des autres préjudices allégués par les appelants n'est fondé ni démontré. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le sens de l'arrêt commande de condamner F1 Distribution aux dépens de première instance et d'appel.
Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné M. [E] et MJS PARTNERS représentée par Me [J] és qualités de liquidateur judiciaire de la société LD PAR A PROPOS à payer à F1 Distribution une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile
F1 Distribution est condamné à verser à SELAS MJS PARTNERS représentée par Me [G] [J] és qualités de liquidateur judiciaire de la société LD PAR A PROPOS, la somme de 8 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Rejette la demande d'annulation du jugement ;
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré l'action de la société LD PAR A PROPOS, représentée par son liquidateur judiciaire, et Mr [N] [E] recevable ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société F1 Distribution à verser à la SELAS MJS PARTNERS représentée par Me [G] [J] és qualités de liquidateur judiciaire de la société LD PAR A PROPOS, la somme de 12 000 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Condamne F1 Distribution aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne F1 Distribution à verser à SELAS MJS PARTNERS représentée par Me [G] [J] és qualités de liquidateur judiciaire de la société LD PAR A PROPOS, la somme de 8 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.