Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 septembre 2022, n° 20/14583

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Dandy's (SARL)

Défendeur :

Comptoir des Cotonniers (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Mengeot, Me Hardouin , Me Tomasi , Me Pédron

T. com. Paris, 14 sept. 2020, n° 2019029…

14 septembre 2020

FAITS ET PROCEDURE

La société Dandy's a pour activité le commerce de gros d'habillement et de chaussures entre professionnels du secteur. Elle conçoit ses modèles, en sous-traite la fabrication, et les commercialise via différents réseaux.  

La société Comptoir des cotonniers (ci-après la société CDC) a pour activité le commerce de détail de vêtements pour femmes et a développé sa propre marque de vêtements prêt-à-porter positionnée haut de gamme.

Les parties ont entretenu une relation commerciale depuis fin 2011 sur la base de 2 saisons annuelles, printemps/été et automne/hiver. Les commandes étaient passées selon un processus à cycle court « fast fashion », pour chaque saison : présélection des matières et des prototypes, ajustements, validation des modèles, puis commande des produits finis.

Par lettre du 22 mars 2017, la société CDC a informé la société Dandy's que : « en raison de décisions internes stratégiques, notre gamme de produits évoluant, nous sommes au regret de vous annoncer que notre société cessera toute relation commerciale avec la vôtre à l'issue de la dernière livraison des produits correspondant à la saison printemps/été 2018 ».  

Les relations se sont néanmoins poursuivies et le volume d'affaires s'est même renforcé.  

Puis, par lettre du 27 novembre 2018, la société CDC a informé la société Dandy's qu'elle allait mettre un terme définitif au partenariat "à l'issue de la collection Automne/hiver 2019".  

 Aucune commande n'a été faite à la suite de ce courrier, notamment pour la saison printemps/été 2019.  

Estimant avoir été victime d'une rupture brutale de la relation commerciale, la société Dandy's a, par acte du 6 mai 2019, assigné la société Comptoir des cotonniers devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages-intérêts.  

Par jugement du 14 septembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SARL Dandy's de ses demandes au titre d'une rupture brutale de relations commerciales établies,

 - condamné la SARL Dandy's à verser à la SAS Comptoir Des Cotonniers la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

 - débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

 - ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

 - condamné la SARL Dandy's aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

Vu les dernières conclusions de la société Dandy's, déposées et notifiées le 13 juillet 2021 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce (dans sa version antérieure au 26 avril 2019) ;  

Vu l'article 1240 du Code civil,  

Déclarer l'appel de la société Dandy's recevable et bien fondé ;  

Y faisant droit,

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Dandy's de ses demandes,  

Et statuant à nouveau,  

A titre liminaire,

Débouter la société Comptoir Des Cotonniers de sa demande tendant à voir écarter la pièce n 43 intitulée « Attestation du Cabinet Fieccor, Expert-comptable ' 28 mai 2020 (taux de marge brut moyen) »  

Juger que la société Comptoir Des Cotonniers a brutalement rompu les relations commerciales durablement établies avec la société Dandy's sans aucun préavis exécuté ;  

Fixer la durée de préavis qui aurait dû être accordé à 24 mois ;  

En conséquence,

Condamner la société Comptoir Des Cotonniers à payer à Dandy's la somme de 2.179.279 €, équivalent à la marge brute qu'aurait réalisée Dandys si la relation commerciale s'était poursuivie durant un préavis de 24 mois, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale, sans préavis, de leur relation commerciale établie depuis près de huit ans ;  

Condamner la société Comptoir Des Cotonniers à verser à Dandy's la somme de 950.668 € en réparation du préjudice résultant du travail réalisé à perte pour la conception et la réalisation de plus de cinquante prototypes pour CDC au titre de la collection printemps/été 2019 ;

Ordonner la publication, dans trois (3) journaux au choix de la société Dandy's, aux frais exclusifs de la société Comptoir Des Cotonniers qui devra faire l'avance des coûts de publication, dans la limite de dix mille euros (10 000€) par insertion, sous astreinte de deux mille euros (2000€) par jour de retard, un communiqué de 10cmx20cm ainsi rédigé :  

« Publication judiciaire  

Par jugement en date du [.], la Cour d'appel de Paris a condamné Comptoir Des Cotonniers, pour avoir brutalement mis un terme aux relations commerciales entretenues avec Dandy's depuis près de huit ans. La Cour d'appel de Paris a condamné CDC à supporter le coût de la publication du présent communiqué »  

En tout état de cause,

Condamner la société Comptoir des Cotonniers à verser à Dandy's la somme de 25.000€, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;  

Débouter la société Comptoir Des Cotonniers de toutes ses demandes, fins et conclusions Ordonner la restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire;  

Condamner la société Comptoir Des Cotonniers aux entiers dépens d'instance et d'appel.  

Vu les dernières conclusions de la société Comptoir des cotonniers, déposées et notifiées le 13 avril 2021 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce,  

Vu l'article 1240 du Code civil,  

Confirmer le jugement rendu par la 13ème chambre du Tribunal de commerce de Paris du 14 septembre 2020 sous le n 2019029175 en ce qu'il a :  

Débouté la société Dandy's de sa demande au titre de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce ;  

Débouté la société Dandy's de sa demande au titre des pertes liées à la conception et à la réalisation de la collection printemps / été 2019 ;  

Débouté la société Dandy's de sa demande que soit ordonnée la publication, dans trois journaux de son choix, aux frais exclusifs de la société CDC, d'un communiqué relatant la décision à intervenir.

Et statuant à nouveau :

Ecarter des débats la pièce n 43 intitulée « Attestation du Cabinet Fieccor, Expert-comptable ' 28 mai 2020 (taux de marge brut moyen) » versée aux débats par la société Dandy's ;  

Condamner la société Dandy's à payer à la société CDC la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (en sus de la condamnation prononcée par le tribunal de commerce de Paris) ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction, pour ceux-là concernant, au profit de la SELARL 2H AVOCATS en la personne de Me Patricia Hardouin conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.  

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.  

MOTIVATION

Sur la demande de la société CDC relative à la pièce n° 43

La pièce 43 a été contradictoirement versée aux débats par la société Dandy's.  

Il n'y a donc pas lieu de l'écarter, la Cour en appréciera souverainement sa portée.  

Sur la rupture brutale

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.  

*Sur le caractère établi de la relation  

La société Dandy's fait valoir que sa relation avec la société CDC était stable et établie depuis le dernier trimestre 2011, augmentant de façon constante et significative son chiffre d'affaires réalisé avec CDC. Elle ajoute qu'en novembre 2018, elle ne pouvait qu'anticiper une continuité de flux d'affaires avec CDC pour l'avenir, compte tenu de la forte progression des activités en 2017-2018 et de la nouvelle lettre de rupture des relations assortie d'un nouveau préavis adressée par la société CDC en novembre 2018.  

La société CDC réplique qu'au contraire la relation commerciale n'était pas établie au sens de l'article L 442-6, I, 5 du code de commerce dès lors qu'elle était par nature saisonnière et dépendante des fluctuations liées aux tendances éphémères de la mode, un aléa d'autant plus fort dans le secteur de la "fast fashion". Elle précise qu'en l'absence de tout accord garantissant la pérennité de leur relation, à chaque saison, la passation d'une commande par CDC à Dandy's dépendait notamment de la capacité de la société Dandy's à proposer à CDC des textiles et des imprimés, puis à concevoir et proposer à CDC des modèles correspondant aux tendances pour la saison à venir et des attentes des consommateurs. Elle ajoute que la relation s'était par ailleurs progressivement précarisée en raison des nombreuses difficultés rencontrées par CDC avec Dandy's.  

Réponse de la Cour,

 La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Quand bien même la société CDC évoque des difficultés récurrentes telles que des retards dans la fourniture de la documentation produit, des défauts de qualité de certains échantillons ou produits, des retards dans la livraison des produits ou des défauts de conditionnements de certains modèles, il n'en demeure pas moins que pendant six années consécutives le flux d'affaires annuel entre les parties a été de l'ordre de 1,5 million d'euros entre 2012 et 2017 pour atteindre environ 4 millions en 2018. Cette relation d'affaires s'est par ailleurs déroulée suivant un processus bien établi, à savoir :  

- un premier rendez-vous était organisé au cours duquel CDC présélectionnait des tissus ou modèles crées par Dandy's,

- une phase d'adaptation s'ouvrait ensuite au cours de laquelle CDC proposait à Dandy's des ajustements sur ses créations. Dandy's retravaillait ses produits en conséquence,

 - puis, Dandy's proposait des prototypes à CDC qui étaient validés ou non,  

Si l'activité supposait une certaine agilité pour s'adapter à la mode vestimentaire dans le secteur de la 'fast fashion', les parties ont néanmoins noué une relation stable et habituelle depuis 2011, revêtant ainsi un caractère établi au sens des dispositions précitées.  

*Sur la brutalité de la rupture  

La société Dandy's soutient que malgré un premier courrier de notification de rupture de la relation commerciale en mars 2017, la société CDC a continué à passer des commandes au delà du préavis donné dans ce courrier et pour des volumes trois fois supérieurs aux années précédentes, la laissant ainsi croire qu'elle avait renoncé à sa première intention de rupture et qu'au contraire elle souhaitait renforcer leur partenariat. Puis, elle relève l'arrêt des commandes CDC à compter de novembre 2018 alors même que la seconde notification de rupture annonçait la fin à l'issue de la collection autonome/ hiver 2019. Elle estime ne pas avoir bénéficié du préavis annoncé et que la société CDC a mis un terme immédiat à la relation commerciale ce qu'elle a confirmé dans sa lettre du 8 mars 2019. Elle insiste sur le fait que cette rupture brutale des commandes a généré une désorganisation interne sans précédent à laquelle il n'a pas été possible de remédier en quelques mois, sachant qu'elle s'était préparée à honorer les commandes telles qu'espérée dans le courrier du 27 novembre 2018.  

Selon la société Dandy's, les prétendus dysfonctionnements et défauts de qualité n'ont été soulevés par CDC pour la première fois qu'en mars 2019, à la suite de l'échec des négociations. Elle relève que les lettres de rupture des relations envoyées en 2017 et 2018 n'évoquaient aucune faute de la société Dandy's. Elle prétend n'avoir commis aucun manquement qui serait qualifiable de faute grave.

 

 La société CDC réplique que pour des raisons stratégiques visant à la mise en place d'un service design interne, elle a clairement manifesté son intention, dans son courrier du 22 mars 2017, de ne pas poursuivre sa relation avec Dandy's moyennant un préavis suffisant de deux saisons. A compter de cette date, elle n'a ni renoncé à sa décision de mettre un terme à sa relation ni entretenu Dandy's dans l'illusion d'une poursuite pérenne de leur relation. En novembre 2018, la société Dandy's ne pouvait plus légitimement croire que la relation était pérenne. Selon elle, la simple poursuite de la relation au-delà du préavis initialement notifié, même en présence d'une seconde lettre de rupture, équivaut à une prorogation du délai de préavis ou, à tout le moins, à un maintien provisoire et précaire de la relation qui ne serait pas de nature à remettre en cause l'intention de l'auteur de la rupture de mettre un terme à la relation. Selon la société CDC, Dandy's a bénéficié d'un délai de préavis plus que suffisant pour réorganiser son activité.  

 La société CDC soutient en outre qu'elle a déploré courant 2017, 2018 et début 2019, des non-qualités, dysfonctionnements et différents retards, dans la finalisation des produits. Les risques et défauts étant devenus trop importants, raisons pour lesquelles elle n'a plus passé de commande pour la saison printemps/ été 2019.

Réponse de la Cour :

Par courrier du 22 mars 2017, la société CDC a certes informé la société Dandy's de son intention de rompre la relation commerciale avec un délai de préavis précis à savoir à l'issue de la dernière livraison des produits correspondant à la saison printemps/ été 2018.  

Cependant, non seulement la relation commerciale s'est poursuivie après cette saison et suivant un volume de plus du triple par rapport à l'année 2017, mais la société CDC a également envoyé un courrier le 22 novembre 2018 confirmant son intention de rompre la relation pour des raisons de stratégies internes de design tout en annonçant un nouveau préavis courant jusqu'à la saison automne/hiver 2019. Il n'est pas non plus contesté que le processus habituel de travail entre les deux sociétés s'est enclenché pour l'année 2019 avec la préparation de prototype par la société Dandy's dès la fin de l'année 2018. Autrement dit la société Dandy's pouvait légitimement s'attendre à la poursuite de la relation commerciale ou du moins au respect de la prolongation de préavis pour les deux saisons 2019 comme invoqué par la société CDC.  

La société CDC pour justifier son refus de commande pour la collection printemps/été 2019, fait état d'important défauts de qualité, tout en observant qu'il s'agissait des mêmes que ceux qui avaient été relevés par le passé, notamment au cours des années 2015, 2016,2017 et 2018 (conclusions page 22, § 110 et suivants ; page 4 § 12 et suivants). Si la société CDC n'avait effectivement pas dans le cadre du préavis octroyé, l'obligation de passer commande à Dandy's si les prototypes proposés ne présentaient pas les qualités requises, elle n'explique pas comment les mêmes défauts n'avaient pas dans les années précédentes empêché le flux d'affaires qui avait même significativement augmenté en 2018. En outre, les difficultés récurrentes de qualité alléguées n'ont pas été mentionnées dans les lettres de rupture ni fait l'objet de mise en garde particulière avant le courrier du 8 mars 2019 postérieur à l'échec des négociations entre les parties, et il ressort des explications de chacune des parties que ces dysfonctionnements étaient en réalité inhérents au processus de conception et fabrication des produits vestimentaires.  

 

Dès lors, la société CDC ne démontre pas de manquements suffisamment graves de la société Dandy's à ses obligations pour ne pas respecter le préavis octroyé dans sa lettre du 22 novembre 2018 marquant le point de départ de son intention définitive de rupture de la relation commerciale, de sorte que la société CDC a brutalement rompu la relation et engagé sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° précité.  

* sur la détermination du préavis nécessaire

La société Dandy's estime que le préavis devait être de deux saisons, soit une année, compte tenu de l'ancienneté des relations, de sa dépendance économique à l'égard de CDC (37 % de son chiffre d'affaires en 2018), de l'obligation d'exclusivité à laquelle elle s'était engagée à l'égard de CDC, de la nature de l'activité. Elle précise que le réseau de vente de CDC était particulièrement large et représentait pour Dandy's une opportunité commerciale unique difficile à remplacer.

Relevant que les produits fabriqués pour CDC étaient sous marque distributeur, elle soutient que ce délai de préavis doit être doublé et que sa perte de marge doit ainsi être calculée sur 24 mois. Elle fait valoir que les produits qu'elle fournissait à CDC étaient des produits vendus sous marque distributeur dès lors que les modèles originaux répondaient au cahier des charges de qualité de CDC, représentaient l'image de la marque éponyme et étaient produits sous les instructions de CDC.  

La société CDC réplique qu'en toute hypothèse la société Dandy's ne pouvait en aucun cas prétendre à un préavis d'une durée supérieure à une saison, à savoir 6 mois, à réduire à 4 mois en raison de la prévisibilité de la rupture. Elle prétend que la société Dandy's ne justifie d'aucune dépendance économique ni spécificité de la relation commerciale. Elle soutient que les produits objet de la relation commerciale ne pouvaient pas être qualifiés de produits de marque distributeur.  

Réponse de la Cour :  

Compte tenu de l'ancienneté de la relation de 2011 à 2018, de la spécificité des cycles de production de l'activité et du flux d'affaires relativement significatif entre les parties, le préavis d'un an correspondant à deux saisons, tel qu'annoncé à deux reprises par la société CDC, était un préavis nécessaire mais suffisant.  

Comme le soutient à juste titre la société CDC, la société Dandy's ne démontre pas que la société CDC définissait les caractéristiques techniques et esthétiques des produits conçus et livrés par Dandy's. Il n'est pas sérieusement contesté par la société Dandy's que le cahier des charges 'fournisseurs' fixait seulement des obligations administratives, les modalités d'achat, des spécifications générales et les modalités d'étiquetages et de conditionnement des vêtements, mais ne constituait pas un cahier des charges 'produits'. Il ressort des explications des parties que la société CDC choisissait les produits déjà conçus et proposés par Dandy's qui ne faisaient ensuite l'objet que d'ajustement pour CDC. En outre l'exclusivité entre les parties ne concernaient que les prototypes qui avaient été validés par la société CDC et à défaut ceux-ci pouvaient être proposés à d'autres clients de Dandy's.  

Dès lors, il n'est pas établi que les produits fournis par Dandy's à CDC étaient des produits vendus sous marque de distributeur, et il n'y a pas lieu de procéder au doublement du préavis.  

* sur l'évaluation du préjudice

La société Dandy's soutient que le gain manqué de la rupture brutale doit être évalué par référence à la marge brute qu'elle a réalisée avec la société CDC, soit la marge commerciale de production réalisée, estimant que ce mode de calcul est adapté au secteur en cause. Pour évaluer son préjudice, elle retient une marge brute de 48% sur le chiffre d'affaires réalisé sur les années 2010 à 2018, soit 3 268 919 euros (6 705 475 x 0,4875), soit 90 803,3 euros mensuel, rapporté à 2 179 279 euros sur 24 mois.  

La société Dandy's fait également valoir un préjudice financier issu des pertes liées à la conception et à la réalisation de prototypes pour la collection printemps/ été 2019 et un préjudice d'image vis-à-vis de son réseau de fabricants qu'elle aurait inutilement mobilisé. Elle sollicite à ce titre une indemnisation estimée à 50% de sa marge brute annuelle du dernier exercice clôturant la relation commerciale avec CDC (2018) soit 950 668 €.  

La société CDC réplique qu'il doit être fait référence à la marge brute sur coûts économisés ou variables et que l'année 2018 doit être exclue des exercices retenus dans le calcul. Selon elle, l'appelante n'apporte pas d'éléments suffisants pour faire la preuve de son taux de marge brute. Elle estime que l'attestation produite s'apparente à un rapport d'expertise officieux et devrait à ce titre être écarté des débats par la Cour.  

La société CDC conteste également le préjudice allégué au titre des pertes liées à la conception et à la réalisation de la collection printemps/ été 2019 dès lors que l'appelante était à même de proposer les prototypes refusés par CDC à d'autres prospects.

Réponse de la Cour :  

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.  

La société Dandy's non seulement ne donne aucun élément concernant sa marge sur coût variable mais n'établit pas davantage avec suffisamment de sérieux le taux de marge brute de 48,75 % à partir duquel elle calcule son préjudice. En effet, elle se borne à produire une attestation de son expert-comptable (pièce n° 43) indiquant que « la marge commerciale de production réalisée par la société Dandy's sur la période du 01 juillet 2016 au 31 décembre 2018 est en moyenne de 1.95 » et quelques fiches techniques de produits.  

 

 Pour le calcul de son chiffre d'affaires réalisé avec CDC à hauteur de 6705 475HT cumulé sur 2016 à 2018, la société Dandy's se contente de produire le compte client Comptoir des cotonniers extrait du Grand Livre pour les années 2011 à 2018. Comme le relève la société CDC, les montants retenus par Dandy's sont tirés de la colonne 'montant débit' sans tenir compte du report à nouveau de l'exercice précédent ni des avoirs accordés à CDC.  

Aucun bilan comptable annuel ni solde intermédiaire de gestion n'est produit.  

Au vu des seuls éléments d'appréciation qui lui sont soumis, la cour évalue le préjudice à partir des chiffres donnés par la société Dandy's mais limite le montant réclamé à une perte de 4 mois de marge, soit la somme de 350 000 euros.  

Au regard des circonstances de l'espèce, la publication judiciaire n'est pas nécessaire et la société Dandy's sera déboutée de cette demande.  

 

 S'agissant du préjudice au titre des prototypes, les deux pièces versées aux débats (n° 32 et 20) sont manifestement insuffisantes pour établir un lien avec la brutalité de la rupture et l'existence d'un préjudice. La société Dandy's sera déboutée de sa demande à ce titre.  

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Dandy's aux dépens de première instance et à payer à la société CDC la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.  

La société CDC, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.  

En application de l'article 700, la société CDC sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Dandy's la somme de 15 000 euros.  

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,  

Statuant de nouveau,

Dit que la société Comptoir des cotonniers a brutalement rompu la relation commerciale établie et engagé sa responsabilité à l'égard de la société Dandy's sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige ;  

Condamne la société Comptoir des cotonniers à verser à la société Dandy's la somme de 350 000 euros à titre de dommages-intérêts ;  

Déboute la société Dandy's du surplus de ses demandes ;  

Condamne la société Comptoir des cotonniers à verser à la société Dandy's la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;  

Dit que le présent arrêt constitue un titre de restitution des fonds versés en application des dispositions infirmées du jugement assorti de l'exécution provisoire, assortis des intérêts au taux légal à compter de sa signification ;

 Rejette toute autre demande.