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Décisions

Cass. crim., 30 juin 2021, n° 16-80.657

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Planchon

Avocat général :

M. Petitprez

Avocats :

SARL Cabinet Briard, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Foussard et Froger, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Paris, du 27 mai 2020

27 mai 2020

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A la suite du témoignage d'un ancien directeur général de l'office [Adresse 1], mettant en cause les pratiques de son prédécesseur, M. [X] [C], une information a été ouverte le 4 décembre 2013 contre ce dernier du chef de blanchiment de fraude fiscale, avant que la saisine du juge d'instruction ne soit étendue, sur la base de quatre signalements de la cellule Tracfin des 2 mai, 9 juillet et 29 septembre 2014 et 30 juin 2016, à des faits de corruption, de prise illégale d'intérêt et blanchiment concernant M. [C], de blanchiment aggravé, s'agissant de M. et Mme [C], et de blanchiment de fraude fiscale, s'agissant de M. [U] [C], puis, par réquisitoire supplétif du 21 mai 2015 à des faits de déclaration incomplète ou mensongère à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

3. A l'issue de l'information, le juge d'instruction a ordonné le renvoi devant le tribunal correctionnel, notamment, des demandeurs des chefs susvisés ainsi que de M. [Y] [F], directeur général de la société d'économie mixte de la ville de Levallois-Perret (Semarelp), présidée par M. [C], des chefs de prise illégale d'intérêt et complicité, complicité de corruption et blanchiment, et de M. [D] [A], homme d'affaires saoudien, dirigeant d'une société ayant conclu avec la Semarelp l'opération immobilière "Les tours de la défense", du chef de corruption.

4. Par jugement en date du 18 octobre 2019, le tribunal correctionnel, après avoir relaxé M. [X] [C] des chefs de corruption passive, de blanchiment et de prise illégale d'intérêt, l'a déclaré coupable, ainsi que Mme [C], des chefs de blanchiment aggravé et de déclaration mensongère à la HATVP, et les a condamnés, le premier à cinq ans d'emprisonnement, dix ans d'interdiction de gérer et dix ans d'inéligibilité, la seconde à quatre ans d'emprisonnement, dix ans d'interdiction de gérer et dix ans d'inéligibilité. Il a en outre ordonné plusieurs mesures de confiscation, dont celle concernant [Adresse 2], sis à [Localité 1], domicile familial des demandeurs.

5. S'agissant de M. [U] [C], il a été déclaré coupable du délit de blanchiment de fraude fiscale et condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis.

6. Sur l'action civile, le tribunal a reçu la constitution de partie civile de l'Etat français, a déclaré les demandeurs et les autres prévenus solidairement responsables de son préjudice matériel et les a condamnés à lui payer la somme de 1 000 000 euros en réparation de son préjudice matériel, et in solidum, la somme de 30 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

7. Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision, M. [U] [C] limitant son recours aux dispositions civiles du jugement, tandis que le procureur de la République a formé appel incident.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième, quatrième, cinquième moyens et le treizième moyen pris en ses deuxième et troisième branches proposés pour M. [C], le deuxième et le neuvième moyen pris en ses deuxième et troisième branches proposés pour Mme [C]

8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le treizième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [X] [C] et sur le neuvième moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [C] des pourvois formés contre l'arrêt de la chambre de l'instruction en date du 14 janvier 2016 (n° 16-80.657)

Enoncé des moyens

9. Le treizième moyen proposé pour M. [C] critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté la requête en nullité d'actes de la procédure présentée par les époux [C], alors :

« 1°) qu'il ressort de l'article L. 561-23 du code monétaire et financier que Tracfin n'est pas autorisé à saisir directement le procureur de la République par note d'information dans le cas de soupçons portant sur des faits susceptibles d'être qualifiés de blanchiment de fraude fiscale ; que dans un tel cas, en application de l'alinéa 5 de l'article L. 561-29 du même code, les informations sont communiquées au ministre chargé du budget qui les transmet au procureur de la République sur avis conforme de la commission des infractions fiscales ; qu'au cas présent, le 2 mai 2014, Tracfin a directement transmis au procureur de la République une note d'information relatant des faits uniquement susceptibles de recevoir la qualification de blanchiment de fraude fiscale ; que la transmission de cette note a d'ailleurs été suivie d'un réquisitoire supplétif du chef de « blanchiment notamment de fraude fiscale » et de deux mises en examen des chefs de blanchiment de fraude fiscale ; qu'en refusant d'annuler cette note communiquée en violation manifeste des dispositions légales, au motif erroné que la réserve faite par l'article L. 561-23 du code monétaire et financier ne concernerait que la fraude fiscale et non son blanchiment, la chambre de l'instruction a méconnu les articles L. 561-23 et L. 561-29 du code monétaire et financier.»

10. Le neuvième moyen proposé pour Mme [C] critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté la requête en nullité d'actes de la procédure présentée par les époux [C], alors :

« 1°/ qu'il ressort de l'article L. 561-23 du code monétaire et financier que Tracfin n'est pas autorisé à saisir directement le procureur de la République par note d'information dans le cas de soupçons portant sur des faits susceptibles d'être qualifiés de blanchiment de fraude fiscale ; que dans un tel cas, en application de l'alinéa 5 de l'article L. 561-29 du même code, les informations sont communiquées au ministre chargé du budget qui les transmet au procureur de la République sur avis conforme de la commission des infractions fiscales ; qu'au cas présent, le 2 mai 2014, Tracfin a directement transmis au procureur de la République une note d'information relatant des faits uniquement susceptibles de recevoir la qualification de blanchiment de fraude fiscale ; que la transmission de cette note a d'ailleurs été suivie d'un réquisitoire supplétif du chef de « blanchiment notamment de fraude fiscale » et de deux mises en examen des chefs de blanchiment de fraude fiscale ; qu'en refusant d'annuler cette note communiquée en violation manifeste des dispositions légales, au motif erroné que la réserve faite par l'article L. 561-23 du code monétaire et financier ne concernerait que la fraude fiscale et non son blanchiment, la chambre de l'instruction a méconnu les articles L. 561-23 et L. 561-29 du code de procédure pénale.»

Réponse de la Cour

11. Les moyens sont réunis.

12. Pour rejeter l'exception de nullité prise de l'irrégularité de la transmission par Tracfin au procureur de la République financier de la note d'information du 2 mai 2014, l'arrêt attaqué rappelle que le directeur de Tracfin a adressé, à son initiative, au procureur de la République financier ladite note accompagnée d'un CD et de dix-sept annexes, portant sur des faits susceptibles de constituer des infractions pénales, et visant un certain nombre de personnes physiques, dont les époux [C] et M. [Y] [F], ainsi que des personnes morales étrangères sises au Panama, en Suisse, et au Lichtenstein.

13.L'arrêt relève qu'au vu de ce signalement, le procureur de la République a, le 5 mai 2014, pris un réquisitoire supplétif visant des faits de blanchiment, notamment, de fraude fiscale, commis au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger et/ou par l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie, ou institution comparable établis à l'étranger, faits commis en France et à l'étranger depuis au moins le 1er janvier 2007.

14. Les juges ajoutent que cette note vise plus particulièrement des opérations financières ou montages juridiques complexes de dimension internationale en relation avec des biens immobiliers dénommés [Adresse 3] et une [Adresse 4] sise à [Localité 2], analyse les situations patrimoniales et financières des époux [C] ainsi que les fonctionnements de leurs comptes bancaires identifiés en France et relève l'existence de certaines dépenses ou encaissements de chèques, de transactions par carte bancaire ou de dépenses réalisées au Maroc, ou encore de plusieurs virements vers ce pays, et de même à propos de [Localité 2].

15. Ils constatent que Tracfin dresse un tableau des dépenses essentielles faites à [Localité 2] et à [Localité 3] entre 2007 et 2013 qui démontrent une fréquentation soutenue de ces deux territoires par les époux [C] et l'existence d'intérêts fixes et stables, la note évoquant les interrogations relatives à la qualité réelle de propriétaire de la [Adresse 5] de M. [F], et relèvent que Mme [C] et ce dernier ont été mis en examen du chef de blanchiment de fraude fiscale au vu des réquisitoires introductif du 4 décembre 2013 et supplétif du 5 mai 2014.

16. Ils soulignent ensuite que la note d'information adressée le 9 juillet suivant par Tracfin au procureur de la République financier, qui apporte des éléments nouveaux sur le financement de la [Adresse 5], sur le fonctionnement des comptes bancaires ouverts au nom des sociétés étrangères déjà citées, sur l'existence d'un compte bancaire au nom de Mme [C] au Maroc et de deux comptes bancaires ouverts au nom de M. [X] [C] sur la partie néerlandaise de [Localité 2], a conduit à l'établissement, le 11 juillet 2014, d'un réquisitoire supplétif mentionnant des faits de corruption passive et active, recel et blanchiment, non visés par les réquisitoires précédents.

17. La chambre de l'instruction conclut que la transmission de la note est conforme à l'article L. 561-23 du code monétaire et financier selon lequel la cellule Tracfin doit, lorsque ses investigations mettent en évidence des faits susceptibles de relever du blanchiment du produit d'une infraction punie d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou du financement du terrorisme, et réserve faite de l'hypothèse où la seule infraction est celle définie à l'article 1741 du code général des impôts, saisir le procureur de la République par note d'information.

18.Elle précise sur ce point que, selon l'article L.561-29 du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par Tracfin, dont la divulgation est interdite, ne peuvent être utilisées à d'autres fins que celles prévues par ledit code, que, selon le paragraphe II de ce texte, sous réserve qu'elles soient en relation avec les faits mentionnés au I de l'article L. 561-15 et en lien avec les missions de ces services, Tracfin est autorisé à communiquer les informations qu'il détient, notamment, aux autorités judiciaires, et que, selon le dernier alinéa du même texte, lorsqu'après la transmission d'une note d'information au procureur de la République en application du troisième alinéa de l'article L. 561-23 II, l'infraction sous-jacente à l'infraction de blanchiment se révèle celle de l'article 1741 du code général des impôts, l'avis de la commission visée à l'article L. 228 A du livre des procédures fiscales n'a pas à être sollicité.

19. En prononçant ainsi, et dès lors que la cellule Tracfin est soumise aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale, quelle que soit la qualification des faits portés à sa connaissance, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

20.Le moyen doit donc être écarté.

Sur le premier moyen proposé pour M. [X] [C] et le premier moyen proposé pour Mme [C] des pourvois formés contre l'arrêt de la cour d'appel en date du 27 mai 2020

Enoncé des moyens

21. Le premier moyen proposé pour M. [C] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré celui-ci coupable de blanchiment de fraude fiscale, alors « que la portée effective que confère une interprétation constante de la Cour de cassation aux articles 324-1 du code pénal et 9-1 du code de procédure pénale, selon laquelle le blanchiment constituant un délit distinct, la prescription qui le concerne est indépendante de celle qui s'applique à l'infraction originaire, est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, à savoir le principe de nécessité des peines et à la garantie des droits consacrés par les articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; qu'en conséquence, la déclaration d'inconstitutionnalité de ces dispositions et de leur interprétation constante par la Cour de cassation, qui sera prononcée après renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité posée par écrit distinct et motivé au Conseil constitutionnel, privera l'arrêt attaqué de tout fondement juridique. »

22. Le premier moyen proposé pour Mme [C] critique l'arrêt en ce qu'il a confirmé le jugement sur la déclaration de culpabilité de Mme [V] [C] du chef de blanchiment de fraude fiscale commis de façon habituelle, de l'avoir pénalement condamnée à la peine de quatre ans d'emprisonnement, de l'avoir condamnée à verser une amende de 100 000 euros, d'avoir prononcé pour une durée de dix ans une peine complémentaire d'interdiction de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale, alors « que la portée effective que confère une interprétation constante de la Cour de cassation aux articles 324-1 du code pénal et 9-1 du code de procédure pénale, selon laquelle le blanchiment constituant un délit distinct, la prescription qui le concerne est indépendante de celle qui s'applique à l'infraction originaire, est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, à savoir le principe de nécessité des peines et à la garantie des droits consacrés par les articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; qu'en conséquence, la déclaration d'inconstitutionnalité de ces dispositions et de leur interprétation constante par la Cour de cassation, qui sera prononcée après renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité posée par écrit distinct et motivé au Conseil constitutionnel, privera l'arrêt attaqué de tout fondement juridique. »

Réponse de la Cour

23. Les moyens sont réunis.

24. Par arrêt distinct du 9 décembre 2020, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre ces questions au Conseil constitutionnel. Il en résulte que les moyens sont devenus sans objet.

Mais sur le onzième moyen proposé pour M. [X] [C] et le septième moyen proposé pour Mme [C] des pourvois formés contre l'arrêt de la cour d'appel en date du 27 mai 2020

Enoncé des moyens

25. Le onzième moyen proposé pour M. [C] critique l'arrêt en ce qu'il a prononcé la confiscation, en application des articles 131-21 alinéa 6 et 324-7 12° du code pénal, sous réserve des droits des nus-propriétaires, du bien immobilier « [Adresse 2] », alors :

« 1°/ que la saisie pénale d'un bien immeuble ayant fait l'objet d'un démembrement de propriété par l'effet d'une donation-partage n'est possible que si cette donation n'a pas privé le prévenu des attributs inhérents aux droits du propriétaire ; qu'au cas d'espèce, la cour d'appel a constaté que la donation du [Adresse 2] n'était pas frauduleuse, de sorte que les donataires étaient nus-propriétaires de bonne foi ; qu'il s'en déduisait que les époux [C], simples usufruitiers, étaient privés sur ce bien des attributs inhérents aux droits du propriétaire ; qu'en prononçant néanmoins la confiscation de ce bien, fût-ce sous réserve des quotes-parts indivises de la nue-propriété revenant aux donataires, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 131-21 et 324-7-12° du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le juge ne peut prononcer la confiscation de la résidence principale du prévenu sans s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété et au droit au respect de la vie privée et familiale du prévenu ; qu'au cas d'espèce, les époux [C] faisaient valoir que le [Adresse 2], acquis il y a trente ans, constituait leur unique résidence ; qu'en se bornant, pour justifier la confiscation de ce bien, à observer que les époux [C] pourraient vivre dans des conditions dignes en dépit de cette confiscation, sans s'expliquer sur la proportionnalité de l'atteinte résultant de la confiscation à leur vie privée et familiale, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la CEDH, 131-21 et 324-7-12° du code pénal et 591 et 593 du code de procédure pénale. »

26.Le septième moyen proposé pour Mme [C] critique l'arrêt en ce qu'il a prononcé la confiscation, en application des articles 131-21 alinéa 6 et 324-7 12° du code pénal, sous réserve des droits des nus-propriétaires, du bien immobilier « [Adresse 2] », alors :

« 1°/ que la saisie pénale d'un bien immeuble ayant fait l'objet d'un démembrement de propriété par l'effet d'une donation-partage n'est possible que si cette donation n'a pas privé le prévenu des attributs inhérents aux droits du propriétaire ; qu'au cas d'espèce, la cour d'appel a constaté que la donation du [Adresse 2] n'était pas frauduleuse, de sorte que les donataires étaient nus-propriétaires de bonne foi ; qu'il s'en déduisait que les époux [C], simples usufruitiers, étaient privés sur ce bien des attributs inhérents aux droits du propriétaire ; qu'en prononçant néanmoins la confiscation de ce bien, fût-ce sous réserve des quotes-parts indivises de la nue-propriété revenant aux donataires, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 131-21 et 324-7-12° du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénal ;

2°/ que le juge ne peut prononcer la confiscation de la résidence principale du prévenu sans s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété et au droit au respect de la vie privée et familiale du prévenu ; qu'au cas d'espèce, les époux [C] faisaient valoir que le [Adresse 2], acquis il y a trente ans, constituait leur unique résidence ; qu'en se bornant, pour justifier la confiscation de ce bien, à observer que les époux [C] pourraient vivre dans des conditions dignes en dépit de cette confiscation, sans s'expliquer sur la proportionnalité de l'atteinte résultant de la confiscation à leur vie privée et familiale, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la CEDH, 131-21 et 324-7-12° du code pénal et 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

27.Les moyens sont réunis.

Vu l'article 131-21, alinéa 6, du code pénal :

28. Il résulte de ces dispositions que, lorsque la loi le prévoit, la confiscation de patrimoine peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis.

29. Pour ordonner, sur le fondement de ce texte, la confiscation, sous réserve des droits des nus-propriétaires du bien immobilier [Adresse 2], sis à [Localité 1], et dire que leurs quote-parts indivises de la nue-propriété de ce bien seront restitués à Mme [O] [C] et M. [U] [C], l'arrêt constate que les époux [C] l'ont acquis entre 1986 et 1990, qu'ils en sont les usufruitiers légaux depuis la donation-partage consentie à leurs enfants le 13 mars 1997, de la nue-propriété dudit bien et que celui-ci est grevé par une hypothèque légale au profit du Trésor public concernant l'usufruit des demandeurs.

30. Les juges ajoutent que la loi du 27 mars 2012 prévoyant la réserve des droits des propriétaires indivis de bonne foi lors de la confiscation d'un bien commande de réserver les droits des nus-propriétaires de bonne foi en cas de démembrement de la propriété du bien et que, dans les deux cas, les personnes qui ne sont pas visées par la peine complémentaire, doivent recevoir les sommes représentant la valeur de leurs droits après confiscation du bien.

31. Ils relèvent également que la donation-partage du bien immobilier, passée devant un notaire et enregistrée conformément à la loi, ne présente pas de caractère frauduleux et que l'enquête ne démontre pas que Mme [O] [C] et M. [U] [C] ne seraient pas nus-propriétaires de bonne foi.

32. Ils retiennent encore que la situation personnelle des époux [C] leur permettra de vivre dans des conditions dignes malgré la confiscation de l'usufruit de leur domicile actuel.

33. En prononçant ainsi, alors que les demandeurs étaient seulement titulaires des droits d'usufruit sur le bien dit [Adresse 2], et qu'elle n'a pas constaté qu'ils avaient la libre disposition dudit bien, la cour d'appel, qui ne pouvait dès lors ordonner que la seule confiscation des droits d'usufruit et non la confiscation en pleine propriété de ce bien, fût-ce en ordonnant la restitution aux nus-propriétaires des sommes représentant la valeur de leurs droits, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

34. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le douzième moyen proposé pour M. [X] [C], le huitième moyen proposé pour Mme [C] et le moyen unique proposé pour M. [U] [C] des pourvois formés contre l'arrêt de la cour d'appel en date du 27 mai 2020

Enoncé des moyens

35.Le douzième moyen proposé pour M. [X] [C] critique l'arrêt en ce qu'il a condamné in solidum Mme [V] [C], M. [X] [C] et M. [U] [C] à verser à l'État français la somme de 1.000.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de blanchiment :

« 1°/ alors que les sommes exposées par l'Etat au titre de la mise en oeuvre de procédures judiciaires destinées à faire valoir ses droits et recouvrer ses créances ne constituent pas un préjudice indemnisable sur le fondement de l'article 2 du code de procédure pénale ; qu'en condamnant M. [C], in solidum avec son épouse et son fils, à payer à l'Etat la somme de 1.000.000 ? à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la mise en oeuvre de procédures judiciaires destinées à faire valoir ses droits et à recouvrer ses créances, la cour d'appel a violé les articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ alors que les sommes exposées par l'Etat au titre de la mise en oeuvre de procédures judiciaires destinées à faire valoir ses droits et recouvrer ses créances entrent dans le champ des frais irrépétibles dont l'Etat peut solliciter qu'ils soient mis à la charge du condamné sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; qu'en condamnant M. [C], in solidum avec son épouse et son fils, à payer à l'Etat la somme de 1.000.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la mise en oeuvre de procédures judiciaires destinées à faire valoir ses droits et à recouvrer ses créances, la cour d'appel, qui l'a par ailleurs condamné, sous la même solidarité, à verser à l'Etat la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel, a violé les articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

36. Le huitième moyen proposé pour Mme [V] [C] critique l'arrêt en ce qu'il a condamné in solidum Mme [V] [C], M. [X] [C] et M. [U] [C] à verser à l'État français la somme de 1 000 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de blanchiment ;

« 1°/ alors, que les sommes exposées par l'Etat au titre de la mise en oeuvre de procédures judiciaires destinées à faire valoir ses droits et recouvrer ses créances ne constituent pas un préjudice indemnisable sur le fondement de l'article 2 du code de procédure pénale ; qu'en condamnant Mme [C], in solidum avec son époux et son fils, à payer à l'Etat français la somme de 1.000.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la mise en oeuvre de procédures judiciaires destinées à faire valoir ses droits et à recouvrer ses créances, la cour d'appel a violé les articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ alors, que les sommes exposées par l'Etat au titre de la mise en oeuvre de procédures judiciaires destinées à faire valoir ses droits et recouvrer ses créances entrent dans le champ des frais irrépétibles dont l'Etat peut solliciter qu'ils soient mis à la charge du condamné sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; qu'en condamnant Mme [C], in solidum avec son épouse et son fils, à payer à l'Etat français la somme de 1.000.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la mise en oeuvre de procédures judiciaires destinées à faire valoir ses droits et à recouvrer ses créances, la cour d'appel, qui l'a par ailleurs condamné, sous la même solidarité, à verser à l'Etat la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel, a violé les articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

37.Le moyen unique proposé pour M. [U] [C] critique l'arrêt en ce qu'il a confirmé la condamnation de M. [U] [C] solidairement, à payer à l'Etat français la somme de 1 000 000 euros à titre de dommages et intérêts et sa condamnation in solidum à payer à l'Etat français une somme de 30 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, en y ajoutant sa condamnation in solidum au paiement d'une somme de 20 000 euros en cause d'appel.

« 1°/ alors que seul le préjudice direct et personnel résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en condamnant M. [U] [C] à verser solidairement à l'Etat français la somme de 1 000 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier allégué par ce dernier, résultant de la mise en oeuvre d'investigations et de procédures judiciaires pour faire valoir ses droits et recouvrer ses créances quand ce préjudice ne pouvait être qu'indirect au regard de l'intérêt légitime protégé par le délit de blanchiment, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 2 du code de procédure pénale, 324-1 du code pénal et 1240 du code civil ;

2°/ alors que si les juges apprécient souverainement dans les limites des conclusions de la partie civile l'indemnité qui est due à celle-ci, cette appréciation cesse d'être souveraine lorsqu'elle découle de motifs insuffisants, contradictoires, ou erronés ; qu'en affirmant dans le même temps que le préjudice incontestable subi par l'Etat prétendument réparé par l'allocation d'un montant d'un million d'euros était indépendant «du préjudice économique et budgétaire déjà actuel, caractérisé par l'absence de rentrée des recettes fiscales dues » tout en affirmant que ce préjudice avait obligé «l'Etat à la mise en oeuvre de multiples recherches, investigations et procédures pour espérer pouvoir recouvrer les impositions éludées », ce dont il résulte que le préjudice ainsi octroyé n'était en rien distinct et indépendant du préjudice économique résultant de l'absence de rentrée des recettes fiscales déjà réparé au titre de la condamnation de fraude fiscale, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et méconnu les articles 1240 du code civil, 2 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale ;

3°/ alors que pour fixer à un million d'euros l'indemnité allouée à l'Etat français au titre de son préjudice résultant de la mise en oeuvre de procédures judiciaires pour faire valoir ses droits et recouvrer ses créances, et à 30 000 euros la somme due in solidum au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale en première instance, l'arrêt attaqué se borne à relever d'une part que « la mobilisation des services de l'Etat pour identifier le patrimoine dissimulé à l'étranger a nécessité un très important travail de ses agents outre les frais de fonctionnement correspondants », d'autre part, que « ces dépenses sont différentes de celles engagées pour la représentation et le soutien de ses demandes de dommages et intérêts devant les juridictions de première instance et d'appel qui sont indemnisées par les sommes allouées au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale » ; qu'en se déterminant ainsi sans répondre aux conclusions de M. [U] [C] mettant en évidence l'absence de toute pièce produite par l'Etat pour justifier du montant des frais liés à la mise en oeuvre de procédures judiciaires, ni s'expliquer sur leur différence avec les démarches déjà entreprises par l'Etat pour obtenir réparation des droits éludés, ni sur le fait que les procédures mises en oeuvre pour faire valoir les droits de l'Etat français étaient déjà indemnisées pour partie par les sommes allouées au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 et 593 du code de procédure pénale, et 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

38. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale :

39. Aux termes du premier de ces articles, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention, appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.

40. Tel est le cas de l'Etat français qui, par suite de la commission du délit de blanchiment de fraude fiscale, a été amené à conduire des investigations spécifiques générées par la recherche, par l'administration fiscale, des sommes sujettes à l'impôt, recherche rendue complexe en raison des opérations de blanchiment.

41. En revanche, n'entrent pas dans les prévisions de ce texte les frais liés aux investigations judiciaires, lesquels restent à la charge de l'Etat et sans recours contre le condamné en application de l'article 800-1 du code de procédure pénale.

42. Il résulte du second de ces textes que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

43. Pour condamner solidairement M. [X] [C], Mme [V] [C] et leur fils [U] [C] à payer à l'Etat, partie civile, la somme de 1 000 000 euros à titre de dommages- intérêts et in solidum à payer à l'Etat français une somme de 30 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué rappelle que Mme [C] et M. [X] [C] ont été placés sous contrôle judiciaire, par ordonnances respectivement des 22 mai 2014 et 4 mai 2016, mesures maintenues par ordonnance du 6 juillet 2018, avec l'obligation pour chacun de verser un cautionnement de 1 000 000 euros garantissant leur représentation à tous les actes de la procédure à concurrence de 10.000 euros et le paiement de la réparation des dommages causés par l'infraction, les restitutions et les amendes à concurrence de 990 000 euros, qu'il résulte d'une jurisprudence constante que, d'une part, la solidarité entre les individus condamnés pour un même délit s'applique également à ceux déclarés coupables de différentes infractions rattachées entre elles par des liens d'indivisibilité ou de connexité, d'autre part, il n'y a pas lieu de prononcer un partage de responsabilité entre les coauteurs du dommage dont la réparation a été ordonnée.

44. Les juges ajoutent que les époux [C] ont mis en oeuvre pendant sept ans, de façon habituelle, des mécanismes sophistiqués de dissimulation, de conversion et de placement de leurs revenus et de leur patrimoine immobilier à [Localité 2] et au Maroc, qu'ils ont fait procéder par des financiers suisses à la création de sociétés situées dans plusieurs paradis fiscaux (Liechtenstein, Panama, Seychelles), bénéficiant, pour ce faire, de l'action frauduleuse de leur fils, M. [U] [C], qui, en signant et produisant en justice des contrats de bail fictifs en vue de permettre à ses parents de dissimuler la propriété de la [Adresse 5], s'est rendu coupable de blanchiment de fraude fiscale et a été définitivement condamné par jugement du 18 octobre 2019, ainsi que de celle de MM. [S] et [F] qui ont été définitivement condamnés par le même jugement pour leur avoir permis de ne pas apparaître comme les véritables bénéficiaires économiques des société Himola et Haydridge et comme les vrais propriétaires de la [Adresse 5] au Maroc.

45. Ils relèvent que l'ensemble des manoeuvres des condamnés a obligé l'Etat à la mobilisation de ses services afin d'identifier le patrimoine dissimulé à l'étranger, ce qui a nécessité un très important travail de ses agents? outre les frais de fonctionnement correspondants, et que ces dépenses sont distinctes de celles engagées pour la représentation et le soutien de l'action civile de l'Etat devant les juridictions de première instance et d'appel qui sont indemnisées par les sommes allouées au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

46. Ils soulignent que deux institutions ont été mobilisées, à savoir les finances publiques et la police judiciaire, chacune dans leur domaine, même si les investigations de l'une, sous réserve du principe de spécialité, appuyaient les investigations de l'autre, que quatre ans d'investigations conduites par deux magistrats instructeurs ont été nécessaires, collectées dans quarante tomes de procédure, que vingt-deux commissions rogatoires internationales ont été délivrées sur quasiment les cinq continents pour démêler l'écheveau de sociétés off-shores élaboré par M. et Mme [C] et leurs gestionnaires de fortune.

47. La cour d'appel retient qu'au vu de ces éléments, le préjudice direct subi par l'Etat français est incontestable, que la dissimulation des biens et des droits éludés a nécessairement engendré pour l'Etat des frais financiers importants, compte tenu de la pérennité, de l'habitude et de l'importance de la fraude, entraînant la mise en oeuvre de procédures judiciaires pour faire valoir ses droits et recouvrer ses créances, indépendamment du préjudice économique et budgétaire déjà actuel, caractérisé par l'absence de rentrée des recettes fiscales dues.

48. Elle conclut que la demande de la partie civile est justifiée tant dans son principe que dans son montant et confirme la condamnation des prévenus avec leur fils M. [U] [C] à verser solidairement à l'Etat la somme de 1 000 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de blanchiment et la somme de 30 000 euros in solidum sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, les divers procédés utilisés, constitutifs de blanchiment, ayant obligé l'Etat à la mise en oeuvre de multiples recherches, investigations et procédures pour espérer pouvoir recouvrer les impositions éludées.

49. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

50. En effet, d'une part, elle a retenu le coût des procédures judiciaires pour évaluer le préjudice de l'Etat.

51. D'autre part, elle ne pouvait, sans mieux s'en expliquer, fixer à 1 000 000 d'euros le montant des dommages-intérêts.

52. La cassation est à nouveau encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

53. La cassation sera limitée aux peines et aux intérêts civils dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés, la Cour :

I - Sur les pourvois formés par M. [X] [C] et Mme [V] [C] contre l'arrêt de la chambre de l'instruction en date du 14 janvier 2016 :

Les REJETTE ;

II - Sur les pourvois formés par M. [X] [C], Mme [V] [C] et M. [U] [C] contre l'arrêt de la cour d'appel du 27 mai 2020 :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 27 mai 2020, mais en ses seules dispositions relatives aux peines et aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.