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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 septembre 2022, n° 20/15178

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Daher Technologies (SA)

Défendeur :

Master Lock Europe (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Chatain, Me Dujardin, Me Branche

T. com. Paris, du 21 sept. 2020, n° 2018…

21 septembre 2020

La SA Daher Technologies a pour activité l'affrètement, l'organisation de prestations logistiques ainsi que l'ingénierie nucléaire.

La SAS Master Lock Europe est une filiale, créée en 1991, du groupe américain Master Lock spécialisé dans la commercialisation et la vente de matériels de sécurité (cadenas, coffres forts).  

Ces sociétés ont signé le 1er décembre 2011 un engagement contractuel aux termes duquel: "après vingt années de collaboration, (elles) se sont conjointement entendues sur la rédaction d'un contrat de prestations logistiques devant permettre à Daher de s'engager sur des surfaces devenues nécessaires à l'exploitation des prestations confiées à Daher par Master Lock Europe et devant par ailleurs permettre aux parties de mettre en place des plans d'actions réciproques visant à optimiser la chaîne logistique et obtenir une réduction des coûts associés ".

Le contrat du 25 mai 2012, qui a été conclu pour une durée initiale de trois ans à compter du 1er janvier 2012, prévoyait qu'à l'issue de la période initiale, le contrat pouvait être renouvelé par tacite reconduction pour une période identique.

Le contrat signé le 2 novembre 2015 stipule en son article 13 :  

"La date d'entrée en vigueur du présent contrat est fixée d'un commun accord au 1er janvier 2016, mettant fin au contrat conclu entre les parties le 25 mai 2012 et amendé par avenant n° 1 en date du 26 septembre 2014.

Ce contrat est conclu pour une période de deux ans ferme à compter de sa date d'entrée en vigueur. Il est entendu que le contrat ne pourra en aucun cas faire l'objet d'une tacite reconduction.

Les parties entendent toutefois rappeler que pendant la durée du contrat, les parties étudieront les possibilités d'une poursuite des relations contractuelles dans un schéma logistique au-delà du contrat (')"

Par lettre recommandée adressée à Daher le 5 juin 2017, Master Lock Europe l'a "informé de sa décision, suite à l'appel d'offres conduit les mois précédents, de confier ses opérations logistiques à un nouveau prestataire au terme du contrat (les liant)".

Les partenaires ont échangé sur les conditions de la rupture des relations commerciales, considérées comme brutales par Daher, lequel a fait valoir qu'il lui était impossible de trouver d'ici la fin de l'année de nouveaux marchés commerciaux similaires à ceux confiés, afin notamment de permettre l'affectation des 17 collaborateurs dédiés exclusivement à l'exécution des opérations logistiques fournies et la poursuite du bail des locaux situés au Havre affectés à titre exclusif aux opérations dédiées à Master Lock.

Un désaccord portant sur les modalités de restitution du stock et sur les conditions de facturation de certaines opérations est par ailleurs survenu.

Conformément aux stipulations du contrat qui imposait le règlement amiable de tout différend y afférent, les parties ont vainement tenté de trouver un accord dans le cadre d'une procédure de conciliation.  

Le 22 décembre 2017, Daher a assigné en référé Master Lock Europe afin d'obtenir le paiement de certaines factures demeurées impayées.  

Par ordonnance en date du 29 mai 2018, le président du tribunal de Paris a décliné sa compétence en estimant qu'il existait une contestation sérieuse sur l'interprétation et les conditions d'exécution du contrat.

Par acte du 26 décembre 2017, la société Daher a saisi le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir réparation de son préjudice fondé sur la rupture brutale des relations commerciales établies avec Master Lock Europe en se prévalant d'une la perte de marge correspondant à un préavis de 14 mois et de la perte de chance de procéder à la réorganisation du site.

Elle l'a aussi saisie des trois factures relevant des opérations de transfert restées impayées ainsi que du paiement de trois autres factures concernant des prestations du mois de décembre 2017.

Par jugement du 21 octobre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté Daher Technologies de ses demandes de :  

*554 946 euros au titre de la perte de marge,

*626 728, 66 euros liés au coût du plan de sauvegarde de l'emploi des salariés,

*69 508, 76 euros liés au coût de la remise en état de la plateforme ;

- Condamné Master Lock Europe à payer à Daher Technologies la somme de 154 008,02 euros TTC au titre des opérations de transfert réalisées en octobre, novembre et décembre 2017, majoration faite des intérêts au taux contractuel à compter de la date de l'assignation,

- Condamné Master Lock Europe à lui payer la somme de 30 000 euros TTC au titre des factures n° 95037867, 95037868 et 95037869, majoration faite des intérêts légaux selon les mêmes dispositions,

- Condamné Master Lock Europe aux dépens et au paiement d'une somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions de la société Daher Technologies, appelante, en date du 8 avril 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce,

Vu l'article D. 442-3 du code de commerce,

Vu l'article 1134 et 1149 (anciens) du code civil,  

- Juger la société Daher Technologies recevable et bien fondée en toutes ses demandes,

- Infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

*Juger que la société Master Lock a rompu brutalement la relation commerciale établie qui la liait à la société Daher Technologies depuis vingt-cinq ans,

*Condamner la société Master Lock à payer à la société Daher Technologies la somme de 1.251.183,42 euros, somme se décomposant comme suit :

o 554.946,00 euros au titre de la perte de marge correspondant à un préavis de 14 mois (outre le préavis de 6 mois accordé par la société Master Lock),

o 626.728,66 euros au titre de la perte de chance de procéder à la réorganisation du site et ainsi de ne pas supporter le coût du plan de sauvegarde de l'emploi des salariés exclusivement affectés aux prestations logistiques fournies à la société Master Lock,

o 69.508,76 euros au titre de la perte de chance de procéder à la réorganisation du site et ainsi de ne pas supporter le coût de la remise en état de la plateforme logistique exclusivement affectée aux prestations logistiques fournies à la société Master Lock Europe et le coût de la gestion du transfert des opérations,

*Condamner Master Lock à payer la somme de 115.519,33 € TTC au titre des factures n° 95037867 et 95037868 et 95037869 majorés des intérêts au taux contractuel prévu à l'article 11.3 du Contrat et égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter de l'échéance de chacune des factures,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Master Lock à payer à la société Daher Technologie la somme de 154.008,02 € TTC au titre des opérations de transfert réalisées en octobre (facture 95037404), novembre (facture 95037662) et décembre 2017 (facture 95037867) cette somme étant majorée des intérêts au taux contractuel prévu à l'article 11.3 du Contrat et égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter de la date d'assignation,

En tout état de cause,

- Condamner la société Master Lock à payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Master Lock Europe, intimée, en date du 5 mai 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article 9 du code de procédure civile,

Vu l'article de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce,

Vu l'article 1103 du code civil,

Vu le contrat à durée déterminée du 2 novembre 2015 signé entre les parties,

Vu que la société Master Lock a accordé à la société Daher un préavis de 6 mois et 26 jours étant rappelé que le contrat litigieux a été conclu le 2 novembre 2015 pour une durée déterminée de 24 mois sans tacite reconduction ; que la société Master Lock n'a commis aucune faute à l'occasion de la rupture des relations contractuelles avec la société Daher Technologies ; que la rupture des relations commerciales par la société Master Lock n'a pas été brutale ou abusive ; que la société Daher ne rapporte la preuve d'aucun préjudice imputable à la société Master Lock,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 21 septembre 2020 en ce qu'il a dit et jugé que le caractère brutal de la rupture commerciale invoqué par la société Daher n'est pas caractérisé ;

- Le confirmer en ce qu'il a débouté la SA Daher Technologies de ses demandes de condamnation de Master Lock à payer :

*554.946 euros au titre de la perte de marge ;

*626.728,66 euros liés au coût du plan de sauvegarde de l'emploi des salariés ;

*69.508,76 euros liés au coût de la remise en état de la plateforme,

Et sur le surplus, vu que la société Master Lock a payé la somme de 157.343,40 euros au titre de la facture n° 95037404 et la somme de 120.759,32 euros au titre de la facture n° 95037662, et vu d'une part, l'absence de tarif contractuel fixé dans le contrat du 2 novembre 2015, et d'autre part, le bien fondé des contestations émises par la société Master Lock sur la réalité des prestations réalisées et facturées par la société Daher Technologies,

- Dire qu'il n'y pas lieu de payer à la société Daher technologies d'autres sommes au titre des factures prétendument correspondantes aux opérations de transfert correspondant aux factures d'octobre (n° 95037404), novembre (n° 95037662) et décembre 2017 (n° 95037867), que les sommes déjà payées par la société Master Lock,

- Dire qu'il n'y a pas lieu pour elle de payer à la société Daher Technologies la somme de 115.519,33 euros TTC au titre des factures n° 95037867 et 95037868 et 95037869 majorés des intérêts au taux contractuel prévu à l'article 11.3 du contrat et égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter de l'échéance de chacune des factures puisque ces factures, correspondant aux prétendues prestations logistiques du mois de décembre 2017, sont mal fondées,

Et en conséquence,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 21 septembre 2020 en ce qu'il a condamné la SAS Master Lock Europe à payer à la SA Daher Technologies :

o la somme de 154.008,02 euros TTC au titre des opérations de transfert réalisées en octobre (facture 95037404), novembre (facture 95037662) et décembre 2017 (facture 95037867), cette somme étant majorée des intérêts au taux contractuel prévu à l'article 11.3 du contrat et égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter de la date d'assignation,

o la somme de 30.000 euros TTC au titre des factures n° 95037867 et 95037868 et 95037869, cette somme étant majorée des intérêts au taux contractuel prévu à l'article 11.3 du contrat et égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter de la date d'assignation,

Et le réformant et statuant à nouveau,

- Condamner la société Daher Technologies à payer à la société Master Lock la somme indument payée de 199.422,11 euros correspondant aux factures n° 95037404, 95037662 et 95037867, 95037868, 95037869, somme majorée des intérêts au taux contractuel prévu à l'article 11.3 du contrat et égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter de la date d'assignation,

- Débouter la société Daher Technologies de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause,

- Condamner la société Daher Technologies à payer à la société Master Lock les entiers dépens et la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure.

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

- Sur le caractère établi de la relation commerciale et sur les demandes en réparation formulées  

La Cour rappelle que les ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l'ancien article L. 442-6-I, 5e du code de commerce, lequel dispose :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :  

(...) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...)."

Exposé du moyen :

La société Daher Technologies fait valoir avoir accompagné Master Lock dans la gestion de ses opérations logistiques dès l'arrivée de cette dernière sur le territoire français en 1992, l'intensité de la relation commerciale l'ayant conduit à affecter exclusivement aux prestations dédiées à Master Lock un local de 8 000 m2 au Havre. Elle ajoute qu'il s'agissait de la seule plateforme logistique de Master Lock pour l'Europe, à partir de laquelle étaient livrés 95 % des produits reçus dans les pays européens et le reste dans les pays d'Afrique du Nord.  

Elle conteste l'analyse du tribunal de commerce selon laquelle la relation entre les parties a perdu tout caractère établi à partir du 1er janvier 2016, date de la mise en œuvre du contrat du 2 novembre 2015. Elle estime qu'il n'y a pas lieu d'apprécier la relation commerciale contrat par contrat puisque la Cour de cassation a retenu que dès lors que "la relation commerciale [a] été poursuivie indépendamment des échéances contractuelles ('), la cour d'appel (') a pu retenir (') nonobstant l'absence de clause expresse de tacite reconduction (') que la succession de contrats à durée déterminée n'établissait pas une précarisation des relations commerciales les rendant à ce point instables que la victime de la rupture devait s'attendre à ce qu'elles prennent fin à tout moment, sans préavis" (Cass. com., 5 avril 2018, n° 16-26568). Elle soutient que le contrat ne prévoyait pas de tacite reconduction non pas parce que le principe même de la relation pouvait être remis en question à l'échéance, mais parce qu'au regard des caractéristiques du marché, négocier de nouvelles modalités s'avérait nécessaire. Elle se prévaut à cet égard des dispositions de l'article 12 du contrat aux termes duquel" les prix sont fermes et définitifs jusqu'au 31 décembre 2017. Ils seront ensuite révisés annuellement, à la date anniversaire du contrat, soit le 1er janvier de chaque année", ainsi que du dernier alinéa de l'article 13 (reproduit supra). L'absence de tacite reconduction ne devait servir selon elle qu'à permettre aux parties de renégocier certaines clauses, comme elles l'avaient d'ailleurs fait depuis plusieurs années.

Elle ajoute que contrairement à ce que semble retenir le jugement attaqué, le contrat n'a pas été exclusivement rédigé par Daher mais a été dûment négocié entre les parties, ainsi qu'il ressort du caractère spécifique de chacune des clauses. Le fait que le contrat comporte le seul logo de Daher ne signifie aucunement que cette entreprise en serait l'unique rédacteur ou qu'il s'agirait d'un contrat d'adhésion.

La société Daher observe enfin que Master Lock entretient une confusion sur la chronologie des faits, selon laquelle elle aurait dans un premier temps réalisé un appel d'offres - ce qui justifierait que la relation entre les deux sociétés soit devenue précaire - puis dans un second temps envoyé son préavis à Daher. Master Lock ne justifie pas avoir lancé un appel d'offres en début d'année, pas plus qu'elle ne produit la proposition qu'aurait remis en lien durant cette période, la pièce n° 4 qu'elle verse au soutien de ses allégations étant le courrier du 5 juin 2017, ainsi que des courriers émanant également de Master Lock envoyés postérieurement à Daher et qui y faisaient référence. Elle ajoute que la notification d'appel d'offres et la rupture avec préavis sont concomitantes, si bien qu'elle ne pouvait s'attendre avant le 3 juin 2017 à la fin de la relation.

Selon elle, compte tenu de la durée de la relation commerciale (25 ans), de la complexité des prestations logistiques et des moyens exclusivement dédiés à Master Lock entrainant une situation de dépendance au préjudice de Daher, un préavis de 20 mois aurait dû être respecté.

Master Lock Europe répond qu'une partie à un contrat qui exclut expressément toute possibilité de tacite reconduction ne peut légitimement feindre être surprise en cas de cessation de la relation commerciale à l'échéance prévue par le contrat qui la matérialise. Elle soutient qu'en outre, la notification à l'autre partie d'une procédure d'appel d'offres rend la relation commerciale établie précaire. Daher ne pouvait ignorer, selon elle, que son site du Havre avait peu de chance d'être retenu à l'issue de l'appel d'offres sachant que plus de la moitié des clients de Master Lock Europe sont situés en Grande-Bretagne, ce qui appelait délocalisation de l'activité logistique dans le Nord. Elle fait valoir qu'est brutale la rupture qui est imprévisible, soudaine et violente (cf. Cass. com., 20 novembre 2012, n° 11-22.660).

Réponse de la Cour :

La Cour retient, en premier lieu, que le tribunal de commerce a, dans la décision attaquée, observé de façon pertinente qu'en application de l'article 13 du contrat signé le 2 novembre 2015, les parties se sont fixées un "terme ferme" de deux ans, sans tacite reconduction, lequel courait à compter du 1er janvier 2016.  

Il peut être relevé, en complément, que cet article stipule que le contrat ne pourra "en aucun cas" faire l'objet d'une tacite reconduction.

La Cour retient, en deuxième lieu, que la décision attaquée précise utilement que l'article relatif à la durée inséré dans le précédent contrat (du 25 mai 2012) était rédigé de manière très différente, puisqu'il mentionnait qu'à l'issue de la période initiale de trois ans fixés, "le contrat pourra être renouvelé par tacite reconduction pour une période identique, sauf résiliation telle que prévue à l'article 19".

Cet article, relatif à la rupture du contrat, prévoyait par ailleurs un "préavis de 6 mois avant la date d'échéance de la période initiale et de toute période de renouvellement (selon les cas)".

Le contrat du 2 novembre 2015, s'il contient, s'agissant de la rupture du contrat (prévue en son article 18), la même disposition qu'en 2012 en cas d'inexécution par l'une des parties entraînant des conséquences importantes pour l'autre, ne stipule à l'inverse aucun préavis.

Il comprend en outre les dispositions nouvelles suivantes :  

"En cas de résiliation par Master Lock avant l'échéance du contrat sans que Master Lock n'ait démontré la défaillance de Daher à ses obligations, les engagements de Daher restant dus et supportés par Master Lock seront :  

- Les engagements immobiliers du bail signé par Daher pour la période restant à couvrir jusqu'au terme du contrat ;

- La valeur nette comptable des investissements réalisés dans le cadre du contact constituant agencements et équipements ou les charges financières résultant de contrats de location financière attachés auxdits agencements et équipements, dans ce cas les équipements appartiendront à Master Lock ;

- Les frais de licenciement du personnel dédié à Master Lock et n'ayant pu être reclassé par Daher pour la période passée sur l'exploitation du contrat."

Il se déduit de l'ensemble que c'est par une juste appréciation des relations antérieures des parties que le tribunal a considéré, dans la décision attaquée, que les relations entre Master Lock et Daher ont perdu tout caractère établi à partir du 1er janvier 2016, date de la mise en œuvre du dernier contrat.

Force est de constater que Daher ne fait pas état d'éléments concrets qui auraient pu contredire cette volonté, clairement indiquée dans l'instrumentum, de ne pas se pas s'engager au-delà du terme du contrat en faisant naitre une espérance légitime dans la stabilité de la relation.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, le seul engagement que les parties avaient souscrit, s'agissant de la poursuite de leurs relations, était, en application de l'article 13 du contrat du 2 novembre 2015, d'en "étudier les possibilités". La stipulation prévue à l'article 12 dudit contrat aux termes de laquelle les prix devaient donner lieu à révision annuelle, en cas de poursuite des relations postérieurement au 31 décembre 2017, ne peut être interprétée comme impliquant que ces relations allaient nécessairement se poursuivre, ni même que Daher pouvait raisonnablement anticiper après cette date une certaine continuité du flux d'affaires avec Master Lock.

Il n'est pas contesté, par ailleurs, que ce contrat a été dûment négocié entre les parties.

Eu égard aux dispositions qu'il contenait en ses articles 13 et 18, il s'en suit qu'il doit être considéré comme organisant un dénouement progressif de la relation commerciale, sur deux ans.

Le tribunal a donc pu considérer, au vu des particularités de la cause, que la durée de préavis exécutée avait été de deux ans et que le terme "ferme" au terme des stipulations contractuelles - en avait été confirmé près de 7 mois avant l'échéance.

Il s'en suit que la société Daher ne peut prétendre que les conditions d'application de l'article L. 442-6-I, 5e ancien du code de commerce sont réunies.

Par voie de conséquence, ne sont indemnisables aucun des préjudices présentés par Daher comme ayant été générés par la rupture brutale soit la perte de marge sur coût variable, la perte de chance d'organiser la restructuration sociale pendant la durée de préavis suffisant, et du cout de remise en état de la plateforme.

A titre surabondant, la Cour constate que le tribunal de commerce a, dans la décision attaquée, débouté Daher de ses demandes indemnitaires relatives aux pertes de chance par de justes motifs, qu'il convient d'adopter.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la SA Daher Technologies de ses demandes de condamnation de Master Lock à payer les sommes de 554.946 euros au titre de la perte de marge, 626.728,66 euros liés au coût du plan de sauvegarde de l'emploi des salariés et 69.508,76 euros liés au coût de la remise en état de la plateforme.

- Sur le paiement des factures relatives aux opérations de transfert

Exposé du moyen :

Master Lock considère que les trois factures relatives aux opérations de transfert constituent une opération supplémentaire non réalisée, consistant à un envoi au colis alors même que la marchandise était déjà mise sur palette. Elle fait valoir avoir clairement indiqué à Daher, dans un courrier du 18 septembre 2017 qu'elle produit, qu'elle souhaitait reprendre les stocks de marchandise mis sur palette et stockés dans les entrepôts de cette dernière sans qu'il y ait besoin d'une quelconque manipulation particulière, mis à part le transport en l'état d'entreposage au camion. Elle ajoute que Masterlock avait déjà dû payer la mise sur palette lors de la réception des marchandises. Elle soutient que dans un tel cas, le tarif doit être laissé à la libre appréciation des parties, en fonction des diligences réellement accomplies.

Daher répond que la grille tarifaire du contrat de prestation logistique a été construite afin de permettre le respect d'un équilibre global. Elle observe que Master Lock n'a jamais contesté l'application de la grille tarifaire lorsque Daher procédait à la livraison à un client de produits par palette, ce qui pouvait arriver dans le cadre de commandes volumineuses. Elle estime qu'elle n'avait pas à déroger à l'application de cette grille, le contrat devant être respecté y compris pour les opérations de transfert. Elle soutient enfin que la description de Master Lock du travail à accomplir est sans rapport avec la réalité et la complexité de la prestation réalisée par Daher.

Réponse de la Cour :

L'article 19 du contrat du 2 novembre 2015 stipule :

"En cas de résiliation de contrat, Daher procèdera à la restitution de tous les stocks se trouvant sous la responsabilité de Daher et ce aux frais de Master Lock (sur la base tarifaire en vigueur).

Les parties procèderont à la régularisation de leurs stocks en application des obligations prévues aux conditions financières".

La base tarifaire en vigueur est précisée dans l'annexe 1 du contrat et prévoit que la tarification de l'envoi des marchandises se fait par "pieces" (UO6), "self pack" (UO5) et "cardbox" (U04).

La tarification par palette est prévue uniquement pour les opérations de réception des marchandises ("UO0- reception, pallets") et pour les sorties de stocks de coffres forts de grandes tailles ("3UO33a - Preparation full pallet (Safety bax only)".

La Cour constate que les dispositions contractuelles ne prévoient par conséquent aucun tarif spécifique de restitution des stocks.

Il s'en déduit que, sauf meilleur accord entre les parties sur ce sujet spécifique, l'application par Daher de la grille tarifaire "au colis" est pertinente en l'espèce.

A titre surabondant, la Cour retient que Master Lock, demandeur de la prestation, qui refuse de payer ce qu'elle considère comme un complément indu de facturation et qui a la charge de la preuve ne démontre pas, par des pièces versées aux débats, que le transfert de stocks de marchandises ne présentait aucune contrainte particulière pour Daher.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SAS Master Lock Europe à payer à la SA Daher Technologies la somme de 154.008,02 euros TTC au titre des opérations de transfert réalisées en octobre (facture 95037404), novembre (facture 95037662) et décembre 2017 (facture 95037867), cette somme étant majorée des intérêts au taux contractuel prévu à l'article 11.3 du contrat et égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter de la date d'assignation.

- Sur le paiement des factures n° 95037867 et 95037868 et 95037869

Exposé du moyen :

Master Lock observe que Daher avait demandé à ce que son entrepôt soit vidé au plus tard le 8 décembre 2017, afin de le remettre en état avant de le restituer au bailleur. Il conteste s'être vu facturer ce qui correspond selon lui à la totalité des frais fixes du mois décembre. Il demande l'infirmation de la décision attaquée au motif qu'un prorata temporis a été appliqué, alors que les trois factures litigieuses ne correspondent pas à la réalité.

Daher répond, tout d'abord, que les prestations logistiques courantes (préparations de commandes, prestations logistiques, consommables, prestations BQ) visées dans la facture n° 95037867 ont été réalisées début décembre 2017, ce qui n'a pas été contesté par Master Lock (la lettre de Master Lock du 9 janvier 2018 porte exclusivement sur un autre volet de la facture, celui des frais de transfert). Elle soutient, ensuite, que les deux autres factures correspondent aux frais (couts informatiques couts administratifs, assurance et frais de gestion) supportés par Daher dans le cadre de l'exécution du contrat de prestations de service pour le mois de décembre.  

Réponse de la Cour :

S'agissant de la facture n° 95037867, il peut être constatée que celle-ci porte, dans son volet prestations logistiques courantes intervenues en décembre (pour un montant de 9 636, 13 euros TTC), sur un volume d'activité très inférieur à celui des mois précédents (ayant donné lieu à facturation d'un montant de 157 343, 40 euros TTC en octobre et 120 759, 32 euros TTC en novembre).  

Il n'est pas contesté que le forfait mensuel fixe convenu et dont il a été fait application en l'espèce par Daher était déterminé sur la base d'un forfait appliqué au nombre de palette traité et que l'activité ne s'est maintenue que jusqu'au 8 décembre 2017.  

Il n'y a, dans ces circonstances, pas lieu d'appliquer un prorata temporis supplémentaire.

Le jugement sera infirmé sur ce point, la somme due de 9 636, 13 euros TTC étant majorée des intérêts au taux contractuel prévu à l'article 11.3 du contrat et égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter de la date d'assignation.

S'agissant des factures n° 95037868 et 95037869, il doit être constaté que le contrat ne prévoyait pas la facturation des frais administratifs et informatiques en fonction du volume d'activité, d'une part, et que Master Lock n'a pas subordonné son accord à la fermeture du site trois semaines avant le terme du contrat à la condition que les frais fixes supportés par Daher en décembre 2017 ne lui soient pas intégralement refacturés, d'autre part.

Il n'y a donc pas lieu de prendre en compte la libération des locaux intervenue, selon accord des parties, le 8 décembre 2017.

Le jugement sera infirmé sur ce point et Master Lock sera condamné à payer les deux factures forfaitaires litigieuses, cette somme étant majorée des intérêts au taux contractuel prévu à l'article 11.3 du contrat et égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter de la date d'assignation.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'appelante a dû, pour faire reconnaître ses droits, exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.  

Master Lock est déboutée de sa demande et elle est condamnée à payer à Daher la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle est aussi condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Dit que les conditions de l'article L. 442-6-I, 5e ancien du code de commerce ne sont pas réunies ;

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 septembre 2020 en ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a condamné Master Lock Europe à payer à Daher Technologies la somme de 30 000 euros au titre des factures n° 95037867, 95037868 et 95037869, majoration faite des intérêts au taux contractuel à compter de la date de l'assignation,

Statuant de nouveau du chef intimé et y ajoutant :

Condamne Master Lock Europe à payer la somme de 115.519, 33 € TTC au titre des factures n° 95037867 et 95037868 et 95037869 majorés des intérêts au taux contractuel égal à trois fois le taux d'intérêt légal, à compter de la date de l'assignation ;

Condamne Master Lock Europe à verser à Daher Technologies la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Master Lock Europe aux dépens.