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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 septembre 2022, n° 20/13630

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Vision Globale Propreté & Multiservices (SARL)

Défendeur :

Leroy Merlin France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Migaud, Me Lallement, Me Simoneau, Me Wannepain

T. com. Paris, du 21 sept. 2020, n° 201…

21 septembre 2020

FAITS ET PROCEDURE

La SARL Vision Globale Propreté et multiservices (ci-après 'la société VGPM') exerce une activité de nettoyage de bâtiments et de magasins.

La SA Leroy Merlin a pour activité la vente de matériaux de bricolage, de décoration et de jardinage par l'intermédiaire de magasins répartis sur l'ensemble du territoire national.

Le 21 août 2012, la société Leroy Merlin a souscrit auprès de la société VGPM un contrat de propreté et d'hygiène pour son magasin à [Localité 4]. Ce contrat a été souscrit pour une durée de 36 mois à compter de la date de démarrage des travaux, renouvelable par tacite reconduction dans les mêmes conditions et pour des périodes successives de même durée, sauf dénonciation, par lettre recommandée avec accusé de réception, 3 mois au moins avant la date anniversaire.

Par un avenant signé le 28 décembre 2016 avec effet au 1er janvier 2017, le prix de la prestation a été fixé par les parties à 30.617,81 euros TTC par mois et la hausse tarifaire de 2017 a été gelée. Les autres conditions restaient inchangées.

Par lettre recommandée du 20 juin 2017, la société Leroy Merlin a notifié à la société VGPM la fin du « contrat de propreté & d'hygiène références 92002 souscrit à la date du 21 août 2012'' et ce le 21 août 2018 ''.

Le 12 décembre 2017, les parties ont souscrit un nouvel avenant au contrat de maintien en propreté du magasin Leroy Merlin. Le montant mensuel de la prestation était fixé à la somme de 29 676 euros TTC, hors option et des conditions générales de vente étaient annexées.

Par un courriel du 16 juillet 2018 et une lettre recommandée du 18 juillet 2018, la société Leroy Merlin a informé la société VGPM du changement de prestataire à compter du 21 août 2018 en les termes suivants : « votre contrat REF 92002 se terminant le 21 août 2018, nous avons décidé de signer un nouveau contrat avec la société A2S ''.

Par lettre du 17 juillet 2018, la société VGPM a contesté la rupture du contrat au 21 août 2018 et demandé un rendez-vous à son cocontractant le 17 août 2018.

La société Leroy Merlin adressé à la société VGPM une mise en demeure du 27 juillet 2018, reçue le 3 août 2018, dans laquelle, elle faisait part de griefs et indiquait qu'à défaut de régularisation sous huit jours à compter de la réception du courrier, le contrat serait résilié de plein droit avant le terme du 21 août 2018.

Les 9 et 10 août 2018, plusieurs constats d'huissiers sont dressés afin de contrôler la qualité des prestations effectuées par la société VGPM. Le rendez-vous du 17 août 2018 n'a pas permis de trouver un accord entre les parties.

Le 13 août 2018, la société Leroy Merlin a notifié à la société VGPM, la résiliation du contrat à effet immédiat et interdit son accès aux locaux.

S'estimant victime d'une résiliation aux torts exclusifs de la société Leroy Merlin et d'une rupture brutale de la relation commerciale établie, la société VPGM a, par acte d'huissier délivré le 25 septembre 2018, assigné la société VGPM devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 21 septembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit que les demandes de la SARL VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES sont irrecevables,

- débouté la SA LEROY MERLIN FRANCE de sa demande de réparation au titre de procédure abusive et vexatoire,

- rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement et en déboute respectivement les parties,

- condamné la SARL VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES à payer à la SA LEROY MERLIN FRANCE la somme de 4.000 € au titre de I'arlicle 700 du CPC et la déboute du surplus de sa demande à ce titre,

- ordonné l'exécution provisoire du présent dispositif,

- condamné la SARL VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 28 septembre 2020, la société VGPM a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 30 mars 2022, la société VGPM demande à la Cour de :

Vu les articles 1103, 1104, 1224 et 1226 du code civil

Vu l'article L. 442-6 5° et l'annexe 4-2-1 de l'article D. 442-3 du code de commerce.

Dire la société VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris du 21.09.2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société LEROY MERLIN de sa demande reconventionnelle de réparation au titre de procédure abusive et vexatoire.

Et le réformant :

Débouter la société LEROY MERLIN de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Sur la demande d'indemnité au titre de la résiliation anticipée du contrat :

Constater que la société LEROY MERLIN a renoncé à sa dénonciation du contrat en date du 20 juin 2017 à effet au 21 août 2018,

Prononcer la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société LEROY MERLIN France le 13 août 2018,

En conséquence,

Condamner la société LEROY MERLIN France à payer à la société VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES, en vertu de l'article 6.3 des conditions générales contractuelles, la somme de 602.869,97 € au titre de l'indemnité de résiliation anticipée contractuelle et ce avec intérêts égal au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage (article L 441-6 du code de commerce) et ce à compter de la mise en demeure en date du 20.08.2018.

A titre subsidiaire, si la Cour estimait que l'indemnité devait être requalifiée en clause pénale.

Condamner la société LEROY MERLIN France à payer à la société VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES, une somme qui ne pourra pas être inférieure à 287.327,82€ au titre de l'indemnité de résiliation et ce avec intérêts égal au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage (article L. 441-6 du code de commerce) et ce à compter de la signification de la décision à intervenir.

Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation contractuelle.

Constater que la société LEROY MERLIN France a résilié brutalement la relation contractuelle établie entre les parties.

En conséquence

Condamner la société LEROY MERLIN France à payer à la société VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES, la somme de 90.000 € à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral et l'atteinte à son image,

A titre subsidiaire, si la Cour estimait que la société VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES était irrecevable à solliciter à titre principale une indemnité de résiliation anticipée et des dommages et intérêts pour rupture abusive,

Constater que la société LEROY MERLIN a renoncé à sa dénonciation du contrat en date du 20 juin 2017 à effet au 21 août 2018.

Prononcer la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société LEROY MERLIN France le 13 août 2018.

En conséquence,

Condamner la société LEROY MERLIN France à payer à la société VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES, en vertu de l'article 6.3 des conditions générales contractuelles, la somme de 602.869,97 € au titre de l'indemnité de résiliation anticipée contractuelle et ce avec intérêts égal au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage (article L 441-6 du code de commerce) et ce à compter de la mise en demeure en date du 20.08.2018.

Et si la Cour estimait que l'indemnité devait être requalifiée en clause pénale,

Condamner la société LEROY MERLIN France à payer à la société VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES, une somme qui ne pourra pas être inférieure à 287.327,82€ au titre de l'indemnité de résiliation et ce avec intérêts égal au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage (article L. 441-6 du code de commerce) et ce à compter de la signification de la décision à intervenir.

A titre infiniment subsidiaire, si la Cour estimait que la société LEROY MERLIN France n'était pas redevable d'une indemnité de résiliation anticipée.

Constater que la société LEROY MERLIN France a résilié brutalement la relation contractuelle établie entre les parties.

En conséquence,

Condamner la société LEROY MERLIN France à payer à la société VISION GLOBALE PROPRETE & MULTISERVICES, la somme de 90.000 € à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral et l'atteinte à son image,

En tout état de cause,

Condamner la société LEROY MERLIN France au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société LEROY MERLIN France aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Maître MIGAUD pour les frais par lui exposés,

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 14 septembre 2021, la société Leroy Merlin demande à la Cour de :

Vu les articles 1103 et suivants du code civil,

Vu l'article L. 442-6 I 5° ancien du code de commerce,

Confirmer le jugement rendu le 21 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

Dit que les demandes de la SARL VISION GLOBALE PROPRETÉ &MULTISERVICES sont irrecevables,

Débouté la SA LEROY MERLIN France de sa demande en réparation au titre de procédure abusive et vexatoire,

Condamné la SARL VISION GLOBALE PROPRETÉ & MULTISERVICES à payer à la société LEROY MERLIN la somme de 4.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la SARL VISION GLOBALE PROPRETÉ & MULTISERVICES aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 74, 50 € dont 12,20 € de TVA.

Infirmer le jugement rendu le 21 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement et en déboute respectivement les parties,

Statuant à nouveau :

A titre liminaire, sur le principe de non-cumul des responsabilité contractuelle et délictuelle,

Déclarer que les demandes de la société VISION GLOBALE PROPRETÉ &MULTISERVICES sont irrecevables et mal fondées,

En conséquence,

Débouter la société VISION GLOBALE PROPRETÉ & MULTISERVICES de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

En toute hypothèse, sur le fond,

Déclarer que le contrat liant les parties est le contrat n° 92002 du 21 août 2012 et que son avenant AD-TJH/V18.1 du 12 décembre 2017 est relatif aux tarifs,

Déclarer que le contrat a été résilié par la société LEROY MERLIN France par LRAR du 20 juin 2017, soit 14 mois avant son terme,

Déclarer que les stipulations contractuelles figurant à l'article 6.3 des « clauses et conditions générales de vente 4.1 » du contrat 9002 du 21 août 2012, sont non écrites, nulles et non avenues, à savoir :

« Nonobstant ce qui est indiqué au paragraphe précédent, le non-respect d'une obligation du client donne la faculté au prestataire, y compris le retard ou le défaut de paiement :

- De plein droit, sans préavis, par l'envoi d'une simple lettre recommandée, de suspendre l'exécution et tout ou partie des contrats en cours mentionnés dans ladite lettre et ce jusqu'à ce qu'il soit remédié au manquement. Dans ce cas le client reste redevable du montant des prestations non réalisées du fait de son manquement, sans préjudice de dommages et intérêts qui pourraient résulter de ce manquement.

- Et / ou résilier, ou le cas échéant, réduite tout ou partie des contrats en cors par simple lettre recommandée avec accusé de réception de huit jours francs suivant une mise en demeure, également envoyé sous plis recommandé avec accusé de réception, de mettre fin au manquement constaté est restée sans effet.

- Dans tous les cas de résiliation, ou résolution, toutes les sommes déjà le client seront conservées par le prestataire. En réparation du préjudice subi, le client devra verser le montant correspondant aux prestations qui auraient été effectuées jusqu'au terme du contrat »,

Déclarer n'y avoir lieu à prononcer une résiliation judiciaire aux torts et griefs de la société LEROY MERLIN France,

Débouter la société VISION GLOBALE PROPRETÉ & MULTISERVICES de sa demande de condamnation au titre d'une prétendue indemnité de résiliation anticipée contractuelle,

Déclarer qu'il n'y pas de rupture brutale des relations commerciales au sens des dispositions de l'ancien article L. 442-6 I 5° du code de commerce,

En conséquence,

Débouter la société VISION GLOBALE PROPRETÉ & MULTISERVICES de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner la société VISION GLOBALE PROPRETÉ & MULTISERVICES à payer à la société LEROY MERLIN France la somme de 30 000 € pour procédure abusive et vexatoire,

Condamner la société VISION GLOBALE PROPRETÉ & MULTISERVICES à payer à la société LEROY MERLIN France la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamner la société VISION GLOBALE PROPRETÉ & MULTISERVICES aux entiers frais et dépens d'appel,

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 avril 2022.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Leroy Merlin

La société Leroy Merlin demande la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé irrecevables les demandes de la société VGPM au titre du non-cumul de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, en ce que la société VGPM sollicite deux fois les conséquences d'un même fait générateur, à savoir la rupture de la relation commerciale le 13 août 2018.

Toutefois, comme le relève à juste titre la société VGPM le principe de non-cumul interdit seulement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n'interdit pas la présentation d'une demande distincte, fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais du fait distinct qu'est la rupture brutale d'une relation commerciale établie (Com. 10 avril 2019 n° 18-12.882).

D'une part, la société VGPM formule une demande d'indemnité du fait du manquement contractuel de la société Leroy Merlin ayant résilié de manière anticipée le contrat par la société Leroy Merlin. A cet effet, elle demande le paiement de la somme de 602 869,97 euros égale au montant des prestations qui auraient été effectuées jusqu'au terme du contrat en application de l'article 6.3 des conditions générales de vente.

D'autre part, la société VGPM formule une demande de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce au motif que compte tenu de l'ancienneté des relations, la société Leroy Merlin devait respecter un préavis entre 3 et 15 mois. Elle demande à ce titre la somme de 90 000 euros représentant trois mois de prestations.

Il s'ensuit que la société VGPM formule bien sur des fondements différents des demandes distinctes visant à réparer des préjudices distincts.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société VGPM.

Sur la demande au titre de la résiliation anticipée du contrat

La société VGPM fait valoir que si par lettre du 20 juin 2017, la société Leroy Merlin a dénoncé le contrat à son terme du 21 août 2018, elle a cependant renoncé à cette dénonciation par la signature de l'avenant du 12 décembre 2017 par lequel les parties ont fait expressément novation de la date d'échéance du contrat initial en prévoyant une durée contractuelle de 36 mois et une prise d'effet au 1er janvier 2018, soit jusqu'au 31 décembre 2020. Elle explique qu'à la différence de l'avenant de 2016, les conditions générales et notamment l'article 6.2 relatif à la durée contractuelle ont été incorporées à l'avenant du 12 décembre 2017, paraphées et signées par la société Leroy Merlin. Elle ajoute que le nouvel avenant comprenait pour la société VGPM des prestations gracieuses et des tarifs moins élevés qui ne pouvaient se justifier que par la renonciation de Leroy Merlin à sa demande de résiliation et à un nouvel engagement pour 3 ans. Elle relève qu'entre la signature de l'avenant en décembre 2017 et le mois de juillet 2018, la société Leroy Merlin n'a plus fait allusion à une fin de relation contractuelle au 21 août 2018 et qu'il n'y avait pas d'intérêt de mettre en demeure son co-contractant sous peine de résiliation le 27 juillet 2018 pour un contrat qui serait résilié à l'échéance du 21 août 2018.

La société VGPM fait en outre valoir que la société Leroy Merlin a notifié, par lettre recommandée du 13 août 2018 la résiliation anticipée et immédiate du contrat en raison de manquements graves et répétées du prestataire en vertu de l'article 6 du contrat. Or, elle relève que la clause résolutoire prévue à cet article 6 ne prévoit pas la résiliation anticipée du contrat à l'initiative du client du fait de manquements graves et répétés du prestataire, en sorte que seules les dispositions de l'article 1226 du code civil trouvent à s'appliquer. A cet effet, la société VGPM prétend que non seulement la société Leroy Merlin ne lui a pas laissé le temps de remédier aux prétendus manquements dans un délai raisonnable ayant déjà décidé du changement de prestataire mais en outre les manquements ne sont pas établis.

Aussi, la société VGPM soutient que le contrat a été résilié à l'initiative de la société Leroy Merlin à ses torts exclusifs et que par conséquent elle lui est redevable d'une indemnité de 602 869,97 euros HT au titre de l'indemnité de résiliation anticipée prévue à l'article 6 du contrat.

Elle précise que cette clause était négociable et que l'article L. 442-6 du code de commerce n'est pas applicable. Enfin, elle soutient que la clause prévue à l'article 6.3 du contrat est une indemnité de résiliation anticipée qui ne peut s'analyser en une clause pénale.

La société Leroy Merlin réplique pour l'essentiel que :

- par lettre du 25 juillet 2017, elle a informé la société VGPM qu'elle mettait fin au contrat référence 92002 souscrit le 21 août 2012 à l'échéance du 21 août 2018

- le 12 décembre 2017, les parties ont négocié un second avenant au contrat initial de maintien en propreté uniquement au titre des tarifs et des prix à effet au 1er janvier 2018, cet avenant ne constituant nullement un nouveau contrat modifiant le terme des relations contractuelles, en sorte que le contrat initial s'est poursuivi avec une échéance inchangée au 21 août 2018,

- en toute hypothèse, l'intention de la société Leroy Merlin en signant cet avenant de 2017 était manifestement, comme pour l'année 2017, de renégocier pour l'année 2018 les tarifs et les prix dans le cadre des négociations annuelles obligatoires de l'article L.441-7 du code de commerce en poursuivant le contrat initial de maintien en propreté de 2012,

- le simple fait d'avoir annexé les conditions générales de vente, dont il est précisé qu'elles restent inchangées, ne peut constituer la volonté non équivoque de modifier la date anniversaire du contrat n°92002 et par conséquent son terme, cela signifiait simplement que la société VGPM entendait se réserver la preuve de leur opposabilité dès lors que le délai de préavis était passé de trois à quatre mois,

- la baisse des tarifs en 2018 était liée à la réduction des prestations sur 2018,

- la société Leroy Merlin a donc mis fin au contrat du 21 août 2012 par lettre du 20 juin 2017 soit avec un préavis de 14 mois, qui a été écourté au 13 août 2018 du fait des manquements graves et répétés de la société VGPM notamment attestés par trois constats d'huissier,

Réponse de la Cour

Les parties ont conclu un contrat de propreté et d'hygiène à effet au 21 août 2012 référence 92002 et comportant le plan de facturation mensuel suivant :

1. Maintien en propreté Magasin : 19 890, 00 €

2. Maintien en propreté Bati : 3 251,16 €

3. Décapage et mise en cire pondéré : 1 550,00 €

Total mensuel HT : 24 691,16 €

Total mensuel TTC : 29 530, 62 €

Les clauses et conditions générales de vente 4.1 (CGV) annexées à ce contrat prévoyaient notamment une clause de révision des prix (article 7bis) et une clause relative à la durée, suspension et résiliation (Article 6) rédigée en ces termes :

(...)

6. 2 Nos prestations à caractère répétitif sont souscrites pour une période de trente sis mois à compter de la date de démarrage des travaux. Le contrat est automatiquement reconduit par reconduction expresse et dans les mêmes conditions à son échéance pour des périodes successives de même durée que la durée précédemment fixée sauf résiliation par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis de trois mois par rapport à la date anniversaire.

En cas de non-respect, le préavis est toujours dû en sa totalité. (...).

6.3 Nonobstant ce qui est indiqué au paragraphe précédent, le non-respect d'une obligation du client donne la faculté au prestataire, y compris le retard ou le défaut de paiement :

De plein droit et sans préavis, par l'envoi d'une simple lettre recommandée, de suspendre l'exécution et tout ou partie des contrats en cours mentionnés dans ladite lettre et ce jusqu'à ce qu'il soit remédié au manquement. Dans ce cas le client reste redevable du montant des prestations non réalisées du fait de son manquement, sans préjudice de dommages-intérêts qui pourraient résulter de ce manquement. Et/ ou résilier, ou le cas échéant, réduire tout ou partie des contrats en cours par simple lettre recommandé avec avis de réception après expiration de huit jours francs suivant une mise en demeure, également envoyée sous pli recommandé avec accusé de réception, de mettre fin au manquement constaté et resté sans effet.

Dans tous les cas de résiliation, ou résolution, toutes les sommes déjà versées par le client seront conservées par le prestataire. En réparation du préjudice subi, le client devra verser le montant correspondant aux prestations qui auraient été effectuées jusqu'au terme du contrat.

6.4 Au moins 15 jours avant la cessation du contrat commercial, le client doit transmettre au prestataire 'sortant' les coordonnées du nouveau prestataire.

Le 5 janvier 2017 les parties ont signé un avenant au contrat initial de maintien en propreté n°92002 du 21 août 2012, avec la mention que les CGV du contrat initial n°92002 restaient inchangées jusqu'au terme du contrat, et comprenant le plan de facturation janvier 2017 à effet au 1er janvier 2017 suivant :

1. Maintien en propreté : 22 692, 55 €

2. Vitrerie (pondéré mensuelle) : 590,28 €

3. Consommables sanitaires : 733,43 €

4. Location machines : 1 498,58 €

Total HT : 25 514, 84 €

Total TTC : 30 617,81 €

Le 12 décembre 2017, les parties ont signé un avenant 'de maintien en propreté' rédigé dans les mêmes termes que le précédant, avec la mention que le 'cahier des charges et les CGV 4.1 du contrat initial (21/08/2012) et de son avenant (01/01/2017) restent inchangés', et comprenant le plan de facturation janvier 2018 suivant :

1. Maintien en propreté : 22 130,00 €

(récurrent + bi hedo sol carrelage)

2. Vitrerie (mensuelle) : 500 €

3. Consommables sanitaires : 700,00 €

4. Location matériels : 1400,00 €

Total HT : 24 730,00 €

Total TTC : 29 676, 00 €

Entre ces deux avenants, la société Leroy Merlin a notifié par lettre recommandée du 20 juin 2017 la résiliation du contrat de propreté et d'hygiène en ces termes :

« Je vous informe par la présente de notre décision de mettre un terme à notre contrat de propreté et d'hygiène référence 92002 souscrit auprès de vos services à la date du 21 août 2012.

Nous arrivons au terme de notre engagement le 21 août 2018, compte tenu de vos conditions générales de vente, qui était de 3 ans renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de même durée sauf préavis envoyé par lettre recommandée 3 mois avant l'échéance. Ce contrat prendra donc effectivement fin le 21 août 2018 ».

Par un courriel du 16 juillet 2018 et une lettre recommandée du 18 juillet 2018, la société Leroy Merlin a informé la société VGPM du changement de prestataire à compter du 21 août 2018 en les termes suivants: « votre contrat REF 92002 se terminant le 21 août 2018, nous avons décidé de signer un nouveau contrat avec la société A2S ''.

Il résulte de ces éléments, en premier lieu que les deux avenants signés pour les plans de facturation 2017 et 2018, rédigés dans des termes très similaires et avec la précision que les CGV du contrat initial du 21 août 2018 demeuraient inchangées, ne visaient explicitement que les tarifs et prestations entre les parties prenant effet au 1er janvier suivant. Il n'est par ailleurs constaté aucune véritable concession sur les tarifs concernant le plan de facturation 2018 en comparaison de celui de 2017 au regard notamment de l'étendue des prestations d'une année sur l'autre. En outre, l'avenant litigieux signé le 12 décembre 2017 comporte une indication trompeuse en ce qu'il est indiqué que les CGV du contrat initial sont inchangées alors même que les CGV annexées ont été modifiées sur le délai de préavis (article 6.2).

Il s'ensuit qu'il ne peut être déduit de la signature de ce second avenant une intention commune des parties de modifier la durée du contrat initial de propreté et d'hygiène et un engagement sur une nouvelle période contractuelle de trois ans.

En second lieu, la société Leroy Merlin a clairement notifié à la société VGPM son intention de ne pas renouveler le contrat de propreté et d'hygiène à son échéance le 21 août 2018. L'ensemble des arguments de la société VGPM, dont la signature de l'avenant à effet au 1er janvier 2018, le fait que la société Leroy Merlin ne confirme pas ultérieurement son intention de résiliation ou l'envoi de la lettre circulaire du 4 mai 2018, ne permettent pas d'établir une renonciation claire et non équivoque à cette intention de résiliation du contrat à son terme du 21 août 2018.

Dès lors, la société Leroy Merlin en notifiant par lettre recommandée du 20 juin 2017, la résiliation du contrat de propreté et hygiène du 21 août 2012 à son échéance, non modifiée, du 21 août 2018 a respecté les conditions contractuelles et a valablement résilié le contrat pour cette date.

Cependant, il n'est pas contesté que dès le 13 août 2018, la société Leroy Merlin a interdit l'accès de ses locaux à la société VGPM après avoir notifié par lettre la rupture anticipée et de plein droit du contrat pour fautes. Les fautes alléguées sont :

- mauvaises exécution des prestations

- facturation de prestations non réalisées

- opposition à la transmission des contrats de travail au prestataire entrant

La réalité de ces manquements est établie par les échanges de courriers entre les parties et les constats d'huissier produits par la société Leroy Merlin, mais ces manquements ne sont pas suffisamment graves pour justifier une rupture immédiate du contrat, quelques jours avant la fin de son terme le 21 août 2018.

Comme le relève la société VGPM, la clause résolutoire prévue à l'article 6 des CGV ne prévoit pas la résiliation anticipée du contrat à l'initiative du client du fait de manquements graves et répétés du prestataire et les conditions d'application de l'article 1226 du code civil ne sont pas remplies au regard de la gravité de l'inexécution.

Il s'ensuit, que si la société Leroy Merlin a anticipé à tort la résiliation du contrat de propreté et d'hygiène le 13 août 2018, ce n'est que quelques jours avant la résiliation valablement faite par courrier du 20 juin 2017 pour le terme du contrat non modifié au 21 août 2018.

Dès lors l'indemnisation de la société VGPM doit être limitée aux quelques jours de préavis non exécuté, soit la somme de 7419 € TTC correspondant à un quart du plan de facturation mensuel 2018.

La société VGPM sera déboutée du surplus de sa demande principale et subsidiaire au titre de l'indemnité de résiliation anticipée.

Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation contractuelle

La société VGPM fait valoir sur le fondement des dispositions de l'article L.442-6, 5° ancien du code de commerce, qu'elle a entretenu une relation commerciale établie avec la société Leroy Merlin qui a renoncé à la dénonciation du contrat en juin 2017 et que dans la commune intention des parties, le contrat devait être exécuté jusqu'au 1er janvier 2021. Elle estime que la rupture de la relation commerciale a été brutale pour les raisons suivantes :

- la société Leroy merlin a résilié le contrat sans aucun préavis, alors même que les parties étaient en relation contractuelle depuis 6 ans,

- la société Leroy Merlin a mis en demeure la société VGPM de régulariser des manquements fictifs ou sans gravité, alors même qu'elle avait déjà prévu de résilier le contrat et l'avait déjà remplacé par un prestataire concurrent;

- elle lui a notifié un changement de prestataire avant de lui adresser une mise en demeure, la menaçant de résilier le contrat,

- elle lui a proposé un rendez-vous le 17 août 2018 pour trouver une solution amiable mais entre la date de prise de rendez-vous et le rendez-vous, elle a interdit l'accès à ses locaux et lui a notifié la résiliation du contrat,

- le contrat a été résilié 10 jours seulement après la mise en demeure, sans laisser à la société VGPM de délai raisonnable, alors que l'on était en pleine période de vacances scolaires,

- la société VGPM a été empêchée de réaliser la prestation à compter du 13 août 2018 alors même qu'elle avait contesté la mise en demeure, qu'aucune résiliation du contrat ne lui avait été notifiée et qu'un rendez-vous devait avoir lieu le 17 août 2018 pour permettre aux parties de trouver une issue au litige,

- du fait des manoeuvre de la société Leroy Merlin, la société VGPM a subi des pressions de la part du nouveau prestataire de la société Leroy Merlin, qui l'a mis en demeure de lui transmettre les éléments nécessaires dans le cadre de l'annexe 7 (salariés pouvant être repris).

- la société Leroy Merlin a choisi de procéder à la résiliation du contrat pendant les vacances scolaires, obligeant ainsi les dirigeants de la société VGPM soit d'écourter leurs congés, soit de les annuler pour tenter de régler la situation.

Arguant que la jurisprudence retient en général entre 3 et 15 mois de préavis pour une relation contractuelle d'une telle ancienneté, elle réclame 90 000 euros de dommages-intérêts correspondant à trois mois de redevances.

La société Leroy Merlin réplique pour l'essentiel que la société VGPM a bénéficié d'un préavis de 14 mois largement suffisant au regard de l'ancienneté de la relation.

Réponse de la Cour,

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Les parties ne contestent pas avoir noué une relation commerciale établie depuis 2012.

La société Leroy Merlin a notifié à la société VGPM par courrier du 20 juin 2017 la fin de la relation contractuelle pour le 21 août 2018 et il résulte des motifs qui précèdent qu'elle n'a pas renoncé ultérieurement à cette intention de rupture. La société VGPM a donc bénéficié d'un préavis de 14 mois qui est suffisant au regard de l'ancienneté de la relation qui ne présente pas de spécificité. Les arguments soulevés par la société VGPM ne permettent pas de caractériser une rupture brutale au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° précité.

Les manquements reprochés par la société Leroy Merlin à l'appui de la rupture anticipée de la relation contractuelle et donc de la relation commerciale au 13 août 2018, ne sont pas suffisamment graves pour ne pas faire bénéficier la société VGPM de l'intégralité de la durée du préavis. Néanmoins, ce préjudice a déjà été réparé par les dommages-intérêts ci-dessus alloués.

Dès lors, la société VGPM sera déboutée de sa demande d'indemnité pour rupture brutale de la relation commerciale.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive de la société Leroy Merlin

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de l'intimée pour procédure abusive, dès lors que si la société VGPM s'est méprise sur l'étendue de son droit, elle n'a pas fait dégénérer en abus son droit à l'exercice de son action en justice ni en première instance ni en appel.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civil

La société VGPM, succombant pour l'essentiel en ses demandes, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a débouté la société Leroy Merlin de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Déclare recevables les demandes de la société Vision globale propreté & multiservices;

Condamne la société Leroy Merlin France à payer à la société Vision globale propreté & multiservices la somme de 7419 € TTC au titre de l'inexécution du préavis de résiliation jusqu'à son terme le 21 août 2018 du contrat de propreté et d'hygiène conclu entre les parties le 21 août 2012 ;

Déboute la société Vision globale propreté & multiservices du surplus de sa demande au titre de l'indemnité de résiliation anticipée contractuelle ;

Déboute la société Vision globale propreté & multiservices de sa demande de dommages-intérêts au titre d'une rupture brutale de la relation commerciale ;

Condamne la société Vision globale propreté & multiservices aux dépens de première instance et d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.