CA Paris, 16e ch. A, 14 février 2007, n° 06/03596
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Shilane (SARL), Ararat (SARL)
Défendeur :
Mme Brousse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Duclaud
Conseillers :
Mme Imbaud-Content, M. Zavaro Maurice
Avoués :
Me Bodin-Casalis, Me Bodin-Casalis
Avocats :
Me Duroux, Me Graignic
Les faits et la procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit :
Par acte du 14/6/1993, Mme BARLET épouse BROUSSE a donné à bail en renouvellement à M. WANG (ayant depuis cédé à la société SHILANE son fonds de commerce incluant le droit audit bail) des locaux sis à [...] , ce pour une durée de 9 ans à compter du 1er/5/1975 avec possibilité d'exercer l'activité de 'vente de vêtements et fabrication de maroquinerie' et moyennant un loyer de 17 625 F par an en principal , toutes les autres conditions du bail d'origine étant maintenues ;
Le bail d'origine permettait l'activité de' vente de vêtements prêt à porter et cadeaux se rapportant au commerce du preneur 'exclusivement et stipulait que 'le preneur ne pourrait céder son droit au bail sans le consentement par écrit du bailleur si ce n'est à une personne exerçant la même profession, le bailleur ou son représentant devant intervenir à toute cession et un exemplaire devant lui être remis sans frais';
Par acte du 31/1/2003, la société SHILANE a cédé le droit au bail en cause à la société ARARAT ;
L'acte de cession a été, par acte extrajudiciaire du 2/6/2003, notifié et remis en copie par la cessionnaire au mandataire de la bailleresse lequel avait été préalablement convoqué à la signature de l'acte par lettre recommandée avec accusé de réception du 23/1/2003 mais n'avait pas répondu à cette invitation ;
La bailleresse a , en date des 21/1/2004 et 25/3/2004, fait dresser constat par huissier de justice aux fins de constater l'inexploitation des locaux puis a ,en date du 26/5/2004 et au visa de ces constats, fait délivrer à la société SHILANE, et, à toutes fins à la société ARARAT, une sommation visant la clause résolutoire insérée au bail , d'avoir à garnir les lieux de meubles et marchandises et d'exercer dans ceux-ci l'activité prévue au bail en contestant, par ailleurs , que la cession au profit de la société ARARAT lui soit opposable dès lors qu'elle n'y avait pas donné son accord et n'y avait été présente ;
Par acte extrajudiciaire du 24/6/2004, la société ARARAT a fait protestation à cette sommation en indiquant, concernant le grief d’inexploitation, qu’en raison d'importants travaux de voirie dans la rue et des perturbations en résultant pour les livraisons et le [...] , elle avait préféré suspendre provisoirement l'exploitation de la boutique pour la durée de ces travaux ;
Le 29/6/2004, Mme BROUSSE a fait à nouveau dresser constat par huissier de justice pour constater l'inexploitation ;
Son mandataire, le cabinet COLONNA D’ISTRIA, ayant été auparavant destinataire d'une demande de renouvellement notifiée par la société ARARAT le 9/4/2004, elle y a fait réponse par acte extrajudiciaire du 8/7/2004 en refusant, sous réserve de ses droits quant à la contestation de la cession du droit au bail, le renouvellement du contrat , ce pour défaut de validité et d'opposabilité de la cession et pour défaut d'exploitation;
En Novembre 2004, Mme BROUSSE a fait assigner la société SHILANE et la société ARARAT devant le tribunal de grande instance de PARIS aux fins de voir dire nulle la cession litigieuse et de voir prononcer la résiliation judiciaire du bail en raison de l'irrégularité de cet acte intervenu sans son accord et hors sa présence et à titre subsidiaire, de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et aux fins de dire sans objet la demande de renouvellement de la société ARARAT , d'ordonner l'expulsion de la société SHILANE et de la société ARARAT, de condamner la société SHILANE, dans l'hypothèse de nullité de la cession en cause ou la société SHILANE et la société ARARAT, dans l' hypothèse de la validité de celle-ci mais de l'acquisition de la clause résolutoire, au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et charges, de déclarer le dépôt de garantie acquis à son profit , d'inclure dans les dépens le coût des constats dressés et de la sommation délivrée ;
La société SHILANE et la société ARARAT se sont opposées aux demandes et ont formé une demande reconventionnelle ;
C'est dans ces conditions que le jugement déféré a été rendu qui a retenu que seule une identité d'activité du cédant et du cessionnaire aurait dispensé la locataire de l'accord de la bailleresse à la cession du droit au bail et que tel n'était pas le cas , la lettre convoquant le mandataire de Mme BROUSSE à la signature de la cession faisant mention de ce que la cessionnaire poursuivrait l'activité de vente de vêtements , prêt à porter et cadeaux et aussi celle de vente, réparation et fabrication de maroquinerie et l'activité de réparation n'étant pas prévue contractuellement de sorte que l'activité exercée par la cessionnaire n'était pas exactement la même ;
La société SHILANE et la société ARARAT, appelantes, demandent à la Cour :
-d'infirmer le jugement déféré en déboutant Mme BROUSSE de ses demandes en nullité de la cession en cause et en résiliation judiciaire du bail, en disant valide et opposable à celle-ci ladite cession et en disant que le bail s'est renouvelé au profit de la société SHILANE et de la société ARARAT à compter du 1er/7/2004 ensuite de la demande de renouvellement notifiée le 9/4/2004,
- de condamner Mme BROUSSE au paiement d'une somme de 2000 ' au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Mme BROUSSE, intimée, demande à la Cour :
-de confirmer le jugement déféré sauf en ses dispositions rejetant la demande d'astreinte de 200' par jour de retard du chef de l'expulsion et en ses dispositions rejetant la demande d'acquisition au profit de la concluante du dépôt de garantie et sauf à préciser que la libération effective des lieux se matérialisera par la remise des clés ou l'expulsion,
- à titre subsidiaire, de constater l'acquisition de la clause résolutoire ensuite de la délivrance de la sommation du 26/5/2004, de dire, sans objet la demande de renouvellement du bail de la société ARARAT et d'ordonner l'expulsion des lieux de celle-ci et de la société SHILANE avec paiement d'une indemnité d'occupation ,
-de condamner la société SHILANE et la société ARARAT au paiement d'une somme de 3000 ' au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
CECI ETANT EXPOSÉ,
LA COUR,
SUR L'APPEL PRINCIPAL,
Considérant que les appelantes font valoir pour l'essentiel , au soutien de leur appel , que l'autorisation de la bailleresse n'était pas requise aux termes du bail dans le cas où la cessionnaire devait exploiter dans les lieux la même activité ce qui était le cas en l'espèce au vu de l'activité mentionnée à l'extrait Kbis du registre du commerce de la société ARARAT et l'activité de réparation de maroquinerie rentrant dans les prévisions du bail, ceci étant, selon elles, conforté par l'identité d'associés et de dirigeant des deux sociétés cédante et cessionnaire ; qu'elles relèvent, d'autre part, que le mandataire de la bailleresse avait été convoqué à concourir à la cession , ceci satisfaisant aux conditions du bail ;
Mais considérant que la clause du bail d'origine reprise dans les renouvellements successifs aux termes de laquelle l'accord du bailleur n'était pas exigé en cas de cession à une personne 'exerçant la même profession ' impliquait, dans l'esprit des parties, une stricte identité de profession, hypothèse dont était donc exclue l'exercice d'une activité nouvelle par rapport aux activités prévues au bail fût-elle complémentaire de ces dernières activités ;
Considérant que si l'activité de fabrication de maroquinerie avait, lors du bail en renouvellement de 1993 ,été ajoutée aux activités de vente de vêtements , prêt à porter, cadeaux autorisées par le bail d'origine et dans le bail en renouvellement de 1993, celle de 'réparation de maroquinerie ' mentionnée au courrier adressé au mandataire de la bailleresse parmi les activités devant être exercées par la société ARARAT et expressément visée à la clause 'destination des lieux dans l'acte de cession , constituait une activité nouvelle non incluse à celle de fabrication de maroquinerie ou de vente de vêtements ou de cadeaux se rapportant à l'activité du preneur et qui, partant et au regard de la commune volonté susvisée des parties, exigeait, quand bien même aurait-elle pu être considérée comme complémentaire, l'accord du bailleur à la cession;
Considérant que s'il pouvait être passé outre à la non présence du bailleur à la signature de l'acte de cession dès lors que celui-ci dûment avisé, via son mandataire, de la date et de l'heure du rendez-vous de signature , n'avait pas réagi en manifestant son refus , il ne pouvait pas , en revanche, être passé outre à l'absence d'accord exprès de la part du concerné dont le silence ne pouvait valoir acceptation ou renonciation non équivoque à se prévaloir de l'irrégularité en cause;
Considérant que la passation de l'acte de cession mentionnant une activité nouvelle, alors que l'accord du bailleur à cette activité nouvelle n'avait pas été recueilli, constitue une irrégularité au regard des clauses et conditions du bail qui, si elle n'affecte pas la validité de la cession dans les rapports entre cédant et cessionnaire, la rend, en tous cas, inopposable au bailleur ;
Considérant que cette irrégularité apparaît constitutive en elle-même d'un manquement grave de la société SHILANE aux obligations du bail ;
Considérant que les appelantes ne peuvent utilement arguer sur ce point de la mauvaise foi du bailleur dont l'opposition à la cession ne serait motivée que par des arguments spécieux tirés de craintes infondées sur le sérieux et la solvabilité de la société ARARAT , une telle attitude à la supposer établie(ce qui ,au demeurant et quant au sérieux de la cessionnaire, n'est pas évident eu égard aux procès-verbaux de constat ultérieurs relevant l'inexploitation prolongée des locaux et cette inexploitation prolongée ne pouvant sérieusement s'expliquer par des travaux de voirie alors que des commerces voisins demeuraient, eux, ouverts ) n'ayant pu éventuellement ouvrir droit qu'à dommages-intérêts en cas de refus dûment exprimé ;
Considérant que le tribunal a, en conséquence, à bon droit, prononcé la résiliation judiciaire du bail aux torts de la société SHILANE et accueilli la demande de Mme BROUSSE visant à l'expulsion des lieux et au paiement à charge de la société SHILANE d’indemnités d'occupation ;
Qu'il a, d'autre part, à bon droit rejeté la demande d'astreinte concernant l’expulsion, les circonstances de l’espèce, ne justifiant pas le prononcé d'une astreinte ;
Considérant que le bail étant déclaré résilié, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande des appelantes en validité de la demande de renouvellement du 9/4/2004 ;
SUR L'APPEL INCIDENT DE MME BROUSSE,
Considérant que Mme BROUSSE ne saurait, à l'appui de son appel incident, solliciter que le dépôt de garantie lui demeure acquis alors qu'une telle acquisition n'est prévue au bail qu'en cas de constat du jeu de la clause résolutoire ;
Que les dispositions du jugement déféré en ce sens seront donc également confirmées ;
Considérant, en définitive, que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;
SUR LA DEMANDE DES PARTIES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Considérant que la société SHILANE et la société ARARAT qui devront supporter la charge des dépens ne sauraient solliciter indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant, concernant la demande du même chef de Mme BROUSSE, qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais par elle exposés dans l'instance, une somme de 1500 ' lui étant allouée à cet égard ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Dit n'y avoir lieu, partant, de statuer sur la demande de renouvellement du bail notifiée le 9/4/2004,
Condamne la société SHILANE et la société ARARAT à payer à Mme BROUSSE la somme de 1500 ' au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Déboute la société SHILANE et la société ARARAT de leur demande du même chef à l'encontre de Mme BROUSSE,
Condamne la société SHILANE et la société ARARAT aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction, pour les dépens d'appel au profit de la SCP BOLLING.